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conte

  • i’ m’a foutu son pied au cul

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    UN CONTE D’ALEXANDRE COHEN

     

     

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    Le 31 décembre 1926 et les 1er, 2, 3 et 4 janvier 1927, le quotidien L’Avenir publie trois « contes » écrits en français par Alexandre Cohen. Le premier paraît en plusieurs livraisons : « Cricri, petite paysanne », dédié au vieil ami Félix Fénéon (photos + portrait par Signac ci-dessous) ; le deuxième, intitulé « Jojo, petit franco-boche », l’est à une certaine Marie Godefroy dont on ne sait pour le reste rien ; le dernier, enfin, « Roudoudou, petit citadin », que nous reproduisons, vient remercier Léon Treich (1889-1974), journaliste et écrivain, rédacteur en chef à l’époque du journal dirigé par Émile Buré, ce même Léon Treich qui, le 31 décembre 1926, publie un petit papier pour présenter l’auteur de ces courtes proses (voir ci-dessous).

    Émile Buré

    conte,alexandre cohen,léon treich,roudoudouDans ces trois textes, on retrouve quelques caractéristiques de l’esprit de Cohen : une prédilection pour le parler populaire et l’argot, un amour bien peu marqué pour l’Allemagne, une tendresse réelle pour les enfants – d’autant plus grande que le couple Sandro-Kaya n’a pu en avoir. À l’époque où ces « anecdotes » paraissent, le publiciste et sa femme vivent à Marly-le-Roi. Cohen prépare alors son recueil d’articles Uitingen van een reactionnair (1896-1926) (Manifeste d’un réactionnaire) qui verra le jour en 1929.

    Le 19 mai 1928, Alexandre Cohen publiera dans L’Avenir un bref article : « Raden Mas Yodyana. Mime et danseur javanais ». Il ne semble pas avoir donné d’autres contributions à ce périodique.

     

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    Alexandre Cohen – dont l’Avenir commence aujourd’hui la publication de trois charmantes nouvelles : Trois Enfants – est né aux environs de 1864 dans les Pays-Bas. Il était venu à nous depuis de longues années, quand il se fit naturaliser – formalité ! – en 1907. Tour à tour rédacteur de politique étrangère (avec André Tardieu) au Figaro, au Temps (sous le règne d’Adrien Hébrard), chargé de la rubrique néerlandaise au Mercure de France, enfin correspondant du Telegraaf d’Amsterdam, Alexandre Cohen est un journaliste de la vieille roche – celle que rien n’effrite. De 1906 à 1922, il a réussi à réunir au Telegraaf, tout d’abord fortement teinté de germanophilie, l’important noyau de lecteurs francophiles qui, en 1914, décidèrent le grand journal à se ranger aux côtés des Alliés et à entreprendre les belles campagnes que l’on n’a pas oubliées. Il ne quitta le Telegraaf qu’en 1922, à un moment où les influences trop spécialement lloyd-georgienne et wilsonienne ne lui permirent plus de défendre avec assez de liberté les thèses françaises.

    En 1900, Alexandre Cohen a publié des Pages choisies de Multatuli, qui parurent au Mercure de France, préfacées par Anatole France. C’est grâce à cet excellent volume que Multatuli n’est pas incomplètement inconnu chez nous.

    conte,alexandre cohen,léon treich,roudoudouAjoutons qu’Alexandre Cohen fut, au temps de sa jeunesse, anarchiste déterminé et qu’il connut alors des années assez mouvementées. Une anecdote : anarchiste donc, il avait maintes fois pris fort vivement à partie le docteur Kuyper, président du Conseil des ministres de Hollande, et ultra conservateur. Il n’hésita pas cependant, lors de la guerre du Transvaal, à aller demander à M. Kuyper une lettre d’introduction auprès des généraux boers, qu’il désirait aller interviewer (car Alexandre Cohen a beaucoup voyagé). Le président du Conseil n’hésita pas d’avantage à donner à son farouche ennemi une de ses cartes de visite, avec ces mots : « Journaliste de bonne foi absolue ».

    - Jamais, nous a confié Alexandre Cohen, jamais éloge ne me fit plus de plaisir.

