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  • Philippe Zilcken, par Maria Biermé

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    Entre Japon, Algérie et Provence

     


    Du même critique - l’extravaguant Ray Nyst -, à deux ans de distance : « Zilcken, qui a voyagé en Algérie, a d’aimables notations d’oueds et d’oasis. » (La Belgique artistique & littéraire, février 1911, p. 243) et, dans un bref compte rendu qui n’épargne aucun des artistes hollandais exposés au Cercle artistique du 8 au 18 mai 1913 : « Zilcken, de La Haye, nous montre des vues d’Égypte et d’Algérie d’une indigence extraordinaire, pas de couleur, pas de vie, pas de vibration : Le Caire à Londres » (La Belgique artistique & littéraire, 1er juin 1913, p. 436). Entre ces deux dates, la même revue, dans sa livraison d’août 1911 (p. 154-164), rend hommage au graveur francophile par l’intermédiaire de la poète et critique d’art belge, Maria Biermé (1863-1932). Des pages qui apportent maintes précisions sur Philippe Zilcken (1857-1930).

     

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    Philippe Zilcken en 1902



    PHILIPPE ZILCKEN

     

    Takesono, le joli nom, et comme il convient à la demeure d’un fervent de l’art, de la nature et de l’Orient !

    C’est bien un « jardin de bambous », en effet, dans lequel se trouve enclavée la demeure de celui dont nous étudions l’œuvre. Or, le bambou dans ce Japon, dont Zilcken est épris, c’est le symbole de l’Art et de la Poésie, aux sources mystérieuses et profondes comme celles des grands lacs bleus où baignent les longues tiges du roseau luxuriant, dont la cime s’épanouit sous les larges flambées d’un soleil éclatant, telle l’œuvre de l’artiste, sous la féconde caresse de l’inspiration.

    Si nous franchissons le seuil de Takesono, les goûts et les aspirations complexes de son hôte se reflètent, à chaque pas.

    D’une part, en effet, les attaches du Hollandais de vieille souche sont incrustées dans les fines sculptures des meubles confortables et dans les anciennes gravures coloriées, où La Haye apparaît, au XVIIIe siècle comme aujourd’hui, arrosée de canaux profonds et agrémentée de son large Bois, peuplé de cerfs et de biches, où le vent, qui chante à travers les feuillées des pins et des chênes, la berce, à présent, comme jadis, de sa mélopée rêveuse.

    De l’autre, l’orientaliste distingué accumule, derrière les vitrines et sur les étagères, les bibelots curieux et les poteries primitives de Biskra et d’Alger.

    Il suspend, aux murailles, les armes ciselées des colonies, et le terrible clewang de Sumatra y voisine avec le kriss du poignard national de Java.

    Un miroir enchâssant de précieuses miniatures persanes, surmonte l’ottomane où le dragon chinois s’allonge sur des coussins de soie brodée d’or.

    philippe zilcken,maria biermé,peinture,gravure,hollande,algérie,japon,provenceDes estampes japonaises d’une coloration ravis- sante, et dont l’artiste possède quelques rares exemplaires, s’encadrent entre les souvenirs de quelques maîtres, ses amis : Une gravure de Brac- quemond ; une eau-forte de Rodin (1) ; un délicieux pastel de l’aquafortiste Bauer, esquissant le portrait de Renée Zilcken, enfant ; la Première communiante, de Jan Toorop, dont les yeux profonds sont pleins de l’ardeur recueillie des mystiques.

    Enfin, comme pour symboliser les aspirations, tout à la fois exotiques et patriales, du maître, sur le marbre noir d’une cheminée ornée de tissus des Indes aux multiples couleurs, les milliers de pétales pittoresquement assemblés des chrysanthèmes côtoient, dans une coupe de Venise, les corolles savamment ordonnées des tulipes.

    Il semble, à voir la physionomie des lieux habités par l’artiste, qu’on puisse lui appliquer les paroles de Théophile Gautier aux de Goncourt : « Nous tenons à d’autres races, nous autres, nous sommes pleins de nostalgies. »

    Si l’on considère les œuvres du maître-peintre-aquafortiste-écrivain, on y retrouve, tout à la fois, le Hollandais, le Français, l’Orientaliste.

    Pourtant, il s’en dégage une personnalité bien déterminée et toute faite de simplicité, de sincérité, de distinction, de vérité surtout.

    Aussi, peut-on dire de l’art de Zilcken, qu’il est, tout à la fois, un et multiple.

     

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    Hiver en Hollande


    C’est ainsi que ses toiles d’il y a vingt ans diffèrent absolument, par le coloris, de celles des dernières années ; de même, ses eaux-fortes offrent trois phases distinctes et, cependant, aucune d’elles ne pourrait être attribuée à un autre artiste.

    Faut-il rechercher les causes de ces attirances diverses, dans les origines lointaines de Zilcken ?

    Peut-être ! Car, s’il naquit, à La Haye, de parents originaires de Rotterdam, sa grand’mère maternelle était de Douai et il est, par elle, allié au gendre de Jules Breton, le peintre Adrien Dumont.

    Si l’on remonte plus haut encore, on retrouve du sang anglais, espagnol, arabe même chez les siens.

    Le père de Ph. Zilcken

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceComment Philippe Zilcken devint-il peintre, alors que son père, qui occupait une haute fonction dans le gouvernement hollandais, était un violoncelliste de talent, ami de Henri Wieniawski, de Sarasate, de Planté, de Camille Saint-Saëns, avec lesquels il exécutait de la musique de chambre, d’une façon remarquable ?

    Subit-il l’influence des frères Maris, d’Arz, de Blommers, peintres chassés de Paris, par la guerre de 1870, et qui, avec Josef Israëls et Mauve, formaient l’auditoire assidu de ces séances musicales ? C’est probable, d’autant plus qu’ils aimaient à se ressouvenir de la capitale, en parlant le français avec ce jeune garçon de treize ans, qui possédait cette langue tout aussi bien que l’anglais, l’allemand, le latin, l’italien et le hollandais.

    C’est cette facilité d’élocution française qui le fit choisir, alors qu’il n’était qu’un tout jeune homme suivant encore les cours du Gymnase de La Haye, pour secrétaire intime de la reine Sophie, la première femme du roi Guillaume.

