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Deux publications récentes nous offrent de plonger dans les univers de la photographe belge Karin Borghouts : Paris Impasse et The House / Het Huis / La Maison. Le premier nous conduit au cœur de son sujet de prédilection : des lieux et environnements architecturaux où l’être humain est pour ainsi dire absent. Le second, dans une longue page intime à travers la maison où elle a grandi et que les flammes ont dévorée.
Les deux ouvrages ont paru à Gand dans une édition trilingue chez Snoeck, chacun accompagné d’un texte d’Eric Min :
« Éloge de l’impasse » et « Couleur deuil ».
Paris compte plus de 600 impasses – culs-de-sac, tel est le terme plus ancien toujours en vogue dans la bouche des Anglais – ce, sans compter les centaines de cités, villas et autres passages... La capitale française, circonscrite par le périphérique, reste la ville la plus densément peuplée d’Europe occidentale : plus de 20 000 habitants au km².
Paris Impasse offre à voir environ 230 de ces lieux, en déambulant du premier au vingtième arrondissement. Autant de photographies qui dévoilent des coins de Paris qui passent normalement inaperçus.
Paris Impasse, les Rencontres d'Arles, 2019
The House / Het Huis / La Maison
« En moins de rien, tous les objets impérissables auxquels on est attaché, les voici carbonisés, mangés par les flammes ou recouverts de suie. Rien ne demeure inaltéré. Avec un peu de chance, on parvient malgré tout à traverser des espaces qui ressemblent encore vaguement aux pièces où l’on a joué, à la chambre où l’on a dormi… » (Eric Min) Un incendie a détruit la maison parentale de la photographe Karin Borghouts. Malgré la tristesse, le chaos et l’impossibilité de revenir en arrière, l’artiste a fini par être fascinée par la beauté qui émerge de la destruction. De sa décision intuitive d’immortaliser alors l’intérieur carbonisé résulte une série d’images obsédantes et émouvantes.
« Everything in these photographs points to something that is not there: the museum space, the anonymous display cases, the improbably uniform and inviting light. Everything shown here usually serves as a background to an exhibition. But that which is usually exhibited, is conspicuous by its absence, literally. The effect of this is a transformation of photographical focus. The background is brought to the fore, and the shell becomes content and is given full attention, transforming into something elusive, something mysterious, something sublime! It is through this transformation of photographical focus that the photographer’s presence becomes imperceptibly manifest. It is she who decides on what to excise, how to frame and where to delineate. In doing so, she resembles the archaeologist who excavates and reveals different layers of reality – showing, as it were, that which is not shown! It is only at this stage that the visitor realises just how unfamiliar the surrounding objects and spaces are. It is a discovery that brings about a sense of alienation, of the uncanny. It is as though the visitor is drawn into this indefinable, sublime space, which at the same time inspires a sense of fear and trepidation. » Antoon Van den Braembussche, « The Nature of Photography. Reflections on ''Het Huis'', an exhibition by Karin Borghouts (2013) ».
« Le noir est partout, la maison est fermée, les volets baissés, les murs froncés, le feu a peint une carte géographique roussie sur la porte d’entrée. »
(Paul de Moor, Mijn huis dat was, 2015)
La Maison, à l’occasion d'une précédente exposition/publication
Paris Impasse, préface d’Eric Min, Gand, Snoeck, 2020.
The House, postface d’Eric Min et citations de Paul de Moor, Gand, Snoeck, 2021.
Après avoir fait ses armes en Hollande où il est né en 1819 – à une encablure de l’Allemagne –, Johan Barthold Jongkind(1) gagne Paris en 1846 à l’instigation d’Eugène Isabey dont il devient l’élève.
Son existence a certes été jalonnée d’amitiés dans le monde l’art, quelques-unes fondamentales, par exemple celle avec le marchand d’art Pierre-Firmin Martin, établi rue Mogador, et celle avec Joséphine Fesser(2), d’origine hollandaise comme lui et pratiquant de surcroît la peinture – rencontrée en 1860 justement par l’intermédiaire de ce marchand –, une femme qui le prendra sous son aile, deviendra un soutien indéfectible en même temps que sa maîtresse jusqu’en 1891, année de leur mort à l’un comme à l’autre. Cependant, la vie de celui que l’on considère aujourd’hui comme le précurseur de l’impressionnisme a été très souvent ponctuée, parallèlement, de crises paranoïaques et de soirées passées avec des compagnons de beuverie.
