à propos de Balthus
MONDRIAN, SELON BALTHUS
En lisant les Mémoires de Balthus
À la différence d’un Nicolas de Staël, Balthus ne montre pas – du moins dans ses Mémoires recueillis à la fin de sa vie par Alain Vircondelet – une grande prédilection pour les peintres du Nord. Son amour va entièrement pour ainsi dire aux Italiens, en particulier à Pierro della Francesca, Mantegna et Giotto. Pour réaliser ses Grands Paysages, il a certes cherché le frémissement de la lumière, de la mordorure, non seulement chez Vélasquez, mais aussi dans la contemplation de Rembrandt. Pour le reste, le seul peintre hollandais qu’il évoque est Piet Mondrian (1872-1944), qu’il a bien connu, de même qu’il a été proche d’un Georges Bataille, d’un Antonin Artaud ou encore d’un Pierre Jean Jouve. Mais des moments passés en compagnie du natif d’Amersfoort, il ne conserve guère d’impressions positives. Balthus, qui estime que « peindre, c’est prier », regarde Breton, Miró et Mondrian comme des traîtres en ce sens que, le mot « Dieu » les faisant frémir, ils ne se vouent pas à restituer la beauté de la Création, « la chair du monde, non point le corps mort de ce monde, mais son corps pulpeux, plein de sève et de puissance vitale ». Les productions postérieures du collaborateur du Stijl lui paraissent incompatibles avec la tension du regard intérieur dont doit faire preuve l’artiste, dans son souci d’aller au-delà de ce que montre le réel. Il est ahurissant, à son sens, que Mondrian ait préféré aux paysages « ses petits carrés de toutes les couleurs ».
P. Mondrian, Soleil de printemps, musée de Dallas
Toujours à propos du Hollandais, soulignant ce qu’il considère comme les échecs de la peinture moderne, Balthus « a le regret de tout ce qu’il faisait autrefois, de très beaux arbres par exemple. Il regardait la nature. Il savait la peindre. Et puis un jour, il est tombé dans l’abstraction. J’étais allé le voir avec Giacometti par une très belle journée vers le soir quand la lumière commence à peine à décliner. Alberto et moi avons regardé cette magnificence qui passait devant la fenêtre. Les déclinaisons de la lumière crépusculaire. Mondrian a tiré les rideaux et a dit qu’il ne voulait plus voir cela… J’ai toujours regretté pour lui cette mutation, ce bouleversement. Et ces combinaisons que l’art moderne a ensuite produites, agencements de pseudo-intellectuels qui négligeaient la nature et devenaient aveugles à elle. » Le Français éprouve d’ailleurs une semblable réticence à l’égard de la poésie de son temps, malgré son amitié pour René Char. En d’autres mots : « L’intellectualisme, la conceptualisation du monde ont fini par dessécher la peinture et la rapprocher ainsi de la technologie. Voyez les errances des cubistes et les peintures optiques de Vasarely par exemple… »
Dans l’atelier du peintre
LE ROI DES CHATS
suivi du REGARD SONDEUR
En 2004, le philosophe flamand Bart Verschaffel publiait aux éditions A&S/books à propos de Balthus : deux essais sur Balthasar Kłossowski. « Le Roi des Chats » et « Le regard sondeur » ont paru à l’origine dans De Witte Raaf (en 2002 en 2003) sous les titres « Gemengde gedachten. Over Balthus » et « De peilende blik: Carracci, Balthus (& Vercruysse) ».
Traduits du néerlandais par Daniel Cunin, ils sont en accès libre.
LE MOT DE L’EDITEUR
Parmi toutes les publications qui, ensemble, donnent une image somme toute prudente et contrôlée de Balthus, a paru récemment un livre qui semble aller à contre-courant et dont l’importance reste à définir relativement à la compréhension de l’œuvre : la Correspondance amoureuse de Balthus et sa première épouse (Buchet/Chastel, 2001), Antoinette de Watteville. Cette correspondance fournit une idée de la veine sentimentale et affective qu’exploitait l’artiste. Le peintre qui estimait que toute étude de son œuvre se devait de commencer par la phrase : « Balthus est un peintre dont on ne sait rien », pour ne se soucier ensuite que de l’œuvre et de rien d’autre, est le même que celui qui a donné son accord à la publication de documents parmi les plus intimes, lesquels, manifestement, nous en disent beaucoup trop, y compris sur l’œuvre.
Le tableau monumental La Chambre a fait l’objet de maints commentaires. Virginie Monnier constate dans le Catalogue Raisonné que « Up to now, investigations to locate the sources, either literary or pictural, of La Chambre, have failed. ». Ce livre démontre que la source principale de La Chambre et de quelques autres tableaux de Balthus, n’est ni un roman ni un texte quelconque, mais Les Lascives, une série de gravures d’Augustin Carrache.
Le Roi des chats s’intéresse à certaines images fondatrices de l’Enfance, à travers la personne d’Antoinette et de livres comme Wuthering Heights ou encore de certaines œuvres de Witold Gombrowicz (Ferdydurke, La Pornographie).
Quant au Regard sondeur, il propose donc de rapprocher les toiles énigmatiques du peintre sur lesquelles figurent « une jeune fille soit nue soit mi-nue, plus ou moins allongée sur une banquette, en diagonale sur la toile, penchée en arrière et jouant avec un chat », en particulier La Chambre, de gravures érotiques de la Renaissance.
voir aussi de Bart Verschaffel
Essais sur les genres en peinture