    Dans son premier volume des Souvenirs publié à Paris, chez Floury, en 1900, Zilcken relate des choses fort intéressantes au sujet des travaux de cette reine souffrante et éprise de la solitude de la « Maison du Bois », où elle se retirait souvent, pour se livrer à des travaux sérieux qu’elle dictait rapidement à son jeune secrétaire.

    Parmi ceux-ci, Zilcken se souvient d’une étude de longue haleine : « Les derniers Stuarts, impressions d’une reine », qui parut, en 1875, dans la Revue des Deux Mondes.

     

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    Arrivée de la Reine


    La reine Sophie, ayant appris les dispositions artistiques de son jeune secrétaire, insista pour voir ses premiers essais, les apprécia fort et recommanda à leur auteur de beaucoup travailler.

    Ces encouragements, de même que l’enthousiasme avec lequel les peintres, qu’il rencontrait chez ses parents, parlaient de leur art, devaient contribuer à développer en lui les dispositions artistiques dont il avait hérité de son père et lui faire appliquer à la peinture et à l’eau-forte, le sens et le goût inné des harmonies qui chantaient en lui.

    En 1878, M. Zilcken convaincu de la vocation de son fils, qui s’était mis à peindre, seul, d’après nature, demanda à Mauve de diriger le travail du jeune artiste. Durant trois années, ce dernier s’en fut travailler avec lui dans la campagne hollandaise où, perdu dans les larges pâtures, assis à l’ombre d’un buisson ou d’un moulin à vent, il observait tout, autour de lui, avec la plus scrupuleuse attention et s’attachait à le rendre, non seulement avec un grand fini dans l’exécution, mais à l’imprégner de toute la ferveur de ses sentiments.

    C’est, d’ailleurs, le conseil que, lui-même, n’a jamais cessé de donner à ses élèves : « Il faut, leur dit-il, être humble devant la nature. Commencer par en rendre l’aspect le plus fidèlement possible, non avec la minutie du photographe, mais avec l’émotion de l’artiste et, plus tard seulement, se laisser aller à toute la fougue de son imagination et à l’expression entière des conceptions qu’elle inspire. »

    « L’originalité de l’art japonais, ajoute-t-il, vient de la grande simplicité avec laquelle les peintres de cette contrée ont regardé et rendu ce qui les entoure. »

    Grâce à Mauve et à Willem Maris, qu’il rencontrait souvent, Zilcken a su arriver à cette réalisation de la justesse des tons et des valeurs qui, seules, permettent à l’artiste de reproduire avec vérité, la perspective aérienne et l’atmosphère.

    Cimetière de la Bouzaréah, 1910

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceComme Mauve aussi, il s’est toujours appliqué à mettre en pratique le conseil de Corot : « D’abord, le ton et puis, la couleur ». De là vient que Zilcken réussit toujours à rendre la physio- nomie véritable de chacune des contrées qu’il a visitées. Il ne s’est pas essayé, par exemple, à l’instar de quel- ques autres, à se créer une palette d’orientaliste mais, lors de ses séjours en Algérie, il s’est contenté de travailler en plein air et d’en rapporter des œuvres sincères par le coloris comme par l’expression.

    Au retour de sa première visite au pays du soleil, il trouve acquéreur pour ses travaux, chez le plus grand marchand de tableaux de l’époque, M. G. van Wisseling, dont le père, un ami de Courbet, eut l’honneur d’avoir son portrait peint par celui-ci.

    À l’Exposition coloniale d’Amsterdam, Zilcken obtient un succès remarquable avec un grand tableau peint à Alger, et la médaille d’argent pour six eaux-fortes originales.

    L’artiste pense sérieusement, alors, à aller habiter Alger, mais les circonstances en décident autrement. Il se marie et va s’installer avec sa femme, dans une campagne des environs de La Haye, séparée seulement de la « Maison du Bois » par la route et le canal qui côtoie le domaine royal.

    Traduction (par K. Jonckheere) de Quinze jours en Hollande

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceC’est là qu’il fit bâtir Hélène-Villa où, en 1892, il offrit l’hospitalité à Paul Verlaine qui, grâce aux efforts réunis de Zilcken et de quelques autres artistes, avait été invité à venir donner des conférences à Amster- dam, à Leyde, à La Haye.

    Le grand poète bohème a relaté, d’ailleurs, dans ses Quinze jours en Hollande, tout le charme qu’il goûta dans cet intérieur paisi- ble, comblé des atten- tions de Zilcken, de sa femme, de leur petite Renée même, âgée d’un an et demi, avec qui Verlaine passait des heures à feuilleter ses albums japonais et pour qui il écrivît un sonnet où il célèbre, avec la grâce de l’enfant, l’indulgente bonté de ses hôtes.

    Rentré à Paris, dans ses lettres à Zilcken, Verlaine n’oubliait jamais d’envoyer « son meilleur bécot à sa filleule littéraire », ainsi qu'il appelait souvent la petite Renée.

    Zilcken insista, plus d’une fois, auprès de Verlaine, qui s’était conduit chez lui « en vrai gentleman », pour qu’il acceptât encore « cette sainte hospitalité d’artiste à poète », mais Verlaine, qui mourut deux ans plus tard, était trop souffrant pour songer encore à revenir en Hollande.

    C’est encore Zilcken qui organisa les premières représentations de Lugné Poë et de Suzanne Desprès en Hollande. D’ailleurs, comme le disait récemment Francis de Miomandre, dans l’Art moderne, Philippe Zilcken, représente, en Hollande, la culture française. « C’est, ajoute-t-il, notre grand ami ». En effet, le peintre aquafortiste qui, tout jeune, fréquentait le salon des frères de Goncourt et fait, chaque année, un séjour à Paris, où il est correspondant des principales revues d’art, est fort apprécié en France et jusque dans le monde des félibres. Mistral est, on le comprend, un vieil ami de celui qui réussit à illustrer si poétiquement sa chère Provence.

     

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    Avignon, 1909


    Zilcken a fait partie du jury de l’Exposition universelle de Paris, en 1900, et fut, alors, promu chevalier de la Légion d’honneur.

    Dès 1887, époque de son mariage, Zilcken avait, le premier en Hollande, commencé à graver ses grandes eaux-fortes de reproduction, ainsi que venaient de le faire, en France, Bracquemont et Charles Walner. Travail qu’il entreprit sans éditeur, avec le seul souci de satisfaire son goût et celui des artistes.

