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henri barbusse

  • Un traducteur naturiste et crématiste

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    Andries de Rosa et la France

     

     

    La note « Israël Quérido poète et guide », qui reprend la préface de Henri Barbusse au roman Le Jordaan d’Israël Querido (éd. Rieder, 1932), fait allusion au duo franco-néerlandais des traducteurs de cette œuvre. Esquisser le portrait de ces deux hommes, en particulier celui d’Andries de Rosa, sera l’occasion de revenir sur le romancier néerlandais, sur l’auteur de L’Enfer ainsi que sur le précoce Saint-Georges de Bouhélier.

     

    Gaston Rageot, mandarin des lettres

     

    GastonRageot-Photo.png Professeur agrégé de philosophie, Gaston Rageot (1871-1942) était lié à Bergson dont il fut l’élève et auquel il consacra quelques ouvrages. Homme de lettres prolifique et ambitieux, il « se donna les outils nécessaires pour mener sa carrière au sommet, cumulant les postes d’influence, briguant avec succès les postes honorifiques. Il sera Président de l’Association de la Critique littéraire, Président de la Société des gens de lettres et seule la guerre de 1939-1940 l’empêchera d’accéder à l’Académie où ses amis lui réservaient un fauteuil ». Romancier, conférencier doué, il collectionna admiratrices et décorations. Pourtant, la trentaine passée, il avait écrit : « Le succès industrialise la littérature. Il cesse d’être le signe pour devenir le but. »  (source). En tant que Président de la Société des gens de lettres, il demanda en 1934 l’interdiction de la diffusion de la traduction non autorisée de Mein Kampf. Dans le cadre de ses nombreuses fonctions honorifiques, il s’est rendu à plusieurs reprises en Hollande. On le sait là-bas en 1919. Le 27 novembre 1925, il tient une conférence sur « L’Avarice dans la littérature française » au Stadsschouwburg d’Amsterdam avant une représentation de L’Avare. Déjà sous le patronage de l’Alliance française, il avait fait une série de causeries dans différentes villes bataves en 1922. Son œuvre n’est pas passée complètement inaperçue aux Pays-Bas : son roman Un grand homme a été traduit en néerlandais (Een groot man, trad. J.L.A. Schut, éd. Munster) ; quant à son essai critique portant sur le théâtre et le cinéma : Prise de vues, Martin J. Premsela (1896-1960), lequel a beaucoup fait pour la littérature française dans les terres néerlandophones, lui a consacré un papier (NRC, 16/03/1928). L’immense production de Rageot comprend quelques passages sur la Hollande dont ceux qu’il a confiés au Figaro du 19 octobre 1920 – à l’occasion de l’apposition d’une plaque en l’honneur de Descartes – sous le titre « Une Fête de la Pensée ».

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    Après être revenu sur le séjour du penseur français « au pays des eaux mortes et des brumes », Rageot consigne quelques impressions de voyage : « […] La saison dernière, appelé aux Pays-Bas par des comités de conférences pour y parler de notre avenir intellectuel, j’étais parti avec le stock habituel des images qu’évoque pour nous ce pays du clair obscur et des moulins à vent, des tulipes, des canaux, des grands traités historiques : j’étais bien loin de la Hollande décrite par Descartes à Balzac !

    « Mais, dès mon arrivée à Rotterdam, dans un somptueux logis devenu le lieu d’élection des Français en tournée, mon hôte entreprit de me remettre à la page, – à la page historique.

    « – Pour vous initier à l’âme hollandaise, dit-il, considérez seulement cette maison que j’ai fait édifier moi-même sur le quai des Harengs. Voici, sur ce plan, les fondations lacustres. J’y ai aménagé, pour mes invités, le plus d’agrément et de commodité possible… Je l’ai tout de même bâtie, cette maison neuve, comme les ancêtres avaient bâti la cité tout entière, non sur la terre, mais sur les eaux… Nous sommes une race de gens acharnés à l’impossible… L’homme d'affaires d’aujourd’hui est resté chez nous l’homme des digues.

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire« Et, dans un crépuscule qu’eût adoré Verhaeren, tandis que glissaient les bateaux et roulaient les bicyclettes (toute la Hollande roule à bicyclette), je compris que le caractère des peuples, comme celui des individus, ne change guère.

    « Au temps de Descartes, la Hollande était une nation puissante, maîtresse des mers. Aujourd’hui, elle souffre de voir traitées en dehors d’elle les questions qui l’intéressent le plus. Ces hommes que vous voyez se presser dans les rues étroites des grandes villes nen sont pas moins tout pareils aux paisibles travailleurs qu’avait aimés l’esprit le plus libre des temps modernes.

    « Pénétrez […] entre deux réceptions officielles, dans un intérieur familial, participez au lunch, regardez ces enfants blonds et roses grignoter indéfiniment des tartines, entretenez-vous avec des femmes instruites et réfléchies, et vous comprendrez bien vite que, par ses mœurs et son esprit, la Hollande s’efforce d’autant plus de rester fidèle à ses traditions nationales que ses affaires et son négoce menacent davantage de l’européenniser.

    « Ce n’est plus seulement contre la mer que luttent les Pays-Bas, mais contre tout ce que la mer leur apporte d’étranger.

    « Heureusement que Descartes et les cartésiens ne sont pas pour eux des étrangers […] ».

    couvJordaan.png

    Outre le roman de Querido, Gaston Rageot a traduit, ou plutôt « transcrit », des Contes japonais racontés par Mme Foumiko Takebayashi (Fasquelle, 1933). Il a pu s’exprimer sur la traduction à propos d’une œuvre espagnole mise dans notre langue par Rémy de Gourmont. S’il a collaboré à la version française de De Jordaan, c’est sans doute à titre de réviseur. On peut supposer qu’il ne maîtrisait pas le néerlandais. C’est donc Andries de Rosa (1869-1943) qui, habitué à écrire en français, aura livré une première mouture du texte. Il n’est pas inutile de relever que cet Amstellodamois connaissait de longue date Léon Bazalgette (1873-1928) (1) ; celui-ci a dirigé jusqu’à sa mort la collection « Les Prosateurs étrangers modernes » qui accueillit en 1932 le roman d’Is. Querido. Cette traduction avait été annoncée dès 1930 par la presse hollandaise et dInsulinde à la suite d’une information diffusée par L’Œuvre (De Indische courant du 14/06/1930, Het Volk du 11/06/1930, le Leeuwarder nieuwsblad du 05/09/1930…). Bien trop optimiste, l’Algemeen Handelsblad du 13/05/1930 déclare que le reste de la tétralogie verra le jour en français ! Un critique hollandais, H. W. Sandberg, après avoir comparé la traduction à l’original et demandé l’avis de lecteurs français (« Querido’s Jordaan in de Fransche taal. Vreemde en aantrekkelijke sfeer. Meesterwerk werd op grootsche wijze vertaald », Het Volk, 27/12/1932), estime que le duo a livré dans l’ensemble une prouesse, mais qu’il aurait dû, par endroits, prendre plus de liberté ; qui plus est, la traduction des noms des personnages ne lui paraît pas aboutie : elle ne restitue pas la saveur de l’original. Le chroniqueur relève par ailleurs que Barbusse, admirateur du réalisme de Querido, se montre dans sa préface à la fois « trop romantique et… trop révolutionnaire ». 

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    Annonce de la parution de Le JordaanHet Volk, 07/07/1932 

     

     

    Andries de Rosa, musicien

    et disciple de Saint-Georges de Bouhélier

     

     

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuli,maurice le blond,menno ter braakNé à Amsterdam dans le quartier juif, De Rosa reçoit, comme Israël Querido, une formation au sein du milieu diamantaire. En 1892, il s’établit à Paris. Il taquine la Muse et tente de gagner sa vie en tant que musicien. Sous le pseudonyme d’Armand du Roche, il signe des compositions, certaines publiées par E. Gallet, qu’il jouera par exemple lors de soirées organisées par Hollandia. Cette association relevant de la Fédération des Universités populaires, il la fonde lui-même fin 1905, dans l’esprit préconisé par Anatole France, pour les ouvriers et employés (néerlandais) résidant dans la capitale française – elle regroupait en réalité fin 1906 essentiellement des tailleurs et des ouvriers du diamant, abritait des rencontres artistiques et s’efforçait de venir en aide à ses membres dans la difficulté ; des salariés du Printemps et du Crédit Lyonnais en firent également partie.

    Les Pionniers du Naturisme

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuli,maurice le blond,menno ter braakAndries de Rosa a été le critique musical de Le Rêve et l’Idée (rebaptisée Revue naturiste), la revue de Saint-Georges de Bouhélier et de Maurice Le Blond (futur gendre de Zola), à laquelle a également collaboré Querido sous le pseudonyme de Théo Reeder. Dans le n° 1 (mars 1897) de la Revue naturiste, De Rosa signe par exemple un article intitulé « Le Mouvement flamand ». Faisant partie de la « première phalange turbulente et passionnée du Naturisme » (La Proue, déc. 1932 - fév. 1933, p. 7), le Hollandais compte au nombre des soutiens de Zola durant l’affaire Dreyfus. Il côtoie à l’époque maintes personnalités du monde politique, littéraire et artistique : Rodin, Van Dongen, Apollinaire, Verhaeren, le compositeur Gustave Charpentier, Verlaine, Albert Fleury, les écrivains Eugène Montfort, Paul Alexis, Christian Beck et Maurice Magre, les politiciens Jean Jaurès et Joseph-Paul Boncour, l’anarchiste Vaillant… Dans une série d’article Parijsche filmpjes (Petits films parisiens) publiée en 1917-1918 dans le Weekblad voor Stad en Land, l’Amstellodamois décrit sa rencontre tant avec Zola qu’avec Verlaine, évoque Louise Michel ou encore Aristide Bruant. En 1910, Andries de Rosa publie Saint-Georges de Bouhélier et le naturisme, étude regroupant le texte de deux conférences tenues l’année précédente sur cet auteur dont il a été un intime. À propos de son rôle et de celui de Querido au sein de la mouvance naturiste, il écrit dans ce petit livre : « En Hollande, la nouvelle école n’avait pas tardé à se faire connaître. Pendant un moment, l’organe du groupe, Le Rêve et l’Idée, avait même été rédigé mi-partie en français, mi-partie en hollandais, sous la double direction de Maurice Le Blond pour Paris et d’Is. Querido pour Amsterdam. 

