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  • Alexandre Cohen par Ronald Spoor

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    Notice biographique

     

    Pour compléter la présentation d’Alexander Cohen, voici une notice biographique traduite du néerlandais par Jérôme Anciberro. La version originale est de Ronald Spoor : « Josef Alexander Cohen », Biografisch Woordenboek van het Socialisme en de Arbeidersbeweging in Nederland (BWSA), 4, 1990, p. 29-33 (disponible sur le site de l’Institut international d’histoire sociale. Un grand merci à l’auteur et au traducteur pour leur autorisation de mettre ce texte en ligne.

     

     

    Josef Alexander Cohen, dit Sandro (1864-1961)

    Anarchiste, puis monarchiste, né à Leeuwarden (Pays-Bas) le 27 septembre 1864 et décédé à Toulon (France) le 1er novembre 1961. Fils d’Aron Heiman Cohen Jzn, commerçant, et de Sara Jacobs. Épousa le 23 mars 1918 Elisa Germaine Batut (Kaya) avec qui il vivait depuis le 15 août 1893. Ils n’eurent pas d’enfants. Naturalisé Français le 11 novembre 1907. Pseudonymes : Démophile, Demophilos, Demophilus, Kaya, Souvarine.

     

    Elisa Germaine Batut, dite Kaya (1871-1959)

    Couturière auvergnate établie à Paris, fréquentant les milieux anarchistes et la bohème ; artiste (peintre).

     

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    Alexandre & Kaya et page de titre de la correspondance de Cohen

     

    Tout était réuni pour faire de Cohen un rebelle et un empêcheur de tourner en rond : son intelligence, un père autoritaire, une mère aimée et morte jeune, son échec au lycée et ses nombreux projets avortés. Un court séjour en Prusse suffit à nourrir sa haine contre l’Allemagne autoritaire, une haine qui dura toute sa vie. L’expérience fondamentale à la base de son choix de l’anti-autoritarisme fut son séjour, entre 1882 et 1887, dans l’armée royale des Indes néerlandaises (Koninklijk Nederlandsch-Indisch Leger, KNIL). En raison de ses manquements à la discipline – savoureusement décrits dans ses souvenirs –, Cohen passa trois de ces cinq années dans des prisons militaires. N’ayant pas achevé ses études, il était autodidacte. En prison, il lut Multatuli, lecture qui lui permit d’apprendre à écrire dans un néerlandais vivant. Cohen commença sa carrière de publiciste au Groninger Weekblad: radikale courant voor Nederland (l’Hebdomadaire de Groningue : journal radical pour les Pays-Bas), en 1887, avec une série en sept parties « Naar Indië » (« Vers l’Insulinde »), où il racontait des histoires peu reluisantes sur l’armée coloniale. Cohen devint à partir de ce moment un polémiste et mémorialiste de premier plan. Il s’attaqua avec violence à la propagande gouvernementale en faveur de l’engagement dans la KNIL. Peu avant sa majorité, il quitta la maison familiale de Leeuwarden pour s’établir à La Haye qui était alors un des foyers du mouvement socialiste. Il y devint correcteur au journal de Domela Nieuwenhuis, Recht voor Allen (Droit pour Tous), puis rapidement collaborateur à part entière. Cela ne faisait pas quatre jours que Cohen se trouvait à La Haye qu’il traitait déjà l’impopulaire roi Willem III – un Romanov colérique et rigide, un autoritaire à l’état pur – de « gorille ». Cela lui valut en novembre 1887 une condamnation à six mois de prison pour outrage à souverain. Il noua des liens peu communs avec Domela Nieuwenhuis, tout juste sorti de prison lui-même, qui fut impressionné par la fougue révolutionnaire, l’indépendance et l’humour de Cohen. Leur amitié perdura jusqu’à la mort de Domela en 1919. Ses articles violents dans Recht voor Allen, ses discours subversifs au Walhalla de La Haye et la publication d’éléments confidentiels de son dossier pénal le firent haïr des autorités. Son article du 23 mars 1888 signé Souvarine, Een ontboezeming (Confidence), charge classique contre la classe dirigeante, fit déborder le vase. Domela dut livrer son nom à la justice, mais le prévint d’abord, de telle sorte que Cohen put fuir à temps à Gand. Il y trouva provisoirement un travail au quotidien socialiste Vooruit (En avant). Sous la pression du gouvernement néerlandais, Cohen fut expulsé de Belgique. Il choisit la France comme pays d’accueil.

