Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Philippe Zilcken - Page 2

  • Le peintre-illustrateur Marius Bauer

    Pin it!

     

    Philippe ZILCKEN

    à propos de Marius BAUER

     

    marius bauer,zilcken,peinture,gravure,hollande,france,illustration,flaubert

    Zilcken, Bauer, Jan Veth chez l'imprimeur,

    vers 1886 (Rijksmuseum-Stichting, Amsterdam)

     

     

    Le peintre-graveur et photographe Marius Bauer (1867-1932) fut un proche de Philippe Zilcken. Grand voyageur, il est considéré comme le plus grand orientaliste hollandais de son temps. Ce fut un talent précoce. Malgré les innovations picturales qui ont marqué son époque, il est resté fidèle à un style réaliste teinté d’impressionnisme en donnant la primauté au dessin sur la couleur. Bauer a épousé Jo Stumpff, l’une des Amsterdamse Joffers, c’est-à-dire l’une de ces demoiselles de la capitale qui formaient un groupe d’artistes peintres.

    marius bauer,zilcken,peinture,gravure,hollande,france,illustration,flaubertUne rétrospective a été consacrée à Bauer début 2007 au Musée Singer de Laren ; une exposition présentant les caricatures politiques qu’il a réalisées sous le pseudonyme Rusticus pour le périodique politico-culturel De Kroniek (La Chronique) à la fin du XIXe siècle, se tient actuel- lement : « Spotprenten in de spotlights, Marius Bauer en tijdgenoten » (du 31 janvier au 29 août 2010). L'historien Henk Slechte publie à cette occasion l'ouvrage Marius Bauer als kritische kunstenaar. On pourra lire sur cette question : Walter Thys, « Socialistes et esthètes : un débat héroïque en Hollande à l’occasion du couronnement d’un Tsar ».

     

     

    exposition « Marius Bauer en Turquie », Schiedam, 2012

     

    marius bauer,zilcken,peinture,gravure,hollande,france,illustration,flaubert

     

    Le texte reproduit ci-dessous a été publié dans

    La Revue de Hollande, n° 5, novembre 1915, p. 662-665,

    un périodique créé pour resserrer les liens

    entre écrivains et artistes français et hollandais

    lors du premier conflit mondial.

     

    marius bauer,zilcken,peinture,gravure,hollande,france,illustration,flaubert

     

     

     

    UN PEINTRE-ILLUSTRATEUR HOLLANDAIS

    (M. Bauer)

     

    Bauer, le peintre-graveur orientaliste, est certainement un des artistes hollandais les plus connus au-delà des frontières de sa patrie.

    Ses succès à l’Exposition de 1900, où il eut, avec Bracquemond, Whistler et Zorn, un des quatre Grands Prix décernés par le jury de Gravure, contribuèrent à le faire apprécier, et depuis cette époque déjà lointaine, ses nombreuses eaux-fortes de haute fantaisie, ses reconstitutions d’un Orient qui disparaît trop rapidement, et qu’il aime à voir, ainsi qu’il me l’écrivait un jour de Constantinople, tel qu’il était il y a quelques siècles, ont répandu son nom.

     

    Une chose moins connue, même en Hollande, c’est que ce peintre a fait des « illustrations » pour trois livres, dont deux sont des chefs-d’œuvre de la littérature française et le troisième une Légende roumaine publiée en français à Amsterdam, avec un grand luxe d’exécution, mais d’un beaucoup plus petit format que les deux premiers volumes.

    Gustave Flaubert

    PortraitFlaubertInédit.pngL’origine de ces éditions, d’un intérêt particulier à divers points de vue, vaut la peine d’être mentionnée – Bauer habitait encore La Haye en 1893, et je le voyais presque journellement. À cette époque heureuse, grande d’enthou- siasmes, cet artiste avait fait sa première eau-forte dans mon atelier. Cette planche, définitive comme exécution fut bientôt suivie d’une quantité d’autres petites es- tampes, enlevées rapidement, très directes d’expression, donnant « le caractère de Smyrne et de Stamboul, et celui de leur populace, rendus admirablement par un artiste sensitif, voyant, imprégné de ses sujets, sentant le mouvement, l’action, et sachant rendre tout cela ».