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    entrefilet sur le sommaire du Rêve et lIdéeDe Amsterdammer, 16/04/1896

     

    « Il serait intéressant de retrouver cette collection du Rêve et l’Idée, où je me rappelle qu’ont paru des poèmes inédits de Léon Dierx, Paul Verlaine, Francis Viélé-Griffin, une partie de la Vie héroïque de Bouhélier, des poèmes de Quérido, etc., et qui était ornée de dessins de Bottini, Fabien Launay, Anquetin, Édouard Manet, etc…

    « Cette revue n’a pas eu de nombreux numéros, mais elle marque une date.

    « Quérido, qui était alors à ses débuts, est devenu un personnage considérable dans la littérature hollandaise. Il a fait triompher là-bas les méthodes de vérité que le symbolisme avait battues en brèche. Ses romans, d’une conception d’art souvent vraiment grandiose, sont actuellement les plus lus de Hollande.

    « Il était intéressant de montrer, au début du Naturisme, l’union des tempéraments français et étrangers qui devaient faire chacun tant de bruit dans le monde littéraire. » (p. 16-17)

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    Le bruit en question se répercuta jusqu’aux Pays-Bas. Ainsi, l’influent Jan ten Brink  consacre deux pages à la déclaration de guerre au symbolisme lancée par le naturisme (« Uit de studeercel », Elsevier’s Geïllustreerd Maandschrift, janv.-juin 1897, p. 289-290). « De nos jours, écrit l’essayiste qui, à une époque, avait pris fait et cause pour le naturalisme, les modes littéraires durent presque aussi longtemps que celle des pardessus. » Cette révolte contre l’école symboliste lui paraît digne d’intérêt car « Saint-Georges de Bouhélier, Abadie, Gide, Le Blond et Fort en reviennent à la grande littérature d’un Victor Hugo, d’un Balzac, d’un Flaubert et d’un Zola en se référant surtout à ce dernier. Même s’il est probable qu’ils ne vont pas le suivre quand il avance hardiment : ‘‘J’ai la prétention qu’on peut tout écrire’’ ». À plusieurs reprises, le périodique De Hollandsche revue propose de son côté de brefs comptes rendus sur les publications et les combats des naturistes, souvent entrelardés d’extraits traduits ou repris en français, mais en restant très discret sur les protagonistes néerlandais de ce cercle (23 mai 1897, 22 juin 1897, juillet 1897, 23 novembre 1897, 24 décembre 1897, 23 janvier 1898, 24 février 1898…). En 1920, la même revue, à l’occasion d’un portrait qu’elle brosse de l’écrivain Querido, rappellera le rôle que celui-ci a joué au sein de cette école littéraire. (2) 

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    Entrefilet sur la version hollandaise et la version française

    du Rêve et l'Idée, Nederland, 1895, p. 238

     

    Lettre de Bouhélier à Dreese et de Rosa, 08/09/1895

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuliDans ses souvenirs publiés en volume un demi-siècle plus tard, Saint-Georges de Bouhélier évoque sa rencontre avec les jeunes artistes néerlandais. Un dimanche matin de mars 1894 – il n’a pas encore 18 ans, mais, désireux de cultiver son âme, d’explorer « les possibilités d’éternel » de son être et « le caractère de ses relations avec le divin »,  il s’est déjà lancé dans les lettres en publiant les revues éphémères L’Académie française et L’Assomption, qui accueillirent quelques auteurs de renom dont Verlaine, puis L’Annonciation – un inconnu sonne à sa porte : il s’agit de Jacques Dreese, le beau-frère d’Andries de Rosa : « Le hasard lui avait placé sous les yeux un des derniers numéros de L’Annonciation et, profondément étonné de l’esprit visionnaire qu’il y avait trouvé et qui n’avait pour lui d’analogie que chez un poète hollandais nommé Quérido (3), fort aimé de lui, il avait désiré faire ma connaissance. […] Il m’avoua qu’il n’appartenait à aucune école littéraire, qu’il exerçait la profession de violoniste […] s’il pratiquait la musique en tant que gagne-pain, il n’en aimait pas moins Berlioz et Wagner, sans compter de nouveaux venus, comme Chausson et Vincent d’Indy, lesquels passaient à l’époque pour extravagants. […] il me dit qu’en Hollande, la jeunesse était tout entière à Verlaine et Mallarmé, que des écrivains très intéressants y propageaient leurs doctrines dans plusieurs revues, que je devrais aller là-bas, car j’y trouverais de grands échos et notamment, chez Quérido, avec lequel j’étais fait pour m’entendre. Il ajouta qu’ainsi que Quérido, il appartenait à la race des Juifs, mais il vivait en dehors du commerce et je l’ai toujours connu d’un profond désintéressement. Il ne s’est jamais séparé du milieu des pauvres et il est mort sur un grabat après avoir tout ignoré des choses temporelles. 

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    ‘‘Je vis à Paris depuis un an, m’exposa mon nouvel ami. […] Un de mes amis d’Amsterdam, qui est compositeur de musique, habite avec nous. Il a pour nom Andries de Rosa. Si vous le voulez bien, je vous l’amènerai.’’ Deux jour après, j’étais au Clou, à une table de la terrasse quand je vis arriver Jacques Dreese qui, en compagnie d’un garçon au profil nettement égyptien et que coiffait un feutre aux larges bords, quittait le haut de la rue des Martyrs pour se diriger vers moi. Je me doutai que c’était de Rosa. […] De Rosa avait l’air de s’être échappé d’une des fresques qu’on voit au Musée du Louvre, dans la section des antiquités orientales. Des cheveux crépus, et extrêmement noirs, une moustache et une barbe de même couleur, un nez d’oiseau de proie et des yeux de gazelle, accusaient son type. Pour un étranger, il parlait fort bien le français. Son ambition était de se faire jouer. Il avait déjà composé quelques mélodies dont un éditeur de Paris avait accepté de courir les risques et, pour chacune desquelles, il lui avait octroyé 25 francs. Assidu aux concerts Colonne, il n’y assistait que du haut de l’amphithéâtre, aux places à vingt sous et, encore, les jours de faste, car quant aux revenus de chacun, ils étaient fort maigres. Tout ce qu’il me dit m’était sympathique. Au bout d’une demi-heure de conversation, nous étions amis. Et désormais, comme il était riche de loisirs, j’allais, presque chaque soir, l’avoir comme compagnon, autant au restaurant de la place d’Anvers que dans les brasseries que je fréquentais. » (Le Printemps d’une génération, Nagel, Paris, 1946, p. 185, 186 et 187)

    J. Dreese, 1895

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuliC’est également par l’intermédiaire de Dreese que Saint-Georges de Bouhélier devait faire la connaissance d’Albert Fleury – auteur d’un « effarant chef-d’œuvre », « un poème déchirant et presque sans égal dans les Lettres françaises : Au Carrefour de la Douleur » –  et de Georges Pioch.

    Parmi les moments que le fils d’Edmond Lepelletier a partagés avec Andries de Rosa, il y a nombre de soirées au Chat noir. Ils y rencontrent ou retrouvent Alfred Jarry, Gaston de Pawlowsky, Ernest La Jeunesse, Léon-Paul Fargue… Là, on leur garde une table et un petit cercle d’amis se constitue bientôt pour « ne s’occuper que du spirituel et de l’éternel », pour « apporter aux hommes une croyance nouvelle », pour « les régénérer par la vérité et par la religion de la nature ». « Nous éditions maintenant une revue, Le Rêve et l'Idée, dont je crois bien que j’avais pris la direction avec Quérido et qui se publiait en deux parties : l’une en français et l’autre en hollandais. Comme Victor Rousseaux en était toujours l’imprimeur, on peut penser de quelles fautes de typographie le texte hollandais pouvait fourmiller. Pour nos rares lecteurs de La Haye et de Rotterdam, il était indéchiffrable. Nous n’en persistions pas moins cependant dans notre dessein. Notre revue était d’ailleurs d’aspect magnifique. Bottini et Launay y donnaient des planches. Des estampes de Suzanne Valadon et d’Édouard Manet y étaient insérées en supplément. Sur le sommaire, on lisait les noms de Verlaine, Léon Dierx et Vielé-Griffin. Comment avons-nous réussi à faire face aux frais d’une publication de ce caractère ? Quérido, je crois, en payait la plus grande partie, Le Blond et Fleury, le reste. Quant à la vente, elle n’atteignait pas quatre-vingt ou cent lecteurs ! » (p. 220-221) L’entreprise était donc vouée à l’échec, même si Quérido, qui avait rendu visite aux Parisiens, « s’était enthousiasmé » pour les « vues à la fois mystiques et réalistes » de ce petit cercle et s’il estimait « qu’il n’était pas de poète en France que l’on pût » comparer à Saint-Georges de Bouhélier. Le 10 janvier 1896, ce dernier, Andries de Rosa et quelques autres membres du groupe Naturiste assistaient aux obsèques de Paul Verlaine : « Si différents que nous fussions par notre conduite dans la vie et par notre conception de la poésie, nous nous unissions pour Verlaine dans la même admiration. » (p. 253-254).

