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flandre - Page 10

  • La Chronique du Cygne

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    Un roman de Paul Willems (1912-1997)

     

     

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    L'AUTEUR

     

    « Né le 4 avril 1912, Paul Willems passe son enfance dans la propriété familiale de Missembourg, à Edegem, près d'Anvers, où les automnes et les hivers merveilleusement solitaires, les journées et les mythes, la nature et les légendes mis en mots par sa mère, la romancière Marie Gevers, l'éveillent à la magie d'un lieu isolé et d'une langue qui n'est pas celle des alentours. La vie lui fait parcourir, autour du domaine enchanté, des cercles de plus en plus larges; toujours, cependant, il revient à Missembourg et à l'Escaut qui coule vers le grand large, le fascine et l'appelle.

    paul willems, flandre, belgique, chronique du cygne, littératureAprès ses études secondaires à Anvers et un périple de deux mois dans l'Atlantique, il entreprend le droit à l'Université libre de Bruxelles et lit Joyce, Hamsun et Lawrence. Il se spécialise en droit maritime, puis il voyage en France où il rend visite à Giono, et séjourne en Bavière où il découvre le romantisme allemand qui, par le biais de la peinture — il est fasciné par l'œuvre de Caspar David Friedrich — et de l'écriture — il lit avec passion Novalis, Kleist et Brentano s'attache au mystère des choses. Revenu en Belgique après cet apprentissage majeur, il devient avocat stagiaire au barreau d'Anvers, puis il entre, pendant les années de guerre, au service du ravitaillement, et épouse Elza De Groodt. Le roman qu'il a commencé à son retour d'Allemagne est publié en 1941 : Tout est réel ici. Dans ce texte frémissant d'images, de subtiles analogies font peu à peu disparaître la frontière entre le prosaïque et le merveilleux, le quotidien et le rêve. Une même dimension féerique marque L'Herbe qui tremble (1942), une sorte de journal intime mêlé de récits, et La Chronique du cygne (1949). » Après avoir composé une importante œuvre dramatique traduite et jouée à l’étranger, il « revient, avec La Cathédrale de brume (1984), Le Pays noyé (1990) et Le Vase de Delft (1995) à la forme narrative de ses débuts. Dans ces récits de longueur variable — qui, tous, d'une manière ou d'une autre, appartiennent à ce que l'auteur appelle la mémoire profonde et éclairent l'ensemble de son œuvre —, il tente, en une démarche proche du cheminement initiatique, de cerner d'invisibles blessures et des bonheurs ineffables, de percevoir le dédoublement du monde, d'entrevoir l'envers des choses, de saisir un instant leur autre dimension. Sur tout cela, il s'interroge en autobiographe et en sourcier de l'imaginaire qui passe imperceptiblement de la vie à la littérature, du souvenir à sa transposition poétique dans Un arrière-pays. Rêveries sur la création littéraire (1989). Ce qui se donne à lire, dans ce commentaire qu'il adresse à ses jeunes lecteurs, au cours d'une série de conférences données à Louvain-la-Neuve, est une véritable poétique de la mémoire. » (source)

     

    Le roman

     

    Chronique du Cygne, Labor, Espace Nord, 2001

    CouvCygnePoche.png« On ne peut que se réjouir de la réédition chez Espace Nord du troisième roman de Paul Willems (après Tout est réel ici et Blessures), tombé dans l’oubli depuis sa parution chez Plon en 1949. Même si l’ouvrage ne connut qu’un succès tout relatif et si la critique l’a largement négligé (renvoyons toute- fois à l’excellente analyse de Véronique Jago-Antoine dans le n°5 de Textyles, novembre 1988, p. 23-42), il marque une étape importante dans la carrière de l’auteur, qui se lança par la suite dans la carrière théâtrale que l’on connaît, pour ne revenir à la forme narrative qu’en 1984.

