Verlaine par le poète J.C. Bloem
Baudelaire,
maître en poésie puis en scepticisme
La biographie du poète par Bart Slijper :
Van alle dingen los. Het leven van J.C. Bloem, De Arbeiderspers, 2007
Bien qu’il ait laissé une œuvre peu nombreuse (l’édition la plus récente des poèmes compte 272 pages), Jakobus Cornelis Bloem (1887-1966) appartient aux classiques du XXe siècle néerlandais. Vers les années 1920, ce grand lecteur des poètes français du XIXe défendit un retour au vers classique dans la tradition française, « la forme pleine et vitale ». Il se réclamait alors de Baudelaire, privilégiant la dextérité et l’alexandrin. De nos jours comme de son vivant, il reste un poète lu et très apprécié. Certains de ses vers sont dans presque toutes les têtes néerlandaises : « De songer à la mort, je ne puis fermer l’œil » (Insomnia), « Domweg gelukkig, in de Dapperstraat » (« Tout bêtement heureux dans la rue O. Dapper »)… Son œuvre « est placée sous le signe d’une dichotomie : d’un côté l’irréalisable désir d’atteindre une réalité plus élevée qui conférerait un sens à l’existence, de l’autre les incontournables désillusions, le tædium vitæ. » ( Jaap Goedegebuure, Histoire de la Littérature néerlandaise, Paris, Fayard, 1999, p. 588). Dans ses Œuvres poétiques complètes figurent certaines traductions qu’il a pu faire de poètes d’expression anglaise. Il a d’ailleurs écrit sur la traduction, par exemple un texte intitulé : « L’art le plus difficile : traduire de la poésie ». Outre des essais et des critiques, il a laissé des aphorismes dans lesquels il exprime tout le scepticisme que lui inspire l’homme moderne dont « la qualité spécifique majeure, la seule peut-être qui le distingue de son prédécesseur, est la servilité ». Nous proposons ci-dessous une traduction de son poème Verlaine dont la version originale figure sur la façade postérieure d’un bâtiment de Leyde où le poète a vécu au début du XXe siècle.
© GFDL
VERLAINE
Ceux-là qui ont tout vu sont les moins éclairés,
De robustes benêts qui, sans qu’il leur en coûte,
Endossent des corsets aux lacets bien ferrés
Et rondissent le dos sous la première voûte.
Que réserve le sort aux asservis sans nom,
Aux derniers des soumis servant de bonne grâce ?
Un seul moule, coulé selon un seul canon,
Une bouchée rassise, une aigre gorgée grasse.
Le monde est maître en l’art des promesses en l’air,
Il n’y a plus offrant, il n’y a plus perfide ;
Lui dit-on : « Tope-là ! » – il fond comme l’éclair :
Vous voilà dépouillé et du plein et du vide.
Pourquoi dès lors aller le cœur crève-la-faim,
Sur le chemin qui mène au bout de ce voyage,
Plutôt que trépasser comme Verlaine, en fin
Soûlographe et seigneur de l’Impair, sale et Sage ?
traduction Daniel Cunin
« Verlaine », J.C. Bloem, Verzamelde gedichten,
Amsterdam, Athenaeum-Polak & Van Gennep.
images du poète et de ses amis en 1941 à Bergen
J.C. Bloem, son épouse Clara Eggink (1906-1991) et leur fils Wim
couverture du livre que Clara a consacré à son premier mari