Louis Couperus en Majesté
En 1898, le roman Majesté de Louis Couperus (1863-1923) paraît en France aux éditions Plon dans une traduction de Louis Bresson, pasteur de l'église wallonne de Rotterdam. L'ouvrage est préfacé par l'homme de lettres et politicien Maurice Spronck (1861-1921). Nous donnons à lire ci-dessous quelques textes qui ont alors été publiés dans la presse française.
Quelques années avant la parution de la traduction, un certain Jules Béraneck a en réalité déjà donné dans une longue étude quelques passages en traduction ainsi que son analyse du roman :
Le dernier livre de Couperus, Majesteit (1893), va nous arrêter plus longtemps. C’est une œuvre de haut vol, écrite avec ampleur et noblesse et dépassant la portée d'un simple roman. Comme le titre l’indique, il s’agit ici de la royauté. (…) Amalgamer ces éléments divers, intercaler des descriptions d’un puissant relief, fondre le tout en une sorte d’épopée, telle est l’œuvre de Couperus. L’occasion s’offrait tentante ; on pouvait faire de Majesteit un roman à thèse. Couperus ne l’a pas voulu. La personnalité de l’auteur s’efface ; il se met en dehors de son livre, se contentant d’observer les faits, de les consigner sans exagération, sans rien dénaturer, avec une impartialité et une exactitude fort méritoires. Son livre est franc, net, précis comme le diagnostic d’un médecin. En outre, pour ne point froisser les susceptibilités, il a bien soin de choisir un empire, un empereur et un peuple imaginaires. (…) À part cette anomalie sur laquelle il n’est pas nécessaire d’insister [mélange de ces données imaginaires avec l’univers de monarchies bien réelles], le reste de l’œuvre ne mérite que des éloges. Conception générale, style, peinture des caractères, descriptions, tout est à la hauteur du sujet, comme on pourra s’en convaincre par ce qui suit. (…) Ce tableau de l’inondation ouvre le volume d’une façon magistrale. Il montre à quel point l’artiste peut impressionner avec le seul secours de l’imagination, tempérée par le souci de la vérité. Ici, rien du banal fait divers, aux expressions stéréotypées, classiques, au lyrisme faux et geignard, mais quelques pages sobres, fortes et colorées. (…) La première partie du roman se termine ici ; la seconde ne lui cède ni en grandeur, ni en intérêt. Au contraire, Couperus nous parait s’être surpassé en maints endroits. (…) L’analyse qu’on vient de lire n’offre qu’une pâle image de Majesteit. Pour ne pas perdre le fil conducteur, il a fallu élaguer nombre d’épisodes, laisser dans l’ombre maint personnage intéressant, négliger certaines descriptions dignes d’être reproduites, ne fût-ce que pour montrer le côté tout particulièrement brillant du talent de Couperus. Nous nous sommes donc appliqué à faire ressortir la figure d’Othomar, l’une des plus fortes études de caractère que le romancier ait faites. Un critique hollandais, – plus admirateur que critique, – va même jusqu’à établir un parallèle entre le prince héritier et Hamlet. C’est pousser les choses à l’extrême, car on pourrait tout au plus comparer le fameux to be or not to be aux réflexions d’Othomar sur les vicissitudes de l'existence.
Nous ne nous attarderons pas non plus à relever l’impression poignante que suscite le roman, quand bien même les destinées de la royauté seraient fort indifférentes au lecteur. Qu’il nous suffise de rappeler ces belles paroles de Bossuet, paroles qui pourraient servir d’épigraphe à toute l’œuvre : « Considérez, messieurs, ces grandes puissances que nous regardons de si bas : pendant que nous tremblons sous leur main, Dieu les frappe pour nous avertir. Leur élévation en est la cause, et il les épargne si peu qu’il ne craint pas de les sacrifier à l'instruction du reste des hommes. »
Somme toute, un livre comme Majesteit affirme la vitalité littéraire d’un peuple, et les Hollandais peuvent être fiers de leur enfant.