    Dans la lecture très stimulante qu’elle donne de l’œuvre, Ginette Michaux nous convainc du caractère très abouti de celle-ci, notamment sur le plan de la construction narrative et du réseau complexe de correspondances qui unit l’ensemble des personnages mais aussi des lieux de ce récit épique, se doublant d’une fable d’inspiration métaphysique. À travers les innombrables ‘‘ramifications signifiantes’’ (p. 329) qu’elle met en lumière, elle démontre bien que ‘‘chaque personnage, chaque motif, est quasi littéralement l’écho ou le double d’un autre, ce qui produit un effet de désancrage de l’identité des sujets et de la stabilité des choses’’ (p. 320). Échos musicaux et jeux de miroir concernent aussi bien la lutte centrale, manichéenne uniquement en surface, du monde des villes et du monde des jardins, que la multitude de petits motifs secondaires, que l’auteur n’a décidément pas dispersés au hasard.

    paul willems, flandre, belgique, chronique du cygne, littératureIl devient ainsi limpide que les oppositions apparemment binaires ne résistent pas à une lecture attentive ; car la lutte impitoyable qui fait s’affronter les forces du Bien et du Mal (le combat entre deux conceptions de la vie et deux visions de la langue, pour le dire avec Ginette Michaux) se joue davantage à l’intérieur de chaque lieu et de chaque personnage, plutôt qu’elle ne les fait se dresser l’un contre l’autre. La dimension poétique de la fiction va ainsi de pair chez Willems avec la conviction que ‘‘[l]e vrai s’infiltre dans le faux, brouillant les pistes, approfondissant la signification par l’ambiguïté et par le paradoxe, montrant que le négatif est à l’œuvre partout, qu’aucune pensée ne pourra jamais être tenue pour bonne’’ (p. 326). » (source : Hubert Roland, « Willems (Paul), La Chronique du Cygne. Lecture de Ginette Michaux », Textyles, n° 23, 2003, p. 133-134)

     

     

    Prière d'insérer de la première édition (1949)

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     Paul Willems, dédicace sur un exemplaire d'Un arrière-pays 

    paul willems,flandre,belgique,chronique du cygne,littérature

     

     

  • L’œuvre de Karel Dierickx

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    Pour Karel*

    par Nicolas Rozier

     

     

    Karel Dierickx, Nicolas Rozier, peinture, flandre, revue Nunc, Jean Grosjean 

    K. Dierickx, Autoportrait, 2008

     

     

    L’œuvre de Karel Dierickx a transpercé toutes les offenses, tous les paliers de découragement. Cette manière de prendre l’espace avec la brisure des lignes nous montre ce que serait notre étreinte du vivant si notre liberté empoisonnée parvenait à éclater. Ce qui hante Dierickx au point de nous mordre par le crissement de ses échafauds précaires, c’est le dégagement d’une voie suprême qui passe par le dessin, la réalisation humaine d’une dignité panique qui ne peut plus attendre. Un transpercement des patiences de l’Art. Nous reconnaissons bien un paysage, un bocage, un coin de verger, une clôture, mais la banalité des théâtres correspond chez Dierickx à la puissance de certaines armatures hospitalières où le pays dont chaque homme crève se révèle, esquisse sa promesse défigurée. Certaines courbes de collines déchaînent une bonhommie des formes face auxquelles l’artiste comme le non artiste ne veut plus quitter son poste de pèlerin de lui-même.

