Le Poète est mort, vive le Poète !
Le « Louis de Bourbon » hollandais
Une comédie musicale à son nom, un nom gravé parmi ceux des Justes du Yad Vashem : tels sont les honneurs posthumes reçus par un écrivain néerlandais. Un homme qui aura vécu toute sa vie sous l’aura de son patronyme hérité d’un célèbre et controversé arrière-grand-père : « Charles-Louis de Bourbon, duc de Normandie, (Louis Dix-Sept), ayant été connu sous le nom de Charles-Guillaume Naundorff ».
Juriste de formation, Louis de Bourbon (1908-1975) a été journaliste, maire d’Escharen puis d’Oss, ville du Brabant-Septentrional où, au cours de l’entre-deux-guerres, ont été fondés les laboratoires Organon. Après 1945, il se consacrera essentiellement à la lit- térature, gagnant sa vie en faisant entre autres des traductions. Comme beaucoup de ses compatriotes ayant séjourné dans les Indes néerlandaises – pour sa part, il y a vécu avec son épouse et leurs enfants de mars 1936 à juillet 1938 en tant que rédacteur de journaux locaux –, il a restitué dans ses vers et sa prose maintes impressions d’Asie.
Entré en littérature en 1931 (premières publications dans Het venster – dont les trente-quatre livraisons ont paru entre 1931 et 1936), il a occupé des fonctions au sein de deux revues littéraires qui ont joué un rôle important dans le renouveau catholique en Hollande : Roeping (Vocation) et De Gemeenschap (La Communauté / La Communion), publiant aussi dans Forum, périodique aconfessionnel cofondé par l’ami de Malraux, Eddy du Perron. Après la guerre, Louis de Bourbon s’éloignera du catholicisme.
Louis de Bourbon
L’œuvre de cet homme à la vie bien remplie est dominée par une veine tragico-romantique, « romantique » comme le château où il passa quelques années de son enfance – une atmosphère « à la Malte Laurids Brigge ». Mélancolie, souffrance, errance, sensualité, déification de la mère trop tôt disparue, bonheurs et tourments amoureux, lutte âpre à laquelle se résume parfois l’existence, tels sont les thèmes majeurs qui s’en dégagent, teintés parfois d’humour. L’attachement à la gloire passée de la famille royale française transparaît dans de nombreuses pages. À la mort de son père – homme autoritaire qu’il n’aimait guère –, Louis de Bourbon s’est considéré comme le Dauphin, avançant que l’histoire de son ancêtre Naundorff était « trop belle pour ne pas être vraie ». Né aux Pays-Bas (à Renkum dans la Gueldre), il estimait avoir vu le jour sur le sol français : dans la demeure familiale, les pieds du lit où sa mère a accouché étaient placés dans des pots contenant de la terre de France. Sa connaissance du français – excellente, mais imparfaite – l’a amené à composer des poèmes dans les deux langues. Il en a même écrit en mêlant plus de langues encore, façon pour lui d’illustrer son aspiration à une intégration européenne.
Âme sans véritable port d’attache, nature rêveuse et maniaco-dépressive*, conscience travaillée par les épreuves de la guerre, Louis de Bourbon a laissé une trentaine de titres ainsi qu’un nombre considérable d’arti- cles. Si quelques contributions paraissent encore sur lui, elles reviennent bien plus sur son rôle de maire d’Oss pendant l’Occupation et son action dans la Résistance que sur son œuvre**. Malgré de belles pages, celle-ci ne se caractérise pas forcément par une grande originalité – la prose trahissant un manque de pouvoir d’évocation, la poésie n’ayant pas la fraîcheur de celle d’un Jan Engelman (1900-1972) –, trop marquée sans doute qu’elle est par diverses influences, celle de Slauerhoff ou celle des grands poètes français du XIXe siècle. Aucune réédition n’a paru depuis la mort de l’écrivain ; l’autobiographie à laquelle il travaillait dans ses dernières années n’a jamais vu le jour. Peu avant de succomber à un cancer, il a eu le temps de réunir ses œuvres poétiques. Ce volume offre sept autoportraits dont le premier en version néerlandaise (1938) et dans une traduction française de l’auteur :
ZELFPORTRET I
Een prins van Frankrijk en het zoet Navarre
heeft blauwe ogen, donker-blonde haren,
maar geen paleizen meer en geen vazallen,
want heersen doen in deze eeuw barbaren.
Geef hem de koelte weer der kathedralen
en bloeiende gazons met ruisende fonteinen,
muziek en toortslicht in de hoge zalen,
de gloed van kruistochten en van festijnen.
Een leven, vol herinnering en dromen,
blijft onbenut en roeit zichzelve uit,
het lost zich op in sombere fantomen.
Maat soms, opeens, moet dit moe hart weer spreken:
een oud kasteel, dat zich nog ééns ontsluit,
een laatste zwaan, waarvan de ogen breken.
Louis de Bourbon miné par la maladie,
photo Henk Gerritsen, quatrième de couverture des Verzamelde gedichten, 1974
PORTRAIT
du Poète par lui-même
Prince de France et de Navarre la douce
Il a les yeux bleu clair, cheveux bouclés et blonds
Mais pauvre et sans pays, sans vassaux ou barons :
Les trônes sont vacants par ces temps si farouches.
Enfant il a déjà connu du sort humain l’abîme.
Orphelin à dix ans il se masque en guettant
Les assauts, les splendeurs des images d’antan :
Croisades, cathédrales, jardins galants intimes.
Encore dans son regard ce reflet de tristesse :
La double solitude de poète en exil
De prince sans royaume, d’enfant sans tendresse.
Mais parfois réveillé, tout à coup il s’arrache
À ces sombres pensées, cette souffrance inutile,
Par un poème sublime dévoilant son panache.
* En 1953, souffrant d’une dépression alors qu’il travaille à un roman sur Louis XVII, Louis de Bourbon se retrouve dans l’incapacité d’écrire. Des écrivains créent un comité pour lui venir en aide et lui permettre de se reposer en Suisse.
** Une monographie s’attache toutefois à mettre en valeur l’œuvre de ce personnage singulier : Margreet Janssen Reinen, Louis de Bourbon, dichter van het eeuwige verlangen, Tekstservice Van Moock, Molenhoek, 1998.
Illustrations
Louis de Bourbon, Twaalf maal Azië (Douze fois l’Asie), préface Antoon Coolen, dessins Charles Roelofsz, Amsterdamsche Boek- en Courantmaatschappij, 1941.
Louis de Bourbon, Verzamelde gedichten (Œuvres poétiques complètes), préface Jan H. de Groot, Bruges, Orion, 1974, 340 p.
extrait de la comédie musicale Louis de Bourbon, 2000
signature autographe