    Quand la réussite répondit à son attente, il alla trouver Van Wisseling qui s’improvisa éditeur pour faire paraître ces planches où l’artiste avait reproduit les œuvres de Vermeer, Rembrandt, de Potter, Jacob Maris, et, sans rien abandonner de sa personnalité, avait réussi à y exprimer le caractère propre à chacun de ces maîtres.

    Le graveur Walner, qui travaillait, alors, à la reproduction de la Ronde de nuit, et à qui Zilcken alla montrer ses estampes, lui désigna sa voie, en lui conseillant de reproduire les modernes surtout.

    Aussitôt, Zilcken se mit à l’œuvre et grava une superbe estampe d’après La Bête à bon Dieu, d’Alfred Stevens. Celui-ci en fut enthousiasmé et l’emporta immédiatement chez Alphonse Daudet, où elle fut beaucoup admirée. Peu de temps après, le célèbre peintre-graveur français, Félix Buhot (2), s’exprimait de la sorte, en parlant du grand Souvenir philippe zilcken,maria biermé,peinture,gravure,hollande,algérie,japon,provenced’Amsterdam, que Zilcken venait de graver, d’après Jacob Maris : « Cette magnifique pièce démontre combien il est nécessaire à un painter-etcher, et même à un etcher tout court, de passer par la peinture, par le maniement de la brosse, avant de prendre la pointe. Le pein- tre, lui-même, n’eût jamais pu se traduire avec plus d’aisance et de liberté, avec un travail plus large et plus adéquat au mouvement de la brosse, tour à tour, emportée et fluide dans le ciel, puis solide et reposée dans les fabriques, les terrains, les eaux. »

    Félix Buhot

    Quel que fût, en effet, le succès vraiment universel de ses eaux-fortes, Zilcken n’abandonna jamais le pinceau qu’il a toujours manié parallèlement, peut-on dire, avec la pointe. C’est ainsi qu’il grava, en même temps qu’il peignit, La tête du pêcheur du musée Mesdag, à La Haye, et les Souvenirs du Pont-Neuf acquis, en 1902, par le musée du Luxembourg et dont le conservateur, l’éminent critique, Léonce Bénédite, a dit : « Cette séduisante petite vue de Paris qui montre la parenté de l’auteur avec la postérité choisie de Corot. »

    Le nom de Corot nous rappelle les paroles de Camille Lemonnier à Zilcken, qui venait de faire une série d’eaux-fortes d’après le maître français : « Ces eaux-fortes sont faites pour fortifier, en moi, la passion de cet art subtil, où la main semble plus près de la pensée que dans les autres, où la sensation, à travers un bref et presque fluide procédé, garde quelque chose de sa fugacité et pourtant de sa grâce durable. Il ne faut qu’un sens éveillé, qu’une même émotion, une souple et rapide tactilité, et c’est la vie même dans l’ondoyé et le chatoyé de la lumière. Un mirage charmant, l’aérienne vision d’une chose entre la conjecture et le réel. La peinture paraît bien matérielle à côté. Vous êtes un des maîtres de cette graphie déliée, ajoute Lemonnier, vous en avez la spontanéité, la décision et la légèreté, l’un peu plus que la seule habileté et qui est toute l’âme du grand artiste. »

    En même temps qu’il grave ses magnifiques eaux-fortes de reproduction, Zilcken en crée d’originales dont le sentiment de la vie et du plein air, la légèreté du trait, la fluidité, le velouté lui font une réputation universelle.

    Scène de rue en Tunisie

    philippe zilcken,maria biermé,peinture,gravure,hollande,algérie,japon,provenceBientôt, en effet, par l’intermédiaire de la maison Goupil de La Haye, Zilcken était mis en rapport avec le célèbre collectionneur américain, Sam P. Avery, qui, après avoir acheté un certain nombre de ses eaux-fortes, souhaita posséder tout son œuvre. C’est ainsi qu’à sa mort, Sam P. Avery put léguer 650 eaux-fortes et pointes-sèches de Zilcken à la Public library de New York, le seul endroit où se trouve la collection complète des estampes du maître.

    C’est vers cette époque que celui-ci fit une Exposition à New York, où il fut hautement apprécié par les collectionneurs américains qui acquirent maintes de ses œuvres.

    Parmi les eaux-fortes originales de Zilcken devenues fort rares, parce que tirées à trois, quatre, sept exemplaires seulement, il faut citer quelques portraits merveilleux par la ligne simple et grande, tout à la fois, le caractère et la vérité de l’expression. Ce qui fait regretter que le maître ne cultive pas plus souvent ce genre, tant au pinceau qu’à la pointe.

    On se souvient des deux remarquables portraits de Verlaine ; l’un, absolument original, illustrant les Quinze jours en Hollande ; l’autre, dénommé le grand portrait de Verlaine, que Zilcken grava sur un dessin de Toorop et dont Stéphane Mallarmé disait avec enthousiasme : « L’admirable portrait qui restitue à Verlaine toute sa noblesse et entoure le poète du recueillement et du sourire d’un chez lui trouvé chez vous!»

    Venise, 1895

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceEn 1900, le musée du Luxembourg acquit une œuvre de trois cents estampes de Zilcken : Rotterdam en possède une centaine ; Venise lui achetait récemment une suite de six estampes originales repré- sentant la Venise intime, où l’artiste a transporté les qualités acquises dans un travail de gravures de grande reproduction. Citons surtout La grandeur déchue, dont il a fait l’eau-forte parallèlement au tableau, et qui est, comme celui-ci, d’une gran- deur de style incomparable.

    Enfin, tout dernièrement, la Bibliothèque Nationale de Paris, achetait une œuvre de 17 estampes à l’aquafortiste hollandais.

    Au mois d’octobre 1904, Zilcken, assoiffé de soleil, partait pour la Provence et son tableau Ruines de Les Baux inaugurait une série d’œuvres dont les couleurs chantent la joie, la clarté et l’azur.

    Après Les Baux, c’est Venise qu’il illustre et le noir des gondoles fait mieux ressortir les tonalités dorées et bleues du ciel de l’ancienne cité des doges.

    Ruines El Alix, pastel

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceEnfin, c’est l’Algérie où il fait un long séjour en 1909 et d’où il rapporte une cinquantaine d’œuvres, dont quelques-unes expo- sées à Paris, en février 1910, au salon des Orien- talistes, faisaient noter dans le Figaro, par l’éminent critique Arsène Alexandre « la discrétion et l’aristo- cratique harmonie des peintures algériennes de M. P. Zilcken, l’éminent peintre hollandais ».