Bizarre coïncidence ! Cet été, au moment où s’ouvrait à Scheveningen le congrès international pour le paix, Couperus faisait paraître une suite de Majesteit, intitulée : Paix universelle (Wereldvrede). Hélas! ce nouveau roman, long épilogue du précédent, n’ajoute rien au talent du romancier, et nous parait marquer même un certain recul. En effet, il était assez hasardeux de reprendre un sujet qui semblait épuisé et de ranimer l’intérêt après l’avoir excité au plus haut degré. Wereldvrede offre, sans doute, des pages superbes d’élan et des situations tragiques : lorsqu’Othomar, par exemple, tient seul tête à l’émeute, tandis que les forcenés mettent tout à feu et à sang autour de lui. Mais ces beautés de premier ordre ne parviennent pas à racheter le tout ; et l’impression finale, c’est que Couperus aurait mieux fait d’en rester à sa première conclusion.
Quant à la nôtre, la voici ; car il est temps de terminer. Puisse cette étude, bien superficielle et sans prétention, attirer l'attention des critiques et des traducteurs sur les productions littéraires des Pays-Bas. Puissent les œuvres saines et robustes de ce petit peuple trouver, chez nous, des interprètes dignes d’elles et des plumes plus autorisées que la nôtre. Nous serons alors doublement heureux d’avoir entrepris le travail qu’on vient de lire.
Jules Béraneck, « Un romancier hollandais contemporain : Louis Couperus », Bibliothèque universelle et Revue de Genève, 1895, 100, t. LXVIII, pp. 543-574.
Après des études à l'Université de Lausanne et celle de Leipzig où il obtint le grade de docteur en philosophie, Jules-Adrien Béraneck (Lausanne, 28 septembre 1864 - Lausanne, 15 octobre 1941) suivit une carrière d'enseignant à Morges (canton de Vaud), qu'il termina en 1925 comme directeur du collège de cette localité. Mélomane et féru d'histoire, il a collaboré à divers périodiques dont la Revue Universelle. Protestant, il a été incinéré. Le faire-part de décès mentionne que, suivant le désir du défunt, sa famille ne portera pas le deuil.
Certains, comme R. Candiani, ont eu l’occasion de lire le roman dans sa version anglaise parue en 1894. Ainsi ce dernier peut-il écrire quelques mois avant la prépublication du roman dans La Revue hebdomadaire au printemps 1898 :
« … il faut constater la remarquable inaptitude que les écrivains de ce qu’on appelle la Jeune-Néerlande manifestent pour les réalisations d’ensemble. Ils sont bien de la même race que ces peintres d’intérieurs, admirables dans l’interprétation d’un coin d’estaminet, de cuisine ou d’échoppe, et qui échouaient piteusement dès qu’ils voulaient embrasser d’avantage. À part peut-être Couperus, aucun d’eux ne s’élève au-dessus de l’analyse minutieuse de son immédiate ambiance, animée ou non, ou des cas particuliers de son intimité psychique. Il n’y a que le ton qui diffère. (…) Une énumération de noms et d’œuvres, c’est vraiment tout ce que l’on peut tenter pour la littérature néerlandaise contemporaine ; quatre auteurs cependant doivent être mis hors de pair, à savoir, MM. Van Deyssel, Marcellus Emants, Albert Verwey, et Louis Couperus. Remarquons, en passant, que l’étrange habitude de latiniser les prénoms et patronymes est loin de se perdre dans les Pays-Bas. (…) M. Louis Couperus enfin, dans ses poésies, les Orchidées, et dans ses romans, Majesté, l’Extase et Fatalité, montre des qualités peu communes. La pénétration de son analyse psychologique ne dégénère jamais en subtilité, ni l’élégance et la précision de son style en préciosité. Déjà on ne trouve chez lui que de rares traces d’influence étrangère. La Néerlande a peut-être trouvé en lui le rénovateur dont elle a tant besoin. »
R. Candiani, « Le Mouvement Littéraire dans les Pays-Bas », Cosmopolis. Revue internationale, n° 23, novembre 1897, p. 494. (Il s’agit là de l’ultime paragraphe d’une présentation d’une quinzaine de pages sur les lettres néerlandaises qui s’ouvre sur Bilderdijk)
De brefs commentaires annoncent enfin la prépublication : « La revue [il s’agit de la Revue Hebdomadaire] commence de publier la traduction de Majesté, un des chefs-d’œuvre de Louis Couperus, le romancier hollandais bien connu. »
« Bulletin littéraire », Cosmopolis. Revue internationale, n° 29, mai 1898, p. 503. (Cette revue de qualité présentait des articles en anglais, allemand et français. Couperus est un auteur « bien connu » alors que bien peu de choses ont été publiées jusque-là en français. Cette renommée « prématurée » peut en partie s’expliquer par l’influence d’Edmund Gosse, collaborateur de Cosmopolis et introducteur du romancier en Angleterre quelques années plus tôt.)
