Les Van Eyck (19/11/2012)
Un poème de Verhaeren
Émile Verhaeren a laissé bien des pages sur sa Flandre natale. Dans le recueil Les Héros (1908), qui appartient à la série Toute la Flandre, il en loue la nature et quelques grandes figures, dont les frères Van Eyck. Les lecteurs de La Belgique Artistique & Littéraire avaient pu découvrir ce poème dès juin 1907. L’auteur l’a d’ailleurs repris, en même temps que le poème « Rubens », dans Parmi les Cendres. La Belgique dévastée (1916), livre-hommage à son pays meurtri par la guerre.
LES VAN EYCK
L’or migrateur qui passe où s’exalte la force
Avait choisi jadis, en son vol arrogant,
Pour double colombier glorieux, Bruge et Gand,
Dont les beffrois dressaient, au grand soleil, leurs torses.
Les deux cités dardaient un pouvoir inégal,
Mais un égal orgueil vers l’avenir splendide,
Comme les deux Van Eyck – vastes cerveaux candides –
Dressaient d’un double effort leur art théologal.
Ce dont l’âme rêvait devant les tabernacles,
Ce que la foi montrait de ciel aux yeux humains,
Ils l’ordonnaient, patiemment, avec leurs mains,
Pour que leur œuvre fût comme un calme miracle.
La claire vision des paradis nouveaux,
Ils l’évoquaient en un tranquille paysage ;
Ils le peuplaient de beaux et solennels visages
Tournés vers la splendeur et la paix de l’agneau.
Les douces fleurs poussaient dans le tapis de l’herbe ;
De petits bois montaient, naïfs et recueillis :
C’était la Flandre, avec ses prés et ses taillis,
En un cercle de toits et de clochers superbes.
Au milieu, sur un tertre ornementé, l’autel.
Le Dieu y répandait son sang dans le calice
Et s’entourait des signes noirs de son supplice :
Lance, colonne, croix et l’éponge de fiel.
Et vers ce deuil offert comme un banquet de fête
À la faim de l’extase, à la soif de la foi,
Les martyrs, les héros, les cent vierges, les rois,
Les ermites, les paladins et les prophètes,
Toute l’humanité des temps chrétiens marchait.
Ils arrivaient du fond miraculeux des âges,
Ayant cueilli la palme aux chemins du voyage,
Et sur leurs fronts brillaient les feux du Paraclet,
Et tout en haut, régnaient dans l’or du polyptyque,
Dieu le Père, Marie et Jean le précurseur,
Traçant, dévotement, avec calme et douceur,
De lents gestes sacrés, puissants et didactiques.
Et les anges chantaient dans l’air chaste et pieux,
Tandis qu’Ève et qu’Adam, debout chacun dans l’ombre,
Sentaient peser sur eux leur faute ardente et sombre,
Dont le rachat se célébrait devant leurs yeux.
Ainsi la claire et tendre et divine légende
Avec ses fleurs de sang, d’ardeur et de piété,
Déroulait son humaine et divine beauté
Parmi les prés, les bois, les ravins et les landes.
Comme un grand livre peint et largement ouvert,
Elle enfermait, en ses pages claires ou blondes
Et dans ses textes d’or quatre mille ans du monde :
Tout le rêve de l’homme en proie à l’univers.
L’œuvre dardait dans l’art une clarté suprême,
Comme celle du Dante à Florence, là-bas,
Mais cette fois deux noms flamands brillaient, au bas
De l’ascétique et pur et merveilleux poème.
Émile Verhaeren
la voix d'Émile Verhaeren
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