    Is. Querido, 1903

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuliAlors que quelques publications attirent toujours plus l’attention sur leur mouvement, notamment les revues Les Documents sur le naturisme et Le Livre d’ArtLe Rêve et l’Idée français s’est séparé du Rêve et l’Idée hollandais, cette dernière continuant de paraître en Hollande sous le direction de Théo Reeder – Saint-Georges de Bouhélier décide, en juillet 1896, de se rendre aux Pays-Bas avec Maurice Le Blond et Eugène Montfort, non sans faire une halte à Bruxelles chez leurs amis Henri Van de Putte et Arthur Toisoul. « Nous avions combiné de faire un voyage. La Hollande dont nous rêvions tous n’était pas pour nous que la terre féérique des tulipes et que l’asile des plus beaux Rembrandt que l’on pût connaître. C’était la terre de Quérido, notre compagnon sur la route de l’art. Nous entretenions avec lui une active correspondance. Auprès de ses compatriotes, il m’avait servi de truchement et d’introducteur ; dans les volumes de vers qu’il avait publiés, il s’était déclaré favorable à toutes mes idées, et m’avait abreuvé de louanges merveilleuses !

    « Faisant à Amsterdam une exposition de toiles de Van Gogh, il m’avait demandé d’en écrire la préface et je m’étais rendu compte que c’était bien plus par esprit d’équipe que pour aider au développement de la gloire du peintre. J’avais donc en lui un ami extrêmement dévoué. » (p. 266) Sans connaître encore l’épouse de Querido – « une créature extraordinaire, avec un front couleur de lune et des yeux traversés de phosphorescences » –, si ce n’est par les propos de Jacques Dreese et d’Andries de Rosa qui l’avaient tous deux courtisée, il lui dédie son Discours sur la mort de Narcisse.

    Saint-Georges de Bouhélier

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuliLe lendemain de leur arrivée en train à Amsterdam, Israël Querido passe à leur hôtel : « C’était un petit homme avec une grosse tête, alors tout à fait imberbe, des cheveux blonds rejetés en arrière et un regard aigu sous le binocle. Parlant assez bien le français, fort désireux de se manifester, et du reste, d’une grande culture, il s’était mis immédiatement à notre disposition pour nous piloter à travers la ville. » Il les conduit au Rijksmuseum, objet de leur vœu, puis dans un restaurant « les plus à la mode » et enfin, le soir venu, chez lui où les attendent la séduisante Jeannette. « Quérido s’en montrait extrêmement épris, mais sans doute était-il plus sensuel que rêveur et son tempérament exigeait des satisfactions qu’il n’était pas au pouvoir de Jeannette de lui procurer indéfiniment. Ils devaient par la suite se séparer. […] Porté bientôt au rang des premiers romanciers de sa belle patrie, Quérido n’avait plus connu de mesure. » (p. 271) On sent poindre chez Saint-Georges de Bouhélier, plutôt habitué à un style de vie ascétique, une certaine réserve vis-à-vis de la nature du Hollandais : « S’étant jeté dans un fauteuil, Quérido paraissait y être un monarque. Il avait allumé un énorme cigare, et il en tirait de larges bouffées : son front était beau, son regard perçant et sa bouche gourmande. Des cheveux rebroussés et comme en bataille, étaient destinés à faire croire aux agitations d’un génie furieux et aux désordres insensés d’une vie de poète profond. Je crois que ce n’était là chez lui qu’attitude. Il affichait à l’époque des tendances mystiques. C’était à la mode. » (p. 271-272)

    Envoi de Bouhélier à la duchesse Edmée de La Rochefoucauld

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuliDe leurs conversations, le  Français retient que les poètes de la « jeune école », les Van Deyssel, Kloos, Verwey et Gorter n’ont « fait qu’importer  chez eux de vieux procédés, les mêmes dont s’étaient déjà servis Rimbaud et Verlaine ». Les quatre hommes en viennent à parler du séjour de Verlaine en Hollande, mais Querido a tendance à tout ramener à sa propre personne : « Si j’avais été sur mes gardes ou que l’expérience de la vie m’eût mis sur la voie de la vérité, pour chacun de nous, je me serais méfié d’une telle pétulance et j’y aurais vu le symptôme d’une grande ambition. J’étais jeune, enfoncé dans un rêve sans fin, et profondément crédule. Sans me passionner, Quérido me semblait d’une intelligence des plus singulière et doué splendidement. Je ne me trompais d’ailleurs pas. La vie a fait jaillir de lui ses immenses mérites et il a laissé un nom dans les lettres. » (p. 273) Sur la route du retour, les îles de Walcheren procureront au jeune homme une impression moins équivoque.

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    Israël Querido vers 1920

     

    Saint-Georges de Bouhélier a joui d’une certaine réputation aux Pays-Bas. Ainsi, dans ses chroniques littéraires, Israël Querido évoque à plusieurs reprises son « ami plein de verve » qui lui conseillait d’arracher « les tifs de la caboche » de Maeterlinck car celui-ci écrivait un français à mourir de rire (Algemeen Handelsblad, 13/07/1916). Dès l’époque du Rêve et l’Idée, le Hollandais avait fait part, en particulier dans De Amsterdammer et sous un autre pseudonyme (Joost Verbrughe), des activités de Bouhélier. Un quart de siècle plus tard, le samedi 4 octobre 1924, il revient sur le rôle du fondateur du Naturisme dans une chronique publiée par l’Algemeen Handelsblad. À la fin du même mois, la pièce Le Carnaval des Enfants est jouée à plusieurs reprises à Amsterdam dans une version néerlandaise de Betsy Ranucci-Beckman. Pour sa part, Andries de Rosa a semble-t-il traduit La Tragédie Royale en vue de la faire jouer en Hollande (Het Nieuws van den dag, 15/01/1909). Notons au passage que la célèbre actrice néerlandaise Marie Kalff a joué à Paris dans Le Roi sans couronne.

    On peut regretter que Saint-Georges de Bouhélier, dans son Printemps d’une génération, n’ait pas brossé un portrait plus approfondi d’Andries de Rosa. Pour sa part, ce dernier a consacré au génie de son ami quelques lignes en faisant sienne une comparaison obligeante : « Quelqu’un, je crois, à propos de Bouhélier a, un jour, prononcé le nom de Rembrandt et c’est certainement un de ses grands ancêtres que le peintre des Pèlerins d’Emmaüs. Chez Rembrandt le réalisme n’est, en effet, qu’extérieur. Quand Rembrandt nous montre une salle d’auberge, un coin de rue, une femme qui se regarde dans un miroir, ou un menuisier à son établi, ce n’est jamais à la façon des copistes de la réalité étroite. Il semble toujours, tant il met de rayonnement et de mystère dans ses tableaux, qu’il a voulu peindre l’auberge où le Christ a reposé, la rue par laquelle un ange va apparaître, une reine ou un prophète à son travail. Le voyant Rembrandt savait, lui aussi, qu’il n’y a pas de petites destinées. C’était un mystique de la peinture. » (Saint-Georges de Bouhélier et le naturisme, p. 69-70)

    G. Charpentier

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire Au sein de la mouvance naturiste, Andries de Rosa voue également une réelle admiration à Gustave Charpentier – lequel, à Rome, avait été très proche du peintre hollandais Paul Rink –, ce dont il témoigne dans Saint-Georges de Bouhélier et le naturisme. Cela nous rappelle qu’il n’a pas manqué, au cours de sa vie parisienne, de faire partager ses goûts et de mettre en avant ses propres connaissances en matière musicale ; il a par exemple attiré l’attention de Saint-Georges de Bouhélier sur Messidor d’Alfred Bruneau, sur l’œuvre de Debussy… et, en vain, sur celle de Wagner. En compagnie de Dreese, les deux amis ont ainsi assisté, en 1896, au Concert du Vendredi Saint au Châtelet : invité à parler des compositeurs joués ce jour-là (Berlioz et Wagner)Catulle Mendès eut bien du mal à se faire entendre tant l’assistance le chahuta.

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuliAu début du XXe siècle, Andries de Rosa devait donner un cycle de conférences : « l’Évo- lution des genres dans la musique », annoncé par des journaux comme Le Figaro, Le Matin, Le XIXe siècle ou La Lanterne qui n’omet pas de préciser : « Le citoyen de Rosa est un ouvrier. Il fait partie du syndicat des diamantaires, et les camarades de la Bourse du Travail se souviennent de la part active qu’il prit à la dernière grève de cette corporation. La musique, qui fut toujours un art aristocratique, deviendrait-elle une joie populaire, destinée à tous ? C’est, en tout cas, un symptôme intéressant. » (06/02/1901) Le Gil Blas mentionne que, les quatre mardis de janvier 1902, l’expatrié entretiendra son auditoire du « Conservatoire et son influence sur l’Art musical » au Collège d’Esthétique Moderne, 17, rue de La Rochefoucauld (4). En 1907, De Rosa signe quelques articles politiques – « Esthétique prolétarienne » (23/10/1907), « Idéal et travail. Images pour le Peuple » (30/10/1907), « Idéal et travail en Hollande » (20/11/1907) – dans L’Aurore, journal dont il est à l’époque le critique musical : « Nous avons le plaisir d’annoncer à nos lecteurs que la critique musicale de L’Aurore est confiée à partir d’aujourd'hui, à M. Andriès de Rosa, le compositeur bien connu », annonçait l’édition du 18 avril 1907. Même si, à la date en question, Georges Clemenceau n’en était plus le rédacteur en chef, on peut penser que les liens particuliers qui unissaient le politicien à Saint-Georges de Bouhélier ne sont pas étrangers à cette nomination. Toutefois, pour nourrir sa famille, le Hollandais avait repris assez tôt ses activités de coupeur de diamants, occupant au début du XXe siècle le poste de secrétaire de la fédération parisienne des diamantaires.