    Possédant une presse, et, si je puis dire, certaines ca- pacités d’imprimeur « en taille-douce », je m’étais chargé avec le plus grand plaisir d’imprimer pour mon confrère, dès qu’elles étaient mordues, ces petites merveilles, sur des papiers de choix, anciens Hollande et anciens Japon.

    Depuis longtemps déjà conquis par la Légende de Saint julien l’Hospitalier de Flaubert, j’avais prêté le petit volume Trois Contes au peintre-graveur qui avait immédiatement été conquis par les phrases suggestives et pénétrantes de l’auteur (1).

    Lorsqu’on parcourt la Correspondance on trouve à plusieurs reprises des preuves de l’antipathie manifeste de Flaubert à l’endroit des illustrations. Ainsi, en 1878, à propos d’une illustration de Saint Julien, l’écrivain s’écrie : « Toute illustration en général m’exaspère ; à plus forte raison quand il s’agit de mes œuvres, et de mon vivant on n’en fera pas. Dixi ». Et ailleurs : « Ah ! qu’on me le montre, le coco qui fera le portrait d’Annibal ! Il me rendra grand service. Ce n’était pas la peine d’employer tant d’art à laisser tout dans le vague pour qu’un pignouf vienne démolir mon rêve par sa précision inepte. »

    Mais Bauer avait à cette époque un côté de son talent qui répondait particulièrement à ce que Flaubert exigeait d’un « illustrateur », un côté imprécis, vague, qui permettait au rêve et à la fantaisie de compléter l’œuvre illustrative.

    J’ai sous les yeux l’exemplaire des Trois Contes qui a servi à inspirer l’artiste. Avec un bout de crayon noir, Bauer a souligné les passages qui le frappaient à son point de vue spécial. Il est curieux de remarquer combien ces phrases, très courtes, semblent peu destinées à être illustrée. Ainsi je relève çà et là, des fragments tels que « on y mangea les plus rares épices » ; « Julien s’enfuit du château » ; « sa femme pour le recréer fit venir des jongleurs et des danseuses » ; « qu’avez-vous, cher seigneur ? » ; « on entendait le frôlement d’une écharpe ou l’écho d’un soupir » etc., etc.

    Le résultat final fut un grand portefeuille très lourd, contenant une dizaine de lithographies, dans des tons gris, brouillés ; dessins flottant comme dans une brume d’automne, – œuvres très distinguées et d’un charme rare, accompagnant le chef-d’œuvre de Flaubert.

    marius bauer,zilcken,peinture,gravure,hollande,france,illustration,flaubert

    M. Bauer, Femmes sous la tente

     

    Comme j’avais indirectement contribué à la naissance de cet ensemble, – lorsqu’il fallut établir le titre, j’écrivis à J.-K. Huysmans pour lui demander de bien vouloir indiquer à l’artiste et à l’éditeur, en quels termes ce titre exprimerait le plus précisément que ces dessins sur pierre étaient parallèles à l’œuvre écrite, et non pas une tentative d’illustration dans le genre habituel.

    Huysmans m’écrivit alors :

    « Étant donné que les lithographies de M. Bauer sont en quelque sorte une paraphrase au crayon du texte de Flaubert, le mot pour ne peut aller. Il vaudrait mieux mettre “Dix lithographies d’après la Légende de Saint Julien l’Hospitalier”. Ce mot vous donnerait le sens exact que vous désirez.

    « J’ai recherché les titres de Redon, mais lui, la plupart du temps, met Hommage à Flaubert, comme titre. C’est moins clair que le d’après que je vous signale.

    « Cela signifie que c’est une interprétation, un ouvrage original à côté d’un autre. »

    La légende roumaine, La Jeunesse inaltérable et la Vie éternelle, traduite par M. W. Ritter, forme un tout petit volume, d’un tirage extrêmement soigné. Bauer fit une vingtaine d’eaux-fortes, légers griffonnis très suggestifs, dont quinze ne mesurent que 55 sur 95 millimètres. Un autre artiste hollandais de tout premier ordre, notre raffiné peintre et décorateur Dysselhof (2) fit comme en-têtes et culs-de-lampe quarante-sept petites eaux-fortes en largeur, mesurant environ 6 millimètres sur 95 et représentant des fleurettes des champs : renoncules, silènes, fraisiers sauvages, etc., quelque peu stylisées, d’un dessin senti, délicat, d’un charme vraiment rare.