    Philippe Zilcken est un sincère et l’on retrouve, dans toutes ses œuvres, le même souci de vérité dans le sentiment comme dans l’expression. C’est ainsi que, s’il abandonne ses harmonies de gris et de bruns qui, jusqu’en 1904, caractérisent ses Coins de villes néerlandaises assises au bord des canaux, ses larges Plaines enveloppées dans le rêve des crépuscules, ses Paysages aux pittoresques moulins à vent, dont les larges bras se signent dans l’espace, pour rechercher les harmonies blondes de l’Algérie ensoleillée, c’est qu’un rayon de joie ou d’espoir a, de nouveau, pénétré sa vie.

    Dans ses œuvres anciennes, comme dans les modernes, c’est toujours la même netteté dans le trait, la même grandeur dans la ligne, la même notation juste des relations subtiles des tons et des valeurs, et, comme le vieux maître Pieter de Hoogh, auquel on a comparé l’artiste, la même luminosité du fond et l’ombre au premier plan.

    Haouadja

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceLe dernier voyage de Zilcken en Algérie marquera dans sa carrière d’artiste, car surabondante y fut sa récolte d’œuvres de vie et de beauté.

    Tableaux à l’huile aux colorations distinguées ; délicieuses aquarelles, aux nuances de rêves ; eaux-fortes et pointes-sèches, aux traits fins et déliés, et au velouté moelleux qui caractérise toutes les œuvres à la pointe de Zilcken. Enfin, ce livre remarquable, Impressions d’Algérie*, orné de pointes-sèches originales qui, à elles seules, suffiraient à nous donner une idée complète du pays où le désert de sable apparaît plus immense sous la plaine azurée du ciel, bien qu’il s’éclaire, parfois, du sourire ensoleillé des oasis se mirant dans les sources, où baignent les troncs des palmiers séculaires.

    Mais l’admiration émue du peintre-écrivain est trop fervente devant cette nature admirable, pour qu’il ne cherche pas à l’exubérer encore, au moyen de ce verbe, tout vibrant d’enthousiasme et d’une coloration subtile, qu’est le sien.

    Marabout de Sidi-Moussa, 1910

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceC’est la Casbah fantas- tique que sa plume nous peint et où, comme le dit Léonce Benédite dans sa belle « Préface » au livre de Zilcken, « l’artiste s’émerveille devant le spectacle pittoresque, fortement exotique, violemment, mais har- monieusement coloré des foules grouillantes, dont les flots se heurtent dans le dédale tortueux de ruelles étroites, montantes, profondes, où passent des populations mélangées et bigarrées d’indigènes magnifiques, dans leurs élégantes draperies ou leurs oripeaux sordides ».

    Tantôt, Zilcken nous fait voir l’azur du ciel se mariant avec celui de la mer, caressée par l’aile blanche d’une mouette et dominée par le Vieux fort turc, immuable, tel le fatalisme qu’il défend, et dont les tons blonds dorés, comme une chevelure du Titien, s’harmonisent avec le vert-gris des touffes d’herbes qui s’échappent des crevasses de ses antiques murailles. C’est l’El Kantara, le soir, « le village chamois et rose au milieu des milliers de palmiers d’un blond cendré et bleuâtre », que l’artiste nous décrit dans ce livre avec la plume, la pointe et le pinceau.

    Fatmah

    Philippe Zilcken, Maria Biermé, peinture, gravure, hollande, algérie, japon, provenceC’est Un matin à Biskra (le Paradis du désert) où, en deux ou trois traits d’une délicatesse infinie, il nous retrace, dans une pointe sèche, le portrait de la femme mauresque assise contre le mur de sa vieille demeure ; c’est la tête enturbannée de Fathma, la négresse et celle d’Haopadja et la femme du Sud, il arrive à faire ressortir admira- blement les caractères particuliers à chacun de ces types. Il nous montre, avec une douceur émue, les graves Marabouts blancs, pieusement recueillis, au fond des larges avenues baignées dans la lumière.

    Il nous fait sentir l’isolement silencieux des tentes des nomades perdues entre les deux immensités du ciel et du désert.

    Aussi, quand nous avons goûté tout le charme ensoleillé qui se dégage des Impressions d’Algérie, de Philippe Zilcken, nous sommes tentés de nous écrier, comme lui, après Verlaine : « Je suis hanté, l’azur, l’azur, l’azur, l’azur. »

    Renée Zilcken, cette « fillette exquisement mignonne », comme la qualifia Verlaine, dans son sonnet, a orné le livre de son père de culs-de-lampe finement dessinés où s’épanouissent de délicates corolles.

    Nous avons parlé de l’aquafortiste, du peintre, de l’écrivain, parlerons-nous de l’homme ?

    Léonce Bénédite a esquissé sa physionomie en quelques traits, dans la préface dont nous parlions plus haut : « Grand, mince, nerveux, fin et distingué, on dirait vraiment un Français de vieille souche. Réservé, discret, timide même, il arrive néanmoins à passer partout, à pénétrer partout. Il inspire confiance. »

    Ajoutons qu’il est bon, simple, sincère, d’une activité et d’une exactitude étonnante pour un artiste, « le strict Zilcken, toujours sur le qui-vive », disait de lui Verlaine.

    philippe zilcken,maria biermé,peinture,gravure,hollande,algérie,japon,provenceSa vie, entièrement dévouée aux siens et à son art, il la passe tantôt, « sous les ciels perlés, argentés des Ruysdael et des Van Goyen, où les chevauchées des nuages légers tamisent la lumière » ; tantôt parmi les cyprès sombres et les clairs aman- diers de la Provence (3) ; tantôt encore, à l’ombre des palais de « Venise la belle », dont il esquisse les lignes superbes. Tantôt, enfin, il erre de par le Sahara infini et y retrempant, à nouveau, son pinceau dans l’or de la lumière, il en ramène des œuvres toutes pleines de soleil et d’azur où, toujours, la vérité est poétisée par la beauté !

