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biographie

  • À la rencontre de Valery Larbaud

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    Eddy du Perron à propos de l’auteur

    des Poésies de A. O. Barnabooth

     

     

    Une histoire comme Barnabooth m’impressionne. Ce n’est plus de la littérature seule, il y a un homme là qui vous parle. J’aurais vu Valéry Larbaud dix fois et il m’aimerait beaucoup que je n’aurais pas tiré autant de lui que me donne son livre qui me coûte quelques francs. Des livres comme Barnabooth remplacent les amis. Mais on en trouve si peu.

    Eddy du Perron, lettre à Clairette Petrucci, 9 juin 1923

     

     

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    Retour sur une rencontre

     

    Dans le monde francophone, on connaît Charles Edgar du Perron, dit Eddy du Perron (1899-1940), essentiellement en raison de son amitié avec André Malraux – n’est-il pas le dédicataire de La Condition humaine ? –, laquelle fait l’objet de denses et magnifiques pages dans le roman Le Pays d’origine (préface A. Malraux, traduction Philippe Noble). Cependant, le Néerlandais né dans ce qu’on appelait encore l’Insulinde, goûtait d’autres écrivains français, à commencer par Stendhal, son grand modèle et inspirateur, mais aussi, parmi ses contemporains, le subtil prosateur Paul Morand (1888-1976), le facétieux Paul Léautaud (1872-1956) et plus encore le raffiné Valery Larbaud (1881-1957) – une prédilection qu’il partageait avec un autre de ses amis, son compatriote Jan Greshoff. De l’auteur de A. O. Barnabooth, ouvrage qu’il a découvert en 1923 et qui devint son livre de chevet, il a d’ailleurs traduit quelques œuvres. C’est de sa fascination pour V. Larbaud – auquel il a emprunté le concept de « jeune européen », autrement dit un « jeune homme cosmopolite et subversif qui exige sa liberté intellectuelle et refuse en conséquence toute forme de conformisme dont il pourrait être dupe » – que rend compte le texte qui suit (que nous avons traduit et annoté). Il provient d’un livre posthume, In deze grootse tijd (En cette époque grandiose, 1946), repris dans  les Verzameld werk (Œuvres complètes, vol. 5, 1956, p. 220-223).

    Le jeune E. du Perron

    EdP8.pngCette fascination ne veut pas dire que Du Perron admirait l’ensemble de l’œuvre de son confrère français. Il ne l’a pas moins défendu auprès de ses amis néerlandais, dans sa correspondance, ses conversations, mais aussi dans l’article « Valery Larbaud : Aux couleurs de Rome », qui est bien plus qu’un compte rendu de l’ouvrage en question. Si la rencontre entre les deux hommes a un peu tardé à se produire, c’est que le Hollandais ne vivait plus à Paris mais en Wallonie avant son déménagement à Meudon-Bellevue au début de l’automne 1932 ; de son côté, Valery Larbaud ne se trouvait pas en permanence dans la capitale française, loin s’en faut. C’est grâce à leur éditeur commun, A.A.M. Stols, que le contact a pu être établi.

    EdP9.jpegDans son Journal (édition de Paule Moron, Gallimard, 2009, p. 1154-1155), Larbaud nous dit qu’avant son rendez-vous au petit établissement L’Helvétia, il est passé au Quai d’Orsay pour y voir Saint-John Perse, après quoi il a déjeuné seul et s’est rendu à la bibliothèque Sainte-Geneviève ; « à 5½ au salon de thé où est venu E. du Perron. Causé 1½ environ : Java où il est né, diverses aventures ; Dekker (Multatuli), [Coupercus] (sic), etc. Il vient d’achever la trad. hollandaise d’un roman de Malraux, et part demain pour Grenoble. Même lui est préoccupé de politique, et voit des gens qui en parlent sans cesse ; m’a paru scandalisé quand je lui ai dit, avec simplicité et sincérité, que s’il y avait des troubles, j’irais attendre hors de France qu’ils soient passés. Cela me semble la seule conduite raisonnable, et que ceux qui, n’ayant pas d’opinions déterminées et capables d’une réalisation pratique prochaine (= au fond, des intérêts plus ou moins ‘‘supérieurs’’), s’ils se mêlent de politique ou bien songent à pêcher en eau trouble ou bien sont dupes (types de ceux qui ont cru à la ‘‘dernière guerre’’ en 1914, et maintenant croient à la dernière révolution, – ou bagarre.) » Le Journal nous apprend encore que Du Perron a rendu visite à Larbaud le 14 mars 1935. Il est amusant de relever à quel point la teneur du compte rendu de l’un diffère de celle de l’autre. De son côté, dans un texte de 1940 consacré à quelques écrivains dessinateurs, le Hollandais nous fait part quil a gagné LHelvétia équipé d’un gribouillage fait en trois secondes par André Malraux, censé reproduire la personne de Larbaud afin qu’il puisse le reconnaître.

     

    kees snoek,eddy du perron,andré malraux,velery larbaud,max jaboc,littérature,france,hollande,biographie,correspondanceQuant à l’importance de Larbaud pour Du Perron et l’influence qu’il a eu sur son œuvre, on lira : Kees Snoek, « Sous l’œil des écrivains : le jeune Du Perron et la littérature française », Septentrion, 1999, n° 4, p. 34-37. Et à propos de leur rencontre : Radboud Kuypers, « Na zóóveel vriendschap ! Over de ontmoeting tussen Du Perron en Larbaud », Bzzlletin, 1994, n° 213, p. 44-50, ainsi que : J.H.W. Veenstra (traduit par Willy Devos), « Valery Larbaud et Eddy du Perron », Septentrion, 1978, nº 3, p. 52-58 (un article qui proposait déjà une traduction d’une bonne partie de l’évocation de l’heure et demie que les deux écrivains ont passé ensemble ; voir aussi la présentation et la traduction de Serge Guy-Luc [pseudonyme de Dolf Verspoor] dans Confluences, n° 37-38, décembre 1944-janvier 1945 : Edmond [sic] du Perron, « Notes sur Valery Larbaud », p. 257-262). Autres contributions en néerlandais : Jaap Goedegebuure, « Valery Larbaud en E. du Perron », in Valery Larbaud, Fermina Marquez, Amsterdam, Athenaeum-Polak & Van Gennep, 1978, p. 235‑239 ; Jaap Goedegebuure, « Valery Larbaud en zijn masker », Tirade, mai 1977, p. 290-299 ; J.H.W. Veenstra, « Valery Larbaud, Du Perrons verre vader », Het Oog in ’t Zeil, n° 6, août 1984, p.5‑8 ; Radboud Kuypers, « Du Perron en Larbaud. Een leerschool voor de amateur », Voortgang. Jaarboek voor de Neerlandistiek, 1993 et 1994, p. 155-177. Et, bien entendu, les pages consacrées à Valery Larbaud dans la monumentale biographie signée Kees Snoek : E. du Perron. Het leven van een smalle kees snoek,eddy du perron,andré malraux,valery larbaud,max jacob,littérature,france,hollande,biographie,correspondance,portraitmens, Amsterdam, Nijgh & Van Ditmar, 2005. Du même auteur, en français : À la recherche d’un destin. L’écrivain néerlandais Eddy Du Perron et la littérature française, publié par Présence d’André Malraux. Cahiers de l’association Amitiés Internationales André Malraux, n° 15, 2018. À propos de l’homme de lettres et homme de réseaux Jan Greshoff, on lira la très belle et récente biographie que l’on doit à Annemiek Recourt, Moralist van de ontrouw. Jan Greshoff (1888-1971), Van Oorschot, Amsterdam, 2018.