    Karel Dierickx, Nicolas Rozier, peinture, flandre, revue Nunc, Jean GrosjeanC’est l’averse qui comp- te, la fermeté fléchée des traits qui pointent, les zébrures d’un saule pleureur général. Chez Dierickx, l’esprit de chevron est capital. Les bâtons obliques font une limaille domestiquée où l’encoche cabrée dicte ses rafales. Une nuée d’im- pacts sur la feuille où la tête et l’arbre sont d’un essor indifférencié, d’un même balisage extatique, d’un même camp de base dans l’extrême. La fierté, ce sang de la vie, n’a jamais été délogée des arbres ni des figures qui leur ressemblent. Dierickx retourne toujours aux clairières, aux prairies et aux ruines des villes taillées en flèches d’épopée granitique. Quelques cadrages élémentaires, quelques tableaux prédécoupés où l’éternité, déchirante comme le passé, est métallisée par le désir : des coins de forêt, des coins de visages, une pénombre d’héroïsme où de violents tumulus se disputent les socles de l’homme poète. Et là, tout se télescope dans une fastueuse hybridation : la ligne tortueuse, la boucle, les frisures, les zigzags, les éclairs, les zébrures, les encoches, les nœuds, les lacis nerveux et leurs éclats, les rafales de bâtonnets, les hachures, l’assaut rythmique, les brusqueries et les quasi transparences d’un autre réseau caressant où il ne reste de la pointe du crayon qu’un sillon sans graphite. Des sarabandes, des frises, des traînes, des édifices éboulés dans leur lierre où la puissance du maître se laisse guider par les retouches de l’enfance.

    Dans un même profil de visage, dans un même portrait de chien, cohabitent et fusionnent la grande manière née des années à fourbir les armes de la délicatesse et la vitesse sans crainte de l’enfant de trois ans. Au final, cet alliage, cette main d’âges multiples réalise le soin inouï d’une tendresse hiératique trempée dans la pierre d’effroi. C’est mural, pariétal, tombal, lustral et percé de lumière oblique déferlante, de rosée des beaux jours, de museau regretté, pour finir en place de village reprise par les herbes, en masses devinées d’antiques fontaines, de margelles redevenues des rochers, et ce sont partout les ruines d’une bonté. Dierickx révèle le dessin à son propre terrain vague, à sa lande innée, par quelques ordres, quelques indications de celles qui jalonnent une partition ; c’est ici l’hémisphère d’un visage, là un chien brumeux et toujours ces lignes sinueuses où les rails, les piquets de clôtures, les sentiers s’enchevêtrent aux volutes d’un espace de rencontre merveilleuse, de Provence absolue où les lambeaux de la peine auraient roulé, auraient fini par se végétaliser en arche de rencontre, pour devenir cette place où l’abandon, la désolation accèdent par un fourmillement d’apparitions à l’Eden du rebelle. Si nous aimons sans qu’il y ait toujours de femme, d’homme, de chien ou d’oiseau au balcon de l’amour, leurs spectres vivants pointent dans les profondeurs dessinées du Flamand.

     

     

    Ces huiles sur toiles, ces gouaches, ces mines de plomb, ces pastels secs ou à l’huile, ces techniques mixtes ne sont pas là pour « intéresser » les lorgnons en mal de ration culturelle. Il y a dans l’intérêt une attitude penchée qui déjà ne voit plus, qui déjà s’apprête au boniment. Les œuvres de Dierickx sont directement filiales, leur pouvoir de révélation lève les cadavres de la vraie vie qui bougent encore. La réussite est brutale car elle porte au devant d’elle-même le blason accumulé de ses délicatesses assassinées et reprises en dessin à la mort troupière. Sous le coup de la bourrade admirative, nous sommes les subjugués, et c’est là toute la justice à rendre à cette œuvre rare parmi les rares, cette cathédrale du mérite qui ne tient debout qu’à resplendir à fleur de sang.

    Paysage, 2007

    Karel Dierickx, Nicolas Rozier, peinture, flandre, revue Nunc, Jean Grosjean

    Dans ses jeunes années, le peintre flamand a choisi d’abandonner la voie fa- cile, ce chant des sirènes où l’apprenti artiste est sommé d’atrophier sa part sacrée en sévissant dans cette branche du mar- keting et de la publicité appelée art contemporain. Karel apparaît comme l’épouvantail de toutes les manigances pour s’être montré incapable de lâcher un certain portail défoncé du domaine marginal. Ses dessins ne perpétuent pas une filiation de l’art imitatif, ce qu’il fait est plus dur, plus angulaire, plus moderne, ses visages pleins de nodosités correspondent davantage à cet absolu baudelairien de l’avenir. Plus il approche et devance l’agneau transi de toute circonstance, plus ses portraits démontés d’une passion grave rendent cette déchirure en métal d’éternité, cette utopie de l’intense.