     

    MARIA BIERMÉ

     

     

    * Philippe Zilcken, Impressions d’Algérie. Édition sur papier de Hollande, ornée de quinze pointes sèches originales. Préface de Léonce Bénédite. Tirage restreint à 120 exemplaires, dont 8 sur papier Japon, avec double état des pointes sèches dont une suite aquarellée.

     

    (1) Sur les liens entre Rodin et Zilcken, voir Claude Judrin, « Zilcken », Rodin et la Hollande, Paris, Musée Rodin, 1996, p. 220-244.

    (2) Le volume de Ph. Zilcken, Souvenirs I, préface Alidor Delzant, Paris, H. Floury, 1900, comprend des « Fragments de lettres à Félix Buhot » (p. 144-181).

    (3) Après plusieurs séjours en Provence – où il rend visite à Mistral –, Zilcken ira s’établir sur la Côte d’Azur. Il écrira un livre destiné aux Néerlandais désireux de découvrir la région niçoise : Langs wegen der Fransche Rivièra, Leopold, 1925.

     

     

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    À l'oasis de Béni-Mora, 1910



  • Petit portrait de Philippe Zilcken

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    Ce que j’ai appris, je ne l’ai jamais su,

    et ce que je sais, je ne l’ai jamais appris.

    Ph. Zilcken

     

     

    CHARLES LOUIS PHILIPPE ZILCKEN EN BREF

     

    Le peintre, graveur et homme de lettres hollandais Charles Louis Philippe Zilcken (La Haye, 21 avril 1857- Villeneuve-sur-Mer, 3 octobre 1930) a laissé de nombreux écrits dans sa langue maternelle comme en français (et en anglais) sur des peintres hollandais et des artistes français de son temps (les frères Maris, Jozef Israëls, Marius Bauer, Geo Poggenbeek, Hendrik Mesdag, Jan Toorop, G.H. Breitner, Félicien Rops, Henri Regnault, Jean-Baptiste Corot, Étienne Dinet, Alphonse Stengelin, Rodin, Edmond de Goncourt…) qu’il comptait pour la plupart parmi ses amis. En 1900, il a donné un premier volume de souvenirs (Souvenirs I, préface Alidor Delzant, Paris, H. Floury), dans lequel il est question de Marius Bauer, de la reine Sophie des Pays-Bas, de Verlaine en Hollande, de Venise, de Jacob Maris, du voyage en Zélande de la poétesse Ossit, de Félix Buhot, de Berthe Bady, de patinage… Un autre devait suivre l’année même de sa mort : Au jardin du passé. Un demi siècle d’Art et de Littérature. Ses mémoires rédigés en néerlandais en 1928 (Herinneringen van een Hollandsche Schilder der negentiende eeuw 1877-1927) n’ont quant à eux jamais été publiés ; ils apportent un certain nombre de précisions qui ne figurent pas dans les ouvrages rédigés en français.

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    Philippe Zilcken dans son atelier

     

    Le nom de Philippe Zilcken reste lié à celui de Verlaine puisque c’est à son initiative, à celle d’un libraire-éditeur haguenois et de quelques autres peintres, que le poète français a été invité à passer une dizaine de jours aux Pays-Bas fin 1892 pour entretenir un public choisi de poésie française. Il a d’ailleurs logé au cours de ce séjour dans la demeure de Philippe Zilcken. Ce dernier, passeur érudit, « collectionneur de race », « frère jumeau de la plume et du burin », aujourd’hui en grande partie oublié, mérite qu’on lui rende un petit hommage, d’autant plus qu’il est assez difficile de mettre la main sur ses publications.

    Sa connaissance du français lui venait de sa mère qui avait vécu en Belgique et parlait français à la maison. Alors qu’il était encore au lycée dans sa ville natale, Zilcken a été, deux après-midi par semaine (1874-1876), le secrétaire de la reine Sophie qui lui dictait son courrier en français ainsi que des études historiques comme celle publiée par La Revue des deux Mondes le 1er juin 1875 sous le titre « Les derniers Stuarts ». S’il a bien entendu beaucoup pratiqué les auteurs français tout au long de son existence, Zilcken n’en a pas moins gardé un réel amour de la langue néerlandaise : « Le hollandais, cette langue riche et extraordinairement malléable, qui sait être rigide et austère et s’adoucir en de verlainiennes caresses », écrira-t-il par exemple dans une recension pour La Revue Blanche.  Le milieu privilégié dans lequel le jeune garçon a grandi lui a permis de s’initier aux arts et de rencontrer très tôt des artistes, en particulier ceux qui fréquentaient la maison familiale où son père, mélomane et musicien, organisait des soirées musicales. L’un de ces visiteurs, Anton Mauve, fut d’ailleurs le premier à transmettre son savoir au jeune Philippe, lequel montra un certain talent alors que ses parents le destinaient à des études plus conventionnelles (le droit). Pour le peintre en herbe, la fréquentation et les conseils de Jacob et Willem Maris ou encore de Jozef Israëls se révélèrent également très précieux.

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    Profil de femme, par Ph. Zilcken

     