    D’une bonne foi absolue : Cohen ne croit plus à l’anarchie ; il est aujourd’hui passé de l’autre côté de la barricade ; mais il est resté derrière une barricade ; il n’a pas chaussé ses pantoufles, il ne s’est pas retiré au coin de son feu. Il appartient toujours à une organisation de combat et est resté prêt à se battre pour son idéal. Un homme dangereux, comme vous voyez, mais un homme de cœur. Et, après tout, peut-être, en 1926, est-ce la même chose !

    Léon TREICH, « Courrier des lettres »,

    L’Avenir, 31 décembre 1926, p. 2.

     

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    ROUDOUDOU, PETIT CITADIN

     

    Pour Léon Treich.

     

     

    Il a six ans, Édouard, et il mesure soixante-dix centimètres de la plante des pieds aux extrémités piquantes de ses cheveux jaunes, qui, effleurant le bord de ma table, figurent une brosse où je suis tenté d’essuyer ma plume.

    Ses camardes le désignent par le sobriquet de Bamboula… « parce que je suis le plus p’tit de l’impasse, élucide Édouard, acquiesçant. Et si moi – dans l’intimité – je l’appelle Roudoudou, c’est à cause de sa passion pour la friandise do ce nom : substance sucrée et gluante, qui se débite en disques minces, cerclés d’un copeau.

    Au premier sou que je lui donnai, il me fit part de ses projets d’acquisition :

    - J’va acheter un roudoudou !

    - Un quoi ?

    - Un roudoudou.

    - Qu’est-ce que c’est ?

    - Ben ! cè un roudoudou.

    - Ça se mange ?

    - Non, ça s’ suce !

    Roudoudou est un enfant négligé, futé et précoce comme le sont beaucoup d’enfants négligés. Son père lui donne des gifles… « parce que je tousse tout l’temps et ça agace papa ». Et sa mère, qui l’habille mal et jamais ne le débarbouille, l’envoie jouer dans la rue dont les distractions ne l’attirent pas. Car les grands gamins le battent, comme de juste, puisqu’il est souffreteux. Et quant aux petites filles… « Faut tout l’temps que je leur y mont’ mon derrière. (Je gaze.) Ça m’dégoûte et ça m’ fatigue ! » me confie-t-il d’un ton immensément blasé.

    Léon Treich

    conte,alexandre cohen,léon treich,roudoudouComme, le plus souvent, il rode dans l’impasse, sous mes fenêtres, il m’arrive de le charger de quelque commission : chez le laitier, le boulanger, la marchande de journaux. Et les sous, gros ou petits, que lui vaut sa complaisance, sont invariablement convertis en roudoudous, jaunes, rouges ou verts, que l’enfant suce avec gravité après m’en avoir offert l’étrenne.

    Roudoudou ne rit jamais et il ignore le sourire. De la vie, il ne connaît que l’amertume qui a durci le regard de ses yeux incolores, et creusé, profonds, les contours sceptiques de sa bouche, de sa bouche d’enfant qui parle le langage rugueux du peuple.

    Il me fait part de ses petites joies et de ses gros chagrins. Mais les tristesses dominent, submergeant les félicités.

    Il me dit :

    - Hier soir, papa il était en rogne…

    Il s’arrête, suivant son habitude, et attend que je le questionne.

    - Ah ? Et pourquoi donc ?

    - Comme ça !... On mangeait la soupe. Alors ma p’tite sœur elle s’a mise à pleurer. Alors papa il a dit à maman : « Mais fous-la donc à l’égout, c’te vermine ! » Alors moi j’y ai dit : « C’était pas la peine alors d’l’acheter, pour foute ta galette par la f’nête !... » Alors papa i’ s’est l’vé et i’ m’a foutu une baffe. "

    - Et ta maman, qu’est-ce qu’elle a dit ?

    - Maman ? Elle a dit : « Faut qu’i s’mêle d’tout, c’merdeux-là ! » Et pi’, elle m’a foutu une au’ gife… Mais vous savez pas c’que j’ai fait ?

    - Non ! Qu’est-ce que tu as fait ?

