Morceaux choisis - Édouard Rod (20/10/2009)
Quelques pages traduites
de Hooft, Vondel & Cats
Homme de lettres suisse, ami de Zola et de Ramuz, rédacteur en chef de la Revue contemporaine, professeur de littérature comparée, Édouard Rod (1857-1910), qui a renoncé à un siège à l’Académie française pour garder la nationalité helvète, a donné, à côté de nombreux romans, recensions et essais, un volume de près de 1000 pages intitulé Morceaux choisis des Littératures étran- gères (1899). Comme le sous-titre de l'édition revue (1901) le laisse présager – Angleterre et Amérique, Allemagne, Italie, Espagne et Portugal, Russie, Scandinavie. Publiés avec un essai sur le développement des littératures modernes, des notices et des notes –, la littérature néerlandaise ne semble guère avoir retenu l’attention du critique. Seules sept pages sont consacrées à la « Hollande » (dans la troisième partie qui porte sur la Période classique). Aucune à la Flandre.
Alors qu’une place est accordée à Maître Eckart ou encore à Tauler, on peut s’étonner de l’absence de Ruusbroec, pourtant traduit du moyen néerlandais par Maeterlinck peu avant (les œuvres de Hadewijch avaient alors été à peine redécouvertes), une traduction que le Suisse connaissait. Érasme, Spinoza sont eux aussi passés à la trappe (écrivains hollandais même si la plus grande partie de leur œuvre n’est pas écrite dans la langue vernaculaire). Pas un mot sur l’auteur dramatique dunkerquois Michiel de Swaen (1654-1707), il est vrai à peine tiré de l’oubli. De même, dans la dernière partie du volume (Période contemporaine), on aurait pu s’attendre à trouver quelques pages du Flamand Henri Conscience (1812-1883) dont de nombreuses œuvres étaient alors transposées en français aux éditions Michel Lévy frères, de certains poètes traduits par Auguste Clavareau ou encore de Multatuli (1820-1887) dont une première version du Max Havelaar ainsi qu'un choix de textes était disponibles dès avant la parution en volume des traductions d’Alexandre Cohen (en 1901). Et si Édouard Rod évoque dans son essai introductif, original sur certains points mais marqué par l’époque, L’Énéide de Henri de Veldeke, c’est sans doute parce que l’œuvre de cet auteur, qui écrivait en ancien limbourgeois, est en partie conservée dans une version moyen-haut allemand. Peut-être le choix de Rod est-il en partie dû à la lecture de la Philosophie de l’art de Taine, auteur que le grand érudit suisse pratiquait bien entendu (il renvoie par exemple son lecteur aux Origines de la France contemporaine).
Selon Taine, les Hollandais et les Flamand ont dû tellement lutter contre les éléments et les conditions climatiques qu’ils n’ont pas eu loisir de tourner leur intelligence vers d’autres objets : « La grande philosophie si naturelle en Allemagne, la grande poésie si florissante en Angleterre, leur ont manqué. […] Chez eux, nul philosophe de la grande espèce ; leur Spinoza est un Juif, élève de Descartes et des rabbins, solitaire isolé, d’un autre génie et d’une autre race. Aucun de leurs livres n’est devenu européen, comme ceux de Burns, du Camoens, qui pourtant sont nés parmi des nations aussi petites. Un seul de leurs écrivains a été lu par tous les hommes de son siècle, Érasme, lettré délicat, mais qui écrivit en latin, et qui, par son éducation, ses goûts, son style, ses idées, se rattache à la famille des humanistes et des érudits de l’Italie. Les anciens poètes hollandais, par exemple Jacob Cats, sont des moralistes graves, sensés, un peu longs, qui louent les joies d’intérieur et la vie de famille. Les poètes flamands du XIIIe et du XIVe siècle annoncent à leurs auditeurs qu’ils ne leur racontent pas des fables chevaleresques, mais des histoires vraies, et ils mettent en vers des sentences pratiques ou des événements contemporains. Leurs chambres de rhétorique ont eu beau cultiver et mettre en scène la poésie, aucun talent n’a tiré de cette matière une grande et belle œuvre. Il leur vient un chroniqueur comme Chastellain, un pamphlétaire comme Marnix de Sainte-Aldegonde ; mais leur narration pâteuse est enflée ; leur éloquence surchargée, brutale et crue, rappelle, sans l’égaler, la grosse couleur et la lourdeur énergique de leur peinture nationale. Aujourd’hui, leur littérature est presque nulle. Leur seul romancier, Conscience, quoique assez bon observateur, nous paraît bien pesant et bien vulgaire. Quand on va dans leur pays et qu’on lit les journaux, du moins ceux qui ne se fabriquent pas à Paris, il semble qu’on tombe en province et même plus bas. »
Certes, on retrouve dans ces propos un écho de l’opinion émise par Xavier Marmier à propos des lettres bataves : « Il ne faut y chercher ni la hardiesse de la pensée, ni l’originalité. Ce sont des œuvres étudiées et laborieuses. La poésie de la Hollande accuse toujours le travail et l’érudition. […] Cette littérature commence par des œuvres d’imitation et des traductions. » (Poésie populaire de la Hollande, 1836) Mais ce dernier n’affirmait-il pas la même chose de la peinture ? On répondra à ces auteurs que « celui qui croirait pouvoir conclure […] que le Hollandais est un imitateur servile et s’imaginerait trouver dans sa littérature une série d’adaptations et d’imitations de modèles étrangers, se tromperait du tout au tout » (A. Romain-Verschoor, Alluvions et Nuages. Courants et figures de la littérature hollandaise contemporaine, trad. W.F.C. Timmermans, Querido, 1947, p. 7). À la décharge de Taine, de Marmier et d’autres critiques du passé, il convient de relever que l’étude et la mise en valeur de la littérature néerlandaise médiévale est un phénomène relativement récent et que rares ont été les époques où les lecteurs français ont pu accéder aux écrits des hommes de lettres d’expression néerlandaise. Les pages qui suivent ne permettent guère de se faire une idée de la qualité des œuvres des trois grands noms retenus, mais, ainsi que l’écrit encore Xavier Marmier, laissons tout de même « venir Hooft, formé à l’école des auteurs anciens et des écrivains italiens; Hooft, poète et prosateur, qui créa la tragédie hollandaise et écrivit avec un rare talent une histoire de son pays; Vondel, que les Hollandais appellent leur Shakespeare ; Jacob Cats, poète moral et didactique dont les pauvres se trouvent encore aujourd’hui à côté de la Bible dans toutes les familles… »
L'auteur ne précise pas l'origine des traductions
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