    La passion qu’éprouvait Philippe Zilcken pour la peinture et le dessin ne le dispensa pas de s’intéresser à d’autres choses comme la botanique, les fossiles, la bibliophilie, les bibelots extrême-orientaux. Bientôt, il transformera son intérieur en véritable musée. À propos de sa demeure haguenoise de style anglo-normand construite en 1889 qui portait le nom de son épouse, écoutons un de ses amis, l’écrivain Lodewijk van Deyssel, en 1902 : « Ceux qui ont eu l’avantage de connaître l’intérieur de l’habitation de Philippe Zilcken, la charmante Hélène-Villa – une première, délicate et fine œuvre de l’architecte Bauer – savaient combien les objets d’art formaient là un tout avec les chambres et l’atelier… ». L. Lacomblé, critique qui avait lui aussi visité les lieux, raconte que l’aquafortiste caressait les objets des yeux et qu’il n’osait élever la voix de peur de les déranger. Outre de nombreuses œuvres d’art offertes par des maîtres et confrères, le jeune aquafortiste s’entourait de japonaiseries et d’une collection pour le moins singulière, commencée chez « un petit brocanteur » d’Arles : de magnifiques chaussures de diverses époques et divers continents, qui seront exposées (au Royaume-Uni) et feront l’objet de plusieurs articles avant d’être confiées, du vivant de l’artiste, au Musée d’art décoratif de Haarlem. C’est qu’en 1902, Philippe Zilcken, manquant d’argent, a dû vendre ses 150 paires de chaussures, mais aussi pratiquement toutes ses pièces de valeur. Peut-être sa période faste était-elle terminée, peut-être s’était-on un peu lassé de ses eaux-fortes, comme le suggèrent certains critiques hollandais lui reprochant de ne pas se renouveler – opinion qu’on retrouve aussi d’une certaine façon sous la plume de son confrère Georges Lemmen qui affirme, à propos de la première exposition internationale de La Haye (1901), que Zilcken ainsi que quelques autres, « n’apportent dans une contribution trop restreinte aucune note nouvelle » (L’Art Moderne, 9 juin 1901). Mais d’autres raisons expliquent sans doute ce revers, auxquelles venaient qui plus est s’ajouter des drames familiaux : « Frappé dans ses affections les plus chères, sentant le vide de sa maison trop grande, notre ami ne veut plus conserver que quelques rares souvenirs des jours heureux », explique un commentateur (L’Art Moderne, 4 mai 1902). Après le décès de son épouse à l’automne 1895, Zilcken a en effet perdu un enfant, peut-être la petite Renée à laquelle Verlaine a dédié un poème. Toujours est-il que les différentes pièces que le peintre-graveur avait achetées ou qu’on lui avait offertes au fil de près de trente années sont vendues aux enchères les 13, 14 et 15 mai 1902 au Haagsche Kunstkring sous la direction de R.W.P. De Vries, expert d’Amsterdam et Martinus Nijhoff, libraire à La Haye. Dans Au Jardin du Passé, le premier concerné écrit : « Lorsque je revins à La Haye, une vente avait eu lieu d’une partie de mes collections de chaussures, d’estampes, d’objets d’art oriental. Je n’ai jamais possédé des pièces de grande valeur, mais j’avais pu dénicher çà et là de jolis objets qui malheureusement ne se vendirent pas très bien. Néanmoins, le tout liquidé, je pus de nouveau me livrer au travail avec une certaine indépendance. Mon ami, le célèbre écrivain Van Deyssel, avait eu la complaisance d’écrire une aimable Préface pour le Catalogue de cette vente, qui est naturellement devenu très rare (…). Cette vente a excité la curiosité de biens des gens et je crois qu’il n’y a eu qu’un seul journal qui ait dit la vérité : “M. Z… a besoin d’argent” – ce qui malheureusement n’était que trop vrai ! Il est regrettable que ces précieuses et uniques collections d’eaux-fortes modernes, en majeure partie imprimées par moi, qui vaudraient actuellement leur poids d’or – aient été vendues à des prix dérisoires, à peu près au “prix du papier”. »

    On comptait parmi les pièces qui n’étaient pas « de grande valeur » 12 estampes de Heinrich Aldegrever, un Lucas van Leyden, une trentaine d’estampes japonaises, une dizaine de dessins de Vincent van Gogh (période haguenoise), un grand dessin de Jongkind, plus de 80 gravures de Marius Bauer et presque autant de Rops, des lithos de Nicolas-Toussaint Charlet, Daumier et Odilon Redon, des œuvres de Daubigny, Goya, Jozef Israëls, Auguste Lepère, Manet, Mauve, Maris, Célestin Nanteuil, Delacroix, Henry De Groux, de précieux manuscrits du XVe siècle, des meubles, sans compter un plat en faïence de Delft peint par Mauve, des porcelaines chinoises, une partie de la belle bibliothèque… et 225 eaux-fortes originales de Zilcken lui-même ainsi que le manuscrit de Quinze jours en Hollande. Lettres à un ami de Verlaine. Il est clair que Zilcken a traversé une période noire sur laquelle il préfère ne pas s’étendre dans ses mémoires. En général, il reste d’ailleurs très discret sur ses déboires et sur sa vie familiale. En le lisant, on comprend qu’il s’est remarié après la mort d’Hélène Hauzeur, mais on n’en apprend guère plus. En lisant certains journaux de l’époque, on comprend qu'il se trouvait mésestimé en tant que peintre.

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    L'écrivain Pol de Mont, par Ph. Zilcken

     

    Quelques témoignages de la fin du XIXe siècle fournissent une description physique de l’Haguenois. On peut par exemple se reporter au portrait que brosse Pol de Mont, homme de lettres belge et célèbre promoteur de la culture flamande : « Grand, maigre, robuste malgré cette maigreur, nerveux, incroyablement nerveux dans ses mouvements et son expression, prêtant un grand soin à sa mise sans toutefois porter des habits voyants, n’ayant pratiquement rien d’un dandy mais beaucoup d’un gentleman, Philippe Zilcken attire immédiatement l’attention et laisse une impression qui vous empêche de le ranger parmi la masse du commun des mortels, les millions de monsieur Tout-le-Monde. Sa tête surtout est intéressante, plutôt petite que grande, posée sur un long cou noueux, avec des yeux qui vous dévisagent et vous scrutent de derrière le pince-nez, front haut, le plus souvent parcouru de quelques profondes rides verticales, en dessous le nez un tantinet malicieux, des oreilles solidement dessinées, le cheveu très noir plaqué, – la tête d’un observateur, – sur laquelle ne tarde pas à apparaître l’expression tendue propre aux peintres et aux dessinateurs. » Dans son Journal, Edmond de Goncourt apporte en passant quelques éléments complémentaires : « Visite de Zilcken, l’aquafortiste hollandais, venu à Paris pour faire une pointe sèche de mon facies. Un long garçon, maigre, sec, osseux, avec l’accentuation d’une forte pomme d’Adam dans un cou d’échassier. » (1)

    Au cours de sa carrière, Zilcken s’est attaché à travailler avec une grande intégrité. Dans un premier temps, il a fait de grandes eaux-fortes de reproduction pour gagner sa vie (2). De plus petites aussi pour des publications, allant soumettre ses gravures aux auteurs des tableaux qu’il reproduisait. Ce travail exigeant ne l’empêchait pas de considérer la photographie de son temps comme un art. L’historien de l’art haguenois Adriaan Pit (1860-1944) a laissé plusieurs catalogue descriptifs des eaux-fortes originales de son ami, celui de 1893 en dénombrant 201, celui de 1918, 633 (3). Un visiteur en mentionne environ 400 lorsqu’il passe à la Hélène-Villa en 1896 (4). Parmi celles-ci, l’une représente le visage de la baronne Deslandes, née comtesse Fleury ; cette femme qui publiait sous le pseudonyme Ossit avait accueilli l’artiste hollandais chez elle et lui-même avait eu le plaisir de la recevoir en Hollande (« Souvenirs de Zélande », Souvenirs, 1900, p. 113-141).