Passeport de Nadar, 1857
C’est que vers le milieu du XIXe siècle, les bougres, rapins pour la plupart, fréquentent assidûment les cabarets – dont le Divan le Peletier, dans feu le Passage de l’Opéra – qui égaient le quartier du Père Martin, le même pour ainsi dire que celui où opère un autre marchand important pour Jongkind, Adolphe Beugniet (rue Laffitte). En 1852, pour se faciliter le quotidien, le Hollandais s’installe tout près de là, au 21 de la rue Bréda (aujourd’hui rue Henry-Monnier). Comme Nadar, Murger, Fromentin, Courbet et bien d’autres, il fréquente le restaurant Dinochau, place Bréda (3), établissement où l’on peut faire crédit, ce qui, paraît-il, entraîna sa faillite.
C’est entre autres au sein de ce groupe de copains, baptisé le Cercle Mogador, que Jongkind lie amitié avec nombre de futurs grands noms, Baudelaire, Daubigny, Corot… Il compte aussi, à partir de cette même époque, Nadar (1820-1910) parmi ses camarades. De ce dernier, on connaît deux caricatures du peintre, dont l’une publiée dans Le Journal pour rire du 23 avril 1852, année où Johan Barthold bénéficie déjà d’une certaine reconnaissance. Au bas de ce dessin, le photographe emblématique du monde artistique de son temps mentionne : « Ce personnage étrange est un jeune pensionnaire du gouvernement hollandais. M. Yonkind est venu rechercher à Paris le talent des anciens maîtres de son pays, que les nôtres leur avaient emprunté : il l’a retrouvé. Les marines de maître Yonkind ne pâlissent point à côté des Isabey, font réfléchir M. Gudin (4) et ahurissent M. Morel Fatio (5). » Le caricaturé bénéficie en effet alors, depuis quelques années, d’une pension royale mensuelle de 100 florins ; malheureusement pour lui, elle ne sera pas prolongée en 1853. En 1853, justement, dans son Nadar jury au Salon de 1853 : album comique de 60 à 80 dessins coloriés, compte rendu d’environ 6 à 800 tableaux, sculptures, etc. / texte et dessin par Nadar, le Français accorde une petite note au Hollandais : « J’ai su découvrir les deux envois de M. Yongkind, quelque mal placés qu’ils fussent. Peinture solide et de bon effet, bien que poussant peut-être un peu trop au noir. M. Yongkind est un digne représentant de l’école hollandaise. »
Alors que Jongkind, désabusé, en mauvaise santé et accablé de dettes, est retourné vivre dans son pays natal fin 1855, Nadar fait partie des quelques amis français à lui rendre visite à Rotterdam au cours de cette longue parenthèse batave (fin 1857, voir copie du passeport) – les deux hommes se retrouveront semble-t-il seulement en 1863 bien que le peintre soit revenu s’établir à Paris trois ans plus tôt.
Ses correspondants parisiens, s’inquiétant de plus en plus du ton de détresse de ses lettres, organisent une vente aux enchères réunissant des œuvres d’Isabey, Nadar (une aquarelle), Millet, etc., en tout 88 artistes. Chargé d’apporter la coquette somme ainsi collectée, le peintre et graveur Adolphe-Félix Cals s’en va chercher Jongkind en Hollande et rentre avec lui à Paris le 29 avril 1860. Si ce dernier effectue encore par la suite, et ce jusqu’en 1869, des voyages dans le Septentrion, il ne quittera pour le reste plus guère la France.
En cette même année 1860, la rencontre déterminante de Joséphine Fesser représente la promesse d’une existence future plus régulée et moins assombrie par les préoccupations pécuniaires, cette même Joséphine en laquelle Edmond de Goncourt reconnut une mère, « un ange de dévouement avec des moustaches ».
Au cours de la décennie (sans doute en 1863), Nadar réalise une série de photographies du peintre, au célèbre format des « cartes de visite » (voir photo). Sa renommée ne tarde pas à s’accroître, même si ses absences de plus en plus fréquente de la capitale et son peu de souci de se montrer ne jouent pas en sa faveur. La plupart des liens de sympathie et d’amitié qu’il entretenait se distendent en effet peu à peu dès lors qu’il passe le plus clair de son temps auprès de Mme Fesser – épouse séparée de son mari et mère d’un garçon prénommé Jules – et dans différentes régions françaises.
