Lucas Cranach l'Ancien en poésie
Un poème d’Astrid Lampe
À l’occasion de l’exposition The World of Lucas Cranach au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, les visiteurs peuvent découvrir des peintures parlantes : « Au XVIe siècle, le tableau vivant était considéré comme un genre “littéraire” dans les cercles de rhéteurs. Dans l’exposition de Cranach, ce n’est plus l’homme qui est considéré comme une sculpture humaine mais les tableaux qui sont “anthropomorphisés”, au propre comme au figuré. Ce concept est un clin d’œil au peintre anversois Jan Cox qui avait un jour déclaré qu’il fallait savoir écouter ses peintures pour en saisir le sens. Cinq poètes de renom, issus de Belgique et des Pays-Bas se sont chacun inspirés d’une peinture de Cranach pour lui insuffler vie sous la forme d’un poème. Ils ont ainsi donné le jour à cinq poèmes audio uniques qui donnent la parole à la peinture. Les cinq poètes ont tous des atomes crochus avec le monde de Cranach. Certains ont préféré laisser libre cours au personnage du tableau, d’autres ont choisi de donner vie à la peinture elle-même. »
Les poètes en question sont Stefan Hertmans (Belgique), Astrid Lampe (Pays-Bas), Lucienne Stassaert (Belgique), Gwenaëlle Stubbe (Belgique) et Han Van der Vegt (Pays-Bas). On peut entendre les poèmes en 3 langues : traductions de Piet Joostens pour le néerlandais, Daniel Cunin pour le français, Cole Swensen et Willem Groenewegen pour l’anglais.
Lucas Cranach l’Ancien, Lucrèce, vers 1510-1513, collection particulière © www.humanbios.com, Human Bios GmbH, Suisse
Le poème d’Astrid Lampe inspiré du tableau Lucrèce
weer valt mijn vacht op dezelfde plek open
kan het blote oog bloter: neem bezit van mijn wit
neem bezit van dit wit, sla het op sla me open
room me af met je blik voel je vingers
weer lopen: niets verzinnen manmijn
de wol die ik spon tot jij mij weer liet spinnen
was de wol die ik kaarde o en wit was die wol
o en witter mijn tint nu, de teint die ik trouw met de room voor je
spaarde: uit! nu die droom, vals de dag
weer valt de nacht op dezelfde plek open
kon het boze oog bozer
al het zwart kruipt zo naar boterzwaar in me op
kan je blote oog bloter kón ik maar blozen liefste o en dolk
stoot me rozen al bleef ik dood in zijn grafkou, nog trekt de slaap
het halve werk van die lafaard nu simpel voltooien
open en bloot rond me af neem bezit van dit wit o
en hart noem me diertje jouw Lucretia totaal ( )
blind leid ik je staal stoot o en stoot nog éénmaal
encore même endroit encore ma fourrure s’entrouvre
l’œil nu peut-il se faire plus nu
prends ma blancheur prends
possession de ma peau blanche peau
couve-la des yeux allaite-toi
ouvre-moi de tes doigts cours et parcours – sans minauder
la laine que j’ai filée pour filer doux
entre tes doigts, laine ô combien blanche
ô combien plus blanc mon teint
teinte et lait que j’ai gardés fidèlement
pour toi : fini ! d’abord le rêve, faux jour
encore même endroit encore la nuit s’entrouvre
le mauvais œil peut-il se faire plus mauvais
tout le noir grimpe caillé en moi
ton œil nu peut-il se faire plus nu
et moi rougir ô tendre et dague
poignarde-moi de roses même si je gis
dans le froid de sa tombe le sommeil attire
histoire de finir le boulot bâclé de ce couard
ouverte et nue achève-moi prends possession de cette blancheur ô
cœur appelle-moi biche ta Lucrèce toute ( )
aveugle je guide ton acier frappe oh poignarde et frappe encore
traduit du néerlandais par Daniel Cunin
Lucas Cranach l'Ancien, Le Suicide de Lucrèce, 1538, Bamberg, Neue Residenz