    Maria Callas, Depuis le Jour - Louise, de G. Charpentier

     

     

    Andries de Rosa, auteur, traducteur et propagandiste

     

    Andries de Rosa passe près vingt années en France, une période simplement interrompue, à la fin du XIXe siècle, par un intermède batave d’un peu moins de deux ans. Peu avant la Grande Guerre, la crise du diamant le contraint à rentrer pour de bon avec sa famille aux Pays-Bas où il va défendre de plus belle les idéaux socialistes, notamment à travers l’Association des Travailleurs pour la Crémation. Cet organisme visait à rendre l’incinération accessible au porte-monnaie du simple ouvrier. Le militant va en diriger l’organe : De urn (L’Urne), qui accueille des contributions de Barbusse et de Querido, non sans continuer de publier nombre d’articles dans dautres périodiques (sur la politique, Eugène Pottier, le duc de Saint-Simon, Louis XIV…).

    Critique de la traduction du Rembrandt de Van Dongen, Het Volk, 01/10/1930
    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuliSon œuvre de traducteur reflète aussi en partie son inépuisable activisme. On lui doit en effet des versions hollandaises de livres de Henri Barbusse : Le Feu (qui connut rapidement plu- sieurs réimpressions), L’Enfer (De Hel : traduction qu’il préfaça en mettant en garde le lecteur contre les passages « licencieux », et dont la diffusion a été à un moment interdite, les volumes étant saisis en mai 1919 sur ordre du ministre de la Justice), Le Couteau entre les dents, Quelques coins du cœur (édition de 1922 agrémentée de 24 bois gravés de Frans Masereel), Les Enchaînements, La Lueur dans l’abîme, ainsi qu’un choix de textes dans : Henri Barbusse: over zijn leven en [uit] zijn werk, mais aussi de Charles Rappoport (Jean Jaurès, l’homme, le penseur, le socialiste, avec une introduction de W. H. Vliegen et une lettre d’Anatole France, éd. Querido, 1915) et de Romain Rolland (La Vie de Tolstoï). Sa production, dont une bonne part a, on peut s’en douter, paru aux éditions Querido, comprend par ailleurs un volume de nouvelles de Zola (Nagelaten werk, avec une préface du traducteur), La Fille Élisa d’Edmond de Goncourt, Salammbô de Flaubert, À l’ombre d’une femme de Henri Duvernois, Les Don Juanes de Marcel Prévost (Prévost dont De Rosa disait, dans sa brochure de 1910, que c’était un scandale de le voir au pinacle, et non pas, par exemple, un Camille Lemonnier), La Vie de Rembrandt de Kees van Dongen, La Madone des sleepings de Maurice Dekobra, un recueil de textes de Maeterlinck… On sait encore que De Rosa est l’auteur de la traduction de La Fin du Monde de Sacha Guitry, jouée aux Pays-Bas en 1936. Dès 1909, on l
    a dit, il avait peut-être transposé en néerlandais la pièce La Tragédie Royale de Saint-Georges de Bouhélier. Pour les revues de andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuli,maurice le blond,menno ter braakcelui-ci, il aurait, à la fin du XIXe siècle, traduit en français des pages du jeune écrivain Henri Borel et de Herman Gorter. Toutefois, il ne semble pas s’être risqué à mettre en néerlandais une autre œuvre de son ami parisien dont il s’est sans doute, avec le temps, distancié.

    En 1929, Andries de Rosa dédie à Querido son unique roman : Sarah Cremieux. Parijsche roman (Sarah Cremieux. Roman parisien). Il s’agit d’une œuvre largement autobiographique, qui dépeint non sans humour et sarcasme le milieu des diamantaires parisiens, parmi eux Jules Charles Le Guéry, ainsi que celui des anarchistes au temps des attentats. Elle a été prépubliée en feuilleton sous le titre Parijsche Levens (Vies parisiennes) dans une revue fondée par Is. Querido, Nu (Maintenant). La critique hollandaise ne s’est guère montrée élogieuse – le NRC du 20 décembre 1929 salue cependant ce livre malgré son style parfois abâtardi par le français –, reprochant à l’ensemble un côté décousu, un rendu peu réussi de l’atmosphère et une langue plutôt empruntée. Roman à clef, Sarah Crémieux conserve à n’en pas douter une valeur documentaire sur le Paris fin de siècle. (5)

    Réclame pour 4 titres traduits par De Rosa

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuliLes critiques stylistiques ont également porté sur certaines de ses traductions. Les plus féroces proviennent de A. M. de Jong – pourtant très proche de Querido –, par exemple dans une chronique relative à l’édition néerlandaise de Salammbô (Het Volk, 31 décembre 1923) (6), livre qui sera toutefois réédité à quelques reprises. Des recensions encensent son travail, d’autres le descendent en flèche.

    En février 1943, Andries de Rosa est emmené avec sa femme malade à Westerbork. Deux mois plus tard, ils sont déportés à Sobibor où ils meurent. En janvier de la même année, il avait adressé une longue lettre rédigée en français à leur fille Virginie. José, leur fils, était un portraitiste doué.

    Parmi les écrits laissés par Andries de Rosa, il convient de mentionner un hommage à Henri Barbusse : « Herdenkingsrede », inséré dans Henri Barbusse. Over zijn leven en zijn werk (Amsterdam, Pegasus, 1935), un recueil qui comprend également des contributions de Romain Rolland, Arnold Zweig et Alfred Kurella, une description des derniers moments de l’écrivain par Annette Vidal, ainsi qu’un choix de l’œuvre dans une traduction que Jef Lastami de Gide, ne manqua pas de louer (De Tribune, 20 novembre 1935, p. 3).

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    Réclame pour Sarah Crémieux, Het Volk, 30 octobre 1929 

     

     

    Les pugilistes Andries de Rosa

    et Alexandre Cohen

     

    Pour illustrer un aspect de la personnalité d’Andries de Rosa, revenons sur une des querelles qu’il a avivées lors de son époque naturiste. Le bonhomme était prêt à tout pour soutenir ceux qu’il considérait comme de grands esprits (Querido et Barbusse en particulier) ou pour se ruer sur ses/leurs ennemis (dans la presse hollandaise, pour se défendre et défendre Querido, il s’en prendra ainsi à la veuve du poète Willem Kloos à propos d’une affaire vieille de plusieurs dizaines d’années). Il est assez amusant de le voir croiser le fer, par revues françaises interposées, avec un autre juif batave.

    A. de Rosa, 1895

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuliDans la Revue naturiste du 15 novembre 1900, il s’offusque en effet du compte rendu qu’Alexander Cohen, au fil de sa chronique des « Lettres néerlandaises » du Mercure de France (octobre 1900, p. 259-260) avait fait de Studiën en Tydgenooten (Études et Contemporains) d’Israël Querido, en réalité un hommage au théoricien marxiste Frank van der Goes. Cohen, ancienne figure de l’anarchisme parisien – qui avait pris soin de faire parvenir son texte à l’éditeur d’Israël Querido ! – écrivait entre autres : « M. Is. Quérido fait partie de ce troupeau macabre de pseudo-savants et de psychologues en fer blanc que l’instruction primaire obligatoire et la social-démocratie ‘‘scientifique’’ et internationale ont lâché sur notre infortuné bas monde.

    « Comme tous ses pareils M. Quérido vise à ahurir ses contemporains par la capacité d’absorption de sa cervelle d’autruche, et dans sa brochure – de 84 pages – il cite une bonne centaine de noms d’écrivains, de philosophes, d’économistes et de poètes de tout poil, de tous les temps, de toutes les écoles, de toutes les nationalités. Et M. Quérido nous fait sous-entendre qu’il sait par cœur toutes les œuvres de toutes ces sommités. […] Je ne me serais pas aussi longuement occupé du crispant petit jean-foutre qu’est M. Is. Quérido, si les plumitifs de sa secte ne méditaient pas de le jucher sur un piédestal, et si ses admirateurs n’étaient pas allés jusqu’à écrire : ‘‘Avec M. Is. Quérido nous n’hésiterions pas un instant à descendre jusque dans les repaires les plus reculés de la pensée humaine.’’ »

    Revue naturiste, juin 1897 (contribution de A. de Rosa)

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuliAndries de Rosa de répliquer : « Pour M. Cohen, Multatuli a dit le dernier mot de la sagesse humaine et de l’art littéraire. Douwes Dekker fut pour lui le point culminant de tout ce qui a été et de tout ce qui sera. Cependant, malgré le talent que nous reconnaissons à l’auteur du Max Havelaar, nous devons avouer que pour aujourd’hui, une littérature telle que la conçoivent les Quérido et les Heyermans, toute empreinte d’humanité et de pensée universelle, nous émeut davantage que les plaidoyers, entraînants certes, pour les indigènes des Indes Néerlandaises, ou les paradoxes sur l’athéisme que Multatuli nous a laissés. Cette littérature, qui fut si dangereuse pour les petits esprits prétentieux et excités, nous présente encore une de ses victimes en la personne de M. Alexandre Cohen. Mais ce M. Cohen, en sa qualité de critique littéraire, ne doit pas ignorer sans doute ce que Quérido écrit sur Multatuli et ses imitateurs.

    « Profitant en France de son petit succès de polyglotte, M. Cohen a cru pouvoir s’adonner à la critique littéraire des œuvres étrangères, sachant que pour différents pays dont il connaît la langue, ses jugements ne seraient pas contrôlés.