    Parallèlement au temps qu’il consacrait à ses travaux artistiques, Philippe Zilcken – souvent dans le cadre de multiples fonctions officielles et honorifiques qui lui valurent d’être nommé en 1901 Chevalier de la Légion d’honneur et de recevoir la Croix de chevalier de l’ordre de Léopold –, s’est employé à faire mieux connaître les peintres et graveurs de son pays en France, mais aussi en Italie où il a joué un rôle dans l’organisation de plusieurs expositions dont l’une consacrée au vieux Jozef Israëls (1910). Il déplorait que « nos peintres tout comme nos poètes sont moins connus [en France] que les Scandinaves ou les Polonais ». En 1896, il a fondé un comité en faveur de la création d’un musée et d’une bibliothèque Rembrandt, une entreprise qui n’aboutira pas.

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    Exposition Zilcken dans l'atelier de l'artiste (1903)

     

    Le Haguenois a bien entendu participé lui-même à de multiples expositions dans différents pays européens : Salon des XX, Cercle artistique international d’Amsterdam (sur le modèle du Salon des XX), Kunstkring de La Haye, Exposition Internationale de La Haye (1901), Cercle Arti et Amicitiæ d’Amsterdam, Voor de Kunst à Utrecht (1915), Salon des Aquarelliste de Bruxelles, Salon de l’Estampe (janvier 1908), Durand-Ruel (mars 1906, avec Odilon Redon), Société internationale de la Gravure originale en noir (43, bd Malesherbes, novembre 1908)… La presse s’en est souvent fait l’écho. Par exemple, l’article « Impressionisten » de l’hebdomadaire De Amsterdammer du 21 février 1886, à l’occasion d’une exposition de cinq artistes haguenois, relève quelques œuvres faibles ou prosaïques de Zilcken, mais surtout des toiles de sa main qui ont beaucoup de caractère ainsi que de remarquables et puissantes eaux-fortes. Alors que l’artiste participe en 1893 à l’exposition de la Société des Aquafortistes belges au Cercle artistique, on commente son travail en ces termes : « De la lumière fine, M. Zilcken en éparpille aussi à travers ses eaux-fortes. C’est un Hollandais, comme M. Storm, mais il n’a pas la vigueur de celui-ci ni sa superbe maîtrise. Il a la ligne aérienne ; ce que nous préférons en lui, c’est la façon dont il rend la plaine hollandaise (Près de Delfshaven) parsemée de saules, de maisonnettes, de moulins. Les plans, variés de marécages, fuient avec légèreté vers l’horizon. Le Paul Verlaine (d’après Toorop) est merveilleux de vie et jamais le visage à la fois faunesque et apostolique du poète de Sagesse n’a été produit avec une telle intensité et un plus large caractère. » Durant l’automne 1905, rapporte un périodique, la ville de Leyde présente une rétrospective Zilcken regroupant une cinquantaine de toiles « impressions de voyage en Angleterre, en Belgique, en France, en Italie », dont certaines ramenées de Provence. Dans L’Art Moderne du 26 février 1911, Gabriel Mourey, qui se remémore les moments passés à la Hélène-Villa, se montre élogieux, soulignant « la subtilité, le raffinement, l’amour de la nuance » du Hollandais, son rejet de toute vulgarité, allant même jusqu’à faire de son camarade un artiste français : « C’est par cet amour de la vérité, par là seulement, j’y insiste, que Zilcken s’avoue Hollandais, car, pour le reste, surtout ce sens si raffiné, si profond, si sûr de la mesure, des belles proportions, de la clarté, c’est à la France, me semble-t-il, à cette France qui est son pays d’élection, dont il connaît, parle et écrit si finement la langue, qu’il me paraît le devoir : Zilcken est un graveur français. Plus que dans son pays natal, chez nous il se sait et se sent chez lui : son éducation, sa culture, sont françaises... » Au cours de l’été 1903, le peintre-graveur a même organisé dans sa demeure de La Haye une grande exposition réunissant plus de 80 de ses tableaux et une dizaine de ses aquarelles (5). Grâce au marchand de tableau Samuel Putman Avery (1822-1904), Zilcken va par ailleurs pénétrer assez tôt le marché américain ; ainsi, en 1892, on exposera à New York des travaux qu’il a ramenés d’Algérie (6). Au printemps 1913, nous raconte l’aquafortiste, a lieu une rétrospective au Pulchri Studio de La Haye, avec beaucoup d’études d’Egypte ; ce fut sa « dernière manifestation d’art personnel ». En janvier 1914, une centaine des ses premières eaux-fortes seront exposées au Cabinet des Estampes d’Amsterdam.

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    Affiche de l'exposition Zilcken 1913

     

    Dans la vie du peintre-graveur, la Provence et la Côte d’Azur ont occupé une place majeure même s’il a toujours considéré que la Hollande était « peut-être le pays qui recelait le plus de beauté ». Zilcken a découvert ces régions dès 1882 : « … attiré par le climat autant que par la lumière, je suis parti pour la Provence, séjournant en Arles et aux environs, puis à Marseille, excursion d’où j’ai rapporté un certain nombre d’aquarelles et d’eaux-fortes, principalement de la jolie ville d’Arles, aux fins tons gris et or accentués par les silhouettes noires des Arlésiennes ». Il y est souvent retourné, profitant par exemple d’un séjour aux Baux-de-Provence pour aller présenter ses hommages à Frédéric Mistral. Une fois établi au bord de la mer, il lui arrivait de monter dans « un canot-périssoire en toile, un “Berthon” pliant, léger, portatif et presque indestructible », qui, après une longue carrière, lui permit « encore de pagayer le long de la Côte d’Azur et de suivre, dans l’eau claire des petites calanques, parmi les algues vertes et rouges, les évolutions des méduses, des sèches et des girelles. Dans ce canot que je transportais avec moi comme un escargot sa coquille, j’ai beaucoup peint et gravé, aussi bien dans les fossés de nos polders hollandais, dans les canaux de Delft, Leyde, Amsterdam et Venise que parmi les si pittoresques bateaux de pêche de la mer du Nord… »