caricature, Le Journal pour rire, 23/04/1852
Tout comme Nadar, Baudelaire remarque bien entendu le talent du Hollandais : « Chez Cadart, M. Yonkind, le charmant et candide peintre hollandais a déposé quelques planches auxquelles il a confié le secret de ses souvenirs et de ses rêveries, calmes comme les berges des grands fleuves et les horizons de sa noble patrie, – singulières abréviations de peinture, croquis que sauront lire tous les amateurs habitués à déchiffrer l’âme d’un artiste dans ses plus rapides gribouillages. Gribouillage est le terme dont se servait un peu légèrement le brave Diderot, pour caractériser les eaux-fortes de Rembrandt. » (Le Boulevard, 14 septembre 1862). À l’époque où le poète écrit ces lignes, Jongkind fréquente Claude Monet. Celui-ci, qui a pu écrire, dans une lettre adressée en 1860 à Boudin, qu’il considérait Jongkind comme étant mort pour l’art, ne formula pas moins l’un des plus bels éloges jamais adressés au Néerlandais. Alors qu’ils se côtoient et peignent ensemble – formant d’ailleurs souvent un trio en Normandie avec Eugène Boudin –, l’aîné apprend à son cadet « la touche libre, les couleurs vives et contrastées ainsi que la vision synthétique du paysage ». De ce confrère qui a complété chez lui l’enseignement transmis par Boudin, Monet dira : « C’est à lui que je dois l’éducation définitive de mon œil. »
Zola, par Nadar (1871)
À ces louanges s’en ajouteront beaucoup d’autres, par exemple de la main de Zola, en 1868 : « Avec Manet, Jongkind et Claude Monet, Boudin est à coup sûr un des premiers peintres de marines de ce temps. » Quelques années plus tard, le romancier rend visite au Hollandais et prend la plume pour satisfaire « une envie furieuse de dire tout le bien » qu’il pense de lui : « Parmi les naturalistes qui ont su parler de la nature en une langue vivante et originale, une des plus curieuses figures est certainement le peintre Jongkind. Il est connu, célèbre même, mais l’exquis de son talent, la fleur de sa personnalité, ne dépasse pas le cercle étroit de ses admirateurs. Je ne connais pas d’individualité plus intéressante. Il est artiste jusqu’aux moelles. Il a une façon si originale de rendre la nation humide et vaguement souriante du Nord, que ses toiles parlent une langue particulière, langue de naïveté et de douceur. Il aime d’un amour fervent les horizons hollandais, pleins d’un charme mélancolique ; il aime la grande mer, les eaux blafardes des temps gris et les eaux gaies et miroitantes des jours de soleil. Il est fils de cet âge qui s’intéresse à la tache claire ou sombre d’une barque, aux mille petites existences des herbes. Son métier de peintre est tout aussi singulier que sa façon de voir. Il a des largeurs étonnantes, des simplifications suprêmes. On dirait des ébauches jetées en quelques heures, par crainte de laisser échapper l’impression première. La vérité est que l’artiste travaille longuement ses toiles, pour arriver à cette extrême simplicité et à cette finesse inouïe ; tout se passe dans son œil, dans sa main. Il voit un paysage d’un coup dans la réalité de son ensemble, et le traduit à sa façon, en en conservant la vérité, et en lui communiquant l’émotion profonde qu’il a ressentie. C’est ce qui fait que ses paysages vivent sur la toile, non plus seulement comme ils vivent dans la nature, mais comme ils ont vécu pendant quelques heures dans une personnalité rare et exquise. J’ai visité son atelier dernièrement. Tout le monde connaît ses marines, ses vues de Hollande. Mais il est d’autres toiles qui m’ont ravi, qui ont flatté en moi un goût particulier. Je veux parler des quelques coins de Paris qu’il a peints dans ces dernières années. […] Cet amour profond du Paris moderne, je l’ai retrouvé dans Jongkind, je n’ose pas dire avec quelle joie. Il a compris que Paris reste pittoresque jusque dans ses décombres, et il a peint l’église Saint-Médard, avec le coin du nouveau boulevard qu’on ouvrait alors. […] Un peintre de cette conscience et de cette originalité est un maître, non pas un maître aux allures superbes et colossales, mais un maître intime qui pénètre avec une rare souplesse dans la vie multiple des choses. » (La Cloche, 24 janvier 1872)
E. de Goncourt, par Nadar, vers 1875
Pour sa part, Edmond de Goncourt confie à son Journal, le 17 juin 1882 : « Une chose me frappe dans ce Salon : c’est l’influence de Jonkindt. Tout le paysage qui a une valeur, à l’heure qu’il est, descend de ce peintre, lui emprunte ses ciels, ses atmosphères, ses terrains. Cela saute aux yeux, et n’est dit par personne. » Peu après la mort du peintre, alors qu’une partie de son œuvre est dispersée à l’hôtel Drouot, le critique et écrivain influent Gustave Geoffroy estimera que « Jongkind a été préoccupé, un des premiers, de la vérité de l’atmosphère, de la décomposition des rayons lumineux, de la coloration des ombres. Il marque cette préoccupation dans ses aquarelles, qui sont parmi les plus belles aquarelles qui aient été faites, d’une calligraphie de dessin fougueuse, rapide, et d’une sûreté extraordinaire, d’une couleur infiniment délicate, véridique, apte à mettre en valeur les aspects essentiels des premiers plans, à donner leur éloignement et leur charme aux lointains » (« J.-B. Jongkind », La Justice, 8 décembre 1891).
