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Le Seigneur de Peuplingues

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Un roman psychologique à la Simenon

 

 

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Willy Spillebeen, De Seigneur van Peuplingues, Manteau, 1993

 

 

L’affaire Armand Rohart a défrayé la chronique à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Ce maire du village de Peuplingues, près de Calais, accusé d’avoir tué son épouse lors d’une baignade, a été condamné à la perpétuité à l'issue de deux procès devant les assises. Plus de vingt ans plus tard, Willy Spillebeen a repris des données de cette histoire pour exercer avec brio son talent de romancier. S’il modifie le nom de quelques protagonistes (Rohart s’appelle François Bernart) et s’accorde certaines libertés par rapport au déroulement des faits (le procès ne se tient pas en 1969 ni en 1970, mais début juillet 1973 ; le condamné n’est pas libéré après douze ans de détention…), la plupart des éléments, en particulier ceux retenus par l’accusation, nous replongent dans ce drame à travers les principaux protagonistes : l’accusé bien sûr, mais aussi l’avocat René Fleuriot ou encore l’ancien membre de la légion étrangère, cet homme qui a enregistré certaines conversations qu’il a pu avoir avec Armand Rohart. C’est d’ailleurs sur la reconstruction de l’une d’elles que s’ouvre De Seigneur van Peuplingues. Mais la conversation que l’on soumettra aux jurés est-elle bien celle qui a eu lieu entre les deux hommes quelques années plus tôt, avant le décès du légionnaire ? La bande magnétique n’a-t-elle pas été trafiquée ? L’auteur le laisse entendre puisque qu’on relève des différences entre la version qu’il propose au début de son roman et celle qu'on soumettra aux jurés. Des experts émettront eux aussi des doutes comme un certain Pierre Laforêt :

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extrait du compte rendu de Pierre Laforêt,

témoin au cours du second procès,

Nouvel Observateur, 11/05/1970, p. 34

 

La plus grande part du roman restitue les deux premières journées du premier procès, celui qui s’est tenu à Saint-Omer. On vit la première à travers les réflexions et les doutes de la fille de l’accusé, Marie-Françoise, la deuxième à travers ceux de son fils aîné, qui porte le même prénom que lui. L’intérêt essentiel de cette reconstitution romancée réside dans l’opposition de caractère entre ces deux êtres : à la différence de son frère – qui en apparence tient plus de leur mère –, Marie-Françoise croit en l’innocence de son père. Les deux jeunes gens, qui ont hésité avant de se décider à assister au procès, subissent le déroulement de cette « mise en scène » juridique en vivant chacun à sa façon le défilé des témoins et des experts. Cette opposition illustre l’impossibilité dans laquelle on se trouve de trancher la question de la culpabilité de l’accusé. Autre caractéristique qui donne du piment à la narration : Willy Spillebeen tourne dans tous les sens les éléments de preuve ainsi que les zones d’ombre qui subsistent tout en nous faisant entrer dans les secrets les plus intimes de ses personnages. Si on a pu parler de « roman à la Simenon » – il ne s’agit pas d’un polar mais bien d’un roman qui est sans conteste dans la lignée de ceux de Simenon où prédominent atmosphère lourde, obsessions et travers des protagonistes –, c’est en raison de la pénétration dont fait preuve l’auteur qui entremêle subtilement son propos aux points de vue des deux jeunes personnes et aux dialogues afin de mieux cerner l’égoïsme et les sentiments de chacun (jalousie, haine, rancœurs…) ou encore de lever certains tabous qui règnent dans le milieu décrit ; c’est aussi parce qu’on assiste à une sorte de mise à mort du notable par la foule déchaînée et par une justice qui semble avoir jugé avant même le début du procès. On ne pardonne pas à cet homme de régner en maître sur sa commune – près de la moitié des villageois sont ses employés –, ni d’avoir bâti un petit empire agricole, ni de séduire les jeunes femmes. Les rivalités sexuelles qui opposent les hommes et la pruderie de la victime ont aussi leur part dans le puzzle complexe de cette intrigue.

roman,littérature,flandre,simenon,rohartLe quatrième et dernier volet du Seigneur de Peuplingues, purement fictif, emmène le lecteur dans l’esprit du condamné toujours détenu vingt ans après le prononcé du jugement. On sait que le Flamand aime retenir quelques métaphores centrales dans ses romans. En l’espèce, il a choisi celle du tunnel – le tunnel mental du cauchemar auquel le prisonnier ne parvient pas à échapper et celui que l’on construit à l’époque sous la Manche et qui se prolonge jusqu’au niveau des terres qui lui appartenaient avant son arrestation. Cette métaphore nous reconduit au début du drame, au tunnel du coma que le mari dit avoir traversé juste après avoir failli mourir noyé comme sa femme, coma que les médecins ont mis en doute. Un des tunnels ne laisse pas subsister grand-chose du domaine qui a appartenu au seigneur de Peuplingues, l’autre ne cesse de ramener ce dernier à la mort de sa femme. Dans ces dernières pages, l’auteur nous propose, à travers les réflexions de François Bernart, une version des faits différentes de celles avancées par les différentes parties au procès.

De par sa composition ingénieuse, sa densité et son style, le roman de Willy Spillebeen nous place face à ce qui détruit et tue l’homme, l'égoïsme.

 

documentaire : Armand Rohart, un notable devant la justice

(« 50 ans de faits divers »)

 

En 1967, les époux Rohart passent un moment sur la célèbre plage d’Escalles, dans le Nord de la France. Mais un accident survient. Lors d’une baignade, le couple perd pied. Armand Rohart est aperçu inanimé par plusieurs badauds ; il est parvenu à regagner la grève. Tôt le lendemain, le corps sans vie de son épouse, Jacqueline, est retrouvé. Le jour des funérailles, un personnage vient jeter le trouble sur ce qui aurait pu demeurer une simple affaire de noyade. Un ancien légionnaire se dit en effet détenteur d’une bande magnétique sur laquelle on entend Armand Rohart demander conseil pour supprimer sa femme. Une enquête est ouverte. Condamné à perpétuité, Rohart a toujours clamé son innocence. Ses quatre enfants tentent de le faire libérer.

 

 

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