     

    Eau-forte (détail) pour le recueil Giotto’s Hemel de Stefan Hertmans

    karel dierickx,nicolas rozier,peinture,flandre,revue nunc,jean grosjeanMême chez Giacometti et Eugène Leroy, on n’a pas cette faculté à faire sauter le carcan de la scène, ce côté mise en boîte d’une statuaire où quelqu’un sinon quelque chose a pris la pose. Chez Dierickx, nous sommes passés à un niveau de l’Art qui généralement n’a pas été perçu et qui, s’il l’était, ferait passer l’art mondial pour ce qu’il est : celui d’une insipide province dans une galaxie où elle n’aurait pas son mot à dire. C’est une question de force maintenue dans sa douleur. Il faut chercher Artaud pour tenir compagnie à Dierickx, on y retrouvera comme par hasard cette puissance de liberté dans l’éclatement des formes, cette saillie imprévisible qui prend la feuille pour y frapper sa preuve de nerfs en gloire. Dierickx, comme Artaud, précipite sur la feuille les preuves cisaillées, hirsutes, les fétiches de grandeur pétrie où coïncident toutes les figures de l’amitié. La demi-lune des visages, les figurines, les sentiers sont là pour tonner tout en marquant une appartenance, tout en laissant se profiler une communauté, un phalanstère tricéphale de l’homme du chien et de l’oiseau, unifié par cette figurine que l’on aime sur le champ parce que son geste esquissé, son bras à peine levé déroule tout le passé d’une blessure reconnue. De l’expression au plus haut degré donc, mais une expression tellement usée d’être simplette qu’elle n’est plus qu’un désespoir d’expression, une ruée, une colère tournée contre le figement, un crissement, une discordance maintenant le dessin dans un état d’urgence ligneuse, de rutilance agressive où l’orée d’un sous-bois, l’arpent d’une prairie tendent leurs ombres hérissées d’arches inédites, le grain surpeuplé d’une déchirure bâtisseuse. Une masse sinueuse où font rage des retours de géométrie, une trituration qui veut son royaume, une poussée de charpente où la volonté se bat pour son avènement inconnu. Que cet karel dierickx,nicolas rozier,peinture,flandre,revue nunc,jean grosjeanavènement accroche ici et là des points d’ancrages évoquant des monceaux de ruines errantes, des édifices murmurés cor- respond bien à cette impression mutilée où clignotent, face aux œu- vres de Karel Dierickx, d’inépuisables possibles. 

     

     Les Strates du Temps, 2004

     

     

     

    * Ce texte du peintre et poète Nicolas Rozier

    a paru dans le n° 21 de la revue NUNC (juin 2010)

    qui propose un dossier Jean Grosjean.

     

    Merci à l’auteur et à l’éditeur.

     

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  • Clef des songes (1950)

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    Un roman gravé de Frans Masereel

    (Blankenberghe, 1889 - Avignon, 1972)

     

     

    Nous soufflons la cendre et les flammes,

    L’amour, le deuil, la peur, l’espoir ;

    Fermez vos cœurs, hommes et femmes,

    Nous parlons dans l’ombre à vos âmes !

     

    Victor Hugo, « Chant des Songes »

     

     

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    Clef des songes. Trente bois originaux suivis d’un répertoire de l’œuvre gravé de l’auteur, [Les Écrivains réunis], Lyon, Armand Henneuse, 1950, in-12, br., couv. rose impr. Tirage unique à 700 exemplaires numérotés (364/700) sur lana teinté après 15 sur chiffon d’Auvergne.