    marius bauer,zilcken,peinture,gravure,hollande,france,illustration,flaubert

    M. Bauer, Fête persane, 1889

     

    Le côté technique de l’impression, exécutée avec grand soin par l’imprimerie Mouton à La Haye, exigea des précautions infinies. Que l’on songe qu’il a fallu d’abord tirer toutes les eaux-fortes à part, sur des feuilles de mince papier du Japon, pliées en deux et imprimées d’un seul côté, à la manière des albums japonais. Puis, ce travail de patience, exigeant des soins considérables vu l’exiguïté du format, enfin terminé, suivit l’impression typographique qui devait remplir les blancs avec une rigoureuse exactitude, ne laissant pas la possibilité du moindre écart.

    Mais le produit le plus beau de ce genre de collaboration fut peut-être à tous les points de vue, AkëdyssérilBauer ayant lu le délicieux conte, encore une fois enthousiasmé comme il l’avait été par La Légende de Saint Julien, fit d’une traite ses huit compositions à l’eau-forte, dans la fièvre ininterrompue de la gestation, entièrement sous l’emprise de la prose de Villiers.

    Les gravures terminées, il s’agit de les publier.

    Akëdysséril, 1894

    MariusBauerVilliers.pngPar un de ces hasards fortuits et invraisemblables, comme il en arrive parfois, Bauer apprit que notre prosateur de génie, Lodewijk van Deijssel (pseudonyme de K.J.L. Alberdingk Thijm) tra- vaillait de son côté, pour son plaisir personnel, à une traduction d’Akëdysséril (3). Bercé, grisé par cette œuvre, Van Deijssel a su rendre admirablement (chose qui semble à peu près impossible) – en notre âpre et assez peu malléable langue du Nord, la musique et la cadence mêmes des phrases sonores et souples de Villiers de l’Isle Adam.

    Un éditeur se trouva, M. Groesbeek à Amsterdam, et le texte fut luxueusement imprimé en grand format et publié en portefeuille à un très petit nombre d’exemplaires.

    Parmi les eaux-fortes, il y a de très belles pages, qui, de même que les lithographies de Saint Julien, sont absolument originales, à côté de l’œuvre littéraire, et forment des œuvres d’art entièrement indépendantes.

    « On distribuerait au peuple le butin d’Eléphanta », « La souveraine du Xabad entra dans Bénarès », « Elle marchait sur ces ombres flottantes, les effleurant de sa robe d’or », sont des gravures en tous points originales, ne différant en rien d’autres estampes de l’artiste qui sont de pure fantaisie.

    Ainsi le hasard, les circonstances, les talents particuliers de Bauer et, plus tard, de Van Deijssel, amenèrent la création de ces publications précieuses, et parfaites en leur genre, comme je n’en vois guère d’autres chez nous, dues à l’enthousiasme, à l’admiration passionnée de ces vrais artistes, entièrement désintéressés, qui se mirent spontanément à l’œuvre, faisant chacun isolément de « l’art pour l’art » dans le sens le plus strict du mot.

    Ces livres hollandais dont les points de départ sont français, démontrent avec évidence les sympathies de notre élite intellectuelle pour l’art français. Ils demeureront un témoignage impérissable de la communion d’esprit et de cœur qui a existé à la fin du dix-neuvième siècle entre la plupart des artistes puissants et raffinés de la Hollande, et les grands maîtres des Lettres françaises.

     

    Philip Zilcken (4)

     

     

    ZilckenEnSaintNicolasParBauer.png

    (1) Relevons, à propos de Flaubert et de Bauer, que ce dernier a, en 1896, commis une caricature représentant Louis Couperus en saint Antoine : le romancier haguenois avait publié peu avant une adaptation de la Tentation de Flaubert. Quelques semaines plus tard, Bauer publiait, toujours dans De Kroniek, une caricature de Zilcken en saint Nicolas (détail ci-contre).

    (2) Gerrit Willem Dijsselhof (1866-1924), un des représentants hollandais majeurs de l’Art nouveau.

    (3) Sur Akëdysséril aux Pays-Bas, on se reportera à l’article de Marcel van den Boogert, « Over buffels en de eisen van correctheid. Lodewijk van Deyssel en Villiers de l’Isle-Adam », De Parelduiker, n° 4, 1997, p. 3-15.