    « Il faudrait savoir le hollandais pour pouvoir apprécier ce que ce traducteur appelle une érudition que ‘‘l’instruction primaire obligatoire’’ a fait obtenir, dans toute l’œuvre d’Is. Quérido pleine de pensées, de sensations et d’émotion, M. Cohen ne relève que l’érudition qui s’y trouve. Si l’ ‘‘instruction primaire’’ est telle qu’elle permet à ses élèves d’écrire une étude sur le XVIIIe siècle comme celle que Quérido a donné dans le 1er volume de ses Méditations sur la littérature et la vie, il serait alors très à souhaiter que les Cohen en profitassent afin de meubler un peu leurs cervelles. »

    A. Cohen, 1907

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuliCohen, prêt à fulminer au moindre relent de socialisme, riposte dans la conclusion de sa chronique de janvier 1901 (p. 269-270) : « Cet article, où l’auteur, roublard mais malpropre, passe sous un silence hermétique les arguments que j’avais fait valoir contre les prétentions littéraires de M. Is. Quérido, était, me dit-on, destiné originairement au Mercure. Mais M. de Rosa renonça à envoyer sa copie rue de l’Échaudé, vu ‘‘les habitudes de partialité’’ qui prévalent ici.

    « Confiant, moi, en la loyauté des gens de la Revue Naturiste, je leur demandai l’insertion, à titre de ‘‘réponse’’, de ma critique de l’écrit de M. Is. Quérido, qui m’avait attiré l’indignation de son protecteur. C’était là, à mon avis, l’unique réplique à faire.

    « Les gens de la Revue Naturiste ont cru ne devoir pas me donner satisfaction.

    « Quant à M. de Rosa, sa mauvaise humeur à mon égard s’explique jusqu’à un certain point. M. Andries de Rosa est le lapidaire compositeur de la phrase que je m’étais donné l’innocent plaisir de citer à la fin de ma critique : ‘‘Avec M. Is. Quérido nous n’hésiterions pas un instant à descendre jusque dans les repaires les plus reculés de la pensée humaine.’’

    « Mais son seul et compréhensible déplaisir de sycophante-modestement-anonyme-mis-en-vedette, n’a pas suffi pour lui mettre en mains plume et dictionnaire hollandais-français. M. de Rosa n’est descendu dans le repaire de la polémique que sur la prière réitérée de M. Is. Quérido lui-même, qui, pour éperonner l’enthousiasme plutôt rétif de son groom, lui fit communication – comme à tant d’autres fidèles – de la lettre d’un M. Byvanck, directeur de la bibliothèque royale de la Haye, où ce compatissant lénifique fonctionnaire console M. Is. Quérido de mon appréciation de sa littérature.

    « Pour être le dépositaire ‘‘d’un des plus vastes esprits parmi les littérateurs de Néerlande’’, M. Is. Quérido n’en dépense pas beaucoup dans le choix de ses champions. »

    L’empoignade eut des répercussions. Une lettre de Cohen du 3 mars 1901 adressée à Mimi, la veuve de Multatuli, nous apprend qu’il a une « meute » aux fesses, un bande d’aboyeurs aux ordres de l’hydrocéphale Querido, en particulier l’écrivain Frans Netscher (1964-1923) qui lui sert la réplique dans le périodique Hollandsche Revue, le traitant d’ « anarchiste impotent ». Cohen en remettra une couche lorsqu’il commentera le roman Levensgang du même Querido dans le Mercure de France de janvier 1902. Près de quatre ans plus tard (décembre 1905), les lecteurs de cette revue auront droit à un panégyrique du romancier hollandais sous la plume du critique H. Messet.

    Menno ter Braak

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuliLeur vie durant, De Rosa et Cohen ne démordront pas de leurs partis pris respectifs. Dans une lettre à l’essayiste Menno ter Braak du 1er mai 1937, l’anarchiste devenu maurrassien fera sienne la formule de son correspondant : Querido était un « prolétarien bigot » (Alexander Cohen. Brieven 1888-1961, éd. Ronald Spoor, Amsterdam, Prometheus, 1997).

    Compte tenu de cette antipathie entre les deux juifs, il est d’autant plus savoureux de constater que De Rosa, dans son roman à clef Sarah Crémieux, s’est sans doute inspiré par endroits de la vie d’Alexandre Cohen. Le personnage masculin central Adolf Spina, Hollandais venu travailler à Paris, est certes, dans une certaine mesure, lalter ego de l’auteur, mais à l’instar de Cohen, il traduit des articles de Domela Nieuwenhuis ; à l’instar de Cohen, ce Spina, proche de poseurs de marmites, est surveillé de près par la police jusqu’au jour où il se trouve expulsé de France. On peut imaginer que les deux hommes se sont croisés du côté de Montmartre, en 1892-1893, avant l’exil anglais de Cohen. Selon Saint-Georges de Bouhélier qui, pour sa part, confondait dans son « admiration des poètes comme le cher Verlaine et des agitateurs comme Ravachol », De Rosa était resté plutôt insensible aux idéaux anarchistes, même si, parfois, la rage le soulevait devant la richesse quétalaient des Parisiens nantis. Autre constat amusant : si, à l’inverse de Cohen, Andries de Rosa n’avait qu’une estime toute relative pour Multatuli et son œuvre, il partageait malgré tout avec le romancier une revendication : des années durant, l’ouvrier diamantaire s’est fait le propagandiste de l’incinération au point qu’on a pu écrire à son sujet qu’il « se donnait pour ainsi dire corps et à âme au four crématoire » ; or, Multatuli a été l’un des premiers aux Pays-Bas à revendiquer le droit à être incinéré et l’Histoire le considère comme le premier Hollandais à l’avoir été.

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    De urn, janvier 1928, rédacteur A. de Rosa

     

     

    La fidélité d’Andries de Rosa à Henri Barbuss

    et Israël Querido

     

    Is. Querido, 1895

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuliSi A. Cohen n’a jamais eu aucune sympathie pour le socialisme ni pour le communisme (malgré son amitié indéfectible pour son confrère rouge Henri Wiessing), De Rosa semble pour sa part être resté fidèle jusqu’à la fin aux idéaux en question ; il a d’ailleurs combattu dans ses écrits « tant la réaction que les dirigeants syndicalistes aux sympathies anarchistes » (« Andries de Rosa 60 jaar. Arbeider en kunstenaar », Het Volk, 04/04/1929). Son engouement politique transpire dans la forme de ses écrits littéraires, son indignation face aux injustices se glisse sa phrase, y compris quand il traduit. Il voyait comme sa vocation la défense de Barbusse et d’Israël Querido et ne manquait jamais une occasion de les mettre en valeur. Au printemps 1926, il rend compte dans le quotidien NRC de son passage chez l’écrivain français : les deux hommes se voient alors pour la première fois (abordant le sujet des auteurs européens, Barbusse mentionne les noms suivants : Querido, Heijermans, Roland Holst, Félix Timmermans et Herman Teirlinck).

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuliEn 1927, alors que Panaït Istrati rend visite à Amsterdam aux collaborateurs de la revue Nu pour laquelle il écrit lui aussi, De Rosa et Querido prendront la défense de Barbusse que le Roumain se met à critiquer ouvertement. Début septembre 1935, le diamantaire intervient à la radio néerlandaise (il le faisait occasionnellement : en avril 1932 pour parler de François Villon et de Johan Rictus, en avril 1934 pour évoquer de l’actualité littéraire, en mai 1938 pour revenir sur Jules Romains et l’unanimisme…) afin de rendre hommage à Barbusse qui vient de mourir à Moscou. Bien entendu, on le compte, aux côtés de G. Stuiveling, H. Roland Holst et Nico van Suchtelen, au nombre des membres du Comité créé aux Pays-Bas pour commémorer l’écrivain français : dans ce cadre, il prendra la parole lors de la soirée organisée à Amsterdam le 16 septembre.

     

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     Les obsèques de Querido

     

    Quant à son amitié pour Israël Querido – lequel avait salué ses talents d’artiste à l’occasion de son soixantième anniversaire (à l’époque, en 1929, De Rosa se présente comme écrivain) –, elle a duré jusqu’à la disparition du romancier. C’est d’ailleurs depuis le domicile d’Andries de Rosa (Herculesstraat 67) que le cercueil du romancier a été transporté au cimetière de Zorgvlied où eut lieu l’enterrement – l’auteur du Jordaan ne s’était pas laissé séduire par les bienfaits de l’incinération ! Peu après les obsèques, c’est De Rosa qui préfaça le catalogue de la vente aux enchères de la bibliothèque du défunt – « Un crève-cœur de plus après la douleur causée par sa disparition » –, 1453 ouvrages dont beaucoup dédicacés par les grands écrivains néerlandais de l’époque, tel Louis Couperus, mais aussi par Maurice Barrès, Barbusse, Montfort, Panaït Istrati... Dans les mois et les années qui suivront, il ne manquera pas une occasion d’honorer sa mémoire par l’écrit ou par la parole. On peut donc penser que traduire en français une œuvre de son ami le plus cher a longtemps fait partie de ses projets. Son activisme politique lui aura permis de compter sur les appuis nécessaires en France. Les éditions Rieder étaient proches des milieux de gauche vers lesquels allaient les sympathies d’un Querido et d’un De Rosa. C’est aussi grâce à ses relations que le syndicaliste a pu traduire des récits et nouvelles de Zola inédits ou peu connus : il aura probablement gardé des liens avec andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuli,maurice le blond,menno ter braakMaurice Le Blond pour obtenir l’autorisation de les publier en néerlandais. L’édition lancée sur le marché par Scheltens & Giltay (Nagelaten werk) en 1928 comprend d’ailleurs des notes du gendre de Zola. Le 16 avril 1931, le Hollandais publiait dans le quotidien Het Volk un article sur Émile Zola raconté par sa fille, le livre que Denise, l’épouse de Maurice Le Blond, venait de consacrer à son père ; Andires de Rosa accompagne son propos de passages traduits de cet ouvrage.    (D. Cunin)

    Les époux Le Blond

     

     

     

    (1) Andries de Rosa et Léon Balzagette ont par exemple assisté, en janvier 1901, à l’inauguration du Collège d’Esthétique Moderne.

