Slauerhoff, entre révolte et dérive
La Révolte de Guadalajara
« Il m’arrive de penser que ce nomade frison, descendant de Rimbaud et traducteur de Rubén Dario, auteur de fados et de soleares, imprégné de la saudade, cette singulière variante portugaise de la mélancolie, était un cinquième hétéronyme de Pessoa, resté caché jusqu’à nos jours, une ombre hollandaise, chinoise, portugaise, espagnole derrière Ricardo Reis, Alberto Caeiro et Alvaro de Campos et derrière le grand marionnettiste lui-même : cinq messieurs des années 1920 et 1930 qui, “à Lisbonne sur le Tage”, se promenaient le long des canaux en parlant de Camões, de Vasco de Gama et d’aguardiente. »
Cees Nooteboom
Médecin du bord fasciné par la Chine, grand voyageur, éternel tourmenté, auteur dans sa courte vie d’une œuvre importante et variée, Jan Jacob Slauerhoff (1898-1936) présente plus d’un point commun avec Victor Segalen dont il a sans doute été le premier à traduire un poème (« Conseil au bon voyageur », traduction parue dans le recueil Yoeng Poe Tsjoeng, 1930). Féru de littérature française – ayant en particulier beaucoup pratiqué dans sa jeunesse Albert Samain, Jules Laforgue, Tristan Corbière, Nerval… –, il publie en 1929 Fleurs de marécage, un recueil de ses propres poèmes écrits directement en français ou adaptés du néerlandais, avec une lettre de Franz Hellens en guise de préface. Dans une partie de sa production poétique, Slauerhoff distille ce qu’il a goûté de meilleur au cours de ses nombreux séjours en France et au fil de ses lectures d’écrivains d’expression française. Il écrit de nombreux articles et essais sur eux, traduit poèmes et nouvelles de Jarry, Verlaine, Baudelaire, Laforgue, Samain, Corbière… Mais l’aventurier en lui sait aussi s’enthousiasmer en découvrant par exemple Seul à travers l’Atlantique d’Alain Gerbault.
Alternant séjours en Hollande – où, comme l’a relevé Pascal Pia, il ne parvenait pas à trouver sa place – et mois sur les mers, passant d’un port à l’autre, menant une existence professionnelle et amoureuse instable, il se lie d’amitié à Shanghai avec le capitaine et médecin Paul Fouletier – à qui il dédiera son roman Het leven op aarde (La Vie sur terre, 1934) – et l’épouse de ce dernier, Claire, qui sera un temps sa maîtresse. Cherchant à s’établir en Chine comme médecin, il demande à Malraux, rencontré en 1930, quelques renseignements, lequel lui répond : « Je ne pense vous renseigner que très mal : lorsque j’étais à Canton, presque tout était nationalisé par le bolchewisme. Je ne connais plus personne à Canton : tous mes camarades ont été plus ou moins tués. »
Ayant succombé à la tuberculose, J. Slauerhoff a laissé un roman posthume, La Révolte de Guadalajara, disponible aujourd’hui en français (éditions Circé, 2008) avec une postface de Cees Nooteboom. Circé rééditera prochainement un recueil de nouvelles, Écume et cendre, et publiera un autre roman, Le Royaume interdit, dans lequel l’écrivain hollandais nous fait partager, à travers un magistral prisme spatio-temporel, sa fascination pour l’Asie et pour le poète portugais Camões.
(D.Cunin)
Mathieu Lindon
sur La Révolte de Guadalajara : ICI
Le Matricule des anges, n° 98,
novembre-décembre 2008, par Camille Decisier : ICI
Photo de J. Slauerhoff vêtu à la chinoise dans :
W. Blok en K. Lekkerkerker (eds.),
Het China van Slauerhoff.
Aantekeningen en ontwerpen voor de Cameron-romans,
La Haye, Nederlands Letterkundig Museum
en Documentatiecentrum, 1985.
L’ouvrage de référence sur J. Slauerhoff