    (4) En février 1891, Ph. Zilcken publiait « Eaux-fortes de Bauer » dans L'Art dans les deux Mondes, article repris dans son livre Souvenirs (1900, p. 3-13). 

     

     

    marius bauer,zilcken,peinture,gravure,hollande,france,illustration,flaubert

     

  • Le Naturalisme en Hollande - Les Peintres

    Pin it!


    L'ECOLE HOLLANDAISE par PHILIP ZILCKEN (1885)


    Avant même la trentaine, le peintre-graveur Philip Zilcken se fixe comme tâche de mieux faire connaître en France un certain nombre de ses compatriotes, ainsi qu'en témoigne le texte reproduit ci-dessous, paru dans la Revue indépendante (01/05/1885). L'auteur évoque le naturalisme en peinture, soit l'école hollandaise du milieu du XIXe siècle, les Mesdag, Maris, Israëls, Mauve, Bosboom, Gabriël, Weissenbruch...


     

    1885Zilcken1bis.png
    1885Zilcken2.png
    1885Zilcken3.png
    1885Zilcken4.png
    1885Zilcken5.png
    1885Zilcken6.png

    source : Gallica

     

    Lien permanent Imprimer Catégories : Peintres-Graveurs, Philippe Zilcken 0 commentaire
  • Les Frères Maris (1)

    Pin it!


    JACOB, MATTHIJS ET WILLEM MARIS par Philippe ZILCKEN (1)


    Dans la série des textes du Haguenois Philippe Zilcken sur la peinture hollandaise du XIXe siècle, nous reproduisons ci-dessous une étude sur les frères Maris telle qu'elle a paru dans Peintres hollandais modernes (Amsterdam, J.M. Schalekamp, 1893, p. 49-96).


    PagesTitre1893.png
     
    FrèresMaris1.png
    FrèresMaris2.png
    FrèresMaris3.png
    FrèresMaris4.png
    FrèresMaris5.png

    D'après une eau-forte d'après J. Maris

    FrèresMaris6.png
    FrèresMaris7.png
    FrèresMaris8.png
    FrèresMaris9.png
    FrèresMaris10.png
    D'après une eau-forte d'après J. Maris
    FrèresMaris11.png
    FrèresMaris12.png
    FrèresMaris13.png

    FrèresMaris14.png

    (à suivre)

     

  • Anton Mauve

    Pin it!

    LE PEINTRE ANTON MAUVE, par Ph. ZILCKEN

     

    MauvePortrait.png

    Né à Zaandam en 1838, Anton Mauve devient à 17 ans l’élève du peintre animalier Pieter Frederik van Os. Il poursuit son apprentissage auprès du paysagiste Wouter Verschuur. Il vit alors la plupart du temps à Haarlem ; l’été, il peint la nature à Oosterbeek. Après s’être établi à La Haye en 1871, il s’affirme comme l’une des figures majeures de l’école de La Haye. Dans cette même ville, il joue un grand rôle au sein des cercles artistiques. Ayant pris l’habitude de peindre à Laren, sorte de Barbizon hollandais, il va vivre dans cette localité. Sa maison se dresse face à l’actuel Musée Singer. Dépressif, il meurt avant son cinquantième anniversaire. Considéré à l’époque comme l’un des principaux peintres de son temps, il jouit d’une réputation internationale. Aujourd’hui, quand on évoque son nom, c’est la plupart du temps en raison des liens qu’il a entretenu avec Vincent van Gogh.

    À La Haye, Mauve fréquente les parents de Philippe Zilcken. Bientôt, il va accompagner les premiers pas de peintre du jeune francophile.

    « Lorsque mes parents me permirent de me vouer à la peinture, raconte ce dernier dans Au jardin du passé, j’eus comme maître un artiste de grand talent, très apprécié à Paris comme à Londres, Anton Mauve, qui, en même temps qu’il surveillait mes études, dirigeait les travaux de Vincent van Gogh, que je rencontrais parfois dans son atelier, avant que ce novateur ne quittât la Hollande pour aller s’établir en France.

