Portraits de Jacob Maris, par Philippe Zilcken
On n’est idéal qu’à la condition d’être réel et on n’est vrai qu’à force de généraliser.
G. Flaubert
Jacob Maris, Le Moulin, Rijksmuseum
Peintre de l’École de La Haye, Jacob Maris meurt en août 1899 peu avant son soixante-deuxième anniversaire. Dès septembre, son ami Philippe Zilcken lui rend hommage dans l’Elsevier’s Geïllustreerd Maandschrift en évo-quant les (rares) portraits qui ont été faits du paysagiste. (On en connaît en réalité d’autres, par exemple celui peint par son frère Matthijs en 1857 et conservé au Rijks- museum.) Dans son livre Souvenirs (1900), Zilcken offre au lecteur français une version raccourcie de cet hommage qu'il dédie au critique d'art François Thiébault-Sisson. Nous la reproduisons ci-dessous en l’agrémentant des reproductions qui accompagnent le texte original. Il est à noter que, dans l’article hollandais, l’auteur évoque la ressemblance, tant physique que morale, qu’il a relevée entre le peintre et Théophile Gautier : de même que ce dernier, « Jacob Maris, par la puissance et la force sereines qu’il dégageait, présentait des traits de prince mérovingien ».
Philippe Zilcken a laissé d’autres pages, bien plus documentées, sur Jacob Maris, par exemple dans ses Peintres hollandais modernes (1893), dans Les Lettres et les Arts (1er juillet 1889, p. 25-44) et dans la Gazette des Beaux-Arts (1er février 1900, p. 147-155).
QUELQUES PORTRAITS DE JACOB MARIS
À M. Thiébault-Sisson
Jacob Maris photographié par P. Zilcken en 1897
Le 17 Août 1899, un bulletin spécial annonçait à La Haye, ce qui ne se fait que lors de graves évènements, la mort du peintre J. Maris.
En effet, J. Maris était un grand souverain en son art, et, plus complètement que bien des princes, il continuera à vivre par son œuvre superbe qui donne une vision si complète et synthétique du paysage hollandais.
Tout passe. – L’art robuste
Seul a l’éternité…
Quoique Maris ait souvent peint, dans sa jeunesse principalement, des sujets de figure, et plus tard quelquefois ses enfants, tout jeunes encore, avec une rare délicatesse de pénétration et une incomparable richesse de ton, ce grand artiste est plus complet encore comme paysagiste.
La Hollande, si riche et variée d’aspects, si belle par sa limpide atmosphère, par la fraîcheur savoureuse de ses verdures transparentes et pures, par ses eaux claires qui reflètent presque partout des ciels lumineux et changeants, la Hollande, avec ses vieilles cités et ses moulins colorés, tombant en ruine, – un des plus beaux pays du monde, a été aimée et comprise par Jacob Maris comme par aucun peintre avant lui.
À travers les siècles cet œuvre grandiose témoignera de son amour du sol natal et de sa vision supérieure.
Quand un grand homme est mort, il ne reste parfois de lui, à côté de son œuvre, que quelques portraits. De Maris, il en existe peu : quelques photographies, de bons dessins de Veth et de Haverman, et une pointe-sèche de P. de Josselin de Jong (*).
Peu donc, et c’est pourquoi j’ai cru utile, pour ceux qui n’ont pas connu personnellement ce peintre, de mentionner ces portraits d’après nature, qui, n’ayant pas la durée du bronze, disparaîtront bien vite.
Selon moi, le plus beau portrait est celui qu’on s’est créé soi-même, celui que l’on voit en fermant les yeux, évoquant l’aspect, le visage ou le regard de celui ou de celle qui n’est plus. Alors la matière s’efface, et ce qui est l’essentiel de la plupart des portraits, la ligne et la couleur, s’atténuent et l’âme seule survit…
Il y a quelques douze ans, Willem Maris le jeune fit une belle photographie de son père, assis dans son atelier.