Tous ne partagent toutefois pas une telle vision enthousiaste des choses. Le peintre et critique Charles-Olivier Merson, disparu aux yeux de la postérité, estime par exemple que les deux toiles que le Hollandais expose au Salon de 1870 « sont d’un effarouchement de plus en plus macabre, preuve que M. Jongkind extravague en son genre autant que M. Manet dans le sien » (Le Monde illustré, 16 juillet 1870). De tels avis ne vont pas empêcher les faussaires de lancer sur le marché des copies de toiles du maître, ceci à compter de 1879.
Malgré un cercle de fidèles admirateurs, Jongkind n’expose pas dans l’atelier de Nadar du 15 avril au 15 mai 1874 dans le cadre de la célèbre exposition qui a marqué les débuts de l’impressionnisme, non qu’il soit fâché avec quiconque – malgré ses sautes d’humeur, il avait bon caractère et demeurait un homme affable –, mais parce qu’il a renoncé peu avant à exposer après avoir été refusé une fois de plus au Salon. Ni le Père Martin, ni Monet, ni Boudin n’arrivent à le faire changer d’avis. Au bout de plusieurs années, il revient cependant sur sa décision. Ainsi, en mai-juin 1882, il expose à Paris, galerie Détrimont, où le succès est au rendez-vous – son unique exposition personnelle ! Cependant, à la fin de la décennie, son pays natal n’accroche pas la moindre de ses œuvres au sein de la section hollandaise de l’Exposition universelle de 1889. Il faut dire que quelques-uns, en Hollande, lui en voulaient probablement de s’être joint, pour certains Salons, à l’envoi des Français.
Des liens qui ont existés entre Nadar et Jongkind subsistent de rares lettres du second au premier, rédigées dans un français très approximatif où les apostrophes ne sont guère de mise. Son emploi de cette langue en a fait rire plus d’un. Ainsi, dans son Jongkind, ouvrage de 1927, Paul Signac note : « Pendant son long séjour en France, il n’a guère appris le français. Son jargon, son orthographe n’ont guère changé. Si, en 1851, il écrit ‘‘la Belle Poel’’ et ‘‘la belle sexes’’, le 19 février 1880, il écrit encore en bas d’un croquis : ‘‘Pauline Brassier cherchant le premier salade de pise en lit », et, le 19 septembre 1883, il transcrit ainsi dans son album le menu d’un repas qu’il vient de faire à Grenoble :
Le 24 juillet 1863, Jongkind, de retour à Paris (après plusieurs séjours en Normandie), écrit à Nadar qu’il souhaite que ce dernier fasse son portrait, ainsi qu’il en a déjà été question entre eux. Malgré la fréquentation de Joséphine Fesser, sa situation financière ne va s’améliorer vraiment que courant 1864. Aussi mendie-t-il plus ou moins un échange avec le photographe : l’achat d’une toile lui permettrait de payer le portrait. La lettre manifeste par ailleurs l’état d’esprit changeant du peintre : s’il est le plus souvent de bonne compagnie, il ne manque pas de se plaindre sur son sort. L’abus de vin – ce vin qu’il dit ne pas supporter, du moins pur – finira par lui ruiner la santé. Vers la fin de sa vie, son cerveau le lâchera toujours plus.
J.-.B. Jongkind, par Nadar (1863)
Mon bon Nadar,
J’ai été bien content enfin de vous avoir rencontré chez vous. J’ai pensé souvent à votre bonne amitié du temps passé et me voilà de retour à Paris. comme je me suis trouvé obligé de retourné en France surtout pour la vente de mes tableaux.
Je vous dirai, cher ami, je ne suis pas le plus heureux du monde et le bon Dieu seul sait comment je vie encore. j aime beaucoup a plaisanté, mais jamais des circonstance serieuse Je veux dire que je soufre encore beaucoup de ce que j ai éprouvé pendant plus de quatre ans.
Heureusement j’ai rencontré à Paris une Dame de mes Parent d Hollande. par ses bonté je me trouve secourir contre beaucoup de pine et contre beaucoup de mal dans ma position et puis, a que me donne la tranquilité et de soins necessaire.