    - J’ai ben r’gardé maman et pis j’y ai dit : « Sale gueule ! » Et pis…

    - Et puis…

    Et pis j’m’ai trotté.

    Je lui demande :

    - On te bat souvent, chez toi ?

    - Tout l’temps ! Mais j’m’en fous !... Et vous savez pas ? J’pleure jamais. Ça les fait râler.

    - Voyons, mon petit Roudoudou, ils ne sont jamais gentils avec toi, tes parents ? Jamais, jamais ?

    - Peuh ! pas souvent. Puis, après une seconde de réflexion : Dimanche matin, j’ai mangé du chocolat dans le lit à maman.

    - Tu vois bien qu’elle n’est pas jours méchante avec toi, ta maman. Pour le coup, tu l’as embrassée au moins, la remercier…

    - Embrasser maman ? Vous m’avez pas r’gardé !

    - Pourtant, si elle t’achète du chocolat…

    - Elle l’achète pas ! C’est papa qui l’barbote à l’usine.

    - Dis-moi ! Roudoudou, tu es peut-être méchant à la maison, que tes parents ne t’aiment pas. Pourquoi, sans cela, te battraient-ils ?

    - J’sais pas ! Papa il dit que je l’dégoûte. I’ veut seulement pas que j’mange à table.

    - Pourquoi donc ?

    - Parce que j’tousse tout l’temps, qu’il dit… Si j’ suis pas couché quand c’est qui rentre, i’ s’engueule avec maman. Mais ça, c’est rigolo, alors.

    - Comment ! tu trouves cela rigolo ?

    conte,alexandre cohen,léon treich,roudoudou- Pour sûr !... Samedi, papa il est rentré à six heures. J’mangeais ma soupe. Alors il a dit comme ça à maman : « Pourquoi qu’il est pas couché ? » Alors maman elle a dit : « Mais il est pas six heures ! » Alors papa i’a dit : « J’ m’en fous ! Qu’ça soye c’q’ça veut, qu’ça soye six heures ou quatre heures, j’veux pas l’voir, que j’te dis, i’ m’dégoûte !... Couche-le, qu’j’te dis, et p’us vite que ça ! » Alors maman y a dit : « Tu m’emmerdes à la fin avec c’t avorton ! Couche-le toi-même ! » Pi’ i’s’ sont engueulés et pi’ papa il a foutu un pain d’sus la gueule à maman et maman elle a j’té le lite à la tète à papa. Et pis…

    - Eh bien ! et puis ?

    - Et pis papa i’ m’a foutu son pied au cul.

     

    ***

     

    Une seule fois, une seule, j’ai vu l’enthousiasme animer le regard ordinairement éteint de Roudoudou.

    Sur la rampe qui longe l’impasse, un lourd fardier, chargé d’un cube de granit, avançait péniblement, en zigzag. Et sous l’effort, stimulé par des « hue ! », des « dia ! » et des claquements de fouet, l’un des chevaux émit une longue et retentissante pétarade.

    Roudoudou est là. Comme, justement, je sors, il se précipite, me saisit la main, et, transporté, s’exclame :

    - Vous avez entendu, monsieur ?

    - Quoi donc, mon petit ?

    - Mais le pet, donc ! Quel pet ! Mince de pet ! Vache de pet !

    Puis, m’abandonnant, il s’en retourne à son poste d’écoute, et s’adressant, par-dessus le talus, au percheron, objet de son extase, il lui crie : « Ah ! ben, mon vieux, tu sai’ y faire ! ».

     

    ***

     A. Cohen, 1906

    conte,alexandre cohen,léon treich,roudoudouL’enfant, ce jour-là, est venu me rendre visite à une heure indûment matinale.

    Il avait l’air important d’un ressasser de nouvelles graves.

    - Vous savez pas, monsieur, ma p’tite sœur ? Eh ben ! elle est morte !

    - Elle est morte ? Pauvre petite sœur ! Et tu as de la peine, n’est-ce pas ? mon petit Roudoudou

    - D’la peine ? Moi ? J’m’en fou’ un peu !... C’est bien fait pour maman ! J’pouvais seulement pas l’embrasser. Maman voulait pas !... J’ai pas pleuré, aussi ! Maman elle a pleuré, et ma sœur Henriette. Mais papa il a pas pleuré. Et moi non plus… Les hommes, ça pleure pas !