    Début dun compte rendu sur Le Carnaval des enfants : N.H. Wolf, De Kunst, 25/10/1924

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuli(2) Douze ans après la parution du manifeste du Naturisme, la publication d’un choix de pages de Saint-Georges de Bouhélier fournit au critique Johan de Meester l’occasion d’évoquer brièvement l’écrivain français (De Gids, 1909, I, p. 410-411). Par la suite, deux grands noms des lettres néerlandaises de lentre-deux-guerres ont commenté une de ses œuvres. Tout d’abord Menno ter Braak dans un article peu élogieux  sur Le Carnaval des enfants (« Het Vereenigd Toneel. Saint Georges de Bouhélier, Het Carnaval der Kinderen, De Propria Cures, 25 octobre 1924), la pièce ayant été jouée dans une version néerlandaise sous la direction de Mme Ranucci-Beckman ; peut-être l’essayiste a-t-il cependant emprunté quelques éléments à Bouhélier en écrivant Het carnaval der burgers (1930). Quant à Eddy du Perron, il a, en avril 1933, rédigé de rudes paragraphes sur la pièce Napoléon donnée à l’Odéon ; après avoir affirmé que l’auteur est le fils de l’un des écrivains les plus insignifiants que la France ait jamais portés, il se moque de la collaboration littéraire qui a rapproché le jeune Bouhélier d’Is. Querido : « il paraît que l’on ne connaît rien au sieur Querido tant que l’on n’a pas lu ses vers français » («Bij een trio Toneelprestaties », Forum, 1993, n° 6, p. 482-487, texte repris dans l’ouvrage De smalle mens, 1934).

    (3) À l’époque, Is. Querido venait de publier en néerlandais son premier recueil sous le nom de Theo Reeder.

    (4) À l’instar de Georges Rageot, De Rosa excellait semble-t-il dans l’art oratoire (et dans celui de présider en même temps plusieurs organismes) puisqu’il donnera également de nombreuses conférences aux Pays-Bas, sur des thèmes aussi divers que l’incinération, Jean Jaurès, la poésie française populaire et le cabaret, ou encore, à Amsterdam, le 26 janvier 1930 et le 19 janvier 1932, sur « La littérature de guerre », en septembre 1932 et le 29 octobre 1939 sur la vie et l’œuvre d’Is. Querido…

    Ch. Snabilié, par R. Boudier

    andries de rosa,gaston rageot,israël querido,henri barbusse,saint-georges de bouhélier,traduction littéraire,pays-bas,hollande,diamantaire,alexandre cohen,multatuli(5) Un autre roman parisien a paru à l’époque chez Querido, tout aussi oublié, dont l’action se déroule dans les milieux artistiques : Leven, de Miek Janssen (1890-1953), modèle et maîtresse de Jan Toorop. Le Paris de la fin de siècle est au cœur d’autres œuvres néerlandaises. Un certain Bulée – en réalité le journaliste Charles Snabilié (1856-1927) –, a laissé un roman dont les personnages évoluent eux aussi dans les cercles littéraires et picturaux de Paris (un certain Gaston Proust, des figures qui ne sont pas sans rappeler Catulle Mendès, Rachilde, Kees van Dongen, Saint-Georges de Bouhélier, Fernand Xau, Jules Julazot….) : Jean Lefort (1900, avec un dessin de Van Dongen sur la couverture). En 1893, l’homme de lettres Frits Lapidoth avait donné Goëtia qui met en scène des habitués des cénacles occultistes, en premier lieu Sâr Péladan. De son côté, Louis Couperus nous entraîne, à travers son œuvre autobiographique Metamorfoze, dans quelques salons mondains de la capitale ; le critique Th. de Wyzewa a servi de modèle pour lun de ses protagonistes. Mentionnons encore De Droomers (Les Rêveurs, 1900) de Maurits Wagenvoort, qui dépeint les milieux anarchistes.

    (6) Voir aussi du même auteur : « Van vertalingen en vertalers II », De Nieuwe Stem, 1918-1919, I, p. 167-173 et « De hel van Barbusse en de Hollandse zedelijkheid », De Nieuwe Stem, 1918-1919, II, p. 183-201. 

     

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    Les 60 ans dAndries de Rosa. Ouvrier et artiste.

    Ami de Jaurès et de Barbusse, Het Volk, 4 avril 1929

     

     

     

  • Isräel Quérido poète et guide

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    Henri Barbusse

    préfacier et thuriféraire

     

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    I. Querido, Le Jordaan, Paris, Rieder, 1932

     

     

    Parmi la vingtaine d’ouvrages préfacés par l’auteur engagé Henri Barbusse (1873-1935) se trouve la traduction française d’un roman néerlandais : Le Jordaan, premier tome d’une « épopée amstellodamoise » que l’on doit à Israël Querido (1872-1932). Ce juif d’origine portugaise, dont le frère Emmanuel* a fondé les éditions Querido qui existent toujours, naît dans un milieu relativement modeste. Il abandonne assez tôt l’école et suit une formation d’horloger avant de travailler dans l’industrie du diamant. Sa vocation de joailler sera de courte durée. Devenu journaliste, il étend sa culture livresque. Dès 1893, il publie son premier recueil de vers tout en s’affichant déjà dans des groupes de réflexion qui réunissent de jeunes ouvriers. Son échec en tant que poète le conduit à se diriger vers la critique littéraire en s’inspirant de Lodewijk van Deyssel et Remy de Gourmont ; en Hollande, c’est le francophile et sarcastique Conrad Busken Huet (La Haye 1826 – Paris 1886) qui avait donné ses lettres de noblesse à ce genre, mais en le fondant sur des exigences purement esthétiques. En 1897, Is. Querido réunit certaines de ses chroniques dans Meditaties over literatuur en leven, volume que mentionne H. Barbusse. Sous des pseudonymes, le jeune juif donne des articles à Le Rêve et l’Idée, la revue (rebaptisée Documents sur le naturisme, puis La Revue naturiste.) de Saint-Georges de Bouhélier et de Maurice Le Blond (futur gendre de Zola), dont Andries de Rosa – cotraducteur de De Jordaan – était le critique musical et dont certains numéros connurent une édition néerlandaise. À propos de l’engouement de ces deux jeunes Amstellodamois pour le fantasque Bouhélier, citons les considérations truculentes d’un contemporain : « De la dernière ‘‘manifestation d’art’’ de M. de Bouhélier nous n’en dirons rien sinon qu’elle est proprement stupide.

    Is. Querido

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zola« Parlons de l’homme, puisqu’aussi bien l’Odéon a rallumé cette veilleuse que d’aucuns prirent un moment pour une étoile. Il y a douze ou treize ans, Saint-Georges tenait ses assises au sous-sol du Clou, puis au Chat Noir, deux lugubres repaires de crétins infatués, de calicots jobards et aussi de très jeunes et naïfs potaches dont quelques-uns n’ont pas mal tourné. Saint-Georges était déjà le chef du naturisme. Un ‘‘manifeste’’ signé de lui avait paru en première page du Figaro. Le premier baiser de la gloire !

    « Ses disciples étaient alors deux Hollandais dont l’un, Andriès de Rosa, est, dit-on, permanent des diamantaires à la Bourse du travail ; Clément Rochel, quelques années plus tard directeur de la Culotte rouge (pour une fin !...), Eugène Montfort et – fidus achates – Maurice Leblond. […] Quelques-uns de ces naïfs se sont vite ressaisis : Gide entre autres qui, dans la Revue blanche, assomma le petit bon Dieu d’un article terrible, sans appel. Gide relevait toutes les incohérences, erreurs, cocasseries, fautes de syntaxe et d’orthographe, tous les non-sens, tous les termes impropres dont la prose de Bouhélier est émaillée. Gide terminait par cette apostrophe : ‘‘On me dira que je cherche des puces sur un lion. Non je cherche un lion sous des puces.’’ » (Flax, Les Hommes du jour, 30/01/1909, p. 6)

    En 1897 également, Israël Querido devient membre du jeune SDAP (Parti social-démocrate des ouvriers). Lui qui, à 18 ans, avait tenté d’écrire un premier roman dans la veine de Gustave Aimardse lance dans l’écriture de fresques naturalistes. Plus d’un critique relèvera ce qu’il doit à Zola, par exemple Dirk Coster (1887-1956), dans la chronique « Littérature néerlandaise » de L’Art libre (mai 1921, p. 20) : « dans ses descriptions de la vie sauvage du peuple », il atteint « une grandeur à la Zola, – qui serait adoucie par une humanité plus généreuse ». Levensgang (1901) évoque un milieu qu’il connaît bien, celui des diamantaires de la capitale batave. Pour écrire Menschenwee (1903), il applique de même la méthode zolienne en résidant dans une région de bulbiculteurs. Quant à Zegepraal (1904) et Kunstenaarsleven (1906), ils présentent une teneur plus autobiographique. Toutefois, sa prose le couvre de dettes bien plus que de succès. Dans un ouvrage postérieur – Misleide majesteit (1926) –, Is. Querido règle ses comptes avec ses ennemis et son frère, lequel s’en était pris à lui dans une de ses propres publications. En 1927, il fonde le périodique littéraire socialiste Nu (Maintenant) qui accueillera des plumes prestigieuses et se lance dans un nouveau israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zolacycle romanesque : Het volk God's, grâce auquel il espérait restituer l’histoire des juifs d’Amsterdam. Mais hospitalisé pour une névrite, il meurt d’un arrêt cardiaque. On considère aujourd’hui que son étude « Remy de Gourmont, Balzac et Sainte-Beuve » fait partie de ce qu’il a écrit de mieux alors qu’une bonne part de l’œuvre a mal vieilli. Son essai fouillé sur Napoléon (1913) a été salué en son temps par la critique.

