Willy Spillebeen, poète (03/02/2010)
Aux extrêmes de la Flandre
Né le 30 décembre 1932 à Westrozebeke, village de la Flandre occidentale, Willy Spillebeen a élaboré en plus d’un demi-siècle une œuvre considérable : environ 35 romans et recueils de nouvelles (dont certains pour adolescents), une douzaine d’essais consacrés à des poètes, de nombreuses critiques, des traductions (Romain Gary, Pablo Neruda, Emmanuel Looten, Federico Garcia Lorca, Charles De Coster, Rafael Alberti …) sans oublier une dizaine de recueils de poésie dont le plus récent s’intitule Liefde, het enige (P, Louvain, 2006). Au fil des pages, loin du brouhaha, les yeux rivés sur la Lys qui, à quelques mètres de son bureau, dessine la frontière entre la Belgique et la France, l'écrivain se raconte et raconte quelques êtres au destin singulier dans une prose d’une rare maîtrise. Madame Perrine Galand-Hallyn a à juste titre souligné la beauté et la singularité du roman Énée ou la vie d’un homme (Aeneas of de levensreis van een man) qui propose, en douze chapitre, une réécriture de l’Énéide du point de vue d’Énée, à la fois « je », « tu » et « il » dans la narration.
L’anthologie bilingue Le Cortège fastueux de la langue (Lannoo, 2004) propose quelques poèmes de Willy Spillebeen en traduction française. En voici un autre (en deux volets), « La Balançoire », emprunté au recueil Liefde, het enige. C’est ce même poème - « De schommel » - que l’auteur lit, dans la version originale, sur l’enregistrement vidéo.
La balançoire
pour Elisa
1
La fille sur la balançoire
lance un œil craintif de biche
à la renverse. En haut l’enfant.
En bas presque femme.
Monde entrouvert. Elle
n’est déjà plus ici
loin d’être là-bas.
En haut. Elle caresse le talus,
animal d’aimable fourrure,
crinière de peupliers,
haubert d’une abbaye.
Et par les forêts bleues,
à couvert loin d’ici
s’égare son imaginaire.
En bas. Trop jeune encore.
En bas : marcher entre
les fleurs au bord du talus,
avec déjà de vagues désirs,
peut-être de la mélancolie,
celle d’adieux à venir ;
entrer dans la maison.
Monde entrouvert. Porte
qui année après année
ira s’ouvrant toujours plus.
2
La fille sur la balançoire
et le talus vert
qui dévale avant
de se refaire lointain.
Escarpolette de la terre
s’en va s’en vient.
Espace : essaim d’abeilles
qui bourdonne autour de la fille
et comme une pendule tictaque
et cliquette la balançoire
longue seconde en haut
longue seconde en bas
et au-dessus des maïs
s’élève la poussière du pollen.
Étouffante chaleur de midi.
Réfugiée dans l’ombre, dentelle
foisonnante de la vigne,
sur son visage assoupi
et tout près de ses cils
la boucle pour ainsi dire parfaite
d’une brindille qui se fait chenille
avec une tête de cobra,
de chouette noctuelle,
d’un sage barbu d’Inde.
Et ensuite tête de mort.
La fille ouvre les yeux
grands sur le jardin,
où le soir, aux couleurs
délavées des fleurs,
fait l’automne et la nuit,
avec son noir incolore,
l’hiver – plus tard.
trad. Daniel Cunin
Œuvres poétiques de Willy Spillebeen :
De Spiraal, De Bladen voor de poëzie, Lierre, 1959.
Naar Dieper Water, à compte d’auteur, Menin, 1962.
Groei-Pijn, Desclée de Brouwer, Bruges, 1966.
Gedichten 1959-1973 - Een teken van leven, De Standaard, Anvers, 1974 (tous les poèmes).
Ontwerp van een Landschap, Desclée de Brouwer, Bruges, 1977.
Woorden in de Stroom, PEN 102, Heideland, Hasselt, 1978 (anthologie, choix de l’auteur).
Voorbij de populieren, Lannoo, Tielt, 1982.
Dubbelspoor, Lanno, Tielt, 1983 (50 poèmes accompagnés de 50 dessins d’André Deroo).
Land van Vergeten, Poëziecentrum, Gand, 1995.
De geschiedenis van een steenbok, P, Leuven, 2003 (anthologie, choix et préface de Patrick Lateur).
Liefde, het enige, P, Louvain, 2006.
Plusieurs articles de Willy Spillebeen portant sur la poésie néerlandaise ont été publiés en traduction française dans la revue Septentrion. Pour sa part, le périodique bilingue Les Pays-Bas français (n° 26, 2001) a donné, sous le titre « Nostalgie de la Flandre », un article de Michiel Nuyttens consacré à l'une des œuvres de Willy Spillebeen : Busbeke ou le retour chez soi (roman historique dont l’humaniste Ogier van Busbeke est le protagoniste ; l’auteur fait la part belle à la fiction tout en l’habillant dans le respect des données historiques).
De geschiedenis van een steenbok, Louvain, P, 2003
(anthologie, choix et préface de Patrick Lateur)
02:27 | Lien permanent | Tags : poésie, littérature, flandre, néerlandais, traduction, spillebeen | Facebook | Imprimer |