Clef des songes (1950) (13/10/2013)
Un roman gravé de Frans Masereel
(Blankenberghe, 1889 - Avignon, 1972)
Nous soufflons la cendre et les flammes,
L’amour, le deuil, la peur, l’espoir ;
Fermez vos cœurs, hommes et femmes,
Nous parlons dans l’ombre à vos âmes !
Victor Hugo, « Chant des Songes »
Clef des songes. Trente bois originaux suivis d’un répertoire de l’œuvre gravé de l’auteur, [Les Écrivains réunis], Lyon, Armand Henneuse, 1950, in-12, br., couv. rose impr. Tirage unique à 700 exemplaires numérotés (364/700) sur lana teinté après 15 sur chiffon d’Auvergne.
« C’était une amusette, un jeu de l’imagination permettant d’illustrer le fait que les rêves ne sont pas forcément des mensonges. Je ne crois pas aux rêves. Le rêve est tromperie, dit-on à Gand, ce à quoi on ajoute quelque chose que je ne peux répéter ici*. Mais c’est probablement ça le plus beau de l’histoire ! » (Frans Masereel dans le cadre d’un entretien en néerlandais de 1961 avec Joos Florquin)
« Quoique d’origine flamande, ce célèbre artiste a passé la plus grande partie de sa vie à Genève, Paris, Avignon et Nice. Très jeune, il s’est déjà fait un nom comme xylographe. Bien qu’il eût quitté son pays natal très tôt, Masereel est devenu la figure de proue du ‘‘groupe des cinq’’ qui a profondément rénové la gravure sur bois en Flandre. Le jeune artiste impressionnait en particulier par ses gravures d’inspiration expressionniste marquées par un profond engagement social. Le thème de la dénonciation de l’injustice et de l’oppression domine l'œuvre de Masereel. Parfois, une surprenante pointe de satire s’y ajoute. Le grand expressionniste a également joué un rôle prépondérant dans le domaine de la littérature. En effet, il a illustré certaines œuvres d’auteurs flamands et français importants comme É. Verhaeren, M. Maeterlinck, Ch. de Coster, V. Hugo et É. Zola. » (Hans Vanacker, « Commémoration de Frans Masereel à Anvers », Septentrion, n° 2, 1990)
« La personnalité la plus marquante du groupe des ‘’Cinq’’ est sans conteste Frans Masereel (1889-1972) : ‘’un gars joyeux, malgré l’amertume qu’on décèle dans plusieurs œuvres, un idéaliste sans cesse meurtri par l’injustice et la violence’’. Cette caractérisation par Roger Avermaete révèle l’influence fascinante que Masereel exerçait sur les jeunes de Lumière. À leurs yeux, il était la voix xylographique qui contribuerait à donner forme et force à leurs idées pacifistes, qui les consolerait, au besoin, de leurs déceptions. Masereel a été extrêmement productif. Pendant la Grande Guerre déjà, il accéda au style qui le marque. Son travail journalistique en Suisse, pour Les Tablettes entre 1916 et 1919 et pour La Feuille entre 1917 et 1920, se caractérisait par le ton agressif qui intéressait Lumière. Son ton lapidaire et direct se retrouve dans les publications ultérieures. Les éditions populaires bon marché de l’Allemand Kurt Wolff furent brûlées par les nazis, qui n’y voyaient que de l’art décadent. Dans les pays de l’Est et en Chine, l’œuvre de Masereel jouit d'une grande popularité, sans doute à cause de son engagement pour les petites gens. Comme d’autres confrères, Masereel a gravé régulièrement de vastes cycles dont le rythme fait songer aux premiers chefs-d’œuvre du cinéma muet. Les 167 gravures de Mon livre d'heures de 1919 constituent un exemple classique du genre. » (Gaby Gyselen, « La gravure sur bois et sur linoléum en Flandre à l’époque de la Grande Guerre », Septentrion, n° 1, 1984)
« Il y a tout juste cinquante ans que paraissait à Amsterdam, chez L.J. Veen, une belle édition de Kerstwake (Veillée de Noël) de Stijn Streuvels, agrémentée de bois de Frans Masereel. J’y pensais en feuilletant aujourd’hui la Clef des songes, un joli recueil de trente bois originaux du graveur flamand, publié en 1950 à Lyon par le regretté maître-imprimeur Armand Henneuse. Celui-ci venait de temps en temps me rendre visite à Paris pour me parler de ses auteurs favoris, Couperus, Gezelle, Boutens, ce francophone étant un lecteur fervent de poètes et de romanciers néerlandais qu’il apprit à aimer à La Haye où il avait vécu pendant sa jeunesse studieuse. Il me récitait des vers des Carmina, car ce recueil de Boutens, mon cher Ami, a vu le jour l'année de ta naissance, ou des strophes de Mei de Gorter, pour donner un air de fête à ton involontaire parenté avec ce géant, et il disparaissait pendant un an ou deux non sans m’avoir comblé d’exemplaires de ses éditions rares : un Francis Ponge, un Eluard, un Norge, un Aragon, ou cette Clef des songes. Les bois de Masereel ont d’ailleurs accompagné ma jeunesse. J’avais lu, au sortir de l'enfance, les Jean-Christophe de Romain Rolland dans l’édition d’Albin Michel illustrée de près de 700 planches de notre xylographe. Il me semble que je connais de la main de Masereel plusieurs milliers de bois. De nos jours, sa forme de clair-obscur est délaissée mais je reste imprégné de son œuvre, comme de l’œuvre de tant d’autres marginaux : les vitraux de Joep Nicolaas, les céramiques de Johan van Loon, les typographies de Werkman, les décors de théâtre de Nicolaas Wijnberg, les objets-tableaux de Domela, la chaise de Rietveld, les ornements sculpturaux de Hildo Krop, les affiches de Dick Elffers, les stylisations géométriques d’Oscar Jespers. » (Sadi de Gorter, « Chroniques néerlandaises », Septentrion, n° 4, 1978).
* « Dat was een Spielerei, een fantazie waarin geïllustreerd wordt dat dromen niet altijd bedrog zijn. Ik geloof niet aan dromen. Dromen is bedrog, zeggen ze in Gent, en ze voegen er nog iets bij dat ik hier niet kan vertellen. Dat is het mooiste waarschijn- lijk! » F. Masereel fait allusion à l’expression Dromen zijn bedrog, maar schijt g’in ’t bed dan vindt ge ’t nog. Mot à mot : Les rêves sont des mensonges, mais si jamais on fait caca au lit, il en reste quelque chose. Autrement dit : Même quand on dort, il y a des choses qui ne sont pas de l’ordre du rêve et celles-là ne trompent pas.
Ouvrage de référence sur le graveur : Joris Van Parys, Frans Masereel. Une biographie, édition française établie en collaboration avec Lydia Beutin & Thérèse Basyn, préface de Jacques De Decker, Bruxelles, Luc Pire/AML, collection Archives du Futur, 2008.
Frans Masereel, gravures sur bois des années vingt
Frans Masereel, L’œuvre, 1928, 60 gravures sur bois
Le film L’Idée (1930-1932) de Berthold Bartosch, d’après le livre éponyme de Frans Masereel, musique d’Arthur Honegger
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