On y retrouve en grande partie la délicatesse des formes qui caractérisaient le visage de J. Maris, quoique la tête soit prise en profil perdu.
La photogravure-Goupil a durement reproduit ce cliché dans la livraison de Juillet 1889 de la revue Les Lettres et les Arts.
Toutes les finesses du modelé et de l’expression subtile ont disparu dans cette reproduction.
Un photographe de La Haye, qui faisait poser devant son objectif presque tous les peintres de la Résidence, a fait, vers 1885, un portrait banal, correct, qui n’est pas exempt de l’expression d’ennui qui s’empare de tous ceux qui viennent d’entendre le tra- ditionnel « ne bougeons plus ».
Il y a une couple d’années j’avais moi-même été pho- tographier Maris chez lui, assis devant son chevalet, sur lequel était posé, faisant fond, une grande vue de Hollande, au ciel puissant et nuageux.
Et maintenant que le peintre est mort, maintenant que tout ce qui a rapport à lui devient infiniment précieux, le portrait dont je parle a de la valeur par son charme d’intimité, de spontanéité et de naturel.
Maris faisait toujours dire qu’il n’était pas chez lui, ayant horreur des gêneurs de toutes sortes, qui tâchaient de l’approcher, mais les rares élus qui avaient leurs petites entrées n’oublieront jamais son accueil cordial et simple, son fin sourire, sa spirituelle et pénétrante causerie, ne dépassant pas une légère ironie, et toujours pleine d’un rare bon sens, cette qualité qui lui était si propre et qui lui a fait si magistralement raisonner et équilibrer ses œuvres.
Les peintres Veth et Haverman ont fait d’après lui des dessins détaillés pour des revues illustrées hollandaises (De Kroniek et Woord en Beeld) et le peintre P. de Josselin de Jong, il y a une douzaine d’années, à ma demande, fit une très intéressante pointe-sèche d’après le maître, laquelle rend entre autres bien son caractère Olympien.
Jacob Maris par Pieter de Josselin de Jong
Car Jacob Maris, quoique de petite taille, évoquait quelque Zeus ou Jupiter inconnu par le calme puissant, la belle expression sereine de son visage, autour duquel de longues boucles flottaient sans la moindre pose, cette coiffure étant pour lui la seule manière de porter sa chevelure léonine.
Ce caractère classique m’avait frappé en Maris et j’ai été surpris de trouver la preuve de ce que je dis, grâce à un médaillon fait par le sculpteur Paul Dubois, durant le séjour de Maris à Paris, avant 1870, où son profil se dessine parallèlement à celui de sa femme.
Ici l’effigie du jeune artiste est du plus pur Grec, et semble dérobée à quelque frise Athénienne.
M. de Josselin de Jong avait fait quelques belles et franches eaux-fortes, mais jamais encore de « pointe-sèche ». Il employa ce moyen pour faire le portrait de Maris d’après un croquis sur nature. J’imprimai sa planche, et il alla retravailler ce premier état d’après son beau modèle. J’ai précieusement conservé cette rare épreuve qui est infiniment meilleure que celles de l’état de publication.
Il est à jamais regrettable que Jozef Israëls, qui a fait des portraits si supérieurs comme expression, d’un caractère hors ligne, d’un faire expressif et personnel extraordinaire, tels que celui du peintre Roelofs, n’ait pas immortalisé les traits de son ami Maris.
J’ai cru, en signalant ces portraits peu connus, rendre service aux admirateurs du maître, et contribuer à sauver ces portraits de l’oubli qui engloutit si rapidement tout ce qui n’est pas de tout premier ordre.
(*) Pieter de Josselin de Jong (1861-1906) était un autre peintre de la même génération que Philippe Zilcken.
Jacob Maris photographié par une de ses filles
Voir aussi sur les frères Maris l’étude de D. Croal Thomson (anglais et français) : ICI