Maurice de Guérin (05/06/2010)
La biographie du bicentenaire
Plusieurs ouvrages néerlandais récents nous invitent à revisiter le XIXe français. Ainsi, le journaliste Peter van Dijk s’est-il intéressé à une figure immortalisée par des poètes, des sculpteurs et des peintres : Apollonie Sabatier (1822-1890). Madame Sabatier, haar vrienden, haar minaars (Madame Sabatier, ses amis, ses amants, Atlas, 2010, 225 p.) propose une belle promenade par les ateliers d’artistes et les salons où cette fille de blanchisseuse fit fureur. Bien documenté, l’ouvrage fait revivre cette muse à travers les portraits des hommes qui l’ont aimée ou qu’elle a inspirés. Le premier chapitre est consacré à Auguste Clésinger (« Révolution dans la sculpture »), les suivants à Théophile Gautier (« Supérieure aux autres femmes »), Gustave Flaubert (« Le salon de Madame Sabatier ») et Charles Baudelaire (« Muse et Madone »), le cinquième à Ernest Meissonier, Gustave Ricard et Gustave Courbet (« Le modèle des peintres »), le sixième et dernier à Richard Wallace (« Fortunée »). L’auteur situe le parcours de la belle Aglaé en s’attardant sur le contexte artistique et social de l’époque ; il explore toutes les traces qu’elle a laissées dans l’histoire de l’art. Le propos est rehaussé par des reproductions en couleurs ou en noir et blanc de diverses toiles, sculptures et photographies.
Relevons aussi parmi les publications récentes la première traduction de l'intégrale du Comte de Monte-Christo (éd. Veen, trad. de Jan H. Mysjkin) ainsi que celle des Diaboliques (éd. IJzer, trad. Katelijne De Vuyst et Marij Elias). Le XIXe siècle occupe également une belle place dans les trois livres que Bart Van Loo a dédié aux lettres françaises, le dernier paru chez Meulenhoff-Manteau au début de cette année proposant un tour de France de la littérature érotique et pornographique : O vermiljoenen spleet!
C’est d’ailleurs le même éditeur qui a publié à la fin de 2009 une biographie d’un grand poète dont on va fêter en août le bicentenaire de la naissance : Maurice de Guérin. Outre de belles études dont celles de Marie-Catherine Huet-Brichard, il existe bien quelques biographies en français, mais elles sont plutôt anciennes et aucune ne peut prétendre à l’exhaustivité. Dorénavant, il sera difficile d’écrire un volume plus complet que celui que nous propose Hedwig Speliers : Dichter naast God. Biographie van de romanticus Maurice de Guérin (1810-1839). Le poète flamand nous fait partager sa passion : alors qu’il vénérait depuis longtemps Rilke et admirait aussi beaucoup son compatriote Paul van Ostaijen, alors qu’il n’avait que peu de considération pour le genre du poème en prose, il découvre la phrase sublime – miraculeuse pourrait-on dire – de « ce grand inconnu », l’auteur du Centaure, œuvre justement traduite par Rilke. Depuis 2003, Hedwig Speliers n’a cessé d’arpenter la France, ses paysages et ses bibliothèques sur les traces du natif d’Andillac. Pas à pas, il a reconstitué tous ses itinéraires, dans la capitale, en Bretagne, à Toulouse et ailleurs. En 2004, il a assisté à la célébration des deux siècles d'existence du célèbre collège Stanislas où Guérin a étudié et enseigné, le lieu aussi où est né son indéfectible amitié pour Jules-Amédé Barbey d’Aurevilly.
Poète près de Dieu. Biographie du romantique Maurice de Guérin – l'auteur aurait aimé intituler son remarquable travail Somegod – suit une progression chronologique sans rien laisser dans l’ombre. Une première partie couvre, en douze chapitres, les années 1810-1834, autrement dit celles de l’enfance, de l’adolescence, du séjour à La Chênaie, des premières amours déçues. La seconde revient, également en douze chapitres, sur la genèse des textes passés à la postérité – ceux qu’on peut lire dans Poésie (Poésie Gallimard, 1984, préface de Marc Fumaroli) –, sur la vie à Paris avec Barbey, la rencontre de Mme de Maistre et celle de Caroline de Gervain, jusqu’à la mort au Cayla. Bien entendu, la relation entre Maurice et sa sœur Eugénie occupe une belle place dans ces pages très denses, mais l’auteur prend soin de ne pas réécrire la biographie de la jeune femme. Il préfère se concentrer sur les moments-clés de la brève existence du provincial, sur les étapes qui vont faire de l’écrivailleur qu’il était un véritable écrivain. Agrémenté de belles citations (dans les deux langues) et d’un cahier photos, l’ouvrage est dédié à Maarten Elzinga qui, grâce à sa traduction du Centaure et de La Bacchante a permis à des lecteurs néerlandophones de découvrir Guérin - il existait une traduction du Centaure datant de 1926. H. Speliers et M. Elzinga préparent d’ailleurs une édition néerlandaise des œuvres de Maurice de Guérin.
Le Centaure & La Bacchante
traduction de M. Elzinga, éd. Wagner & Van Santen, 1999
Parallèlement à l’écriture de la biographie, Hedwig Speliers a composé en France un recueil qui, mariant paysages guériniens et évocations de la vie du poète et de l’œuvre elle-même, se veut un hommage à la région de Gaillac et à son cépage. Édition bilingue, Len de l’el (Loin de l’œil, trad. W. Devos, Manteau, 2009) se présente sous la forme d’un triptyque : « L’En de l’el », « Le Cayla » et « Suite albigeoise ». Nous citons le poème « Le nom qu’ils portent » dans la traduction de Willy Devos :
Elle est une Sœur, Lui est un Frère. Dites : Eugénie
et appelez-le par son prénom Maurice car ensemble
ils sont les Guérin, noblesse appauvrie au soir
de l’après-histoire. Ils ceignent leurs maigres
membres d’une vêture de chênes vieillissants,
revêtent leur corps de foin fleurant bon juin
et harmonisent leurs gestes pour la chasse aux papillons.
Ne les questionnez pas sur leur destin,
tous deux sont promis a une mort prématurée,
ils crachent du sang au cours de nuits sans étoiles,
cherchent à se consoler l’un l’autre et leurs
langues reflètent le pourpre de la nuit recrachée.
Ils sont prédestinés aux poèmes, lumière
qui irrigue la géographie des mots. Aspirant
au Sublime avec des phrases empruntées au Midi
et invités ils dressent la table dans la forêt
entre fougères et eaux clapotantes, ruisselets
posés tels des jalons entre des troncs. Nous voyons
le Cayla entre les arbustes et les arbres, des rêves
d’ici tendent à devenir des syndromes,
levant les bras vers le lointain et le panorama.
En cette année du bicentenaire qui verra la tenue d'un colloque au château du Ceyla, il reste à espérer que cette biographie trouve un éditeur en France. Maurice de Guérin comme Hedwig Speliers le méritent tant il est vrai, ainsi que l’a écrit l’auteur des Pages sans titre, qu’« il est doux de poursuivre une lecture passionnée jusque sous la chute du jour ».
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