    Puis il entame un autre sujet, l’invariable sujet de ses préoccupations :

    - Quand i’ m’battent, j’dis rien. I’ sont trop forts ! Mais j’les r’garde bien et pis j’m’assis dans mon p’tit coin, et pis j’m’parle à moi, tout seul. Alors j’dis : « Cochons ! Salauds ! Sales gueules. » I’ entendent pas c’qu’j’dis, monsieur, mais i’ crient : « Quoi c’est qu’il â encore à râler dans son coin, c’ui-là ? » Mais, monsieur, qu’est-ce que ça peut bien leurs foute à eusses, que j’m’parle à moi tout seul ?

    Je n’ai pas le loisir de formuler un avis. Car une voix rogue retentit sous ma fenêtre :

    - Édouard ! Où es-tu ? Veux-tu venir ici ! Tout d’suite !

    L’enfant tressaute. Mais sa mince figure est impassible quand il dit :

    - C’est papa ! Faut rentrer… Au r’voir monsieur !

    - Au revoir, mon petit l À demain !

    Épilogue

    Roudoudou est mort à huit ans.

    Que vouliez-vous qu’il fît contre tous ?

     

     

    Kaya Cohen-Batut, 1957 (photo : Chr. Kuijper)

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  • Le Hollandais membru

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    CHARLES PERRAULT

    & L'HUMANISTE BATAVE

     

     

    PerraulPortrait.pngDans Parallèle des Anciens et des Modernes en ce qui regarde les Arts et les Sciences (1688), Charles Perrault met en scène quelques personnages – le Président, le Chevalier, l’Abbé –  qui disputent des mérites respectifs des auteurs antiques et des auteurs chrétiens. Cette querelle, qui remonte aux débuts de l’ère chrétienne, pose la question de l’héritage païen ; elle permet aussi au père du Chaperon rouge de s’opposer à Racine ou encore à Boileau. Dans le troisième dialogue, nos protagonistes abordent, non sans touches burlesques, les « Arts purement spirituels, comme l’Éloquence et le Poésie ».

    Une bonne connaissance du grec et du latin leur semble à tous trois indispensable pour réfléchir sur ces sujets. Ils poussent leur raisonnement plus loin, abordant au passage le problème de la traduction : « Est-ce connaître les Auteurs que de ne les connaître par des traductions ? chaque langue n’a-t-elle pas ses grâces et ses élégances particulières qui ne peuvent passer dans une autre, surtout en Éloquence et en Poésie ? » avance le Président, défenseur des Anciens. Opinion que vient corroborer, mais en partie seulement, le partisan des Modernes, l’Abbé : « J’avoue qu’on a peine à bien juger d’un Poète Grec ou Latin sur une Traduction en Vers Français […], mais quand la Traduction est en Prose, et qu’elle a été faite par un habile homme, je soutiens qu’on y voit aussi bien les sentiments et les pensées de l’Auteur que dans ses propres paroles ». L’Abbé va jusqu’à soutenir qu’il est parfois préférable de lire une excellente traduction que le texte original dont certains points obscurs peuvent nous échapper.

    Les trois hommes en viennent à parler de l’impossibilité de posséder une langue étrangère dans toutes ses finesses. C’est alors qu’il est question d’un Hollandais « persuadé de savoir notre langue alors qu’il n’en a qu’une connaissance livresque* ».

     

     

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    Le Chevalier

    […] Je lisais dernièrement un Madrigal composé par un Hollandais à la louange de Louis du Gardit Médecin Flamand, qui a fait un Livre pour prouver que l'âme raisonnable ne s’unit point au corps qu’il ne soit organisé. Voici le Madrigal.

     

    Louis du Gardit

    At un bon esprit

    Et raison sortable

    Quand par un soin dru

    Fourre en corps membru

    L’âme raisonnable.

     

    Le Président

    Ce Madrigal est ridicule.