     

     

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    publication récente sur Du Perron : Eddy du Perron: leven volgens de eigen aard

    recueil d'articles épars sélectionnés par Kees Snoek (IGV, Amsterdam, 2020)

     

     

     

    Ma rencontre avec Valery Larbaud

    (mercredi 2 mai 1934)

     

    Si je fais abstraction de Léautaud (1), Valery Larbaud est le seul écrivain vivant dont j’ai un jour éprouvé le besoin de faire la connaissance. Adresser une lettre à des célébrités, cela n’a jamais été mon fort. Une fois cependant, dans un hôtel de Dijon, en 1924, je crois, j’ai écrit une lettre à Larbaud après avoir relu Barnabooth, une « lettre dans la nuit » que j’ai déchirée dès l’apparition du nouveau matin.

    traduction de Enfantines (2020)

    EdP2.jpgMa première rencontre avec Larbaud se déroula en 1922, à Montmartre. Dans ce quartier, j’avais un libraire attitré, un homme chauve à l’épaisse moustache rousse qui s’emportait pour un rien ; on imputait ces éruptions au fait qu’il se savait cocu. Un jour, je vis sur l’une de ses tables une réédition de Barnabooth à la manchette (2) rose : Un jeune milliardaire sud-américain promène à travers l’Europe sa mélancolie (quelque chose dans cette veine), agrémentée du portrait hachuré d’un homme coiffé d’un panama. Je me suis méfié de ce livre, pensant avoir affaire à un Prince Cucuault. J’ai demandé au libraire ce que c’était. Jetant un regard de mépris sur l’ouvrage, il fulmina : « J’en sais rien ! C’ pas vous, ça ? » Il entendait par là que le portrait me ressemblait, ce que d’autres corroborèrent par la suite.

    Environ un an plus tard, j’ai acheté le livre à Florence, en guise de lecture « locale ». J.D. (3) l’a lu pour moi pendant que je passais mes journées à Quinto ; un soir, alors que je lui demandais ce qu’il en pensait, il m’a répondu : « Je ne dis rien, à toi de le découvrir par toi-même. » Quand j’en ai entamé la lecture, il a suffi de quelques pages pour que je fusse conquis. Je poussai des cris de joie, auxquels J.D. rétorqua d’une voix posée et sensée : « Je m’en doutais : bien entendu, tu te reconnais en lui, et tu penses que ce livre a été écrit spécialement pour toi. » Au cours des journées suivantes, en Italie, combien de portraits ne me suis-je pas fait tirer, coiffé d’un panama !

    traduction de 12 Poésies de A.O. Barnabooth (2018)

    EdP3.pngJ’ai écrit une lettre à Larbaud, l’ai déchirée, mais escomptais bien le croiser un jour. La vie nous devait, tant à lui qu’à moi, une rencontre mémorable, estimais-je, une rencontre hors de la littérature, dans des circonstances exceptionnelles. J’éprouvai de la jalousie en parcourant un article de Montherlant, dans lequel ce dernier révélait, placidement, en passant : …un écrivain que j’aime et vénère, M. Valery Larbaud…

    En 1925, je séjournais à Venise avec mon père et ma mère. Mon exemplaire de Barnabooth, je l’avais fait relier en quatre cahiers sous papier italien ; j’en lisais à chaque occasion un passage à mes parents, eux qui ne goûtaient cette œuvre que très modérément. À l’instar de presque toutes leurs connaissances, ils voyaient dans le protagoniste une espèce de fou dès lors qu’il laissait ses valises toute neuves dériver sur l’Arno. Pour les punir, je refusai de les accompagner sur le Lido ; je restai en compagnie de Barnabooth sur la terrasse du Florian (où j’avais bu une absinthe exécrable avec mon père dans laquelle il avait fini par reconnaître un breuvage d’avant-guerre). Un soir, dans la salle à manger de notre hôtel, une nouvelle rencontre vint me récompenser : une table voisine était occupée par un homme de petite taille, replet, au visage affable et au crâne dégarni, et, en face de lui, par une rousse imposante à la peau blanche et aux lèvres charnues, la femme dont Barnabooth aurait apprécié l’appétit pour la viande rouge, une Florrie Bailey. Cependant, la rousse était indéniablement une Française : elle réservait à ce monsieur une histoire interminable à propos d’une valise égarée ou d’une somme qu’elle se refusait d’acquitter auprès des douanes. « Ah, non ! pourquoi-le-ferais-je ? Je serais folle alors ! ’Pas ?... » sur l’air classique de la Française mécontente, en rien disposée à se laisser embobiner. Il me semblait évident que tout cela se résumerait, pour ce monsieur, à un supplément de denaro à débourser. Il la considérait avec un soupçon d’amusement, d’un air mariant modestie et supériorité, sans objecter quoi que ce fût ; à chaque question, il répondait en esquissant un geste, bras levé une seconde en l’air, doigts fugacement écartés. Son langage des signes ne suscitait qu’un surcroît de questions de la part de la femme. J’étais tellement persuadé d’avoir vu Larbaud à cette table, que je me le suis toujours représenté par la suite sous cette apparence.

    E. du Perron et son ami O. Duboux, Montmartre

    kees snoek,eddy du perron,andré malraux,valery larbaud,max jacob,littérature,france,hollande,biographie,correspondance,portraitPlus tard, j’ai eu l’occasion de rencontrer toutes sortes de personnes qui le connaissaient et qui en brossaient le portrait. J’ai vu aussi plusieurs photographies de lui, certaines singulières sur lesquelles il portait la moustache.

    Après avoir traduit Le Pauvre Chemisier (4) je suis entré en contact avec lui de la manière la plus ordinaire, c’est-à-dire la littéraire. Il m’a envoyé un petit livre accompagné d’une dédicace, je lui ai rendu la pareille, nous avons échangé quelques lettres (la première que je lui ai adressée, c’était depuis Spa, me semble-t-il, en juillet 1932) (5). En 1934, après un premier rendez-vous manqué, je l’ai enfin rencontré en chair et en os, par un après-midi ensoleillé, à L’Helvétia, rue de Médicis, en face de la grille du Luxembourg. Moi qui m’étais figuré le rencontrer au Doney (6) ! Arrivé à l’heure convenue, je me suis assis à une table de la terrasse, un rien dépité de ne pas être plus ému (tout bien considéré, ce moment survenait onze ans trop tard) ; au bout de dix minutes, j’allai voir à l’intérieur. Dans la salle sombre en tiroir, un petit homme se leva, un peu gêné par la table qu’il occupait. C’était Larbaud sans chapeau, tel que je le connaissais d’après les portraits peints par Sichel (7) et Bécat (8), plus petit que moi-même, plus petit que je ne l’avais imaginé. Il me parla de l’une de ses nouvelles qui allait bientôt paraître dans Le Disque Vert (9), un texte pour lequel il s’était donné beaucoup de peine, notamment pour camper un personnage de la tête aux pieds en peu de mots, à la manière de Salluste. Il estimait être parvenu à restituer une femme en une seule phrase ; mais quel mal cela lui avait coûté ! Le titre était tiré d’un sonnet – un très beau sonnet – de Jorge Manrique (10) : Tan Callando, si silencieuse... J’ai fait : « Comme Calla, hombre, calla ! dans Fermina Marquez ? » (11), et bien qu’il fût évident que je ne connaissais pas l’espagnol, il déclama le sonnet dans son intégralité. Il me montra un cahier rempli de citations latines, qu’il avait consignées à la Bibliothèque (12). Je cherchais à chaque fois à aiguiller la conversation sur Barnabooth, lui la ramenait systématiquement sur les poètes du XVIIe siècle, Scève, Brébeuf (qui n’était pas sans lui rappeler Baudelaire) (13).