    Mauve laissait ses élèves entièrement libres et ne faisait que leur donner des conseils, des avis, vraiment précieux pour les commençants. En ces temps-là, les peintres faisaient attention aux “valeurs” et l’artiste aimait à répéter les paroles de Corot : “d’abord le ton, et puis la couleur”… Lui-même du reste était un “toniste” subtil, tellement convaincu, que je me souviens qu’un matin nous promenions à la campagne, près de La Haye, lorsqu’il aperçut un troupeau de moutons paissant au bord d’un ruisseau, genre de sujet qu’il affectionnait. Afin de bien de se rendre compte des valeurs, lui et moi nous nous étendîmes par terre pour bien regarder ce qui était plus clair – le bas du ciel – les dos des moutons éclairés à  contre-jour, ou les prairies ensoleillées…

    Ces détails techniques paraissent puérils et invraisemblables à notre époque de production hâtive – de visions “en vitesse” –, mais ils sont authentiques et semblent aussi “pompiers” que le “probe dessin” d’Ingres ou le “charme” de Corot, tout en montrant la sincérité et la conscience des peintres d’alors.

    Anton Mauve, par Th. Mesker

    MauvePipeParThMesker.pngCette étude assidue des tons et des valeurs m’aura sans doute été fort utile, pour exécuter plus tard les nom- breuses eaux-fortes “de reproduction ” et les eaux-fortes originales que j’ai faites. […] C’est en 1888 que Mauve est mort, très inopinément, encore assez jeune. Ayant été son élève en quelque sorte, j’ai bien connu ce maître si sensitif – presque un “écorché”, qui passait d’un enthousiasme extrême à une lassitude, à un découragement profonds. L’artiste ne donnait jamais de “leçons” ; il se contentait d’indiquer la voie à suivre, donnant des conseils et soulignant les erreurs. L’été, je l’accompagnais à la campagne, près de La Haye, où également Vincent van Gogh travaillait sous sa direction, influence qui s’est fait sentir dans ses premiers dessins et essais. C’est là que Mauve a fait son tableau célèbre, Troupeau de moutons […].

    L’artiste exagérait presque, si l’on peut dire, la recherche consciencieuse des valeurs et des tons. Comme les matières premières ne sont plus de qualité suffisante pour durer, certains de ses tableaux ou de ses aquarelles légères quoique très fouillées, ont perdu leur harmonie subtile, par suite des couleurs qui ont passé. Ces merveilles de tonalité étaient tellement délicates que l’on a écrit avec justesse de ce peintre qu’il “cherchait à rendre le moment, l’heure, l’impression fugitive d’un paysage”, et cela, avec une telle assiduité, qu’il m’a dit lui-même avoir recommencé une aquarelle jusqu’à quarante fois… Dans la sympathique revue de Durand-Ruel, L’Art dans les Deux-Mondes, j’ai comparé les teintes rompues, les nuances “mineures” de Mauve à celles des belles estampes japonaises de la grande époque, et je persiste à trouver un rapport frappant entre la tonalité de certaines œuvres de Mauve et celle des maîtres japonais.

    Anton Mauve sur son lit de mort, par A. le Comte

    AntonMauveMortParAleComte.pngCet artiste était un dessinateur “caractériste” de premier ordre ; il a exécuté quelques eaux-fortes dont la seule collection complète se trouve à New York, dans la collection Avery, et il a même un jour fait un dessin de mon père jouant de violoncelle, un petit bijou d’observation et de sentiment.

    Mauve fut enterré à La Haye avec pompe ; tous les peintres du pays étaient venus assister à ses funérailles et deux jeunes filles, de ses élèves, avaient eu la touchante pensée d’apporter une énorme touffe de fleurs sauvages des dunes où le peintre aimait à errer. Il repose maintenant à côté de ce que l’on nomme les Petits Bois de La Haye, où gazouillent sans cesse d’innombrables oiseaux. »

     

    Alors que se déroule actuellement aux Pays-Bas la plus grande rétrospective jamais organisée sur « le maître de la lumière argentée », nous proposons en lecture les pages que Philippe Zilcken lui a consacrées, en 1893, dans Peintres hollandais modernes (p. 97-130).


     

    CouvAntonMauve2.jpg

    À lire en néerlandais : Saskia de Bodt & Michiel C. Plomp (réd.), Anton Mauve. 1838-1888, Bussum, THOTH, 2009, 224 p., 250 illustrations en couleur.