     

    Le Chevalier

    Il l’est assurément. Vous auriez cependant de la peine à convaincre l’Auteur que son Madrigal n’est pas Français.

     

    Le Président

    Vous vous moquez.

     

    Le Chevalier

    Je ne me moque point, il vous soutiendra que at un bon esprit, est aussi bon que a-t-il de l’esprit, a-t-elle du bien, a-t-on dîné, et qu’il n’y a pas moins de raison à mettre un t, entre a et un, qu’entre a et il, et qu’entre a et elle, puisque c’est la même

    cacophonie qu’il faut également éviter, et que comme on conjugue je bats, tu bats, il bat, on peut conjuguer de même, j’ai, tu as, il at. Il ajoutera encore qu’on parle ainsi dans le Lyonnais, dans la basse Bretagne et en plusieurs autres Provinces du Royaume. Il soutiendra ensuite que si l’on dit fort bien un parti sortable pour signifier un parti convenable, on peut dire une raison sortable, pour dire une raison convenable, une raison qui convient au sujet dont il s’agit. À l’égard de soin dru il prétendra que l’Épithète de dru étant une métaphore prise des oiseaux, elle fait un sens figuré plus noble et plus poétique que les Épithètes d’assidu ou d’empressé dont il se serait servi, s’il avait écrit en prose.

     

    Le Président

    Voilà qui va le mieux du monde, mais comment défendrez-vous, fourre en corps membru ?

     

    Le Chevalier

    Je le défendrai fort bien. Il s’agit de dire que l’âme raisonnable non seulement entre dans le corps humain pour s’y unir, mais qu’elle s’introduit et s’insinue jusque dans

    les plus petites extrémités de toutes les parties, ce que le mot de fourre exprime parfaitement. Pour corps membru, il y a un peu plus de difficulté à le soutenir, parce que membru ne signifie pas simplement qui a des membres, mais qui a de forts membres, bien gros, et bien nourris ; mais cet Étranger qui sait que vêtu veut dire simplement qui a des vêtements, pelu qui a du poil, cornu qui a des cornes, branchu qui a des branches, n’a-t-il pas raison de croire que membru signifie simplement qui a des membres ? Quand on n’est conduit dans l’étude des Langues que par l’Analogie, par la Grammaire, et par les Livres, il est impossible qu’on ne tombe pas en une infinité de fautes semblables et plus grossières.

     

    Le Président

    S’il est vrai, comme vous le prétendez, que ni vous ni moi ne sachions que fort imparfaitement la Langue Grecque et la Langue Latine, nous avons tort de vouloir juger de la différence qu’il peut y avoir entre l’Éloquence des Anciens et celle des Modernes.

     

    L’Abbé

    Cela ne conclut pas, car bien loin que je dise que pour juger de l’Éloquence d’un Auteur il faille parfaitement savoir toutes les délicatesses de la Langue où il a écrit, et bien loin que le raisonnement que nous venons de faire tende à nous interdire la

    connaissance de la question que nous traitons, il va au contraire à y appeler une infinité de gens d’esprit que l’on veut en exclure, parce qu’ils n’entendent pas le Grec et le Latin, ou qu’ils ne les entendent pas parfaitement, ce qui est une injustice, car encore une fois il ne s’agit pas de décider de l’Élégance du style des Auteurs dont ils ne diront rien, mais de leur bon sens et de leur éloquence, dont ils peuvent juger aussi bien et aussi sainement que Turnèbe et Casaubon**.

     

     

    charles perrault,hollande,conte,littérature,latin,grec,traduction,françaisCe conte de Perrault n’a cessé de se réécrire depuis puisqu’il existe toujours des auteurs d’expression néerlandaise qui tentent d'écrire en langue française, voire de traduire leurs œuvres dans la langue de Perrault. 

    * Charles Perrault, Contes, textes établis et présentés par Marc Sorian, Paris, GF-Flammarion, n° 666, 1991, p. 19. Nous reprenons à cette édition le titre « Le Hollandais membru ». La brève citation sur le Hollandais est empruntée à son introduction (p. 19).

    ** Adrien Turnèbe (1512-1565) et Isaac Casaubon (1559-1614)  étaient de grands latinistes et hellénistes.