    Il convient de relever également l’attrait qu’a exercé l’Orient sur le peintre. Dans sa notice « … het schitterende, teere, overal reflecteerende en alles omhullende licht van het Oosten. - Philippe Zilcken als oriëntalist », l’historien de l’art Jaap Versteegh précise : Zilcken « était membre de la  Société des Peintres Orientalistes qui organisa un salon annuel à partir de 1894. En 1911, on chargea le Néerlandais de réaliser un numéro spécial de la Gazette de Hollande consacré à l’Orient ; les principaux orientalistes du moment y collaborèrent, dont Jozef Israëls, Marius Bauer et H.J. Haverman. Au bout du compte, il convient de reconnaître que Philippe Zilcken était en Hollande l’expert par excellence en matière d’art oriental. Il est temps de lui accorder la place qui lui revient. » (7) Zilcken a effectué un premier voyage en Algérie au début de l’année 1883 avec son ami Adriaan Pit. Ce sont les ouvrages d’Eugène Fromentin et des frères Goncourt ainsi que des conversations avec l’explorateur Paul Soleillet (1842-1886) qui lui avaient donné envie de se rendre dans ces départements français. Il y retournera environ vingt-cinq ans plus tard et se rendra également en Égypte.

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    Pour compléter cette évocation, il n’est pas inutile de redire (voir « La Hollande amie ») que Zilcken, grand francophile, a fait partie de ce noyau d’intellectuels hollandais qui, durant la Première Guerre mondiale, ont défendu bec et ongle la France en prenant des initiatives éditoriales, culturelles et de propagande. Barrès le rappelle dans un volume de ses Chroniques de la Grande Guerre : « … Van der Hem, Albert de Hahn, Jean Sluyters, qui expriment quotidiennement leur mépris pour les Boches, ou bien encore les peintres graveurs Ph. Zilcken, Bauer, qui s’attachent à faire connaître notre art ».

    Ayant été exproprié de sa villa de La Haye à cause de l’extension de la ville, le Haguenois va s’installer avec sa femme à Nice dans une dépendance du Château du Mont-Boron, une tour « hantée » donnant sur la mer. Par la suite, obligé de quitter ce lieu, le couple s’établit à Villefranche-sur-Mer où Zilcken finira ses jours sans abandonner ni le dessin ni l’écriture. Il termine ses mémoires par cette phrase : « Lorsque je regarde en arrière, je trouve le chemin parcouru bien long et la seule chose que j’aie apprise, c’est que tout est vanité, – que personne ne sait rien, – que la vie est un mystère… » avant de citer Hugo : « Il n’y a sous le ciel qu’une chose devant laquelle on doive s’incliner : le génie, et qu’une chose devant laquelle on doive s’agenouiller : la bonté. »

    Daniel Cunin

     

     

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    couverture de l'édition italienne de Jozef Israëls

     

    (1) Dans cette page datée du 3 avril 1895, l’écrivain poursuit : « Il me parle d’un article fait sur moi par un littérateur de ses amis, article intraduisible en français, parce que la langue hollandaise est beaucoup plus riche que la langue française et ayant cinq ou six expressions pour rendre une chose qui n’en a qu’une chez nous, – et cet article, à son dire, serait un débordement d’épithètes, ressemblant à une éruption volcanique. » Il s’agit d’un essai de Lodewijk van Deyssel consacré aux frères Goncourt, paru dans De Nieuwe Gids, juin 1888, p. 205-228. Philippe Zilcken a lui aussi écrit sur Edmond de Goncourt (Elsevier’s geïllustreerd maandschrift, juillet-décembre 1896, p. 223-233).



    Lodewijk van Deyssel en 1934

     

    (2) Dans sa thèse soutenue en 2004 à Amsterdam : Kunst in reproductie : de reproductie van kunst in de negentiende eeuw en in het bijzonder van Ary Scheffer (1795-1858), Jozef Israëls (1824-1911) en Lourens Alma-Tadema (1836-1912), publiée en anglais sous le titre Art in Reproduction. Nineteenth-Century Prints after Lawrence Alma-Tadema, Jozef Israëls and Ary Scheffer, Amsterdam University Press, 2007, Robert Maarten Verhoogt évoque la personnalité de Zilcken en tant que « reproducteur » d’œuvres de peintres, notamment de celles de Jozef Israëls.

    (3) Adriaan Pit a publié lui aussi en français : La gravure dans les Pays-Bas au XVe siècle et ses influences sur la gravure en Allemagne, en Italie et en France, Paris, Desclée de Brouwer, 1891-1892 (ouvrage qui reprend des articles de la Revue de l’art chrétien) ; Les origines de l’art hollandais, Paris, H. Champion, 1894 ; La sculpture hollandaise au Musée National d’Amsterdam, Amsterdam, Van Rijkom, 1903. Présentant le premier catalogue descriptif des eaux-fortes de Zilcken, L’Art Moderne écrit : « Ce catalogue, très coquet et rédigé avec grand soin, mentionne deux cent et une pièce différentes, d’une variété extraordinaire. Il y a des paysages, des portraits, des études de figures, des croquis de fleurs, des reproductions de tableaux, des fantaisies, etc. On est surpris de voir un œuvre aussi considérable accompli par un artiste qui est encore classé parmi les jeunes. »

     

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    (4) P.A. Haaxman, « Philip Zilcken », Elsevier’s Geillustreerd Maandschrift, juillet-décembre 1896, p. 1-21. (une partie des éléments de cette notice sont empruntés à ce précieux article qui nous offre une visite de la demeure de Zilcken).

    (5) Pour cette exposition « à domicile », Zilcken a demandé conseil à Jean-François Rafaëlli. La lettre que ce dernier lui a envoyée figure dans Au Jardin du Passé ; elle avait déjà été publiée dans le catalogue de cette exposition originale - il était rare à l'époque de voir un artiste organiser une exposition de ses oeuvres dans son propre atelier - et dans L’Art Moderne du 20 septembre 1903.

    (6) Catalogue of Etchings By Ph. Zilcken of the Hague, Holland. Exhibited at the Grolier Club, New-York April, 1892. Voir l’encart du New York Times du 10 avril 1892.

    (7) www.kunstpedia.com/authors/68/Versteegh,-Jaap

     

    certaines reproductions de cette page figurent sur le site www.geheugenvannederland.nl