    Napoleon, éd. 1913

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zolaLa première partie de son cycle De Jordaan a donné lieu à quelques commentaires dans la presse de langue française. Écoutons un critique de la Bibliothèque universelle et Revue suisse (« Chronique hollandaise. Dernière œuvre d’Israël Quérido », septembre 1912, p. 630-632) qui, dès la parution du volume en néerlandais, soit vingt ans avant sa traduction en français, s’enthousiasmait : « Ce serait manquer à notre devoir de chroniqueur, si, à côté de ces manifestations diverses de la vie publique, nous ne signalions pas l’événement littéraire du jour, l’apparition du dernier livre d’Israël Quérido. Non pas que Quérido soit un nouveau venu ou un inconnu dans le monde des lettres hollandais. Il est sorti des rangs du prolétariat d’Amsterdam. Son père le mit en apprentissage chez un horloger, mais il n’y resta pas longtemps et devint ouvrier diamantaire. Un peu plus tard, il se fit joaillier. Il avait dix-neuf ans, il se maria, ses affaires périclitèrent et il connut la misère noire, le dénuement absolu. Au milieu de ces terribles épreuves, il ne s’abandonna point ; il se rejeta avec d’autant plus d’ardeur vers les lettres qui avaient été la passion de sa jeunesse et qui lui apparaissaient comme un gagne-pain. Autodidacte dans toute la force du terme, il étendit ses connaissances, s’assimila les langues étrangères et publia des études critiques et des romans. Balzac et Zola sont ses auteurs de prédilection, Balzac surtout, dont il admire la puissance créatrice. Son roman de début, Levensgang (Le Cours de la vie) est consacré au monde diamantaire qu’il avait traversé et dont il n’essaie pas de dissimuler les vices et les tares ; dans l’ouvrier Holtz, une âme ardente, agitée, généreuse, inquiète, on a voulu que Quérido se soit peint lui-même, anarchiste enflammé, puis désabusé, s’arrêtant au socialisme. À ce livre succéda Menschenwee (Douleur humaine), le roman de la terre, qui se divise en quatre parties, les saisons : Hiver, Printemps, Été, Automne. Son troisième volume,israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zola  Zegepraal (Le Triomphe), à l’allure lyrique, obtint moins de succès ; le quatrième, Kunstenaarsleven (Vie d’artiste), plus psychologique, fut plus favorablement apprécié, mais sans ajouter grandement à sa réputation. Puis ce furent des essais critiques et on se demandait si l’écrivain original qu’on attendait n’était point épuisé et si l’épopée qu’il avait annoncée sur Amsterdam paraîtrait jamais. Ces craintes étaient vaines. Quérido s’était réfugié, comme autrefois Rembrandt, dans le quartier juif d’Amsterdam, le Jourdain, ainsi qu’on l’appelle ; il a vécu de la vie de ce quartier, étudiant ses passions, ses désirs, ses amours, ses haines, et il en revient avec un volume, Le Jourdain, qui a obtenu tout de suite un succès de librairie sans précédent. Édité par la Société de la bonne lecture, il a été vendu en quelques mois à 18 000 exemplaires ; l’ancien directeur du grand journal d’Amsterdam, le Handelsblad, M. Ch. Boissevain, qui n’est pourtant pas un fanatique de la nouvelle école littéraire, compare l’auteur aux plus grands classiques et le met à côté des maîtres de l’épopée. Non pas que l’affabulation présente rien d’extraordinaire ; ceux qui attendraient des événements dramatiques seraient déçus mais, comme un voyant, Quérido nous révèle la vie intense des enfants du vieux peuple, ainsi que les désignait le peintre Israël, avec leurs petitesses, leurs misères, leurs faiblesses, leurs grandeurs. Que de figures inoubliables, depuis le beau Karel, le Don Juan du quartier, jusqu’à la rude Neeltje, la femme de Burk, si bonne et si tendre pour ses enfants, jusqu’à la douce Lien, l’amoureuse de Barend qui, dans la joie de se donner, oublie tout ce qu’elle a vu dans sa maison, la famille manquant souvent de pain et sa mère à moitié assommée régulièrement par son ivrogne de père ! Ces portraits sont si saisissants qu’ils vous restent devant les yeux et qu’on passe par-dessus les expressions d’argot dont l’auteur a fait un si copieux usage qu’il a dû mettre à la fin de chaque chapitre un vocabulaire pour les expliquer. »

    Eugène de Bock

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zolaPlus de dix ans après ces lignes, l’auteur et éditeur flamand Eugène de Bock (1889-1981) livre son avis sur les trois premiers volumes du roman de Querido qu’il prénomme Isidoor (« Chronique néerlandaise. Isidoor Querido », Europe,15 juillet 1923, p. 241-244) : « Les ancêtres d’Isidoor Querido, comme ceux de Spinoza, demandèrent il y a quelques siècles l’hospitalité de ce pays libre et accueillant. La coloration violente de sa vision trahit, d’ailleurs, ses origines. Prenez, dans son œuvre, une description de marché hollandais : vous y verrez de la pourpre et de l’or flamboyant ; et ceci est très loin des nuances et des subtilités assourdies de la peinture locale. Il sait souligner la parole de ses héros par la fièvre ou l’emportement du geste. II est d’une éloquence surprenante dans un pays dont le héros national s’appelle ‘‘le Taciturne’’. […] il a tout lu et tout étudié. Il a écrit sur la technique du billard et sur celle du piano. Il a abordé tous les sujets, non sans montrer une prédilection pour la musique, qui arrache de son cœur comme une pluie, comme un feu d’artifice de mots clairs et joyeux. Car le défaut de sa prose est de briller parfois d’un éclat trop vif, qui ne laisse rien dans la mémoire.

    « Ses œuvres, pourtant, ne manquent pas de fond, et je n’en veux d’autre preuve que celle dont je parlerai aujourd’hui, son gigantesque Jordaan, dont trois volumes de cinq cents grandes pages chacun, ont déjà paru.

    « Jordaan. Epopée des bas-fonds d’Amsterdam, qu’il serait intéressant de comparer aux Mystères de Paris d’Eugène Sue. Querido connaît les habitants de ce quartier du Jordaan comme il connaîtrait ses frères et sœurs, car il a longtemps vécu parmi eux. Créatures sans Dieu, héroïques dans la misère, esclaves de leurs passions, n’ayant d’autre force que leur fougue, la fougue arbitraire et égoïste de leur vie sensuelle. Les héros de ce monde sont des bêtes magnifiques : Corry et le beau Karel. Il faut attendre le troisième volume pour voir le philosophe bossu Manus Peet passer au premier plan.

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zola« Le Jordaan de Querido est d’une observation chaotique dans sa plénitude. L’auteur ne se contente pas de nous décrire un ménage, il nous en décrit douze, dont chacun fournirait la matière d’un roman. Parce qu’il anime son sujet, parce qu’il vit dans son roman, Querido va à l’encontre des peintures modernes pour qui l’art est tout entier ordonnance et discipline. Mais souvent, par le romantisme de sa vision, par le lyrisme de ses sensations, il atteint au sublime. Je pense à la scène des danseurs dans la rue, à la nuit sur le Zuiderzee, à l’asile de Frans Leerlap, à la ‘‘Turksche Wacht’’, cet antique guet-apens qui dépasse Rembrandt parce que le mouvement de la parole vivante vient s’ajouter au terrifiant clair-obscur de la description : Querido, ici, déploie les qualités des grands romantiques, et l’on ne peut que déplorer qu’il n’ait pas voulu introduire un peu de romantisme aussi dans la trame de son histoire, – qui reste moins une narration suivie qu’une série de descriptions et d’études de mœurs. L’amour trop exclusif de la ‘‘stemming’’, – de l’état d'âme – pèse encore sur la littérature hollandaise, et la prive d’audace et d’indépendance.

    « Mais qu’elle est étonnante de vie et de vérité, cette Corry qui traverse les trois volumes comme une déesse cruelle ! Que nous la connaissons jusqu’au fond d’elle-même ! Manus Peet, à ses côtés, est le porte-parole de l’auteur. Je ne cacherai pas qu’il m’est plus sympathique au premier et au deuxième volumes qu’au dernier : au début, il est le sceptique, le philosophe infirme, vivant en marge d’un monde d’entremetteuses, de filles et de souteneurs ; puis son amour exaspéré pour Corry le pousse dans la solitude, et il découvre en lui un mystique, disciple de Ruysbroeck, de Böhme, d’Eckhart et surtout de l’Imitation de Jésus-Christ. Et alors, que de digressions ! Dissertations sur l’amour et le prolétariat prennent une place énorme, et il y a toutes sortes de remarques sur les chefs du socialisme hollandais qui sont, certes, très sensées et très profondes, mais qui sont aussi d’un intérêt trop local pour équilibrer des chapitres purement humains, et par là, très supérieurs au régionalisme hollandais. Toutes ces digressions finissent par masquer le thème principal : le sceptique Manus Peet retrouvant le chemin des hommes à travers son douloureux amour pour Corry. […] »

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zolaLors de la parution de la traduction française - qui devait connaître semble-t-il plusieurs tirages -, les journaux partageant les idées révolutionnaires de Henri Barbusse firent l’éloge et de lauteur et du roman : « Israël Querido est mort l’été dernier presque à la veille du jour où l’on devait fêter son soixantième anniversaire en Hollande. Sa disparition a pris dans son pays les proportions d’un deuil national.