    Dédicace dE. du Perron à la mère de son amie Clairette

    kees snoek,eddy du perron,andré malraux,velery larbaud,max jaboc,littérature,france,hollande,biographie,correspondanceJe lui demandai ce que seraient les Dernières Nouvelles d’Alabona (14), il me répondit à voix basse, comme si lui-même n’était pas sûr de ce à quoi il aboutirait : « Oh ! ça, c’est M. Barnabooth. » Il prononça le nom avec un « t » léger, non avec le « th » anglais. « Y sera-t-il aussi question de sa femme ? – Sa femme ? – Oui, la demoiselle Yarza avec qui il part à la fin de Barnabooth. – Ah ! oui. Non, il n’en dira pas grand-chose. J’ai remarqué que les hommes parlent peu de leur épouse. Je ne saurais d’ailleurs expliquer au juste pourquoi : les étrangers peut-être parce qu’ils connaissent trop bien la leur ; les Français probablement parce qu’ils ont peur que les autres la connaissent mieux qu’eux-mêmes. »

    Je lui ai demandé pourquoi la N.R.F. ne donnait pas ses œuvres complètes dans une édition décente (à l’exemple de celles de Proust, de Gide ou de Valéry) : « Oh ! Gaston, répondit-il, en parlant de l’éditeur, c’est un vieil ami. – Est-ce une raison valable ? – Non, mais je pense qu’il attend. – Il attend quoi ? Une nouvelle révolution pour stimuler les ventes ? – Non, je crois qu’il attend tout simplement ‘‘le domaine public’’. » Il formula ce trait d’esprit d’une voix douce, le regard retroussé un peu de côté, comme un garçon qui fait une blague en cherchant à ne pas encourir de réprimande.

    Ce qui m’a le plus marqué dans sa personne, ce sont ses yeux, d’un vert profond auquel je ne m’attendais pas du tout ; ils m’ont un peu rappelé ceux d’A. Roland Holst (15). Et pour le reste, la fragilité et la prudence de ses mouvements ; tout le temps que j’ai passé à côté de lui, j’ai eu peur de heurter l’un de ses bras.

     

    traduit du néerlandais par Daniel Cunin

     


     

     

    (1) En plus de l’évoquer assez souvent dans ses réflexions et sa correspondance, E. du Perron a consacré un article à Paul Léautaud : « Paul Léautaud. Het alter ego van Maurice Boissard », Den Gulden Winckel, 1929, p. 74-76.

    EdP1.png(2) Le terme est employé par Eddy du Perron, entre guillemets. Il s’agit de qu’on appelle plus communément un bandeau (voir illustration).

    (3) Jacques Duboux (1899-1950), qui se prénommait en réalité Oscar, artiste bohémien suisse, grand ami d’Eddy du Perron au même titre que, par la suite, l’homme de lettres Pascal Pia (1903-1979).

    (4) Conte traduit sous le titre De arme hemdenmaker (1932), publié par les éditions A.A.M. Stols qui faisaient paraître la même année une réédition d’Amants, heureux amants de Larbaud. Stols a envoyé des exemplaires de la traduction à Larbaud, lequel en a retourné un rehaussé d’une dédicace pour le traducteur

    (5) La première lettre date du 26 juillet 1932. Elle est effectivement envoyée depuis Spa. Du Perron adresse à son tour un exemplaire dédicacé de sa traduction au Français. Dans les quelques feuillets de sa missive, il est question de la lettre déchirée, d’une rencontre éventuelle… Larbaud lui enverra peu après un exemplaire de son recueil d’essais Technique qui venait de voir le jour chez Gallimard. Voir ici les 12 lettres conservées, envoyées par le Néerlandais au Français.

    (6) Célèbre café-restaurant de la Via Vittorio Veneto, à Rome.

    (7) Pierre Sichel (1899-1983), peintre et écrivain parisien. On connaît de lui au moins un portrait de Valery Larbaud qui date de 1923.

    EdP7.png(8) Pierre-Émile Bécat (1885-1960), peintre (portraits de nombreux écrivains) et illustrateur de livres (en particulier érotiques). On connaît de lui plusieurs portraits de l’écrivain dont un dessin au crayon de 1924. On sait que Larbaud a posé pour lui en 1919 dans le cabinet de travail d’Adrienne Monnier, belle-sœur du peintre, séance à l’occasion de laquelle Sylvia Beach a pris l’écrivain en photo (photo). Le Portrait de Valéry Larbaud assis (1920) est sans doute le fruit (l’un des fruits) de cette séance.

    (9) Le Disque Vert (rebaptisé Au disque vert), célèbre revue du Belge Franz Hellens à laquelle ont contribué nombre de grandes plumes.

    kees snoek,eddy du perron,andré malraux,velery larbaud,max jaboc,littérature,france,hollande,biographie,correspondance(10) Jorge Manrique (vers 1440-1479), poète espagnol surtout connu pour Stances sur la mort de son père. C’est en réalité de la première strophe de cette élégie que semble tiré le titre qu’évoque Eddy du Perron : Recuerde el alma dormida, / Avive el seso y despierte / Contemplando / Cómo se pasa la vida, / Cómo se viene la muerte / Tan callando. « Tan callando » a paru dans le volume Aux couleurs de Rome (1938) après une parution dans Au disque vert, 1934, p. 61-75. Eddy du Perron revient brièvement sur « Tan callando » dans son survol de l’œuvre de Larbaud : « Valery Larbaud : Aux couleurs de Rome », in Œuvres complètes, vol. 6, 1958, p. 318-324 (texte initialement publié le 13 octobre 1938 dans la livraison du soir du quotidien Nieuwe Rotterdamsche Courant).

    (11) Eddy du Perron a traduit en néerlandais le roman Fermina Marquez. A.M.M. Stols a publié cette transposition en 1935 (réédition ci-dessus).

    (12) Larbaud se rendait fréquemment à la bibliothèque Sainte-Geneviève.

    (13) Georges de Brébeuf (1617-1661), poète moins connu que Maurice Scève qui a, pour sa part, vécu au XVIe siècle.

    (14) Œuvre restée à l’état de projet, comme bien d’autres de Larbaud.