     

     

    Mauve1.png
    Mauve2.png
    Mauve3.png
    Mauve4.png
    Mauve5.png
    Mauve6.png
    Mauve7.png
    Mauve8.png
    Mauve9.png
    Mauve10.png
    Mauve11.png
    Mauve12.png
    Mauve13.png
    Mauve14.png
    Mauve15.png
    Mauve16.png
    Lien permanent Imprimer Catégories : Peintres-Graveurs, Philippe Zilcken 0 commentaire
  • Portraits de Jacob Maris, par Philippe Zilcken

    Pin it!

     

     

    On n’est idéal qu’à la condition d’être réel et on n’est vrai qu’à force de généraliser.

    G. Flaubert

     

     

    Jacob Maris, Le Moulin, Rijksmuseum

    JacobMarisLeMoulinRijksmuseum.jpgPeintre de l’École de La Haye, Jacob Maris meurt en août 1899 peu avant son soixante-deuxième anniversaire. Dès septembre, son ami Philippe Zilcken lui rend hommage dans l’Elsevier’s Geïllustreerd Maandschrift en évo-quant les (rares) portraits qui ont été faits du paysagiste. (On en connaît en réalité d’autres, par exemple celui peint par son frère Matthijs en 1857 et conservé au Rijks- museum.) Dans son livre Souvenirs (1900), Zilcken offre au lecteur français une version raccourcie de cet hommage qu'il dédie au critique d'art François Thiébault-Sisson. Nous la reproduisons ci-dessous en l’agrémentant des reproductions qui accompagnent le texte original. Il est à noter que, dans l’article hollandais, l’auteur évoque la ressemblance, tant physique que morale, qu’il a relevée entre le peintre et Théophile Gautier : de même que ce dernier, « Jacob Maris, par la puissance et la force sereines qu’il dégageait, présentait des traits de prince mérovingien ».

    Philippe Zilcken a laissé d’autres pages, bien plus documentées, sur Jacob Maris, par exemple dans ses Peintres hollandais modernes (1893), dans Les Lettres et les Arts (1er juillet 1889, p. 25-44) et dans la Gazette des Beaux-Arts (1er février 1900, p. 147-155).


     

    QUELQUES PORTRAITS DE JACOB MARIS

     

    À M. Thiébault-Sisson

     

     

    JacobMarisParZilcken.png

    Jacob Maris photographié par P. Zilcken en 1897

     

    Le 17 Août 1899, un bulletin spécial annonçait à La Haye, ce qui ne se fait que lors de graves évènements, la mort du peintre J. Maris.

    En effet, J. Maris était un grand souverain en son art, et, plus complètement que bien des princes, il continuera à vivre par son œuvre superbe qui donne une vision si complète et synthétique du paysage hollandais.

     

    Tout passe. – L’art robuste

    Seul a l’éternité…

     

    Quoique Maris ait souvent peint, dans sa jeunesse principalement, des sujets de figure, et plus tard quelquefois ses enfants, tout jeunes encore, avec une rare délicatesse de pénétration et une incomparable richesse de ton, ce grand artiste est plus complet encore comme paysagiste.

    La Hollande, si riche et variée d’aspects, si belle par sa limpide atmosphère, par la fraîcheur savoureuse de ses verdures transparentes et pures, par ses eaux claires qui reflètent presque partout des ciels lumineux et changeants, la Hollande, avec ses vieilles cités et ses moulins colorés, tombant en ruine, – un des plus beaux pays du monde, a été aimée et comprise par Jacob Maris comme par aucun peintre avant lui.

    À travers les siècles cet œuvre grandiose témoignera de son amour du sol natal et de sa vision supérieure.

    Quand un grand homme est mort, il ne reste parfois de lui, à côté de son œuvre, que quelques portraits. De Maris, il en existe peu : quelques photographies, de bons dessins de Veth et de Haverman, et une pointe-sèche de P. de Josselin de Jong (*).

    Peu donc, et c’est pourquoi j’ai cru utile, pour ceux qui n’ont pas connu personnellement ce peintre, de mentionner ces portraits d’après nature, qui, n’ayant pas la durée du bronze, disparaîtront bien vite.

    Selon moi, le plus beau portrait est celui qu’on s’est créé soi-même, celui que l’on voit en fermant les yeux, évoquant l’aspect, le visage ou le regard de celui ou de celle qui n’est plus. Alors la matière s’efface, et ce qui est l’essentiel de la plupart des portraits, la ligne et la couleur, s’atténuent et l’âme seule survit…

    JacobMarisDansZilcken2.pngIl y a quelques douze ans, Willem Maris le jeune fit une belle photographie de son père, assis dans son atelier.

