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Valery Larbaud sur la traduction

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Notes pour servir à ma biographie

 

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« Quel merveilleux petit livre intime et battant cela fait, mon cher Masereel. S’il me fallait filer demain dans une île déserte, je sens que je le mettrais dans ma poche de préférence à tout autre. » Tels sont les mots qu’adresse le 26 novembre 1919 (1) Léon Bazalgette (1873-1928), éditeur et principal introducteur de l’œuvre de Walt Whitman en France, à son ami l’artiste Frans Masereel (1889-1972) à propos de Calamus, cycle de poèmes de l’auteur américain, extrait du recueil Leaves of Grass, traduit par le Français et rehaussé de 10 bois hors-texte dessinés et gravés par le Flamand (Genève, Éditions du Sablier, 1919).

valery larbaud,claire paulhan,traduction,léon bazalgetteC’est, pour ainsi dire, un tout aussi merveilleux petit livre que les Notes pour servir à ma biographie (an UNeventful one) (2) de Valery Larbaud, Larbaud dont les premières considérations publiées sur la traduction portaient justement sur Feuilles d'herbes dans l’édition que venait d’en donner Bazalgette en 1909, avant donc l’article « De la traduction » (3).

Écoutons l’éditrice Claire Paulhan nous présenter ce texte inédit écrit en 1928 par le père de  Barnabooth, ce « Larbaud agrandi, mythifié, supraterrestre, délivré des misères de la trivialité » (4) : « Pour répondre à la question de Maurice Martin du Gard, alors directeur des Nouvelles littéraires – ‘‘J’aimerais connaître en détail une de vos journées de travail’’–, Valery Larbaud se livra à un bref et subtil exercice d’autobiographie intellectuelle, resté inédit dans son intégralité, jusqu’à ce jour : ‘‘Pour les ouvrages d’imagination le travail est constant, presque sans interruption, soigneusement entouré de paresse (apparente). Il se poursuit à travers toutes les circonstances et les incidents de la vie quotidienne, même à travers les conversations et un travail plus ‘matériel’, tel que recherches ou traduction. Il écrème le loisir, profite de la musique entendue, d’un tableau remémoré, d’une lecture qui n’a rien à voir avec lui, avec son sujet, ni avec les recherches en train. Il ‘règne sur la vie’, comme le désir, comme l’amour, comme un projet dont la réalisation nous donnerait une grande satisfaction, nous enrichirait matériellement, ou nous procurerait de grands avantages. Mais comme il est désintéressé, c’est, en somme, à l’amour qu’il ressemble le plus.’’ » Larbaud poursuit : « Il donne le plaisir de se sentir créer, créateur. Ou encore : de découvrir une vérité. »

Maurice Martin du Gard (1896-1970) souhaitait utiliser cet exposé de Larbaud rédigé dans un petit cahier vert – ainsi que Mon Itinéraire, texte plus purement autobiographique écrit en 1926 pour l’éditeur hollandais Alexandre Alphonse Marius Stols (1900-1973), mais publié seulement soixante ans plus tard – pour une biographie qui ne verra jamais le jour.

 

Mariage de A.A.M. Stols & M.W. Kroesen - 07/08/1928

 

À la fin de sa postface – précédée d’un cahier photo et agrémentée de la reproduction de documents qui tous viennent s’ajouter au fac-similé de l’intégralité du manuscrit -, Françoise Lioure écrit : « Jamais Larbaud n’avait exposé avec autant de minutie et de conviction l’origine et la force de sa certitude que ‘‘la création intellectuelle’’ est un ‘‘bien réalisable’’ et avoué avec une telle fougue son bonheur de créer ». Cette « analyse la plus intime et la plus spontanée que l’écrivain ait donnée du sens de sa vie et de son œuvre » présente en outre l’intérêt de s’arrêter sur la traduction : « Elle est exactement assimilable à la copie des tableaux, et c’est par là qu’elle touche à la poésie. LarbaudHerne.pngUn peintre de talent fera une meilleure copie qu’un barbouilleur. De même, de deux hommes ayant une égale connaissance d’une langue étrangère, ce sera le plus artiste, le plus poète, des deux, qui fera la meilleure traduction. » Reprenant une idée développée dans son article de 1913, Larbaud évoque l’appel  que peut ressentir une personne qui a appris une langue vivante : « On tombe amoureux d’un poème, d’un livre, de l’œuvre d’un auteur. D’où (j’ai montré en détail ce processus) le désir de traduire ce poème, ce livre. C’est l’instinct de plagiat (instinct d’enfant chipeur (5) ) mis au service d’une raison mûre. » Un désir qui est également « désir de recréer (au second degré). Il y entre aussi de l’émulation (cet élément est tout à fait absent de la poésie, de la littérature au 1er degré). On s’aperçoit aussi que c’est un excellent exercice au point de vue de la technique, – comme les exercices des pianistes. C’est pourquoi il m’arrive, ou m’est arrivé, plutôt, d’avoir des heures fixes et régulières pour ce genre de travail. » 

« L’immobilité du texte imprimé est une illusion d’optique », écrit Larbaud dans Sous l’invocation de saint Jérôme. Cette belle édition des Notes pour servir à ma biographie, petit livre « battant », en fournit une preuve de plus.

 

Extrait d’une lettre de Valery Larbaud à Jean Paulhan

ou comment ranger sa bibliothèque

 

Journal, 1934-1935 

valery larbaud,claire paulhan,traduction,léon bazalgette(1) Joris van Parys, « ‘‘Cher Bazal’’. Een portret in brieven van Léon Bazalgette (1873-1928) », Mededelingen van het Cyriel Buysse Genootschap, XIII, Gand, 1997, p. 58.

(2) Valery Larbaud, Notes pour servir à ma biographie (an UNeventful one), notes et postface de Françoise Lioure, Paris, Éditions Claire Paulhan, 2006. (12 x 17 cm. 112 p. quadri. 66 photos et fac-similés couleurs. Impression quadri sur Gardapat 13 (115 gr.) des Papeteries de Garde.)

(3) Article publié dans L’Effort libre en novembre 1913. « Larbaud y énonce ses idées essentielles sur la traduction qui seront développées dans Sous l’invocation de saint Jérôme : refus de ‘‘la traduction littérale’’, choix de ‘‘l’interprétation personnelle’’ et réhabilitation de la fonction de traducteur et de sa ‘‘dignité’’. » Notes pour servir à ma biographie, note 4, p. 68.

(4) Michel Déon, « Le murmure des adieux. Larbaud », Lettres de château, Paris, Gallimard, 2009 [Folio 5218], p. 17.

(5) « Je n’étais pas un enfant chipeur ! » précise Larbaud dans une note.

 

 

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Bibliothèque de la Pléiade, 1958

 

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