     

     

    « C’était une amusette, un jeu de l’imagination permettant d’illustrer le fait que les rêves ne sont pas forcément des mensonges. Je ne crois pas aux rêves. Le rêve est tromperie, dit-on à Gand, ce à quoi on ajoute quelque chose que je ne peux répéter ici*. Mais c’est probablement ça le plus beau de l’histoire ! » (Frans Masereel dans le cadre d’un entretien en néerlandais de 1961 avec Joos Florquin)

    frans masereel,gravure,joris van parys,victor hugo,armand henneuse,flandre,belgique« Quoique d’origine flamande, ce célèbre artiste a passé la plus grande partie de sa vie à Genève, Paris, Avignon et Nice. Très jeune, il s’est déjà fait un nom comme xylographe. Bien qu’il eût quitté son pays natal très tôt, Masereel est devenu la figure de proue du ‘‘groupe des cinq’’ qui a profondément rénové la gravure sur bois en Flandre. Le jeune artiste impressionnait en particulier par ses gravures d’inspiration expressionniste marquées par un profond engagement social. Le thème de la dénonciation de l’injustice et de l’oppression domine l'œuvre de Masereel. Parfois, une surprenante pointe de satire s’y ajoute. Le grand expressionniste a également joué un rôle prépondérant dans le domaine de la littérature. En effet, il a illustré certaines œuvres d’auteurs flamands et français importants comme É. Verhaeren, M. Maeterlinck, Ch. de Coster, V. Hugo et É. Zola. » (Hans Vanacker, « Commémoration de Frans Masereel à Anvers », Septentrion, n° 2,  1990) 

    frans masereel,gravure,joris van parys,victor hugo,armand henneuse,flandre,belgique« La personnalité la plus marquante du groupe des ‘’Cinq’’ est sans conteste Frans Masereel (1889-1972) : ‘’un gars joyeux, malgré l’amertume qu’on décèle dans plusieurs œuvres, un idéaliste sans cesse meurtri par l’injustice et la violence’’. Cette caractérisation par Roger Avermaete révèle l’influence fascinante que Masereel exerçait sur les jeunes de Lumière. À leurs yeux, il était la voix xylographique qui contribuerait à donner forme et force à leurs idées pacifistes, qui les consolerait, au besoin, de leurs déceptions. Masereel a été extrêmement productif. Pendant la Grande Guerre déjà, il accéda au style qui le marque. Son travail journalistique en Suisse, pour Les Tablettes entre 1916 et 1919 et pour La Feuille entre 1917 et 1920, se caractérisait par le ton agressif qui intéressait Lumière. Son ton lapidaire et direct se retrouve dans les publications ultérieures. Les éditions populaires bon marché de l’Allemand Kurt Wolff furent brûlées par les nazis, qui n’y voyaient que de l’art décadent. Dans les pays de l’Est et en Chine, l’œuvre de Masereel jouit d'une grande popularité, sans doute à cause de son engagement pour les petites gens. Comme d’autres confrères, Masereel a gravé régulièrement de vastes cycles dont le rythme fait songer aux premiers chefs-d’œuvre du cinéma muet. Les 167 gravures de Mon livre d'heures de 1919 constituent un exemple classique du genre. » (Gaby Gyselen, « La gravure sur bois et sur linoléum en Flandre à l’époque de la Grande Guerre », Septentrion, n° 1, 1984)

