Dimitri VERHULST, Problemski Hotel (24/07/2009)
Le Flamand Dimitri Verhulst (né en 1972) jouit déjà en France d’une certaine attention alors même que ses principaux livres ne sont pas encore traduits. Pour l’instant, le lecteur doit se contenter d’Hôtel Problemski, (trad. Danielle Losman, Christian Bourgois, 2005), roman qui a donné lieu à une adaptation théâtrale en France (adaptation et mise en scène de Martine Fontanille). Autre pièce jouée d’après un de ses textes : Alost, à la Comédie de Clermont-Ferrand (concept, mise en scène et décor Pol Heyvaert), un des rôles étant réservé à Felix Van Groeningen, celui-là même qui a porté à l’écran une autre œuvre de Verhulst, le roman De helaasheid der dingen (qui devrait paraître aux éditions Denoël) : le film La Merditude des choses a été présenté à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs et il sortira dans les salles fin 2009.
Retour sur Hôtel Problemski, paru en 2003 aux éditions Contact d’Amsterdam, avant une suite de livres dont certains ont remporté un grand succès (et des prix) dans les contrées néerlandophones (voir quelques couvertures ci-dessous).
Dans les premières pages, le narrateur, Bipul Masli, raconte qu’il est devenu photographe le jour de ses douze ans : la fête familiale donnée alors dans sa ville africaine d’origine a tourné au massacre ; il a photographié avec son appareil tout neuf sa sœur se faisant assassiner. Dix ans plus tard, en 1984, il est en Somalie où il réalise la photo qui doit le rendre célèbre : celle d’un enfant en train de mourir de faim.
Puis on passe à l’hiver 2001. Bipul Masli est en Belgique, dans un centre de réfugiés. L’homme cultivé qu’il est évoque les conditions de vie dans ce lieu ainsi que divers personnages qui évoluent à ses côtés et qui viennent pour la plupart soit d’Afrique, soit de l’ancienne URSS. Au fil des pages, il accumule scènes, détails, anecdotes qui nous permettent de mieux cerner le quotidien des demandeurs d’asile politique (nourriture dont aucun Occidental ne veut plus, chiottes dégueulasses, bagarres entre Africains et Tchétchènes, températures polaires pour des Africains vêtus de bric et de broc, parties d’échec pour gagner ou perdre quelques cigarettes, vengeances entre réfugiés…).
Parmi les personnages évoqués, on relève Igor, le « boxeur » ukrainien avec qui Bipul Masli partage sa chambre bien malgré lui : il craint que ce taciturne ne le tue un jour dans un accès de colère ; Maqsood qui vient du Cachemire et qui cherche par tous les moyens à rencontrer une femme belge afin de l’épouser et d’ainsi obtenir le droit de rester en Europe ; Sedi qui vient du pays où il fait le moins bon vivre, le Sierra Leone ; Martina qui accouche d’un enfant qu’elle ne veut pas garder car il a été conçu le jour où elle a été violée par trois Albanais : il faut que l’accouchement se passe à l’insu de l’administration, un Albanais a été chargé (contre de l’argent et des cigarettes) d’éliminer le bébé, mais c’est finalement la mère qui sera la seule à avoir le courage d’étrangler le nouveau-né ; Shaukat, le musulman dont la femme a demandé à être placée dans un autre centre afin d’échapper à son mari machiste et violent ; Lidia, une adolescente devenue la maîtresse de Bipul, qui tente le tout pour le tout à la Noël en s’échappant du centre pour tenter de gagner l’Angleterre dans un container…
Dans une brève postface, l’auteur nous dit qu’il a passé quelques jours dans un centre de réfugiés en Flandre et que si la moitié des histoires qu’il raconte sont inventées, aucune ne contient le moindre mensonge. Pour rendre la misère et la violence qui sont le quotidien de ces gens ne parlant pas le néerlandais, n’ayant pas de quoi se vêtir, vivant dans la plus grande promiscuité avec des individus venant d’un autre monde, d’une autre culture, il a choisi de se glisser dans la peau d’un personnage (Bipul Masli) qui vit et observe de l’intérieur, et non sans humour, le sort de ces gens qui n’ont plus qu’une chose à laquelle se raccrocher : le mot England.
Dans les premières pages du livre, le photographe restitue sans détours les sentiments qui l’animaient alors qu’il photographiait un enfantsomalien proche de la mort ; il sentait qu’il était à deux doigt de réussir une photo qui allait faire le tout du monde, encore fallait-il qu’une mouche se pose sur le visage du moribond. À la fin du livre, c’est lui qui doit cette fois se soumettre aux caprices d’un photographe : dans sa piteuse chambre du centre de réfugiés, un journaliste venu faire un reportage souhaite le prendre en photo devant la fenêtre ; il n’appuiera sur le bouton de son appareil qu’au moment où une mouche viendra se poser sur le visage de Bipul Masli.
Ce court roman-documentaire est écrit avec une verve rare, dans une langue moderne qui ne craint pas de puiser dans le registre familier, grossier. Le pathétique et le cliché sont évités grâce au côté drolatique et caustique privilégié par Dimitri Verhulst. (Daniel Cunin)
écoutez une nouvelle de Dimitri Verhulst lue par Danielle Losman : ici
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