    « Comment se fait-il qu’un écrivain de cette importance, si significatif du génie de son pays, et dont l’œuvre est une sorte d’épopée de la vie populaire à Amsterdam, soit encore inconnu en France ? Les difficultés de traduction, car une bonne partie du cycle de quatre gros volumes auquel appartient Le Jordaan est écrite en argot amstellodamois, l’expliquent dans une certaine mesure, mais il faut y voir une de ces lacunes inexplicables qui dans chaque pays se vérifient toujours en matière de traductions.

    « L’effort de MM. Andriès de Rosa et Georges Rageot nous permet maintenant de juger à sa valeur le roman de Querido. Je ne dirai pas que la traduction soit de celles qui égalent parfois l’œuvre ou nous donnent l’impression de n’être plus des versions, comme Fabulet et d’Hummières l’avaient réussi pour Kipling. Mais le texte de MM. de Rosa et Rageot nous restitue tout le mouvement de la prose de Querido. Je n’ai pas besoin de savoir le hollandais pour sentir la verve, la truculence, le lyrisme gras et optimiste de l’auteur du Jordaan, et tout l’amour qu’il porte à son vieux port d’Amsterdam, sa familiarité avec la population spéciale qui y vit, son humanité, sa bonté. On ne saurait classer Querido parmi les naturalistes. Le sujet ici ne détermine pas le genre. Point de finasseries psychologiques, certes. Mais la simplicité, pour ne pas dire la trivialité des mœurs, est relevée par la poésie qu’Israël Querido met dans le décor, par ses descriptions de l’atmosphère, de l’air si spécial d’Amsterdam à toute heure du jour. Au fond, souvent les pages de ce romancier donnent l’idée d’une peinture. Et l’on songe à Rubens.

    Bragua, par G. Aubert

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zola« M. Henri Barbusse, dans l’excellente préface qu’il consacre à l’ouvrage, évoque d’autres noms de peintres, et plus grands peut-être : ‘‘La sarabande tragi-comique de la vie du quartier se déroule ainsi, documentaire comme du Téniers, pathétique comme du Breughel, poussée par masses comme de la fresque. » C’est assez dire la lignée spécifiquement flamande dans laquelle s’insère ce livre. À un autre moment M. Barbusse écrit, à propos de Querido : « Son rayonnement doit dépasser le cadre d’une littérature nationale et le dépassera dans la mise au point des temps, car son œuvre s’est dessinée une place visible dans l’histoire du réalisme. J’y souscris sans peine. » (Dominique Bragua, Europe, n° 123, 15/03/1933, p. 446-447.)

    Même engouement dans Le Populaire. Organe du Parti Socialiste (S.F.I.O.) : « Le grand écrivain naturaliste qu’était Israël Quérido devait passer de la peinture objective des misères humaines à la bataille contre ces misères. L’artiste devait se muer en partisan. ‘‘Il nous faut – écrivait-il à la fin de sa vie – des écrivains qui formulent notre idéal socialiste. Nous avons besoin d’héroïsme et d’enthousiasme profond et passionné. Il ne nous faut pas seulement le tableau de l’esclavage ouvrier, il nous faut aussi des ouvriers en révolte qui veulent détruire l’ordre existant.’’ Quand Quérido écrivit le livre dont Andriès de Rosa et Georges Rageot nous donnent aujourd’hui une version française, il n’était encore que l’observateur minutieux et attentif de la pauvreté et des vices qu’elle engendre. Mais il n’est pas difficile de démêler déjà, dans les tableaux qu’il trace de la peine des hommes, les traits annonciateurs de ses sentiments de protestation et de révolte. Le Jordaan, c’est le plus misérable des quartiers d’Amsterdam. Ruelles sordides, boutiques puantes, taudis empestés où s’entassent les familles nombreuses des travailleurs. Maladies, saleté, promiscuité, ivrognerie, violences, tout ce que les remous d’une société où le travail est exploité peuvent créer d’écume. Au milieu de quoi on étouffe, en attendant de s’indigner. Et l’on songe avec inquiétude tout ce qu’il faudra de propreté, de bonheur, de sécurité et de lumière pour que l’humanité puisse oublier un jour le long calvaire que le capitalisme lui a fait gravir. » (J.D. S., « Carnet du lecteur », 1er décembre 1932, p. 4.)

    Pierre Lorson

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zolaEn revanche, les Études, revue catholique d’intérêt général, par la voix du jésuite Pierre Lorson (1897-1954), font entendre un autre son de cloche : «  Ce livre touffu veut être une fresque aux couleurs criardes, mais fidèles, représentant un quartier crasseux d’Amsterdam. Le travail et les plaisirs d’une population pauvre de pêcheurs, marins, ouvriers, petits com- merçants y sont évoqués sous le seul aspect extérieur et collectif et, de préférence, le plus sordide. C’est une galerie de marionnettes en haillons, maniées assez prestigieusement, malgré leur nombre, mais en qui, grâce à Dieu, les Hollandais d’Amsterdam ne se reconnaîtraient pas, malgré les prétention ‘‘documentaires’’ de l’auteur et de l’école dont il se réclame. M. Barbusse, qui a écrit une Préface enthousiaste à ce livre, le rapproche de Zola. C’est assez dire que c’est un livre morne, pesant, long, partial. » (01/1933, p. 508-509).

    Relevons au passage que, dans le Mercure de France du 15 décembre 1919, Jan L. Walch a consacré quelques pages à Is. Querido à l’occasion de la parution du roman De oude waereld I: Het land van Zarathustra (1918).

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    Les traducteurs de De Jordaan, en particulier le Néerlandais Andriès de Rosa, feront l’objet d’un prochain développement. La préface de Barbusse qui suit, accompagnée de quelques notes, présente un contenu en grande partie similaire à celui de l’article que l’écrivain communiste donna le 15 octobre 1932 – soit l’époque de la parution de Le Jordaan – aux pages 1 et 6 des Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, l’hebdomadaire commettant dailleurs une petite erreur sur le prénom de lécrivain (labréviation Is. sétant transformée en Isaac au lieu dIsraël).

    (D .C.)

      

     

    * À l’occasion du centenaire de la fondation de cette maison paraîtra en 2015 une biographie d’Emmanuel Querido de la main de l’écrivain Willem van Toorn. Cet ouvrage accordera une place aux relations conflictuelles entre l’éditeur et son frère écrivain.

     

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    NOTES

    p. V : Van Dayssel : il s’agit en réalité de Lodewijk van Deyssel (1864-1952), figure majeure du Mouvement des années 1880, fils de l’homme de lettres J. A. Alberdingk Thijm ; sur Willem Kloos : ici.

    p. VI : Sur Saint-Georges de Bouhélier, voir le petit livre rédigé en langue française que lui a consacré Andries de Rosa, cotraducteur de De Jordaan : Saint-Georges de Bouhélier et le naturisme,1910.

    Les Meditaties over literatuur en leven (Méditations sur la littérature et la vie) datent de 1897, De jeugd van Beethoven (La Jeunesse de Beethoven) de 1919, Saul en David (Saül et David) de 1914, Aron Laguna de 1917, Levensgang (Cours de la vie) de 1901 et Menschenwee de 1903.

    Sur le dramaturge Herman Heijermans : ici et ici.

    Israël Querido

    israël querido,henri barbusse,jordaan,littérature,pays-bas,hollande,traduction,roman,saint-georges de bouhélier,zolap. VII : De oude waereld I: Het land van Zarathustra. Koningen (Le Vieux monde, I : Le pays de Zarathoustra. Rois) date de 1926, Het volk Gods (Le Peuple de Dieu) de 1932. Les volumes de la tétralogie De Jordaan: Amsterdamsche epos (Le Jourdain : Épopée amstellodamoise) ont paru respectivement en 1912, 1914, 1922 et 1924.

    p. XIII : Stijn Streuvels (1871-1969), un des plus grands romanciers flamands dont certaines œuvres sont traduites en français.

    p. XIV : Herman Gorter (1864-1927) : poète et militant communiste. On pourra lire certains de ses poèmes dans l’Anthologie Poètes néerlandais de la modernité.

    p. XV : Jef Last (1898-1972), connu en France pour avoir été l’ami d’André Gide. Ce dernier a signé la préface et contribué à la traduction de Zuyderzée, premier roman néerlandais paru en langue française aux éditions Gallimard (1938).

    Jan Willem Jacobs (1895-1967), poète socialiste aujourd’hui oublié.

    Martin Beversluis (1894-1966), poète et romancier. Socialiste puis communiste, il a adhéré pendant la guerre au mouvement national-socialiste hollandais (NSB).

    Piet Schuhmacher : sans doute l’activiste et journaliste, fondateur et rédacteur de De Nieuwe Stem (1918-1919).

    Garmt Stuiveling (1907-1985) : universitaire et homme de lettres, figure importante de la social-démocratie.

    Marie Vos (1897-1994) et Margot Vos (1891-1985) : poètes et auteurs pour la jeunesse, aujourd’hui oubliées.

    Abraham van Collem (1858-1933) : poète socialiste.

    Henriette Roland Holst (1869-1952) : poète et grande figure du socialisme néerlandais, tante du poète Adriaan Roland Holst (1888-1976) dont les recueils Voorbij de wegen et Een winter aan zée ont été traduits en français.

     

     

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     Is. Querido, caricature de Theo van Doesburg, 1910