    En mai 1888, Cohen arriva à Paris, où commèrent pour lui cinq années heureuses malgré la dèche. Il vécut cette deuxième période d’apprentissage parmi les anarchistes, les gens de la bohème et les artistes d’avant-garde. Avec ses Parijsche brieven (Lettres parisiennes) publiées dans Recht voor Allen et ses traductions de Domela Nieuwenhuis en français, il ne réussissait pas à se maintenir la tête hors de l’eau. Il lui arrivait d’emprunter son linge. Il entraîna Domela Nieuwenhuis vers l’anarchisme. Cohen prenait à nouveau la parole en public – à la Maison du Peuple – et vilipendait désormais la politique coloniale de la France, manifestant par là qu’il se sentait complètement français. Sa demande de naturalisation de janvier 1890 fut cependant rejetée. Outre Domela Nieuwenhuis, il traduisit Multatuli et Gerhardt Hauptmann en français et Émile Zola en néerlandais. Il fit la connaissance dans un restaurant anarchiste de Kaya Batut, une Auvergnate pleine de tempérament, qui allait devenir sa femme. Leur relation devait durer 68 ans. L’anarchisme de Cohen et ses nombreux contacts avec des étrangers lui valurent, après qu’un attentat à la bombe à l’Assemblée nationale française eut été perpétré, l’exil à Londres en décembre 1893, malgré les protestations de Zola. Suivirent donc six années d’exil. Il ne se plut ni à Londres (1893-1896), ni aux Pays-Bas (1896-1899). Il vivait dans une grande pauvreté. Il fut presque aussi malheureux à Londres que plus tard en prison à Amsterdam, où il purgea sa peine pour crime de lèse-majesté bien que Willem III fût déjà mort depuis six ans. Il refusa de demander sa grâce à la reine-régente, alors qu’on lui proposait de le faire. À Londres, il avait collaboré à The Torch of Anarchy. En 1896, il servit d’interprète à Domela Nieuwenhuis au congrès de l’Internationale socialiste. Après sa libération, il publia à La Haye un petit journal inspiré des écrits de Multatuli et qu’il rédigeait seul : De paradox (Le Paradoxe) (20 numéros 1897-1898).

     

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    Extrême droite, choix de textes (1906-1920), éd. Max Nord, 1981

     

    Ses expériences londoniennes et surtout ses mois d’isolement dans les prisons d’Amsterdam lui avaient donné l’occasion de réfléchir sur ses positions politiques. Il prit congé de l’anarchisme et choisit l’individualisme, ce qui au début ne l’empêcha pas de défendre les anarchistes lorsque ceux-ci étaient attaqués. On peut suivre cette évolution dans ses lettres et dans De Paradox. En 1899, il retourna plus ou moins illégalement à Paris. Kaya avait permis ce retour grâce à certains contacts de Cohen au plus haut niveau politique. En 1902, il entra comme second rédacteur au service international du quotidien bourgeois Le Figaro. Il collabora à la revue d’avant-garde La Revue blanche et tint quelque temps la rubrique « Lettres néerlandaises » au Mercure de France. Grâce à ses relations avec Henri de Jouvenel, il fut chargé en 1904 par le gouvernement français d’une enquête comparative en Indochine et dans les Indes néerlandaises portant sur l’éducation et les services sanitaires. Avec un certain plaisir, il visita les prisons où il avait été détenu quelques années plus tôt. Il trouva des arrangements avec les journaux Het Nieuws van den Dag van Nederlandsch-Indië et Soerabaiasch Handelsblad pour des collaborations à partir de Paris. Après son retour, il obtint, en septembre 1905, d’être le correspondant du quotidien indépendant et moderne De Telegraaf. Cohen était un journaliste alerte, muni d’une bonne plume et des contacts nécessaires. En 1905, à l’occasion d’une campagne de presse pour la libération de Domela Nieuwenhuis d’une prison allemande, il se lia avec le journaliste néerlandais H.P.L. Wiessing qui allait devenir procommuniste. Malgré des conflits violents en raison de leurs positions politiques antinomiques, les deux hommes restèrent amis jusqu’à la mort de Wiessing. Un exemple permet de prendre la mesure du caractère fougueux de Cohen. Une querelle secoua les milieux de la presse dans les années 1911-1912 ; elle eut pour point de départ une remarque narquoise de Cohen dans De Telegraaf à propos du style ennuyeux et sans humour de Hankes Drielsma, le distingué correspondant du Nieuwe Rotterdamsche Courant à Paris. Une lettre anonyme contre Cohen, semble-t-il écrite par Drielsma, déclencha une vraie tempête parmi les représentants de la presse internationale, tant à Paris qu’en Hollande. Cohen fut correspondant du Telegraaf jusqu’en décembre 1917 avant d’en rester le collaborateur pendant cinq ans de plus, constamment protégé par le directeur, H.M.C. Holdert, contre la rédaction du journal qui cherchait à caviarder en partie ses textes. Cohen s’était acheté une petite ferme bon marché à Courcelles (hameau de Trélou-sur-Marne). En mai 1918, cette maison fut totalement dévastée par une dernière opération allemande.

