Philosophe et poète, Antoon Van den Braembussche marie son intérêt pour l’esthétique et les phénomènes récents de l’expression artistique (la culture numérique et l’art contemporain) à une quête littéraire débutée voici une quarantaine d’années. L’universitaire qu’il a été a signé, en langue anglaise, les essais Intercultural Aesthetics. A Worldview Perspective (2008, en collaboration avec Heinz Kimmerle et Nicole Note) et Thinking Art. An introduction to Philosophy of Art (2009). En 2016, il a publié en néerlandais un ouvrage beaucoup plus personnel : De stilte en het onuitsprekelijke. Over beeldcultuur, kunst en mystiek (Le silence et l’indicible. De la culture visuelle, de l’art et de la mystique), une méditation exprimant le désir de vivre une « expérience sublime » en se déconnectant de la pensée, à la fois plongée dans nos dimensions existentielle et spirituelle et tentative de saisir l’ineffable en explorant les zones où (philosophie de l’) art et mystique, religion et athéisme, philosophie occidentale et sagesses orientales se rejoignent.
Certains de ces élans et aspirations se retrouvent, mais dans une formulation différente, extrêmement claire pour ne pas dire transparente, dans son septième et plus récent recueil : Alles komt terug. Over ‘de eeuwige terugkeer van het gelijke’ (Tout revient toujours. Ou de l’éternel retour du même, Éditions P., Louvain, 2018). Un titre qui bien entendu renvoie à Nietzsche. « L’auteur observe le monde, nous dit l’éditeur, à travers les yeux de Friedrich Nietzsche. Il examine et considère le minuscule comme le gigantesque, le nouveau comme l’ancien, le concret comme l’abstrait, tout cela comme autant de parties d’un même tout : un tout qui revient toujours. Cet éternel retour est rendu dans une langue sobre, mais d’une redoutable précision, et qui pour autant ne craint pas quelques nuances sublimes ou surréalistes. » Mais au fond, ce recueil ne serait-il pas avant tout une suite amoureuse ?
À présent, je chante la danse de la terre.
Il n’y a pas que le séjour multiple
entre tes reins, tes mains, dans ta chevelure,
sous tes aisselles. Il y a aussi l’intemporel
havre en ton immortel sourire.
En ce printemps pas comme les autres, Antoon Van den Braembussche, comme d’autres poètes, a consacré des strophes au virus qui est sur toutes les lèvres. La version originale est en ligne sur un literair e-zine. Nous en proposons la traduction française ci-dessous.
CORONA
+
Le temps nous a rattrapés.
Inouï.
Invisible.
Dans les remous de la brume.
Infimes particules contagieuses.
Corona.
Pneumonia.
Fuite de la marte devant la contamination.
Sous une inquiétude sans précédent,
des gestes de stockeur.
Peur sous-cutanée.
+
« Le pire est à venir »,
prophétise le virologue.
Et nous de fixer
d’un regard hébété
des courbes exponentielles.
Dans nos foyers, nos cocons
habités de la phobie des microbes.
Notre œil se dissout dans un flot de sang,
le tabou de l’attouchement.
Le monde au point mort.
Sur la bouche, le masque du jamais vu.
+
Dans des hôpitaux surpeuplés
dans des lits à gorge déployée
la mort tâtonne à la ronde.
Impitoyable.
Au plus près du poumon.
Les plus faibles errent.
Tandis que les jours refluent
dans l’infinie solitude.
Car quiconque a été seul
glisse bientôt dans un inaccessible mutisme.
Pétrifié comme le virus.
Condamné.
+
Corona.
Utopia.
L’air se purifie
dans les artères de la ville.
Jamais encore le numérique n’a été
lieu de pareille compassion.
Jamais encore n’ont régné
dans les rues et sur les places
pareil silence pareil ineffable.
À croire que plus que par le passé
le point mort nous apprend une chose inoubliable :
respirer de soulagement dans l’instant.
Antoon Van den Braembussche
Mardi 24 mars 2020
poème traduit du néerlandais par Daniel Cunin
Le poète et quelques artistes lors de la parution de son recueil Het uur van de wolf
(Entre chien et loup, 2014).