    (15) Adriaan Roland Holst (1888-1976), poète néerlandais très réputé de son vivant. En français : Par-delà les chemins : poèmes, traduction Ans-Henri Deluy, augmentée de quelques traductions par Dolf Verspoor, Paris, Seghers, 1954.

     

     

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    la biographie signée Kees Snoek

    E. du Perron. Het leven van een smalle mens

    Amsterdam, Nijgh & Van Ditmar, 2005.

     

     

     

  • Youri Egorov, par Jan Brokken

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    Youri Egorov : le tragique destin d’un virtuose en exil

     

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    Youri Egorov est un pianiste russe né en 1954 à Kazan en Union soviétique. Alors qu’il est en tournée en Italie, il demande l’asile politique en 1976, grâce à un contact dont il dispose en Hollande. Il s’installe à Amsterdam. Virtuose angoissé, il meurt en 1988 du sida, à seulement trente-trois ans.

     

    L’écrivain néerlandais Jan Brokken, qui le rencontra longuement de son vivant et hérita de ses cahiers, lui a consacré un ouvrage qui relate la vie du musicien ainsi que l’histoire de leur amitié : In het huis van de dichter (Dans la maison du poète, éditions Atlas/Contact, 2008), encore inédit en français. De Jan Brokken, on peut lire : Les Âmes baltesPériple à travers l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie (Denoël, 2013) et le Le Jardin des Cosaques (Librairie Vuibert, 2018), tous deux traduits par Mireille Cohendy. L’auteur a par ailleurs consacré un livre à la musique de onze Antillais adorateurs de Chopin dont on peut découvrir la version anglaise sous le titre The music of the Netherlands Antilles (2015).

    Nous reproduisons l’intégralité du chapitre 3, traduit du néerlandais par Daniel Cunin, avec l’aimable autorisation de l’auteur : Youri Egorov se rend en 1977 au concours international de piano Van Cliburn, à Fort Worth, aux États-Unis.


     

     

    Chapitre 3

     

    Il commençait tout juste à se sentir un peu chez lui à Amsterdam – achat d’un vélo, noire bicyclette à haut guidon, premier joint fumé en pleine rue, à la vue de tous – quand son agent néerlandais lui recommanda fortement de participer à la Van Cliburn International Piano Competition de Fort Worth. Façon la plus rapide de se faire un nom aux États-Unis. Remporter ce concours, c’était l’assurance de se produire au Carnegie Hall, temple new-yorkais de la musique, et « who can make it there, can make it anywhere », avait vrombi l’imprésario.

    Les concours, Youri les subissait comme une torture volontaire. Aux Tchaïkovski, Élisabeth et Marguerite Long/Jacques Thibaud, il était parvenu sans peine en finale, mais ses nerfs l’avaient alors empêché de donner tout à fait le meilleur de lui-même. Ces semi-échecs tenaient en outre à sa manière de jouer : maudissant les interprétations au brillant de miroir, qui en réalité ne reflètent guère autre chose que du vide, il prenait des risques, soulignait les contours anguleux de ce qu’il interprétait et produisait parfois une fausse note.

    Youri Egorov, piano, , roman, pays-bas, traductionDe fait, il faut être d’acier et non de chair et de sang pour prendre part à une telle compétition. À moins que l’on ne joue sa vie, comme son professeur Jakov Zak. Ce dernier, Juif, avait participé au concours Chopin de Varsovie en 1937. Il avait de fortes chances de voir sa jeune vie prendre fin en Sibérie s’il ne remportait pas le premier prix et ne recueillait pas les félicitations de la Pravda en première page. Dans ces années, la campagne antisémite déclenchée par Staline avait pris une ampleur sans précédent, n’épargnant que ceux qui se distinguaient particulièrement dans les sciences ou dans les arts. Nuit après nuit, les voitures noires du NKVD sillonnaient Moscou pour procéder à des arrestations. Aucune rue, aucun pâté de maisons n’était à l’abri. Avant de se coucher, femmes et hommes juifs préparaient des sous-vêtements de flanelle et quelques vivres au cas où leur tour viendrait la nuit même. En interprétant, en transe, l’Étude chromatique, Zak avait échappé à ses propres obsèques.

    Pour Youri, rien de tel n’était en jeu. Si ce n’est, certes, son avenir, mais il s’agissait là d’une perspective un rien trop vague pour qu’il sente l’haleine glaciale de la guillotine sur sa nuque. Il avait terminé troisième du concours Tchaïkovski, troisième aussi du concours Élisabeth, quatrième du concours Marguerite Long/Jacques Thibaud.

    « Et au Van Cliburn, tu vas être premier », prédisait son imprésario.

    Lui n’en était pas si certain. Trois pianistes soviétiques siégeaient dans le jury. Si États-Unis et Union soviétique se livraient à une lutte féroce dans tous les domaines possibles et imaginables, en matière de musique les deux grandes puissances se renvoyaient l’ascenseur, excluant les petits pays de la course au pouvoir. Quand Bartók était arrivé à New York, personne n’avait voulu lui tendre la main : il venait de Hongrie. Il s’était éteint en 1945 dans un hôpital pour les pauvres. Deux ans plus tard, cette même ville réservait un triomphe à Chostakovitch. Devant lui, le plus célèbre des compositeurs soviétiques, le virtuose de l’ennemi, les Américains étaient prêts à faire une profonde révérence.


     

    À Fort Worth, au cœur du Texas, il n’en irait pas autrement : le premier prix reviendrait à un pianiste soviétique ; si tel n’était pas le cas, c’est un Américain qui décrocherait les lauriers. Un petit jeu auquel son impresario ne comprenait pas grand-chose : en vrai Hollandais, il croyait en un déroulement équitable de l’événement. Le bonhomme était tout aussi aveugle au cirque et battage qui accompagnent la musique aux États-Unis. Là encore, une différence de culture et de mentalité : quand on vient d’un petit pays, on est vite impressionné par le grandiose et le pouvoir. Les documents communiqués par les organisateurs mentionnaient en premier lieu les cocktails financés par les sponsors, les pièces devant être interprétées ne figuraient qu’en annexe.

    Youri alla jusqu’à envisager d’annuler son voyage au Texas, en partie à cause de la façon dont son imprésario essayait de diriger ses pensées. Même s’il ne se produisait plus très souvent, Van Cliburn était toujours considéré comme le plus grand pianiste que l’Amérique avait donné, c’est lui qui allait présider le jury et, l’imprésario de poursuivre : « Ce type est une tantouse de première, il va craquer pour toi. »

    Voulait-on voir Youri se mettre en rage qu’on n’aurait pu mieux s’y prendre. Une remarque grossière et balourde, à son sens. Si Van Cliburn devait craquer, alors pour son jeu et pas pour autre chose ! Le soir où, dans la barre d’immeubles de son oncle Arik, on l’avait appelé pour répondre au téléphone, il avait fait vœu de mener une vie honorable. Honorable quant au comportement, aux pensées et au cœur. En aucune circonstance, il ne s’abaisserait à un opportunisme vulgaire, moins encore à de la coquetterie.