    On y retrouve en grande partie la délicatesse des formes qui caractérisaient le visage de J. Maris, quoique la tête soit prise en profil perdu.

    La photogravure-Goupil a durement reproduit ce cliché dans la livraison de Juillet 1889 de la revue Les Lettres et les Arts.

    Toutes les finesses du modelé et de l’expression subtile ont disparu dans cette reproduction.

    JacobMarisDansZilcken1.pngUn photographe de La Haye, qui faisait poser devant son objectif presque tous les peintres de la Résidence, a fait, vers 1885, un portrait banal, correct, qui n’est pas exempt de l’expression d’ennui qui s’empare de tous ceux qui viennent d’entendre le tra- ditionnel « ne bougeons plus ».

    Il y a une couple d’années j’avais moi-même été pho- tographier Maris chez lui, assis devant son chevalet, sur lequel était posé, faisant fond, une grande vue de Hollande, au ciel puissant et nuageux.

    Et maintenant que le peintre est mort, maintenant que tout ce qui a rapport à lui devient infiniment précieux, le portrait dont je parle a de la valeur par son charme d’intimité, de spontanéité et de naturel.

    Maris faisait toujours dire qu’il n’était pas chez lui, ayant horreur des gêneurs de toutes sortes, qui tâchaient de l’approcher, mais les rares élus qui avaient leurs petites entrées n’oublieront jamais son accueil cordial et simple, son fin sourire, sa spirituelle et pénétrante causerie, ne dépassant pas une légère ironie, et toujours pleine d’un rare bon sens, cette qualité qui lui était si propre et qui lui a fait si magistralement raisonner et équilibrer ses œuvres.

    Les peintres Veth et Haverman ont fait d’après lui des dessins détaillés pour des revues illustrées hollandaises (De Kroniek et Woord en Beeld) et le peintre P. de Josselin de Jong, il y a une douzaine d’années, à ma demande, fit une très intéressante pointe-sèche d’après le maître, laquelle rend entre autres bien son caractère Olympien.

    JacobMarisDansZilcken5.png

    Jacob Maris par Pieter de Josselin de Jong

     

    Car Jacob Maris, quoique de petite taille, évoquait quelque Zeus ou Jupiter inconnu par le calme puissant, la belle expression sereine de son visage, autour duquel de longues boucles flottaient sans la moindre pose, cette coiffure étant pour lui la seule manière de porter sa chevelure léonine.

    JacobMarisDansZilcken3.pngCe caractère classique m’avait frappé en Maris et j’ai été surpris de trouver la preuve de ce que je dis, grâce à un médaillon fait par le sculpteur Paul Dubois, durant le séjour de Maris à Paris, avant 1870, où son profil se dessine parallèlement à celui de sa femme.

    Ici l’effigie du jeune artiste est du plus pur Grec, et semble dérobée à quelque frise Athénienne.

    M. de Josselin de Jong avait fait quelques belles et franches eaux-fortes, mais jamais encore de « pointe-sèche ». Il employa ce moyen pour faire le portrait de Maris d’après un croquis sur nature. J’imprimai sa planche, et il alla retravailler ce premier état d’après son beau modèle. J’ai précieusement conservé cette rare épreuve qui est infiniment meilleure que celles de l’état de publication.

    Il est à jamais regrettable que Jozef Israëls, qui a fait des portraits si supérieurs comme expression, d’un caractère hors ligne, d’un faire expressif et personnel extraordinaire, tels que celui du peintre Roelofs, n’ait pas immortalisé les traits de son ami Maris.

    J’ai cru, en signalant ces portraits peu connus, rendre service aux admirateurs du maître, et contribuer à sauver ces portraits de l’oubli qui engloutit si rapidement tout ce qui n’est pas de tout premier ordre.

     

    JacobMarisDansZilcken6.png(*) Pieter de Josselin de Jong (1861-1906) était un autre peintre de la même génération que Philippe Zilcken.

     

     

    Jacob Maris photographié par une de ses filles

     

     

    Voir aussi sur les frères Maris l’étude de D. Croal Thomson (anglais et français) : ICI