    frans masereel,gravure,joris van parys,victor hugo,armand henneuse,flandre,belgique« Il y a tout juste cinquante ans que paraissait à Amsterdam, chez L.J. Veen, une belle édition de Kerstwake (Veillée de Noël) de Stijn Streuvels, agrémentée de bois de Frans Masereel. J’y pensais en feuilletant aujourd’hui la Clef des songes, un joli recueil de trente bois originaux du graveur flamand, publié en 1950 à Lyon par le regretté maître-imprimeur Armand Henneuse. Celui-ci venait de temps en temps me rendre visite à Paris pour me parler de ses auteurs favoris, Couperus, Gezelle, Boutens, ce francophone étant un lecteur fervent de poètes et de romanciers néerlandais qu’il apprit à aimer à La Haye où il avait vécu pendant sa jeunesse studieuse. Il me récitait des vers des Carmina, car ce recueil de Boutens, mon cher Ami, a vu le jour l'année de ta naissance, ou des strophes de Mei de Gorter, pour donner un air de fête à ton involontaire parenté avec ce géant, et il disparaissait pendant un an ou deux non sans m’avoir comblé d’exemplaires de ses éditions rares : un Francis Ponge, un Eluard, un Norge, un Aragon, ou cette Clef des songes. Les bois de Masereel ont d’ailleurs accompagné ma jeunesse. J’avais lu, au sortir de l'enfance, les Jean-Christophe de Romain Rolland dans l’édition d’Albin Michel illustrée de près de 700 planches de notre xylographe. Il me semble que je connais de la main de Masereel plusieurs milliers de bois. De nos jours, sa forme de clair-obscur est délaissée mais je reste imprégné de son œuvre, comme de l’œuvre de tant d’autres marginaux : les vitraux de Joep Nicolaas, les céramiques de Johan van Loon, les typographies de Werkman, les décors de théâtre de Nicolaas Wijnberg, les objets-tableaux de Domela, la chaise de Rietveld, les ornements sculpturaux de Hildo Krop, les affiches de Dick Elffers, les stylisations géométriques d’Oscar Jespers. » (Sadi de Gorter, « Chroniques néerlandaises », Septentrion, n° 4, 1978).

     

    frans masereel,gravure,joris van parys,victor hugo,armand henneuse,flandre,belgique* « Dat was een Spielerei, een fantazie waarin geïllustreerd wordt dat dromen niet altijd bedrog zijn. Ik geloof niet aan dromen. Dromen is bedrog, zeggen ze in Gent, en ze voegen er nog iets bij dat ik hier niet kan vertellen. Dat is het mooiste waarschijn- lijk! » F. Masereel fait allusion à l’expression Dromen zijn bedrog, maar schijt g’in ’t bed dan vindt ge ’t nog. Mot à mot : Les rêves sont des mensonges, mais si jamais on fait caca au lit, il en reste quelque chose. Autrement dit : Même quand on dort, il y a des choses qui ne sont pas de l’ordre du rêve et celles-là ne trompent pas.

      

     

     

     

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    Ouvrage de référence sur le graveur : Joris Van Parys, Frans Masereel. Une biographie, édition française établie en collaboration avec Lydia Beutin & Thérèse Basyn, préface de Jacques De Decker, Bruxelles, Luc Pire/AML, collection Archives du Futur, 2008.

     

     

     

     

     

    Frans Masereel, gravures sur bois des années vingt

     


    Frans Masereel, L’œuvre, 1928, 60 gravures sur bois

     


    Le film L’Idée (1930-1932) de Berthold Bartosch, d’après le livre éponyme de Frans Masereel, musique d’Arthur Honegger

     

     

  • Le peintre et auteur flamand Frans de Geetere

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     Chaland nonchalant

     


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    Frans de Geetere, à bord de sa péniche (photo Agence Meurisse, source gallica.fr)


    L’émission « Ouvrir les yeux : les inattendus de la vie quotidienne » (réalisation Jacques Busnel) va à la rencontre de Frans de Geetere qui a passé la moitié de sa vie sur une péniche à Paris avec sa compagne May den Engelsen : « Un peintre flamand, installé dans une péniche près du Pont Neuf à Paris, fabrique des cerfs-volants en forme de soucoupes volantes. Frans de Geyter (?) nous explique comment il les fabrique puis sa vie dans sa péniche. » Où il est entre autres question de Blaise Cendrars, de Simenon, mais bien peu de gravures érotiques, genre dans lequel l'artiste et sa femme excellaient. Diffusé le 24 août 1969, ce programme a semble-t-il été tourné peu avant la mort du peintre qui nous dit avoir 72 ans.

