Un poème de Ramsey Nasr (11/06/2010)

JE VOUDRAIS ÊTRE DEUX CITOYENS

 

Né à Rotterdam en 1974, Ramsey Nasr est écrivain, acteur et réalisateur. Après avoir été durant deux ans « poète officiel » de la ville où il réside, Anvers, il a été désigné, début 2009, et ce pour quatre ans, « poète des Pays-Bas », une fonction qui l’amène à écrire des poèmes sur des sujets de société. C’est l’un de ces poèmes qu’il déclame dans la vidéo ci-dessous : IK WOU DAT IK TWEE BURGERS WAS.


 

 


JE VOUDRAIS ÊTRE DEUX CITOYENS

(de manière à vivre avec moi)



et voici mon poème, entrez je vous prie

ne faites pas attention si ça résonne

n’ayez pas peur, allons d’abord dans le vide

bienvenue dans mon cratère de lumière


vous et moi nous sommes déjà rencontrés, vous vous rappelez

alors requinqués, sur la réserve, dans l’éclat d’un verre

nos ombres pareilles à du cristal clair

notre renommée aussi éphémère que l’éclairage

sur la lettre d’une femme étale


nous étions couverts de poussière d’or

blêmes, presque diaphanes de trop aimer

nous fermions les yeux l’un pour l’autre


et aimions faire pénitence

quand on nous demandait comment ça allait

nous répondions conformément à la vérité

nous sommes morts de honte, monsieur

nous étions sacrément convaincus

d’avoir un jour flagellé et cruciverbé

de notre propre initiative

le seigneur chair de notre chair

l’apocalypse était une punition marquée

par avance sur notre rétine


et que s’est-il passé durant ces quelques siècles

pendant que nous tournions la tête de l’autre côté ?


j’aurais aimé vous montrer une patrie achevée

pure aux métaphores menées de bout en bout

pétrir un poème sur vous et moi, mais quand je m’y suis mis

j’ai constaté qu’un peuple balayait

de but en blanc un autre peuple

pareils à deux républiques inconciliables


comment sommes-nous passés aussi vite du futile au fruste

des reflets à cet omniprésente masse criarde

comment ce peuple de 4X4 a-t-il pu surgir de ces chiches chenilles ?


ils disent : parce que dieu a disparu – notre père

ayant décidé de se faire plus invisible qu’il n’était,

voyons si c’est possible, non, impossible

dieu avait fichu le camp

et dans cette nature morte au grand absent

les pays-bas abasourdis se retrouvaient

la gueule encore pleine de corruptibilité

de frivolité et d’une envie de mourir saluée par tous


toute leur vanité se révéla vanité

tous les semblants, la boue chérie, tout ce palais de glaces

que l’on avait pris pour l’infini

était déclaré à jamais inhabitable

on entendait le givre crisser sur leurs âmes


et de ce trou – nous sommes nés

kevin, ramsey, dunya, dagmar, roman et charity

comme par magie nous sommes apparus

sautant à l’élastique, marteau gonflable orange à la main

criant braillant antidépressifs

ou silencieux devant un breezer gangbangé

bienvenue aux pays-bas terre de vacances


oui voilà ce qui arrive, ce peuple c’est ce qui reste

une fois la culpabilité arrachée à nos corps

nous remplissons le vide par un autre vide, rutilant


entre chanteurs de psaumes et avaleurs de pilules

entre l’or et le bling-bling

j’ai trouvé un pays qui a été aboli

ce pays, c’est la vengeance des ancêtres

fureur iconoclaste, ils continuent de fulminer en nous

pourtant il existe bien – de même que le lien

entre le string pour enfants et la burka

entre le petit-lait et le coma éthylique : creux et arrondis

nous emboîtons nos siècles


nous abolir les uns les autres voilà notre force

par nature nous aspirons au vide

tout comme le cyclope cherche l’abîme


voyez-vous, je voulais vous montrer une patrie

non pas ce désert d’infinie liberté

mais c’est bien ici que nous habitons, comme ce serait beau

de voir un jour quelqu’un à l’instar d’une divinité en solde

édifier un pays rime après rime

pour ce peuple en mal de son peuple


voyez la fosse grande ouverte de notre âme

c’est là qu’on pourrait faire quelque chose de grand

commençons par un poème

 

(trad. D. Cunin)

 

 

Œuvres de Ramsey Nasr


CouvRamsey.jpg27 gedichten & Geen lied, 2000 (poèmes)

Kapitein Zeiksnor & De Twee Culturen, 2001 (prose)

Twee libretto’s, 2002

onhandig bloesemend, 2004 (poèmes)

onze-lieve-vrouwe-zeppelin, 2006 (poèmes)

Van de vijand en de muzikant, 2006 (recueil d'articles)

Homo safaricus, 2008 (journal d'un voyage en Tanzanie)

Tussen lelie en waterstofbom, 2009 (édition rassemblant ses 3 premiers recueils de poèmes)

In de gouden buik van Boeddha, 2010 (journal d'un voyage en Birmanie ou Union du Myanmar)

 

Ramsey Nasr a également écrit des monologues pour le théâtre, un libretto et des traductions/adaptations de deux opéras de Mozart (dont celle d'Il Re Pastore publiée dans Twee libretto's)

Ses livres paraissent aux éditions De Bezige Bij

 

 

PIC_0114.JPG

poème de Ramsey Nasr sur un mur d'Anvers

 


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