Le paysan immobile (10/09/2009)
Là-haut, tout est calme
Dans la ferme familiale de Hollande septentrionale, Helmer relègue son père grabataire à l’étage. Il passe un coup de pinceau dans quelques pièces de la maison, fait de la chambre parentale – sa mère est décédée – sa propre chambre. Ce vieux garçon opère en fait une sorte de coup d’État : à 55 ans, il prend enfin les choses en main.
Ce n’est pas lui, mais son frère jumeau Henk, qui était destiné à être paysan. Celui-ci, le chouchou de leur père, est toutefois décédé à 19 ans dans un accident de voiture alors que Riet, sa future épouse, était au volant. Autrement dit, Helmer, qui souhaitait faire des études de littérature, a mené contre son gré la vie de son frère, à ceci près qu’il n’a pour sa part jamais tenté de séduire la moindre femme et qu’il a toujours dû subir un père autoritaire et buté.
trad. Bertrand Abraham, Gallimard, 2009
LE MOT DE L’ÉDITEUR
Helmer van Wonderen vit depuis trente-cinq ans dans la ferme familiale, malgré lui. C’est Henk, son frère jumeau, qui aurait dû reprendre l’affaire. Mais il a disparu dans un tragique accident, à l’âge de vingt ans. Alors Helmer travaille, accomplissant les mêmes gestes, invariablement, machinalement. Un jour, sans raison apparente, il décide d’installer son vieux père au premier étage, de changer de meubles, de refaire la décoration de la maison. Le besoin de rompre la monotonie de sa vie et l’envie de mettre fin à ce face-à-face presque silencieux avec un homme devenu grabataire le font agir, plein de colère retenue. Les choses s’accélèrent le jour où il reçoit une lettre de Riet lui demandant de l’aide : Riet était la fiancée de son frère. Elle fut aussi à l’origine de son accident mortel...
En se mettant dans les pas d’un paysan du nord de la Hollande qui, à cinquante-cinq ans, comprend qu’il n’est pas trop tard pour combler ce manque qui le ronge, l’écrivain néerlandais évoque avec une grande force le désir humain de maîtriser sa vie et d’accéder à une forme de vérité intérieure. À la fois précise et poétique, l’écriture de Là-haut, tout est calme entraîne le lecteur dans une inoubliable quête de bonheur.
Gerbrand Bakker est né en 1962. Après des études de lettres à Amsterdam, il a exercé différents métiers, puis publié un livre pour adolescents en 2004. Là-haut, tout est calme, son premier roman, a été le phénomène éditorial de l’année 2006 aux Pays-Bas.
POINT DE VUE
Dans ce roman magnifique, Gerbrand Bakker narre une histoire par touches, sans précipitation, dans une langue belle et en apparence simple. L’écriture est en harmonie avec le paysage décrit et le quotidien de la ferme. De cet ensemble mélancolique se dégage une réelle attention pour l’austérité et la rudesse de la vie paysanne d’aujourd’hui. Mais aussi pour la solitude et l’absence d’affection qui mine le personnage. L’auteur n’explique rien, il se contente, au fil des 56 chapitres, de décrire sobrement le peu qui se déroule. Le titre original (Boven is het stil) souligne l’omniprésence du « calme » mais aussi du silence. Quelques motifs permettent d’articuler les évolutions majeures du livre : la corneille mantelée annonciatrice de mort ; la carte du Danemark qu’Helmer accroche dans sa chambre (le Danemark est un pays où de nombreux paysans hollandais s’exilent) ; les paires (les jumeaux, les deux ânes, les deux rameurs, les deux Henk)…
Au-delà de la révolution intérieure que vit plutôt inconsciemment l’anti-héros, la donnée omniprésente est bien le refoulement de l’homosexualité. L’optique narrative, en privilégiant avec talent la retenue, la sobriété, le souci du détail prosaïque, le dialogue abrupt et incisif, met le lecteur en position idéale pour observer de l’intérieur les frustrations du personnage central. Seul bémol : le non-dit relatif à l’homosexualité, ou plutôt le mode transversal sur lequel les choses sont formulées, peut finir par lasser. (D.C.)
« Là-haut, dans ce bout du nord de la Hollande, tout est calme, ou semble l’être. Le Waterland est une terre immobile, hors du temps, ou semble l’être. Un plat pays qui s’accouple avec un ciel bas, sans avenir. Ici, les watergangs s’écoulent lentement, emportant dans leurs eaux troubles souvenirs et regrets. Les brumes sont lourdes, assourdissent les sons. Les animaux de la ferme osent à peine s’agiter. Là-haut, chez les van Wonderen, père et fils, tout est silence. Sourde haine. (…) D’une narration comme en apesanteur, étouffée, sensuelle à en devenir venimeuse, Là-haut, tout est calme raconte une histoire de fin du monde, celle d'une chape de plomb qui s’effrite, laisse déborder un mal de vivre sournois. » (critique de Martine Laval)
Linguiste de formation, Gerbrand Bakker, issu d’une famille de paysans, a publié des dictionnaires étymologiques pour les collégiens. En plus de donner des chroniques à différents magazines, il montre un grand intérêt pour les animaux, le jardinage, la traduction et le patinage de vitesse. Son nouveau roman Juni (Juin) a vu le jour cet été, toujours chez l'éditeur amstellodamois Cossée.
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