L'Indonésie d'Augusta de Wit
Une styliste délicieuse
Si Multatuli, Louis Couperus, Eddy du Perron, Jeroen Brouwers, Maria Dermoût et Hella S. Haasse demeurent les écrivains majeurs des Pays-Bas dont les noms restent liés à l’Indonésie, plusieurs de leurs compatriotes, nés ou ayant vécu dans l'immense colonie, ont enrichi la littérature néerlandaise. Augusta de Wit (1864-1939) fait partie de ce groupe. Née sur l’île de Sumatra, elle passera une partie de son enfance aux Indes avant de suivre sa scolarité en Hollande et en Angleterre. De retour pour quelques années sur sa terre natale, elle sera enseignante à Batavia puis journaliste, une carrière qu’elle poursuivra au XXe siècle, entre autres à Berlin, Paris, aux Pays-Bas, en Bavière et en Prusse, de manière à subvenir à ses besoins puisqu’elle restera célibataire. Elle publiera des chroniques en anglais dans le Singapore Straits Times qui seront réunies sous le titre Facts and fancies about Java. Revenue en Europe, elle écrira – outre des romans et des nouvelles – pendant de nombreuses années des critiques sur la littérature étrangère, en particulier allemande et anglaise. Ces activités l’amèneront à correspondre avec Rilke, le poète Thomas Hardy ou encore D.H. Lawrence. Elle a aussi laissé des articles sur des auteurs français. Ainsi, Dick Gevers, dans l’article « La réception d’Octave Mirbeau en Hollande » peut-il écrire : « En 1918, Augusta de Wit, critique littéraire du journal libéral Nieuwe Rotterdamsche Courant (01/12/1918), compare Mirbeau à Herman Heijermans, un de nos auteurs les plus engagés de cette époque, et rend hommage à “la manière implacable” dont Mirbeau dénonce les tares de notre société. Et elle ajoute : “Mais sous l’implacabilité avec laquelle il dit ce qu’il croit être la vérité, quel désir infini de tendresse, quelle pitié de ce pauvre cœur humain !” »
Deux paradoxes dominent la vie de celle en qui Alexandre Cohen a vu une « styliste délicieuse » : alors que la politique n’était pas sa tasse de thé – elle a écrit qu’elle avait toujours refusé la lutte des classes et la haine qu’éprouvaient les « rouges » à l’égard d’une partie des hommes –, elle sera pendant quelques années membre du parti communiste (Sociaal Demokratische Partij) en raison de ses positions anticolonialistes avant d’opter pour un socialisme « religieux » proche de ce que défendait Hendrik de Man ; d’autre part, si elle cherche dans ses livres à comprendre l’âme javanaise, elle le fera en employant une prose d’un grand raffinement, inspirée du symbolisme, et selon un cadre de pensée tout à fait occidental. L’essentiel pour elle n’était pas tant de « comprendre » les Indes néerlandaises que d’en donner, dans un souci esthétique, une vision « pleine de rêverie romantique pour le pays et sa population autochtone » (A. Romein-Verschoor). Il ne fait aucun doute qu’elle a porté un grand amour et à la nature et aux gens de l’archipel.
L’enthousiasme que sa prose « distinguée » et « noble » a soulevé chez artistes et critiques, on le retrouve sous la plume d’un universitaire d’expression française : Augusta de Wit « a voué son talent à la peinture de la grandeur et des souffrances, de la splendeur et des misères du monde colonial hollandais ; mais elle a voulu, avant tout, étudier l’âme cachée des peuples de Java. Parmi les écrivains d’aujourd’hui qui nous parlent des Indes à côté de Couperus et de Borel, Augusta de Wit a son mérite et son originalité. Orphée dans la Dessa est un petit chef-d’œuvre et la Déesse qui attend, un grand et noble livre.