Maintenant je suis venu d abord pour vous voir, et ensuite pour me recommander a vous. si vous pouviez m être utile pour me prendre un tableau ou parmi vos amis. Sans que cela puisse vous deranger en rien
Comme je vous ai dit que j ai beaucoup soufert aussi quand je sort j’oublie le mal. mais en acceptant un cigare le fumér ma fait du mal et j ai cru de tomber sur le Boulevard.
C est le même, en buvant du vin pure, je vous assure, ce n est pas très amusant.
a raison de ce que je viens vous dire, vous m excuserez que je ne viens pas diner lundi soir, vers 6 heures. quand a mon portrait je suis venu déjà plusieurs fois, pour demander votre amitié de me faire mon portrait.
Carjat a eu cette bonté pour mon portrait et pour quelques cartes de visites.
Mais malgré que les jours sont exigant et le temps je serai heureux d avoir mon portrait fait par vous, comme je pense encore de resté à Paris et peut-être pour toujours. vous voyez mon bon Nadar, que je vous oublie pas et comme j espers pas de vous deranger je reviendrai un de ces jours pour vous revoir.
recevez En attendant les souhaits les plus heureux pour votre santé et pour votre bonheur
votre ami
Jongkind (6)
exposition « Jongkind et ses amis », Musée de Dordrecht, fin 2017-début 2018
Dans l’autre lettre que l’on trouve dans Jongkind d’après sa correspondance (envoyée de Honfleur le 2 septembre 1864, n° 202), Jongkind se félicite que Nadar – dont la plus grande passion était le sport aéronautique – ait remporté un procès consécutif à son accident en ballon d’octobre 1863 et aux dettes qui s’ensuivirent. Il lui annonce qu’il lui rendra visite à son retour à Paris et ne manque pas de lui demander au passage d’intervenir en sa faveur auprès de ses amis susceptibles d’acquérir l’une ou l’autre de ses œuvres : « je suis à Honfleur pour désiné de navires etc c est un pays fort pitoresque et sans que vous me croyerez interesséz en vous écrivant j ose me rappeler a vous de facon le plus agreable si il y a moyen a vos amis de me placer quelques tableaux ou dessins de mes ouvrages et de ma peinture ».
Jongkind, ce jeune enfant ou cet enfant resté jeune – son patronyme ne signifie-t-il pas, mot à mot : « jeune enfant » –, passe une grande partie de la dernière décennie de sa vie loin du tumulte parisien, à La Côte-Saint-André, village natal de Berlioz dans le Dauphiné, où les enfants avec qui il aime jouer le surnomment « Père Jonquille » (déclinaison du patronyme hollandais, sans doute) et où il se promène, une colombe perchée sur l’épaule, en compagnie d’un mouton. De cette époque, on garde des photographies du Hollandais. Elle ont été prises par un autre photographe que Nadar, à savoir, Jules, le fils de Joséphine, avec lequel le peintre entretint des rapports extrêmement chaleureux, pour ainsi dire filiaux.
Daniel Cunin
J.-B. Jongkind, caricature par Nadar
(1) On le prénommera aussi Jean-Baptiste en France et beaucoup orthographieront son patronyme Yongkind de façon, semble-t-il, à prononcer le « j » à la hollandaise. Baudelaire l’écorche lui aussi : Yonkind. Goncourt hésite entre Jonckind et Jonkindt ; Zola retient parfois Jong-Kind. Des décennies après la mort du peintre, l’orthographe Yongkind fleurira encore sur les pages des journaux et revues, par exemple sous la plume du célèbre critique Louis Vauxcelles.
(2) Il existe peu de sources aisément accessibles sur la compagne de Jongkind. En 2017, Marja Visser a publié Maannachten (Nuits de pleine lune, éditions Zomer & Keuning), un roman qui narre l’histoire de ce couple singulier à travers le regard de Joséphine.
(3) Le nom de cette rue n’a aucun rapport avec la ville néerlandaise. C’était celui d’un propriétaire qui fut autorisé, nous dit Wikipédia, « à convertir le passage qui portait son nom en deux rues publiques, l’une, la ‘‘rue Bréda’’, de 11,69 mètres, l’autre, la rue Clauzel, de 9,75 mètres de largeur, formant à leur jonction une place triangulaire, la place Bréda ».
(4) Sans doute le peintre de marine Théordore Gudin (1802-1880).
(5) Antoine Léon Morel-Fatio (1810-1871), peintre de la Marine et homme politique.