Revue hebdomadaire, juillet 1898
Une prépublication préparée par certains : M. L. Van Keymeulen étudie : Un romancier hollandais, M. Louis Couperus. C’est probablement la figure la plus considérable du roman hollandais moderne. Malgré un cosmopolitisme marqué, son œuvre garde une couleur locale réelle : il a sa popularité à l’étranger comme parmi ses compatriotes.
« Bulletin littéraire », Cosmopolis. Revue internationale, n° 27, mars 1898, p. 808. (à propos du sommaire de la Revue Encyclopédique, 29 janvier 1898).
Enfin, le roman paraît, le roman est en vente. Et l'enthousiasme semble de mise : Voilà un livre qui éveille en l’esprit une foule d’idées, tant générales que particulières, et qui mériterait une étude consciencieuse à lui tout seul. Depuis Les Rois en exil, de Daudet, on n’a rien publié d’aussi fort en ce genre (ce n’est pas peu dire, on en conviendra) – M. Couperus se révèle à nous historien, au sens supérieur de ce mot, dans ce bel ouvrage frémissant de vie qui a nom Majesté et qui mérite de passionner notre public intelligent, de plus en plus épris de ces peintures de la vie réelle où les choses apparaissent comme elles sont vraiment, sans cette fâcheuse mise au point qui d’ordinaire, sous couleur d’art, les dénature et les transforme. M. Louis Couperus est de l’École naturiste. Il se contente de voir et ne nous fait voir que ce qui est. On ne peut qu’admirer cette sûreté de coup d’œil, cette science du détail, cette psychologie informée, pénétrante, infaillible, qui tient de la divination – nous ne trouvons pas de terme plus exact et qui rende mieux notre pensée. Quel intérêt puissant se dégage de cette visite chez les Rois, à la vie intérieure desquels nous sommes, les uns et les autres, aussi peu initiés que possible ! Et, cependant, quelques-uns d’entre ces rois tiennent, en somme, entre leurs mains nos fragiles destinées. Il dépend d’eux, toujours, de déchaîner la guerre ou d’affermir la paix. En dépit des affirmations contraires d’idéologues, de publicistes superficiels, leur pouvoir n’a pas cessé d’être immense et ils peuvent encore beaucoup pour le bonheur ou le malheur de la pauvre humanité ! Voilà pour quelles raisons nous sommes bien aises de pouvoir un peu mieux connaître leurs âmes, en vérité si mal connues ; voilà pour quels motifs il ne nous est pas du tout indifférent de savoir ce qu’il y a tout au fond de ces cerveaux de potentats. Et puis, d’ailleurs, ce sont des hommes. Ils aiment et souffrent comme nous. Comme nous, plus que nous, enfin, ils ont le souci de l’intérêt général. Dès l’âge le plus tendre, on les élève pour le bien futur de la communauté dont l’instinct primordial de la conservation leur fera vite une rigoureuse nécessité. Par la force des choses, ils sont tenus à ne négliger aucuns de leurs nombreux devoirs. De la splendeur fascinante de leur position, ils ne connaissent guère que les charges, que les soucis, que les âpres dégoûts. En revanche, combien peu de joies ! Aussi comprenons-nous la mélancolie intense, douloureuse, incurable de ce prince Othomar de Liparie que la perspective d’un trône épouvante et qui voudrait écarter de ses lèvres le calice amer. La scène, capitale, entre l’Empereur, son père, et lui l’héritier découragé, maladif, d’un puissant Empire, est, sans contredit, une des plus émouvantes, des plus belles et des plus vraies qu’on ait encore écrites. Rien qui saisisse d’autre part, comme la consultation médicale ordonnée par Oscar au sujet de sou fils – comme l’entrevue mouvementée du Prince héritier et du célèbre théoricien révolutionnaire Zanti – comme la mort du petit prince Bérenger. Et ces admirables tableaux d’intimité familiale entre l'Impératrice et son fils aîné ; ces fiançailles lugubres, désolées, d'Othomar avec l’archiduchesse Valérie !... Il faudrait citer presque tous les épisodes de ce livre, offrant l’image de la réalité elle-même. Les intimes tragédies, dont la plupart des grandes cours d’Europe furent assez récemment le théâtre, nous reviennent – alors – à la pensée et ce souvenir donne aux récits de M. Couperus une valeur nouvelle, un plus vif accent de vérité documentaire.