    Youri Egorov, piano, , roman, pays-bas, traductionUne raison bien différente expliquait en réalité son impatience de rencontrer Van Cliburn. Pour beaucoup de jeunes Russes, l’Américain avait été une idole. En 1958, à Moscou, il avait remporté le premier concours Tchaïkovski en interprétant le Concerto pour piano n°3 de Rachmaninov et le n°1de Tchaïkovski. Le président du jury avait téléphoné à Khrouchtchev pour lui demander si les honneurs pouvaient revenir, oui ou non, à l’Américain ; un an après le lancement du premier Spoutnik, le chef du Parti avait estimé l’avance de l’Union soviétique suffisante pour retourner la question à son interlocuteur : l’Américain est-il, oui ou non, le meilleur ? Ben oui. « Alors, donnez-lui son prix. » Une tournée triomphale avait suivi en Union soviétique ; dans toutes les villes, une pluie de fleurs ensevelit le pianiste du Texas en raison de son jeu libre, grandiose, romantique et plus encore parce qu’il était le premier musicien de l’Ouest à se produire derrière le Rideau de fer, donnant au public l’espoir d’une ouverture politique. Harvey Lavan (« Van ») Cliburn était devenu le symbole du rêve de liberté, bien vague encore à l’époque. Dans les années soixante, alors que les tensions entre l’Est et l’Ouest redoublaient une nouvelle fois, Van Cliburn avait malgré tout continué à se produire dans le pays ; ses concerts déclenchaient des émotions tellement fortes que, bien souvent, il ne pouvait quitter la scène avant minuit. À Moscou, des foules en délire acclamaient l’Américain ; à la sortie des salles de concert, on le portait littéralement aux nues et on le couvrait de cadeaux. Des fans découpaient dans les journaux et les magazines des photos le représentant pour les coller aux murs de leur chambre. Il incarnait la liberté, le monde moderne, l’Amérique, y compris, par son apparence juvénile, celle de James Dean, d’Elvis Presley. C’est la main de ce Van Cliburn qu’il serrerait à Fort Worth.

    Ce qui l’incitait par ailleurs à participer au concours, c’était le programme imposé. Dans le répertoire prescrit, il pouvait choisir entre la Fantaisie chromatique et fugue en ré mineur BWV 903 de Bach, la Fantaisie en ut mineur K 475 de Mozart et la Fantaisie en ut majeur de Schumann, pièces qu’il avait étudiées à Moscou, pour lesquelles il éprouvait une véritable affinité et qu’il lui arrivait de jouer au milieu de la nuit quand un délire parano l’empêchait de dormir et qu’il cherchait un peu de sérénité au clavier. Autant d’œuvres qu’il comprenait ; or, pour jouer, il avait besoin de trouver une logique parfaite à chaque note. Comme il n’interprétait que des œuvres qu’il possédait à fond, son répertoire n’était guère étendu : il considérait le programme imposé comme un coup de chance.

    Il décida de s’y rendre.


     

    Le voyage tourna à la catastrophe. Il s’envola pour Londres-Heathrow, mais son avion à destination du Texas partait de Londres-Gatwick (gaffe de l’imprésario) ; dans un premier temps, on ne l’autorisa pas à quitter l’aéroport car il n’avait pas de visa pour l’Angleterre ; il pria et supplia la police des frontières de lui fournir un laissez-passer, finit par l’obtenir et, le bout de papier requis en poche, prit un taxi jusqu’à Gatwick où il arriva alors que son avion venait de décoller. Il lui fallut attendre le suivant quatre heures durant, et quand il atterrit à Fort Worth, sa valise avait disparu.

    C’est vêtu d’un smoking qu’on lui avait prêté qu’il se rendit au cocktail au cours duquel il serra la main de Van Cliburn, d’un T-shirt acheté à la hâte qu’il donna trois interviews à des journalistes de la télévision, lesquels ne s’intéressèrent qu’à la raison l’ayant amené à fuir l’Union soviétique. Le T-shirt le serrait, il se sentait mal à l’aise ; peut-être est-ce pour cela qu’il fournit une réponse maladroite à la question de la journaliste d’ABC : « Que pensez-vous de l’invasion russe de l’Afghanistan ? » « Bad, ce simple mot, ça aurait passé, mais il crut bon d’ajouter : isn’t it ? ». Lui qui exécrait les journalistes se demandait si la liberté n’était pas tout bonnement un jeu du chat et de la souris auquel on était, qu’on le veuille ou non, censé participer : abonder dans leur sens, qu’aurait-il pu faire d’autre ? Un autre journaliste lui posant la même question – « Votre avis sur l’invasion de l’Afghanistan » –, il en profita pour faire un mot d’esprit : « L’invasion, elle s’est passée en tierce majeure ou mineure ? »

    Il ne logeait pas à l’hôtel, mais chez une famille, l’un des sponsors du concours, les Smith. Autre raison pour laquelle il avait hésité à participer au Van Cliburn : il commençait à se trouver trop vieux pour être accueilli comme un gamin au sein d’une famille. Non content d’être riche à millions (il possédait 10 % des actions de Texas Oil), Smith se comportait en conséquence. La température extérieure s’élevant à 40°C, ce monsieur faisait ronfler la clim jusqu’à ce que la température intérieure baissât sous les 15°C de sorte à faire du feu dans la cheminée. Parce que : « Vous êtes russe, non ? Alors vous apprécierez le crépitement des bûches. » Dans le jardin s’étendait une piscine aux dimensions olympiques, scindée sur sa longueur par une paroi de verre ; d’un côté, on pouvait piquer une tête, de l’autre évoluaient des requins censés créer l’illusion d’une mer tropicale. « Est-ce cela, demanda en toute innocence Youri à Mme Smith, ce qu’ils appellent la décadence ? »

    Il franchit les premiers tours. Il se préparait à prendre part à la demi-finale, cette fois vêtu de son smoking, sa valise ayant fini par arriver. La longueur des manches, qui lui était familière, suffisait à le mettre plutôt à l’aise. C’est alors qu’un événement se produisit dont il sut sur-le-champ qu’il le poursuivrait le reste de sa vie.

    En demi-finale, il passait en quatrième position. Une courte pause suivit la prestation des trois premiers. Youri patientait dans les coulisses. Là s’étaient également rassemblés les membres du jury, parmi eux le pianiste soviétique Andrei Petrov, un renard patenté affublé d’un costume gris élimé. Le gong retentit. Juste avant que Youri ne se produise, Petrov lui siffla : « Vous savez que Jakov Zak est décédé ? Insuffisance cardiaque. De votre faute, votre faute. »

    L’insinuation selon laquelle sa fuite à l’Ouest avait causé la mort de son professeur Jakov Zak, le frappa comme un coup de massue. Dans un brouillard dense, il gagna la scène.

    Jan Brokken, par Vera de Kok

    Youri Egorov, piano, , roman, pays-bas, traductionIl ne joua ni pour l’audience, ni pour le jury, il joua avec son âme, de toute son âme, comme s’il entendait la voix de son professeur, Jakov Zak, assis à côté de lui :« Vas-y, donne tout, qu’ils aillent au diable ! tous autant qu’ils sont ! Fais de la musique. » Car tel avait toujours été son conseil : Yourotchka, une faute de plus ou de moins, on s’en fout ! Avant tout, la musique !