V. Hefting, vers 1950
(6) Jongkind d’après sa correspondance. 328 lettres introduites et éditées par Victorine Hefting, Utrecht, Haentjens Dekker & Gumbert, 1969, lettre 186. Si Joséphine Fesser vient bien de Hollande, elle ne semble pas avoir de liens de parenté avec Jongkind. Étienne Carjat (1828-1906), artiste et photographe lui aussi renommé, connu particulièrement pour avoir immortalisé Rimbaud, a eu un atelier rue Laffitte, la rue des galeristes. Ce volume de la correspondance comprend des lettres aux marchands d’art, à des amis hollandais, des confrères (Boudin), à la famille Fesser… Pendant plusieurs années, l’historienne de l’art néerlandaise, éditrice et politicienne Victorine Hefting (1905-1993) a dirigé de fait le Gemeentemuseum de La Haye. On lui doit d’autres ouvrages de référence sur son compatriote : Aquarelles de Jongkind, Paris, Les presses artistiques, 1971 ; Jongkind : sa vie, son œuvre, son époque, Paris, Arts et métiers graphiques, 1975 et J.B. Jongkind : voorloper van het impressionnisme, Amsterdam, Bert Bakker, 1992. Elle a organisé de nombreuses expositions aux Pays-Bas et en France (Jongkind, Toorop, Kandinsky…). Sa vie particulièrement riche à plusieurs points de vue a donné lieu à une biographie (1988).
Dans le premier numéro de La Revue de Hollande (juillet 1915, p. 62-66), l’artiste néerlandais Philippe Zilcken revient, en français, sur les liens qu’il a entretenus avec Edmond de Goncourt (1) et édite une photographie inédite de l’écrivain. Sous le titre « Quelques souvenirs sur Edmond de Goncourt », il écrit :
« Je crois être le seul Hollandais qui ait connu personnellement Edmond de Goncourt, mais comme il est toujours très délicat de parler de soi-même, ce n’est qu’avec scrupules que j’en viens à publier les souvenirs des excellents rapports que j’ai eus avec lui.
Vers 1881, avec l’audace et la spontanéité de la prime jeunesse, je m’étais permis d’écrire au ‘‘parfait gentilhomme de lettres’’ à propos d’un article, très important alors, concernant l’art japonais, qui avait paru dans Le Figaro.
Manette Salomon m’avait révélé le talent et les goûts de l’écrivain-artiste, et le livre s’était rapidement répandu dans les ateliers de La Haye (2).
Edmond de Goncourt me répondit immédiatement ; sa lettre, reproduite ici, constitue une profession de foi, non sans intérêt au point de vue de l’histoire de l’art à cette époque.
27 mars 1881
Dans ce temps-là, M. Lefebvre de Béhaine, le cousin des de Goncourt dont il est question plusieurs fois dans le Journal, était Ministre de France à La Haye. Le comte et la comtesse de Béhaine me firent l’honneur de visiter mon atelier, de sorte qu’il est possible que ce qu’ils dirent de moi, avec trop de bienveillance, contribua à me faire bien accueillir par l’écrivain…
Il est certain que cette année 1881 j’eus le vif désir d’aller lui rendre visite.
Dans le but de faire ce petit voyage, j’avais assez largement brossé une toile Mars en Hollande(3), très simple de composition, et assez lumineuse, que j’envoyai directement au jury du Salon, qui l’admit avec un bon numéro ; alors le bruit courut à La Haye que ce tableau avait été envoyé à Paris ‘‘par voie diplomatique !’’ Je partis le 26 Avril, le cœur léger et plein d’espoir. Arrivé à Paris, je reçus très heureusement une lettre d’Edmond de Goncourt, qui m’avait suivi, m’invitant en ces termes à aller le voir :
Mais j’ignorais encore l’adresse de l’écrivain, que j’avais demandée en vain à la Société des Gens de Lettres. L’idée me vint alors d’aller chez Mme Desoije, la marchande d’objets japonais qui contribua beaucoup à faire connaître l’art nippon. Mme Desoije me renseigna très aimablement et m’offrit même de me mettre en rapport avec des amateurs de peinture qu’elle connaissait.
Le mercredi venu, je pris le bateau-mouche, le moyen de transport que j’ai toujours préféré par-dessus tous les autres à Paris, et je débarquai bientôt à Auteuil, où je découvris sans peine la villa (53) du Boulevard de Montmorency.
Ph. Burty par Carolus-Duran
Edmond de Goncourt me reçut dans le vestibule, avec sa courtoisie si distinguée et me conduisit dans son cabinet de travail, où plusieurs personnes étaient réunies ; il me présenta à Philippe Burty, le pénétrant critique d’art, et à de Nittis, le délicat peintre de La Place des Pyramides (actuellement au Musée du Luxembourg).