Qu’on le veuille ou non, il faut bien songer, au cours de cette lecture, à la force tutélaire du principe monarchique grâce auquel la presque totalité des peuples de ce vieux continent, guidés toujours par des pilotes appartenant à la même race, ne voguent pas à l’aventure, n’ont pas à craindre les surprises de l’inconnu. Ce mariage, ce contrat solennel renouvelé à chaque changement de personne entre une maison régnante et un pays finit, à la longue par faire du souverain comme l’image vivante de ce peuple qu’il gouverne. Pétri, pour ainsi dire, de la chair et du sang de tous ses sujets, on ne peut le séparer d’eux et on chercherait vainement à les séparer de lui. Arbitre indiscuté des partis, suprême conseiller, responsable devant son peuple, seul il a le pouvoir d’assurer le bon ordre, de garantir l’équité et de mettre chaque chose à sa place. Un pareil système, en outre, a pour avantage médiat d’assurer cette permanence de desseins, ce patient esprit de suite sans lesquels rien de durable et d’avantageux ne peut être accompli.
Voilà quelques-unes des idées générales que parvient à susciter en l’esprit le livre de M. Couperus – livre dont l’exceptionnelle valeur ne tardera pas (nous l’espérons du moins) à être franchement reconnue chez nous.
L. Giraudon-Ginesté, « Bibliographie », La Nouvelle Revue, mars-avril 1899, pp. 378-380.
Journal Amusant, 12/11/1898 & Journal de Genève, 8/11/1898
Laissons pour finir la parole à Maurice Spronck en reprenant quelques passages de sa présentation de l'oeuvre. L'un des intérêt de ce texte réside dans le fait que l'homme de lettres français s'est déplacé à La Haye pour s'entretenir avec Louis Couperus. En lisant ces lignes, on ne peut s’empêcher de songer avec un sourire au contraste qu’offre Majesteit avec le roman presque contemporain de M. Spronck : L'an 330 de la République. XXIIe siècle de l'ère chrétienne (1894), une fable politique d’anticipation qui paraît avoir été écrite avec de gros sabots.
« Au commencement de 1896, je me trouvais en Hollande. Un ami, Français établi à Rotterdam, me donna à lire la traduction encore manuscrite d’un roman dont ont faisait grand bruit dans le public lettré néerlandais, qui avait été déjà publié avec succès en anglais et en allemand, et qui s’intitulait Majesté. De son auteur, Louis Couperus, je savais vaguement le nom par M. Théodor de Wyzéwa et par un article de la Bibliothèque universelle de Lausanne, en date de 1895. Quant aux écrits mêmes de M. Louis Couperus, je les ignorais profondément, et j’admettais de confiance qu’ils fussent des chefs-d’œuvre admirables, exotiques et inconnus en France, quoique dignes d’un meilleur sort. La lecture de Majesté, commencée sans la moindre prévention particulièrement favorable, me frappa donc d’autant plus que je ne m’attendais pas à une révélation de ce genre. Ce n’était point l’éternel roman, drame ou poème étranger, découvert par un traducteur ou un critique ingénieux, et dont toute la valeur est faite de quelques détails pittoresques, de quelques nouveaux traits de mœurs ou de caractère, qui amusent les blasés de la littérature et qui charment les abstracteurs de quintessence esthétique. C’était un récit très simple, presque sec, sans aucune surcharge descriptive, – sauf peut-être dans les premiers chapitres, – et d’une conception philosophique et morale extraordinairement forte. Le redoutable problème du gouvernement des sociétés modernes avait été posé là par l’auteur ; il en avait discuté les solutions contradictoires, et, de l’angoisse de ceux à qui incombe le lourd devoir héréditaire de conduire les peuples, il avait fait une tragédie poignante et puissante, une tragédie avec chœur à la manière antique, et dont le chœur était l’humanité elle-même. En allant à La Haye, je rendis visite à M. Louis Couperus ; il me reçut une soirée chez lui, dans une