    EekhoudGeetere.pngAprès avoir vécu à Utrecht, Frans de Geetere s'établit en France où il publiera plusieurs ouvrages (à compte d’auteur), les romans Les Malmenés (1964) et Ton nom en lettres blanches (1961) ainsi que le volume de souvenirs L’Homme qui oublia de mourir (1962), traduit en néerlandais sous le titre De man die vergat te sterven (traduction et postface Roland Fagel, Utrecht, IJzer, 2008). Tout comme May, Frans a illustré plusieurs ouvrages dont Les Chants de Maldoror de Lautréamont (1927), les Lettres d'un satyre de Rémy de Gourmont (1926) - il était l'ami de Jean de Gourmont - et Mes Communions de Georges Eekhoud (1925).




    The artist Frans de Geetere was born François Joseph Jean de Geetere in Oudergem, a suburb of Brussels. Frans de Geetere studied at the Beaux-Arts in Brussels, but rebelled against the academic teaching there. With his partner, the painter May den Engelsen, Frans de Geetere sailed a barge from Brussels to Paris, where they moored by the Quai de Conti by the Pont Neuf and lived a Bohemian lifestyle.

    Volupté

    frans de geetere,paris,flandre,peinture,littérature,céline de potterDe Geetere and den Engelsen were intimate with Harry and Caresse Crosby in the late 1920s; Harry wrote to his mother, "If it is possible for two people to be in love with two people then we are in love with them." Harry Crosby shot himself after the Wall Street Crash in 1929. Frans de Geetere had an exhibition the following year at the Galerie de la Plume d’Or, introduced by the art critic André Warnod. But that was, essentially the end of his career. The chief influence on Frans de Geetere’s work was the Belgian Symbolists, particularly Fernand Khnopff. The etchings of Frans de Geetere are sombre and disquieting, infused with a miasma of conflicted sexuality and existential dread. His art now feels very modern, resonating, for instance, with both that of Paula Rego and that of Jake and Dinos Chapman. In his own lifetime Frans de Geetere fell so far out of favour that he titled a volume of lightly-fictionalised memoirs, self-published from his barge the Marie-Jeanne, L’homme qui oublia de mourir - The man who forgot to die. There was an exhibition of Frans de Geetere’s art at the Centraal Museum, Utrecht in 2007, and a new book on the artist by Jan Juffermans. See: Jan Juffermans, Frans de Geetere, 2006. (source : ici)


     

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    Illustration pour Les Chants de Maldoror


     

    On consultera Céline De Potter, « Les illustrateurs belges en France de 1919 à 1939 : Jean de Bosschère, Frans Masereel, Frans De Geetere, Luc Lafnet. Pratiques et réseaux », Le livre & l’estampe, LV, n° 171, 2009, p. 155-183.

    En néerlandais : Jan Juffermans, Frans de Geetere – een opvallende passant in de Utrechtse kunstwereldStichting Stichtse Publicaties Kunst en Cultuur,  2006.

     


     

    Frans de Geetere, Paris, Flandre, peinture, littérature, Céline De Potter




  • La Gloire d’Anvers

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    (Re)découvrir Jordaens

    Première rétrospective en France

     

    « Nom familier pour qui arpente les musées français où les œuvres de l’artiste sont nombreuses – à commencer par le Petit Palais –, Jordaens n’a bénéficié d’aucune grande rétrospective à Paris ni ailleurs en France. Certes, contrairement à Rubens, il ne vint jamais dans la capitale mais sa réputation y est bien établie dès le début du XVIIIe siècle, portée par le triomphe des coloristes. Il était donc temps de lui donner l’occasion de défendre sa cause, de présenter pleinement le développement de son art au-delà du seul parallèle avec les toiles de l’autre gloire d’Anvers, Rubens (1577-1640), dont Jordaens (1593-1678) reprit à sa manière le flambeau durant les décennies suivantes.