    Le jury l’écarta de la finale, à l’unanimité. Y compris le président qui n’osa pas louer un dissident russe. Van Cliburn avait fini par croire en sa mission ; il se considérait toujours comme la passerelle jetée entre l’Ouest et l’Est. Rien ne devait mettre en danger la position qu’il occupait ; il entendait mourir en apôtre de la paix, ne loupait aucune réception que donnait l’ambassade soviétique. À ses yeux, les fins politiques prévalaient sur toute motivation musicale ; le diplomate en lui ayant pris le dessus sur l’artiste, il était en fait devenu un pion dans les rapports complexes entre bloc soviétique et Occident.

    Le public fut piqué au vif. Le couple Smith rassembla sur place de l’argent pour Youri, dix mille dollars en tout, le montant exact qui revenait au gagnant du premier prix. En outre, l’imprésario new-yorkais Maxim Gershunoff lui offrit de donner une série de concerts aux États-Unis, à commencer par un récital à l’Alice Tully Hall du Lincoln Center de New York, puis, quatre mois plus tard, à Chicago, et, cerise sur le gâteau, un récital à la fin de l’année au Carnegie hall.

    Cela le laissa totalement indifférent. Pendant des jours, un thrène gronda dans sa tête. « Zak… Zak… Zak… c’est moi qui l’ai assassiné. »

    Il s’envola pour New York, il joua à l’Alice Tully Hall. Ovations debout, un bravo massif. Chaque critique renchérit sur les cris d’enthousiasme de ses confrères. « The greatest piano recital Ive ever heard » (Bill Zakariasen, The Daily News). « The whole performance was remarkable » (John Rockwell, The New York Times). « One of the most thrilling piano recitals I can remember » (Speight Jenkins, The New York Post). « The biggest and most poetical young pianistic talent I have ever encountered » (Andrew Porter, The New Yorker).

    Des deux mains, il entassa les coupures de presse et maintint dessous la flamme de son briquet.

    Zak. Il avait assassiné Zak.

    Un énième cocktail, une foule de bobos, du caviar à la louche, des flots de champagne pour fêter l’artiste. Bras sur ses épaules, Gershunoff ne le lâchait plus : « Quel triomphe ! quel triomphe pour toi !... considère-toi comme mon fils, comme la prunelle de mes yeux, le nouveau Horowitz, prépare-toi à jouer dans every goddamned city of the United States. » Un tas de nouvelles invitations, dont l’une de la main même de Vladimir Horowitz. Mais il les déclina toutes, y compris celle de Horowitz.

    Il n’avait qu’une envie : retrouver son appartement du Brouwersgracht. Il souhaitait rentrer le plus tôt possible à Amsterdam.

    Jan BROKKEN

     

    Jan Brokken, In het huis van de dichter

    Amsterdam/Anvers, Atlas/Contact, p. 32-39.

     

     

    Chapitre traduit du néerlandais par Daniel Cunin en collaboration avec le groupe ayant participé au séminaire de traduction début avril 2016, en présence de l’auteur, Études néerlandaises, Sorbonne Université, à l’invitation du professeur Kees Snoek et de la Taalunie. Ce texte a paru à l'origine sur le site profession-spectacle.com.

     


     

     

  • Borges inquisiteur

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    Un essai de l’auteur néerlandais

    Robert Lemm

    consacré à

    Jorge Luis Borges et Umberto Eco

     

    (une version raccourcie de ce texte a paru

    dans Pastoraliaoctobre 2015, p. 16-17)

     

     

    Borges3.pngDans son roman Le Nom de la rose (1980), Umberto Eco met en scène un personnage qui répond au nom de Jorge de Burgos. Il s’agit d’un vieux bénédictin aveugle qui, dans le courant du Moyen Âge, dirige la bibliothèque d’un monastère. Au sein de cette communauté religieuse, plusieurs meurtres sont commis ; le moine chargé d’enquêter, Guillaume de Baskerville, est un franciscain progressiste. Burgos, qui incarne quant à lui une tradition figée, considère comme son devoir de protéger ses frères contre les livres qu’il estime dangereux. Parmi eux,  un tome de la Poétique d’Aristote, qui promeut l’humour, la comédie. Burgos voit dans le rire une propriété des singes, qui ne sied pas à l’homme sérieux. Jésus, est-il convaincu, n’a jamais ri. Par conséquent, le bénédictin a caché l’exemplaire dans les dédales de la bibliothèque et a appliqué sur les pages une encre empoisonnée. Quiconque pose les mains dessus et le feuillette meurt. Baskerville découvre que Burgos est le coupable ; alors que les deux hommes se font face, le vieillard met le feu à la bibliothèque.

    Jorge de Burgos n’est autre que Jorge Luis Borges (1899-1986). Âgé et aveugle, Borges occupait encore les fonctions de directeur de la Bibliothèque nationale de Buenos Aires ; poète, essayiste, conteur, il a signé nombre d’œuvres dont Inquisiciones et Otras Inquisiciones. Dans Le Nom de la rose, l’« inquisiteur bénédictin » fait figure (aux yeux d’Eco) d’adversaire du roman, genre bourgeois par excellence qui offre la possibilité de tout exposer en détail, d’adversaire en outre de stéréotypes comme l’exploration du monde intérieur d’un personnage (psychanalyse) ou le culte pour ainsi dire religieux de la sexualité. Chez Borges, le destin des protagonistes est ramassé en cinq pages tout au plus. La concision comme vertu. On est en présence d’un style aux antipodes de ce que propose un livre épais comme Le Nom de la Rose et maintes prouesses narratives qui plaisent tant à nos contemporains. Pour résumer, selon Borges, le réalisme pollue tout.

    Borges2.png

    Politiquement, Borges est un adversaire du régime parlementaire. Baskerville, l’alter ego d’Eco, voit en lui un éteignoir de la Modernité. Comment dès lors expliquer, insinue l’Italien, l’estime dont l’Argentin bénéficie auprès d’écrivains et d’intellectuels dont la foi dans ces axiomes que sont l’égalité, les droits de l’homme, le progrès, l’art moderne, ne fait aucun doute ? En 1976, Borges a accepté d’être décoré par le dictateur chilien Augusto Pinochet ; même alors, nombre d’admirateurs ont soutenu qu’il convenait de dissocier cette distinction de l’œuvre. Tout au plus le dictateur incriminé rendait-il impossible l’attribution du prix Nobel de littérature à l’Argentin. Il n’en demeure pas mois que ce dernier condamne la démocratie, synonyme pour lui de « loterie des urnes », de « désespoir devant l’absence de héros pour nous guider ». Autant de motifs donc de donner raison à Umberto Eco contre la reconnaissance dont l’auteur de L’Aleph jouit auprès de connaisseurs.

    Quiconque survole l’œuvre de Borges ne peut pas ne pas relever qu’il a affaire à un adversaire du modernisme. Les mouvements d’avant-garde de son temps, il les rejette avant de les ignorer. Les romanciers canonisés qui ont repoussé les limites du roman, tels Joyce et Proust, il les réfute en quelques lignes pour mieux les reléguer derrière des créateurs plus conventionnels comme Kipling, Stevenson, Chesterton, Schwob, Bloy. Quant à la poésie d’expression espagnole, il montre du respect pour la conception classique d’un Miguel de Unamuno et hausse les épaules devant l’icône surréaliste Federico García Lorca.