de ces maisons hollandaises où la vie semble plus close que dans nos habitations de France ; la physionomie, du reste, le regard, les gestes, l’allure générale, tout décèle en ce jeune homme une existence plutôt intérieure et méditative, une âme plus disposée à se replier en soi qu’à s’épancher au dehors, un tempérament d’observateur flegmatique et de penser concentré, avec une nuance de sensibilité voilée presque maladive. Le front, haut et large, est encore agrandi par une calvitie précoce ; la parole semble un peu hésitante, soit habitude de la réflexion solitaire, soit aussi parce qu’il s’exprime en français, purement, mais comme dans une langue dont il ne possède pas l’usage familier. Je ne sais d’ailleurs si son esprit et son talent ont été plus ou moins influencés par les littératures anglaises ou allemande ; la nôtre, en tout cas, ne paraît pas l’avoir profondément pénétré ; il en parle d’une manière assez superficielle ; son enthousiasme pour les qualités réalistes de M. Émile Zola ressemble un peu à un enthousiasme de commande ; l’éloge, très vif et très vague, qu’il fait de l’auteur de l’Assommoir me donnerait même à supposer qu’il l’admire surtout par un sentiment de courtoisie internationale. Il lui est arrivé parfois cependant, à lui aussi, d’être inculpé de réalisme, et on l’a vu, de ce chef, vertement relevé, au nom de la morale, par la critique protestante orthodoxe. (…) ; son réalisme n’a pas le moindre rapport avec le pessimisme volontairement grossier et brutalement agressif de M. Émile Zola et de ses disciples ; au fond, il n’est pas même réaliste, dans le sens où nous avons coutume d’entendre le mot, et, lorsqu’il affirme n’appartenir à aucune école, on peut, par le plus rapide examen de ses œuvres, vérifier que son affirmation est parfaitement exacte. (…) Sept romans de lui et un recueil de nouvelles ont déjà paru en moins de dix ans. De ces divers romans, le plus célèbre, et le plus justement célèbre, c’est Majesté ; c’est à lui – malgré la valeur des deux œuvres qui lui font suite : la Paix universelle et Primo Cartello – que l’auteur doit sa réputation, et c’est lui qui mérite avant tous les autres de n’être pas inconnu en France. (…) M. Louis Couperus avait longuement mûri son sujet avant d’en esquisser une seule ligne ; s’il le rédigea rapidement, en trois mois, presque sans correction, au lendemain de la mort de sa mère, il y avait songé durant plus de trois années. Un hasard lui en fournit l’idée première. Il feuilletait un jour une collection du Graphic ; il fut frappé par un portrait du tzar actuel, alors tzarewitch, au moment de son voyage dans l’Extrême-Orient ; le prince était représenté la tête penchée en avant, les yeux levés pour regarder au loin et comme perdus vers l’horizon, avec une expression intense de lourde mélancolie et de rêverie profonde. Tandis qu’il contemplait cette image banale d’une revue illustrée, tout un monde de pensées obscures envahissait le cerveau de l’écrivain ; le drame de ceux en qui réside la souveraineté, dans cette heure trouble de l’histoire qu’aujourd’hui nous traversons, s’évoqua de lui-même devant son esprit, et, comme d’autres avaient fait et refait déjà mille fois le roman de l’Ambitieux, de l’Amant ou du Jaloux, il médita d’écrire le roman du Roi. (…) Par une coïncidence curieuse, – puisque certainement aucun des deux auteurs ne s’est inspiré de l’autre, – presque au moment où M. Louis Couperus publiait Majesté, un écrivain français, M. Jules Lemaître, dans son roman des Rois, traitait le même sujet, avec une affabulation à peu près semblable, pour aboutir à des conclusions pareilles. »
Un grand merci à Ronald Breugelmans pour la photo de la couverture et de la page de titre de Majesté.
La dernière photo représente la jaquette de l'édition néerlandaise du roman Majesté, vol. 7 (1991) des Œuvres complètes.