    JordaensCouple.pngOn ne saurait réduire Jordaens au rôle de l’oncle bon-vivant dont l’existence se confond dans nos souvenirs avec celle des banquets de famille. Oui, Jordaens sait mieux qu’aucun autre rendre compte d’un esprit flamand truculent, poussant parfois à l’excès - pour notre œil moderne - la grâce plantureuse de ses modèles. Mise en avant par une historiographie qui en a fait le porte-drapeau d’une identité traditionnelle que la carrière trop internationale de Rubens et de Van Dyck ne pouvaient porter, cette verve sans égale n’exclut pas toute recherche esthétique complexe ni toute culture. L’exposition « Jordaens et l’Antique » qui vient de s’achever à Cassel après Bruxelles a su tordre le cou à ce cliché en brossant le portrait inattendu d’un grand bourgeois anversois, épris d’histoire ancienne et de mythologie.

    Le propos est plus général à Paris où l’on ne se privera pas du plaisir d’admirer les proverbes de Jordaens, ni même de comparer les versions du Roi boit ! ou de « Comme les vieux ont chanté, ainsi les jeunes jouent de la flûte ». Mais les autres facettes de son art brillent ici tout autant, du portraitiste au décorateur de fêtes, du grand peintre religieux des églises de la Contre-Réforme au cartonnier pour les manufactures de tapisseries de Bruxelles, sans oublier son rôle de chef d’atelier quand, pour répondre aux commandes qui affluent, il doit s’entourer de colla- borateurs. » 

    Christophe Leribault, directeur du Petit Palais 




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    La couverture du catalogue

    Autoportrait de l’artiste avec sa femme Catharina van Noort, leur fille Elisabeth et une servante dans un jardin (1621-1622), huile sur toile, 181 x 187 cm, Madrid, Musée national du Prado


    Le tableau de Madrid, au-delà de sa qualité de chef-d’œuvre, constitue un témoignage fascinant de la haute idée que pouvait se faire Jordaens de sa dignité, au seuil de la trentaine. Par le faste du dispositif, l’accumulation de motifs signifiants, Jordaens transgresse, en effet, les codes du portrait bourgeois qui prescrivaient pour les roturiers, même fortunés, une forme de modestie austère et, en particulier, une représentation à mi-corps plutôt qu’en pied. Alors que sa carrière prenait son essor et qu’il venait, à son corps défendant, d’être désigné doyen de la guilde de Saint-Luc (1621), il dédaigna de se représenter comme un peintre, accaparant les signes caractéristiques du portrait noble : portrait en pied, utilisation d’un domestique « faire-valoir », cadre architecturé, etc.

    S’il est entendu que le luth que Jordaens place entre ses mains ici comme dans les deux autres portraits familiaux qu’il exécuta vers 1615-16 (Saint-Pétersbourg, Ermitage et Cassel, Staatliche Museen) souligne le climat d’harmonie familiale, il renvoie aussi à l’homme parfaitement accompli qu’est le virtuoso. Or nul n’illustrait mieux cet idéal alors à Anvers que Rubens dont l’ombre plane sur ce tableau.

     

    Jordaens (1593-1678), la gloire d'Anvers par paris_musees


    Jordaens au Petit Palais par Blanche_Jade

     


     

    Sommaire du catalogue

     

    - Jordaens et la France. Essor et cristallisation de la réputation d’un maître (XVII-XIXe siècle) par Alexis Merle du Bourg

     

    - Jordaens, un artiste mal compris. Etat actuel de la recherche par Joost Vander Auwera

     

    JordaensNu.png- Jordaens, le bourgeois absolu ? par Irene Schaudies

     

    - Jacques Jordaens Pictor Antverpiae : l’artiste et sa famille - Le milieu des peintres à Anvers

     

    - La Bible et la vie des saints

     

    - Histoire profane et Mythologie

     

    - «Quotidien» et Proverbes

     

    - L’Atelier ; Portraits et figures

     

    - Modèles, cartons de tapisserie et tentures