Gueules noires, chaux et Calatrava
UN POÈME DE JOES BRAUERS
Né en 1999, Joes Brauers est un acteur réputé aux Pays-Bas. Ayant terminé ses études au Conservatoire de théâtre de Maastricht, il se lance dans la poésie. Dans le cadre de Borderlines - Euregion Stories 2020, il déclame « Langs koempels, kalk en Calatrava », poème proposé en lecture en traduction française.
Joes Brauers
En longeant gueules noires, chaux et Calatrava
En train le temps passe au-delà de l’homme et des campagnes,
laissant une traînée de changement qui perdure à l’infini.
Voyez les bois solitaires, voyez les terres sans rien,
et combien, comme nous, ils paraissent invariablement péricliter.
Les maisons au bord de la voie ferrée sont loin d’être durables.
Ici, le téléphone fixe court encore au-dessus du sol.
Sur le seuil une femme assise, tapette en plastique à la main.
Des cerfs empruntent le terril que l’on doit aux mineurs.
Le train emporte, le train apporte.
A saigné les sols et les villages.
Sur le quai, c’est une petite gare.
Un dernier baiser de la main et au revoir.
Le train emporte, le train apporte.
Charbon et chaux, des villages aux villes.
Sur la ligne du chemin de fer de naguère
où l’on n’a jamais vu un train revenir.
Cours d’eau, frontières passés, le paysage change de l’autre côté de la vitre.
Les ponts en pierre se font constructions d’acier bordées d’arbres.
Voyez les hautes arches blanches, voyez la verrière du toit,
et combien, comme nous, celle-ci tente invariablement de toucher le ciel.
La hâte s’accentue, les gens filent, du papier alu brillant à la main.
Avides vident des gobelets jetables et roulent à grand bruit leurs valises.
Au guichet se tient une femme aux écouteurs blancs sans fil.
Un vagabond extirpe une tique du cou de son chien.
Le train emporte, le train apporte.
Le long de maisons aux jardins en béton.
Au-delà du marbre des tombes
sur lesquelles s’étend le crépuscule.
Le train apporte, le train emporte.
Au-delà des volets mécaniques qui se ferment.
Sur la ligne du chemin de fer de naguère
où l’on n’a jamais vu un train revenir.
Bonsoir, goedenacht und keine Angst chuchote la voie ferrée.
Des villes, les étudiants rentrent en douce passer une journée chez eux.
Voyez le plat pays se vallonner là où les accotements se font de plus en plus verts,
et combien, comme nous, il pense invariablement toujours plus en dialecte.
Ici, le ruisseau coule par la vallée, par les bois, vers la Meuse.
Là s’étire la charmille où, enfant, je me sentais tellement heureux et joyeux.
Mon pays prend la couleur des feuilles de chaque saison, non celle de la mode.
Et dans chaque couleur retentissent encore les vibrations de l’autorail.
Le train emporte, le train apporte.
Au-delà des églises, de plus en plus vite,
de la vapeur au charbon, au diesel, à l’électricité,
une année de plus passe à toute vitesse.
Le train apporte, le train emporte.
Par tous les temps, par tous les tourments.
Dieu a créé le plat pays, l’homme et le train.
Il n’a vu revenir aucun d’entre eux.
traduit du néerlandais par Daniel Cunin