    Non sans s’être disputé avec la population locale, il déménagea en 1924 à Marly-le-Roi, à l’ouest de Paris. Il y prépara l’édition d’un choix de ses articles du Telegraaf en un volume, les Uitingen van een reactionnair (Propos d’un réactionnaire, Baarn, 1929) et y rédigea le premier volume de ses souvenirs : In Opstand (En révolte, Amsterdam, 1932, rééd. 1960). En 1932, Cohen gagna le Sud. Il acheta une maisonnette tout près de Toulon, qu’il baptisa avec une certaine autodérision Clos du Hérisson. La vie était encore moins chère dans le Sud. En 1934, il se rendit à Utrecht pour se faire opérer de la cataracte ; là, il fit la connaissance du peintre Leo Gestel qui illustra Van anarchist tot monarchist (D’anarchiste à monarchiste, Amsterdam, 1936, réed. 1961). Les écrivains Menno ter Braak et Jan Engelman saluèrent la sortie de cette seconde partie de ses souvenirs.

     

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    À Toulon, Alexander et Kaya vivaient des produits de leur jardin et des maigres revenus que leur procuraient ses articles. Entre-temps, Cohen glissait encore plus loin sur le spectre politique : de l’extrême gauche (l’anarchisme 1887-1896) à l’extrême droite (Action française, 1932-1961), après être passé par le centre non socialiste (1900-1932). En tant que juif, à cause des lois de Vichy, Cohen – qui était bien partisan de l’Action française mais ne pouvait pas en être membre, puisqu’il avait été naturalisé – dut vendre sa petite maison. Il reçut en échange une rente viagère. Sa maison fut touchée par un bombardement vers la fin de la guerre. Après la Libération, les Cohen souffrirent de la faim du fait de la dévalorisation constante de la monnaie. Le vieil anarchiste Rudolf Rocker leur envoya des États-Unis des paquets de provisions. À partir de 1948, ce furent W. van Ravensteyn puis Henk Kuijper qui prirent le relais. Cohen devait gagner son pain, et comme il ne savait rien faire d’autre, il continua à écrire pour des journaux néerlandais. Il suivait de près les lettres néerlandaises. Il appréciait la poésie d’un vijftiger (poète des années 1950) comme Remco Campert, alors que beaucoup la rejetaient alors. Malgré les années, il n’avait rien perdu de sa hargne. Son anticommunisme restait aussi fort qu’avant. En 1954, une chronique de Simon Carmiggelt dans le quotidien Het Parool suscita une nouvelle vague de reconnaissance ; le ministère de l’Éducation, des Beaux-arts et des Sciences accorda une bourse au vieux publiciste. Son dernier pamphlet parut en 1959 ; il était dirigé contre le critique Victor van Vriesland. Kaya mourut cette année-là, après avoir fait une chute pour empêcher Alexander de tomber. Cohen mourut en 1961, au bout de deux années difficiles, l’année de la réédition de ses mémoires.