Bientôt ces visiteurs partirent, et de Goncourt me tendit son paquet de Maryland et du papier à cigarettes, et nous causâmes, tout en fumant et en admirant, à travers la légère buée bleue, les merveilles qui ornaient le célèbre cabinet de travail, les foukousas incomparables, les éventails, les laques, les bronzes.
Puis il me montra les admirables dessins de Boucher et les Clodion qui ornaient le salon et la salle à manger, les arbustes rares de son jardin, – gelés pour la plupart pendant l’hiver, – toutes ces choses qu’il adorait et dont il a longuement parlé dans La Maison d’un artiste et dans le Journal.
Avant mon départ nous remontâmes dans le cabinet de travail où de Goncourt me montra ses épreuves d’état de Gavarni, aux noirs veloutés, aux gris légers et vaporeux, et nous causâmes encore longtemps.
Je qualifiai dans mes notes cette visite chez le raffiné artiste et collectionneur, de « rêve », et j’en rapportai une impression ineffaçable et infiniment précieuse.
En 1883, j’allai, en souvenir de Manette Salomon, me promener et travailler le long de la Bièvre, excursion d’où je rapportai quelques dessins et une petite eau-forte que, rentré chez moi, j’envoyai à l’écrivain qui me remercia en ces termes :
La lecture des œuvres des Goncourt a certainement influencé considérablement mon développement en général. Aussi il est certain que si, en 1883, je suis parti pour peindre en Algérie, c’est à la lecture de leurs descriptions suggestives d’un Orient peu connu que je fis ce voyage à la recherche de la lumière, voyage qui a été un des tout premiers voyages d’études en Orient entrepris par un peintre hollandais. Ce n’est que plus tard que Bauer, Haverman, Le Gras, commencèrent leurs pérégrinations dans les pays de lumière, d’où ils rapportèrent des œuvres d’une notation nouvelle et imprévue.
À partir ce cette époque j’allai presque toujours voir Edmond de Goncourt lorsque je traversais Paris.
Et les années se passèrent.
Nu, dessin de Ph. Zilcken
Un petit événement contribua à resserrer les liens de sympathie qui me liaient à l’écrivain.
En 1893, le Théâtre Libre vint donner en Hollande des représentations de La Fille Elisa. Un critique assez autorisé écrivit dans les journaux une lettre à Antoine, lui reprochant, – l’éternelle rengaine ! – les ‘‘ordures’’ de la pièce. J’eus le plaisir de publier une défense de l’œuvre émotionnante, en réponse à l’attaque du critique.
Cette escarmouche me valut la carte de visite ci-jointe :
En 1892, Verlaine était venu donner chez nous et en Belgique la série de conférences dont il parle longuement dans ses Quinze jours en Hollande.
J’avais fait des études à la pointe-sèche d’après ‘‘le doux poète’’, et paraphrasant un croquis de Toorop, j’avais exécuté une assez grande planche que j’exposai à Paris. De Goncourt m’écrivit qu’il désirait que je fisse son portrait dans la même note. Ainsi, dans une lettre (21 janvier 1895) parlant de son ‘‘banquet’’ – à l’occasion duquel j’avais réuni un certain nombre de signatures de nos premiers écrivains et artistes sur un parchemin qui fut remis au jubilaire à cette fête, – il ajoutait : ‘‘je suis comme Rops, et trouve très beau votre Verlaine’’, et plus loin, ‘‘cet article (un article paru en Hollande sur le banquet) à ravivé chez moi le désir d’avoir l’eau-forte de mon portrait par l’auteur de l’article’’ (4).
tableau de Ph. Zilcken
En avril je partis pour Paris et chaque matin l’omnibus me menait à Auteuil, où le Maître me recevait dans son fameux ‘‘grenier’’, où j’admirai entre autres choses d’art, des dessins aquarellés de Jules. Je préparai mon travail en faisant des croquis et j’esquissai même une planche d’après nature.
Inopinément je fus obligé de rentrer chez moi ; il fut convenu que je reviendrais bientôt reprendre mes études. Mais une grave maladie d’un des miens me retint à La Haye, et peu de temps après Edmond de Goncourt mourut assez soudai- nement.