    Ses admirateurs soulignent l’ironie, le sens caché, voire l’hérésie de sa phrase, relèvent qu’il convient de ne pas prendre tout ce qu’il a écrit au pied de la lettre. Borges prendrait avec habileté son lecteur à contre-pied, envisagerait la littérature comme un jeu. C’est en cela que son œuvre, censée regorger de traits d’esprit postmodernes, se distinguerait. Cependant, si l’on s’en tient aux nombreux entretiens qu’il a donnés, force est de constater que l’estime que lui accordent les postmodernistes ne manque pas de l’étonner. Fausse modestie ? Je ne crois pas. Il laisse entendre que ces gens ne le comprennent pas ou le comprennent mal. Voilà pourquoi il est constamment à la recherche de son antagoniste, de celui qui le démasque. Ce dernier s’est-il présenté dans la personne d’Umberto Eco ? En ridiculisant le célèbre Argentin sous les traits d’un inquisiteur du Moyen Âge, l’enquêteur italien en donne l’impression, mais n’a-t-il pas qualifié son roman d’hommage à Borges ? Des deux, celui qui joue plus encore que l’autre semble donc bien être Eco.

    Borges1.pngL’absence d’un sain éclat de rire qu’Umberto Eco met en avant pour dénoncer l’antimodernisme de Borges a un effet boomerang. Car si le rire triomphe dans un art, c’est bien dans le cabaret, le pastiche. L’écrivain néerlandais Frederik van Eeden (1860-1932), qui, lui aussi a vu le prix Nobel de littérature lui passer sous le nez, a noté dans son Journal : « l’humour et la dérision ne siéent pas aux esprits supérieurs ; Shelley n’était pas drôle, Byron si ». Dans sa Vie de Don Quichotte et de Sancho Pança, Miguel de Unamuno, lui aussi oublié par l’Académie suédoise, seul écrivain espagnol du XXe siècle que Borges estimait digne d’être suivi, a qualifié sans détour le héros de Cervantes de tragique. Quiconque se rit de l’assaillant des moulins à vent, soutient-il, a tort. Par conséquent, la critique d’Eco se révèle irréfléchie.

    Et pourtant, Eco a en partie raison. L’admiration dont jouit Borges soulève des questions. Car il est bien un inquisiteur, non pas au nom de l’Église, mais pour le compte du canon classique et contre la Culture. Il faut lire à ce sujet sa plus longue nouvelle, « Le Congrès », dans laquelle on procède à un autodafé de livres à cause de ce que revêtent d’irréel et de superflu la plupart des écrits. Quant à la Culture en tant que succédané de la Religion, dit-il, elle sème plus encore le trouble. Abolir Dieu à la suite de Nietzsche, c’est déboucher sur la superstition de l’Éternel Retour, de la Nature, de la Vie. Ou sur le refoulement : « Le monde est un ensemble extrêmement étrange de phénomènes étonnants, mais je n’ai plus jamais éprouvé le besoin de placer au-dessus un quelconque créateur. En fait, la question de savoir pourquoi nous existons, ou pourquoi nous n’existons pas, est vide de sens. On ne saurait y répondre. » Telle est la conclusion à laquelle arrive l’écrivain néerlandais J. Bernlef (1937-2012), et avec lui la plupart des auteurs que l’on goûte de nos jours. Or ce qui est caractéristique de l’Argentin, c’est précisément qu’il n’a jamais cessé d’être en quête, ou plutôt qu’il n’a jamais renoncé à la métaphysique.

    robert lemm,jorge luis borges,umberto eco,pays-bas,néerlandais,biographieDans « Les théologiens », nouvelle que l’on peut tout aussi bien regarder comme un essai, l’hérésie, si toutefois il y a hérésie, consiste en ceci que Borges fait dépendre du plus fort le triomphe d’antan de l’orthodoxie. Le châtiment de l’hérétique d’aujourd’hui, c’est de découvrir que ses convictions hétérodoxes – Judas corédempteur – lui valent, non plus l’excommunication ni le bûcher mérités, mais le silence total. Les questions portant sur la Foi n’intéressent plus les intellectuels, et c’est à tort selon Borges. Pas moins provocateur, le jugement qu’il émet sur la philosophie consacrée. Heidegger, par exemple, il le liquide en raison de l’hermétisme de sa langue et de son nazisme ; à Jaspers il reproche de feindre le désespoir par pure vanité. La philosophie en général ne se soucie guère des classements et compartimentages qu’établissent universités et bibliothèques. Croit-on vraiment que Franz Kafka ou Oscar Wilde avaient des vues moins profondes que Kant ou les auteurs que nous imposent les écoles de pensée ?

    À la fin de sa vie, le bibliothécaire aveugle de Buenos Aires en vient à conclure qu’il préfère Dante à Shakespeare. Car Dante ne vous laisse pas tomber. Dans le Paradis, on distingue dans l’Aigle les visages des saints. Alors que dans le Simurgh persan, l’oiseau mythologique, disparaissent les pèlerins qui viennent à le trouver. La perte de l’identité individuelle caractérise l’Orient. Borges a écrit une étude sur le bouddhisme non sans poser que l’Occidental en lui ne pouvait se faire bouddhiste. Tous les jours, il priait le Notre Père en gothique.

    Robert Lemm (traduction : D. Cunin)

     

    ROBERT 1.JPGRobert Lemm est un essayiste et hispanisant néerlandais. Outre de nombreuses études sur des écrivains d’expression espagnole, on lui doit une biographie spirituelle de Borges (traduite en espagnol sous le titre Borges como filósofo), une Histoire des Jésuites, une Histoire de l’Espagne, une Histoire de l’Inquisition espagnole, des essais sur Léon Bloy, Jean-Paul II, Benoît XVI ainsi que deux ouvrages sur la Dame de Tous les Peuples et les apparitions mariales d’Amsterdam.

    Il a également à son actif une imposante œuvre de traducteur : Octavio Paz, Pablo Neruda, Alejo Carpentier, Jorge Luis Borges, Luis de León, saint Jean de la Croix, Miguel de Unamuno, Leopoldo Marechal, Juan Donoso Cortés, Nicolás Gómez Dávila, mais aussi Joseph de Maistre, Léon Bloy, Giovanni Papini et René Girard.

     

     


     



     



     

     

  • Rubens diplomate

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    Rubens diplomate

    par Jacques De Decker

     

     

    Conférence de Jacques De Decker (24/09/2014)

    qui prépare une biographie de Rubens pour la collection Folio biographies.