    R. Spoor

     

    photos de Cohen, de Kaya, de leurs maisons, des Van Dongen

    ici

     

  • A. Cohen, de l'anarchisme au monarchisme

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    Alexandre Cohen

    (Frise, 1864 - Toulon, 1961)

     

    Né à Leeuwaarden, le publiciste néerlandais Alexander Cohen se fit connaître par la virulence de ses articles dans la presse anarchiste. Il vivait à Paris durant la fameuse période des « marmites » où il se lia d’amitié avec, entre autres, Félix Fénéon et Émile Henry, et se retrouva d'ailleurs à Londres suite à la répression
gouvernementale. Devenu correspondant pour le plus grand
quotidien néerlandais de l’époque, mais aussi pour plusieurs journaux
français, il s’affirma comme l’un des plus ardents défenseurs de la France
lors du premier conflit mondial, cherchant même à partir au front – à l’âge de 50 ans – puisqu’on avait fini par lui accorder la nationalité
française. Collaborateur, à une époque, de la Revue blanche, ce polémiste juif
qui s’était employé à faire découvrir aux lecteurs français l’œuvre du rebelle
 Multatuli, devait peu à peu adopter des convictions maurrassiennes et
se déclarer royaliste. Il a partagé pendant plus de soixante-cinq ans la vie d’une Française, Élisa Germaine (Kaya) Batut (1871-1959). Alexandre Cohen est décédé à Toulon après y avoir vécu plusieurs dizaines d’années, oublié de presque tous.

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    Œuvres d’Alexander Cohen

    De Paradox (Le Paradoxe, brûlot dont A. Cohen était le seul rédacteur, 1897-1898).
    Uitingen van een reactionnair 1896-1926 (Manifeste d’un réactionnaire 1896-1926) Baarn, Hollandia-Drukkerij, 1929.
    In opstand (En révolte, autobiographie), Amsterdam, Andries Blitz, 1932.
    Van anarchist tot monarchist (De l’anarchisme au monarchisme, autobiographie, suite), Amsterdam, De steenuil, 1937.
    Multatuli, Pages choisies, traduites par Alexandre Cohen, préface d’Anatole France, Paris, Mercure de France, 1901.



    Autres éditions

    Uiterst links, jounalistiek werk 1887-1896 (Extrême gauche. Œuvre journalistique, 1887-1896), choix de textes et présentation Ronald Spoor, Amsterdam, De Engelbewaarder, 1980.
    Uiterst rechts, journalistiek werk 1906-1920 (Extrême droite. Œuvre journalistique, 1906-1920), choix de textes et présentation Max Nord, Amsterdam, De Engelbewaarder, 1981.
    Alexander Cohen. Brieven 1888-1961 (Correspondance d’Alexandre Cohen), édition Ronald Spoor, Amsterdam, Prometheus, 1997.
    Een andersdenkende (Un anti-conformiste), choix de textes et présentation Max Nord, Amsterdam, Meulenhoff, 1959.

     

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    page de titre du choix de textes de Multatuli

    traduits par Alexandre Cohen

    et portrait de Multatuli gravé sur bois par J. Aarts

     

    Dans un hommage qu’il rend à Félix Fénéon (Le Journal, 29 avril 1894), Octave Mirbeau évoque Alexandre Cohen : « (…) voilà que, tout à coup, j’apprends que M. Félix Fénéon a été arrêté par la police. “Anarchiste dangereux et militant ” disent les notes, association de malfaiteurs, et toute la série des accusations en usage ! Il est vrai que, à part ces indications très vagues, les renseignements précis nous manquent. Comme principal motif à cette arrestation, si extraordinairement imprévue, on allègue que la police trouva, dans l’une des poches du pardessus de M. Félix Fénéon, une boîte en nickel, “sur laquelle était collé un portrait d’homme, et qui contenait des capsules de petit modèle ”. Voilà une boîte qui me paraît de la même famille que ce dangereux tube, ce mystérieux tube, ce tube si épouvantant, trouvé chez M. Alexandre Cohen, lequel tube, après de méticuleuses expériences et de prudents dévissages, fut reconnu, finalement, pour être une canne. (…) Fénéon connaissait beaucoup Alexandre Cohen, Cohen habitait en face de chez lui. Les deux amis se voyaient souvent, unis l’un à l’autre par une commune passion de la littérature et de l’art. (…) Lors de l’expulsion de Cohen, Fénéon continua à ce dernier la fidélité de son affection. Il tenta, par des démarches courageuses, d’intéresser quelques personnes à cette détresse, de rendre à cet exilé l’exil moins amer et plus supportable. Il fit cela, tout bravement, tout naïvement, pensant que ce n'était pas un crime, puni par les lois, que de ne pas abandonner un ami malheureux, et de s’employer à lui être utile et consolateur. »



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     Alexandre Cohen revêtu de l'uniforme français en 1914