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Une page de Paul Gadenne, Amsterdam 1950

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Enquête René Char

 

 

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photo de couverture de la revue nord', n° 43, avril 2004

 

 

 

Nommé conservateur à Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras – où il fait peindre ou tapisser ses appartements tout en noir –, Georges Bataille s’entretient régulièrement avec son ami René Char. C’est à la suite de propos qu’ils échangent que ce dernier va poser, en mai 1950, dans la revue Empédocle, la question pour le moins ouverte : « Y a-t-il des incompatibilités ? » en demandant à des écrivains d’y répondre. Cette « Enquête René Char » amène Paul Gadenne à écrire, fin juin 1950, alors qu’il séjourne en Hollande, les lignes qui suivent.

 

Gadenne9.jpgVotre questionnaire me parvient à Amsterdam où je suis en passant, et j’y réponds entre deux averses et deux tables. Je suis venu dans ce pays non en touriste, mais pour vérifier quelques-uns des événements, quelques-unes des structures de ma vie intérieure. – J’ose me servir de cette expression abhorrée : il y a des terreurs que je ne veux pas subir. [Ce qui me met dans une position spéciale, un peu spécieuse, qui échappe à la compétence de l’entourage le mieux disposé, et même m’instruit assez sur moi-même, et sur autrui : il serait peut-être prétentieux de souhaiter autre chose.

C’est déjà répondre à la question, et je voudrais que l’on sente toute la modestie, toute la nostalgie même que je me permets d’introduire dans cette enquête.]*

Gadenne19.jpgC’est déjà répondre à la question. Je suis un voyageur dont le type ne se rencontre plus. Aussi les réponses qui parviennent à mes propres questions, sur le terrain modeste de la vie quotidienne, témoignent-elles d’un décalage, et sont-elles faites d’éléments que mon attention n’enregistre pas. Cela revient à se savoir assez seul, ce qui est notre condition même, et le prix de notre authenticité. Déjà c’est un fait, en mainte occasion il y a des incompatibilités entre le monde des hommes et moi.  Et je veux bien accepter pour moitié la responsabilité de ces incompatibilités, c’est moi qui les crée autant que le monde : elles sont la preuve de mon existence. J’existe par ce conflit toujours ouvert et que je ne veux pas laisser éteindre, même s’il me tue. La force brutale n’a aucune chance de m’impressionner, elle peut me supprimer tout au plus. « Except my life », comme dit si bien lord Hamlet. Et peut-être qu’Ariel ne pourrait subsister sans Caliban. Mais il est vrai aussi qu’il ne peut que le combattre – à moins qu’il ne puisse l’éclairer. Tel est le mystère.

 

Amsterdam 30 juin 1950

 

*Le passage entre crochets correspond à une deuxième version.

(source : La Rue Profonde. Carnets Paul Gadenne, n° 1, p. 102-103)

 

 

paul gadenne,flandre,amsterdam,littérature,didier sarrouDans l’article « Paul Gadenne et les Flandres » (Deshima, n° 4, 2010, p. 253-264), Didier Sarrou s’interroge sur la place qu’accorde Gadenne à sa région natale dans ses écrits. Les « Carnets Paul Gadenne »  – que l’on doit au même Didier Sarrou – , en particulier le n° 4,  offrent quelques passages sur la Flandre française (Armentières, Cassel…). Une petite sélection :

 

 […] il [un de ses cousins qu’il retrouve à Armentières, médecin qu’il apprécie beaucoup] me révèle le profit qu’il y a pour moi à me replonger un instant dans l’atmosphère d’une vie saine, à remonter vers mes sources, à voir ce qu’une intelligence un peu élevée a su tirer de son propre milieu, sans se « déraciner », mais au contraire en puisant à un haut degré les puissances de son espèce, de sa race. Ce qui manque aux autres, ce n’est point l’intelligence, c’est la clarté, c’est le sens et la puissance d’organisation.

Gadenne41_0001.jpg[…] Madeleine [nièce de Gadenne], huit ans, toujours câline, vient s’appuyer contre moi, ou s’assied sur mes genoux en me regardant, la tête un peu renversée. Je sens contre ma main qui la retient sa hanche menue sous sa robe, et je plonge dans ses yeux qui rêvent. La vue de cette petite fille me fait redescendre des hautes régions où je planais et me ramène aux douces réalités de la vie. Vivre ainsi, avec une petite fille sur les genoux.

[…] Quand les gens se mettent en colère, ils aggravent leur patois, pour donner plus d’énergie à leurs paroles. Ou quand ils racontent une histoire qui exige de la vivacité, et en général dans toutes les occasions où ils sont passionnés. Le patois dispose de tours plus vifs, plus pittoresques que le français et ces histoires perdraient beaucoup à être racontées en bon langage.

[…] Visite à Eugénie (d’Armentières). Son mari, qui apparaît juste au moment du Dubonnet me dit : « Vous savez, il vaut mieux aimer les livres que les femmes. Quand un livre vous embête, on le met de côté. Mais les femmes !... »

 

 

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Un extrait de la nouvelle Baleine lu par Marie

 

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