     

     

    BOZAR EXPO 

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    SENSATION ET SENSUALITÉ

    RUBENS ET SON HÉRITAGE

      

     

     

  • Maurice de Guérin

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    La biographie du bicentenaire

     

     

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    Plusieurs ouvrages néerlandais récents nous invitent à revisiter le XIXe français. Ainsi, le journaliste Peter van Dijk s’est-il intéressé à une figure immortalisée par des poètes, des sculpteurs et des peintres : Apollonie Sabatier (1822-1890). Madame Sabatier, haar vrienden, haar minaars (Madame Sabatier, ses amis, ses amants, Atlas, 2010, 225 p.) propose une belle promenade par les ateliers d’artistes et les salons où cette fille de blanchisseuse fit fureur. Bien documenté, l’ouvrage fait revivre cette muse à travers les portraits des hommes qui l’ont aimée ou qu’elle a inspirés. Le premier chapitre est consacré à Auguste Clésinger (« Révolution dans la sculpture »), les suivants à Théophile Gautier (« Supérieure aux autres femmes »), Gustave Flaubert (« Le salon de Madame Sabatier ») et Charles Baudelaire (« Muse et Madone »), le cinquième à Ernest Meissonier, Gustave Ricard et Gustave Courbet (« Le modèle des peintres »), le sixième et dernier à Richard Wallace (« Fortunée »). L’auteur situe le parcours de la belle Aglaé en s’attardant sur le contexte artistique et social de l’époque ; il explore toutes les traces qu’elle a laissées dans l’histoire de l’art. Le propos est rehaussé par des reproductions en couleurs ou en noir et blanc de diverses toiles, sculptures et photographies.

    biographie,littérature,maurice de guérin,flandre,barbey,speliers,vin,sabatierRelevons aussi parmi les publications récentes la première traduction de l'intégrale du Comte de Monte-Christo (éd. Veen, trad. de Jan H. Mysjkin) ainsi que celle des Diaboliques (éd. IJzer, trad. Katelijne De Vuyst et Marij Elias). Le XIXe siècle occupe également une belle place dans les trois livres que Bart Van Loo a dédié aux lettres françaises, le dernier paru chez Meulenhoff-Manteau au début de cette année proposant un tour de France de la littérature érotique et pornographique : O vermiljoenen spleet!

    C’est d’ailleurs le même éditeur qui a publié à la fin de 2009 une biographie d’un grand poète dont on va fêter en août le bicentenaire de la naissance : Maurice de Guérin. Outre de belles études dont celles de Marie-Catherine Huet-Brichard, il existe bien quelques biographies en français, mais elles sont plutôt anciennes et aucune ne peut prétendre à l’exhaustivité. Dorénavant, il sera difficile d’écrire un volume plus complet que celui que nous propose Hedwig Speliers : Dichter naast God. Biographie van de romanticus Maurice de Guérin (1810-1839). Le poète flamand nous fait partager sa passion : alors qu’il vénérait depuis longtemps Rilke et admirait aussi beaucoup son compatriote Paul van Ostaijen, alors qu’il n’avait que peu de considération pour le genre du poème en prose, il découvre la phrase sublime – miraculeuse pourrait-on dire – de « ce grand inconnu », l’auteur du Centaure, œuvre justement traduite par Rilke. Depuis 2003, Hedwig Speliers n’a cessé d’arpenter la France, ses paysages et ses bibliothèques sur les traces du natif d’Andillac. Pas à pas, il a reconstitué tous ses itinéraires, dans la capitale, en Bretagne, à Toulouse et ailleurs. En 2004, il a assisté à la célébration des deux siècles d'existence du célèbre collège Stanislas où Guérin a étudié et enseigné, le lieu aussi où est né son indéfectible amitié pour Jules-Amédé Barbey d’Aurevilly.


    biographie,littérature,maurice de guérin,flandre,barbey,speliers,vin,sabatierPoète près de Dieu. Biographie du romantique Maurice de Guérin
    – l'auteur aurait aimé intituler son remarquable travail Somegod – suit une progression chronologique sans rien laisser dans l’ombre. Une première partie couvre, en douze chapitres, les années 1810-1834, autrement dit celles de l’enfance, de l’adolescence, du séjour à La Chênaie, des premières amours déçues. La seconde revient, également en douze chapitres, sur la genèse des textes passés à la postérité – ceux qu’on peut lire dans Poésie (Poésie Gallimard, 1984, préface de Marc Fumaroli) –, sur la vie à Paris avec Barbey, la rencontre de Mme de Maistre et celle de Caroline de Gervain, jusqu’à la mort au Cayla. Bien entendu, la relation entre Maurice et sa sœur Eugénie occupe une belle place dans ces pages très denses, mais l’auteur prend soin de ne pas réécrire la biographie de la jeune femme. Il préfère se concentrer sur les moments-clés de la brève existence du provincial, sur les étapes qui vont faire de l’écrivailleur qu’il était un véritable écrivain. Agrémenté de belles citations (dans les deux langues) et d’un cahier photos, l’ouvrage est dédié à Maarten Elzinga qui, grâce à sa traduction du Centaure et de La Bacchante a permis à des lecteurs néerlandophones de découvrir Guérin - il existait une traduction du Centaure datant de 1926. H. Speliers et M. Elzinga préparent d’ailleurs une édition néerlandaise des œuvres de Maurice de Guérin.

     

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    Le Centaure & La Bacchante

    traduction de M. Elzinga, éd. Wagner & Van Santen, 1999

     

     

    Parallèlement à l’écriture de la biographie, Hedwig Speliers a composé en France un recueil qui, mariant paysages guériniens et évocations de la vie du poète et de l’œuvre elle-même, se veut un hommage à la région de Gaillac et à son cépage. Édition bilingue, Len de l’el (Loin de l’œil, trad. W. Devos, Manteau, 2009) se présente sous la forme d’un triptyque : « L’En de l’el », « Le Cayla » et « Suite albigeoise ». Nous citons le poème « Le nom qu’ils portent » dans la traduction de Willy Devos :

     

    Elle est une Sœur, Lui est un Frère. Dites : Eugénie

    et appelez-le par son prénom Maurice car ensemble

    ils sont les Guérin, noblesse appauvrie au soir

    de l’après-histoire. Ils ceignent leurs maigres

    membres d’une vêture de chênes vieillissants,

    revêtent leur corps de foin fleurant bon juin

    et harmonisent leurs gestes pour la chasse aux papillons.

     

    Ne les questionnez pas sur leur destin,

    tous deux sont promis a une mort prématurée,

    ils crachent du sang au cours de nuits sans étoiles,

    cherchent à se consoler l’un l’autre et leurs

    langues reflètent le pourpre de la nuit recrachée.

    Ils sont prédestinés aux poèmes, lumière

    qui irrigue la géographie des mots. Aspirant

     

    au Sublime avec des phrases empruntées au Midi

    et invités ils dressent la table dans la forêt

    entre fougères et eaux clapotantes, ruisselets

    posés tels des jalons entre des troncs. Nous voyons

    le Cayla entre les arbustes et les arbres, des rêves

    d’ici tendent à devenir des syndromes,

    levant les bras vers le lointain et le panorama.

     

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    En cette année du bicentenaire qui verra la tenue d'un colloque au château du Ceyla, il reste à espérer que cette biographie trouve un éditeur en France. Maurice de Guérin comme Hedwig Speliers le méritent tant il est vrai, ainsi que l’a écrit l’auteur des Pages sans titre, qu’« il est doux de poursuivre une lecture passionnée jusque sous la chute du jour ».

     

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