Elle met en scène surtout l’Européen confiant en sa richesse, son intelligence, son organisation, ses machines, venu à Java pour faire fortune sans plus et qui rêve uniquement de spéculations industrielles à gros bénéfices. Elle lui oppose le peuple javanais appauvri, réduit à l’état de bétail humain, qui se venge lâchement de l’Européen, détraque ses machines, vole ses buffles, mais qui vit pourtant en communion d’âme avec les esprits des champs et des bois, qui a sa mythologie, ses usages, une vie intérieure intense et une imagination ardente et désordonnée. Tout est conté fort simplement et met à nu la cruauté de ces rencontres de deux races. La note personnelle d’Augusta de Wit, outre la splendeur de son style et les qualités littéraires de la langue qu’elle emploie, c’est une certaine notion de grande pitié humaine, une profonde sympathie pour ceux que le monde écrase ou ignore ou bafoue. » (J. Lhoneux, « Profils de romanciers hollandais », Revue germanique, 1910, p. 198). Johannes Tielrooy reconnaît lui aussi certaines qualités à la femme de lettres : « Mme Augusta de Wit, styliste parfaite, fournit, dans ses beaux ouvrages un peu froids, quelque chose comme une série d’images du monde. Son grand bonheur semble être de contempler les spectacles de la vie et de les comprendre […]. Chez elle, le réalisme s’enrichit d’une poésie qu’on dirait classique. » (La Littérature hollandaise, 1938, p. 34)
Même si le grand poète Martinus Nijhoff a pu critiquer avec virulence la prose très plastique d’Augusta de Wit – le communiste Theun de Vries fera de même –, certaines de ses œuvres ont parfaitement résisté au temps. On relit avec plaisir et admiration ses souvenirs et évocations des Indes néerlandaises (entre autres « De Boegi roepen den avondwind »), les pages sans pareilles qu’elle a consacrées aux papillons (Gods goochelaartjes) et aux vents qui soufflent dans l’archipel, ses nouvelles et récits où s’exprime une aspiration aristocratique à la beauté.
Quelques-uns de ses textes ont été traduits en français : la nouvelle « De Jager » (« Le chasseur ; histoire javanaise », trad. A.D.L. Mague, La Revue de Hollande, I, 1915-1916) et le court roman Orpheus in de dessa (Orphée au village, trad. E.J. Van Hasselt & Isabelle Rivière, La Revue hebdoma- daire, n° 27-28, 7et 14 juillet 1928). Dans Le Monde nouveau, Paul Eyquem a lui aussi transposé quelques pages de la nouvelliste (« Histoire du Joueur de flûte et de la belle danseuse »). En anglais, six de ses proses ont été réunies sous le titre Island India (1923).
Bibliographie
Facts and fancies about Java, Singapore, 1898 (traduit en néerlandais en 1905 par Cornelie van Osterzee sous le titre Java. Feiten en fantasieën).
Verborgen bronnen (Sources cachées), 1899 (nouvelles tra- duites en allemand par Else Otten : Feindschaft. Das höchste Gesetz, 1903).
De godin die wacht (La Déesse qui attend), 1903 (roman traduit en allemand par Else Otten : Die Göttin, die da harret, 1908).
Orpheus in de dessa (Orphée dans le village indonésien), 1903 (traduit en allemand par Eva Schumann : Orpheus in Java, 1928).
Het dure moederschap (La Maternité chère payée), 1907 (traduit en allemand par Else Otten : Eine Mutter, 1908 ; un des rares livres d’Augusta de Wit dont l’action n’est pas située en Indonésie).
Natuur en menschen in Indië (Nature et hommes aux Indes néerlandaises), 1914 (recueil de chroniques).
De wake bij de brug en andere verhalen (La Garde près du pont et autres nouvelles), 1918.
De drie vrouwen in het heilige woud (Les Trois femmes dans la forêt sacrée), 1921 (recueil de quatre nouvelles : « De drie vrouwen in het Heilige Woud » ; « Aan het strand » ; « De Jager » ; « Gezichten op Zee »).
De avonturen van den muzikant (Les Aventures du musicien), 1927.
De wijdere wereld (Le Large monde), 1930.
Gods goochelaartjes (Les Petits Prestidigitateurs de Dieu), 1932 (récits poétiques sur les naturalistes et les papillons).
Drie novellen (Trois nouvelles), 1939.
Een witte angora en enige mensen (Un angora blanc et quelques gens), 1965.
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Augusta de Wit a par ailleurs publié en 1910 une collection de contes de différents pays.
Voir en allemand
L. Simoens, « R. M. Rilke und die Niederländische Schriftstellerin Augusta De Wit » (sur la correspondance entre R.M.Rilke et l’écrivain néerlandais Augusta De Wit), Germanic Notes Lexington, n° 1, 1984, p. 7-10.
les 2 photos sont tirées d'un ouvrage d'Augusta de Wit