Ainsi cette pointe-sèche fut interrompue par la Mort. Il est seulement resté de ces séances une photographie que je fis un matin dans le grenier ensoleillé, et qui survit, faible image, rendant toutefois bien le caractère sculptural, la grandeur puissante, alliée à la plus subtile délicatesse du masque de l’exquis artiste. »
(2) Dans son autobiographie, alors qu’il évoque la figure du professeur Ten Brink, Ph. Zilcken écrit : « Au Lycée, j’ai eu le plaisir de lui raconter que j’avais découvert, dans un cabinet de lecture, un ouvrage des Goncourt (Manette Salomon), qui m’avait enchanté, mais Ten Brink ne connaissait pas encore ces auteurs, que j'ai été le premier à faire apprécier en Hollande comme, plus tard aussi, Verlaine. » (Au jardin du passé, 1930, p. 15). Zilcken poursuit en disant qu’il doit peut-être d’être devenu un « japonisant » et d’avoir fait la connaissance d’Edmond de Goncourt à la fascination qu’il éprouva pour des nobles japonais alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Relevons que Manette Salomon est en cours de traduction en langue néerlandaise.
(3) Dans Au jardin du passé (p. 33), la toile s’intitule Moulin en Hollande. Voici comment Zilcken relate dans ce volume (p. 34-35) sa rencontre avec Edmond de Goncourt :
(4) Allusion à l’article « Hulde aan Edmond de Goncourt » publié par Philip Zilcken dans De Amsterdammer, 24 février 1895, p. 4-5. Ph. Zilcken a publié d’autres contributions en néerlandais sur Edmond de Goncourt, par exemple dans le même hebdomadaire culturel amstellodamois (17 et 24 mars 1895) et dans le mensuel Elsevier’s Geïllustreerd Maandschrift de 1896 (p. 222-233), article dans lequel il reproduit l’autographe suivant ainsi que le faire-part de décès du romancier :
Voetnoot, éditeur néerlandais installé depuis plusieurs années à Anvers, constitue un fonds qui met en valeur bien des textes français dans des traductions et des éditions soignées : des romans, des nouvelles ou des essais de Vivant Denon, Diderot, Voltaire, Madame du Deffand, Madame de La Fayette, le Marquis de Sade, l’Abbé Prévost, Stendhal, Xavier de Maistre, Balzac, Prosper Mérimée, Baudelaire, Barbey d’Aurevilly, J.-K. Huysmans, Marcel Proust, Marcelle Sauvageot, Paul Willems, Robert Pinget, Margueritte Duras, Jean Echenoz, Milan Kundera, Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Alain Fleischer, Yasmina Reza, Michel Houellebecq.
D’autres collections mettent en avant la poésie néerlandaise contemporaine ou encore les arts plastiques. Plusieurs dizaines de titres présentent ainsi l’œuvre de graphistes et de photographes. L’un des derniers offre un choix de photographies de G.P. Fieret. Le succès d’une première série de reproductions d’œuvres de cet artiste hollandais disparu l’an passé a amené Voetnoot a publié ce deuxième volume (format : 33 cm x 24 cm) en collaboration avec le Musé de la Photographie de La Haye dont le conservateur, Wim van Sinderen, a signé la postface (néerlandais/français/anglais).
vol 1., Voetnoot, 2004
Le mot de l’éditeur
Artiste, poète et photographe, Gerard P. Fieret (1924-2009) doit une grande part de sa popularité à ses photographies érotiques. Mais cet Haguenois a également immortalisé la vie citadine comme peu l’avaient fait avant lui ou l’ont fait depuis : vitrines à moitié vides, rues désertes, enfants en train de jouer, bandes de jeunes… sans oublier de nombreuses jeunes filles.
Foto en Copyright by G.P.Fieret – volume 2 contient environ 160 photos du Musée de la Photographie de La Haye.
Graveur qui a fait ses premières armes à Paris dans les années 1950, la Néerlandaise Nono Reinhold a décidé ces dernières années de mettre sa longue expérience de la texture et de la composition au service de la photographie. De voyages en terres lointaines, elle a ramené des clichés dont certains viennent d’être réunis dans trois livres :Machu Picchu 2006,Pétra 2007etBolivia 2008publiés à Eindhoven par Peter Foolen. Outre les photos en question, ces publications présentent des textes (Edy de Wilde, Carel Blotkamp, Jean-Clarence Lambert, Andrea Müller-Schirmer, Els Barents, Hendrik Driessen, Jan van Adrichem et Huib Sowden) et des poèmes des Néerlandais Lucebert, Armando, Bert Schierbeek, Simon Vinkenoog et Remco Campert. Il s’agit dans chaque cas de plaquettes trilingues néerlandais/français/anglais (traductions de : Beth O’Brien, Donald Gardner, Simon Vinkenoog, Daniel Cunin, Jan Pieter van der Sterre, Ina Rilke et Patrick Williamson).
Pétra 2007
Machu Picchu 2006,Pétra 2007etBolivia 2008
ont été tirés à 500 exemplaires
Ils sont disponibles sous coffret (ISBN : 978-94-90673-01-7).
Bolivia 2008
les photos représentent la première et la quatrième de couverture