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hollande - Page 28

  • Un traducteur de Louis Couperus

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    Paul Eyquem, traducteur de néerlandais

     

     

    Déclaré mort à l’âge de 7 ans par le médecin, Paul Louis Bernard Eyquem (Canterac, 4 mai 1875 - Lafarde, 1er octobre 1940) est sorti de cette mort apparente, pour réclamer une pomme, alors qu’on veillait sa dépouille. Plus tard, après avoir obtenu un diplôme de bachelier ès-lettres dans la région bordelaise, il devient militaire. Ses ambitions littéraires l’amènent a publier sous le pseudonyme H.P. Harlem (un long poème, « Le Cygne », Revue Blanche, 1er septembre 1898, p. 71-76 après une chronique un peu plus tôt dans cette même revue – vol. 16, p. 319-320 ; un autre poème intitulé « Impressions » dans L’Ermitage, 1899, vol. 18, p. 420-421 ; « À la plus pure », L’Ermitage, 1903, vol. 27, p. 282-285…) ou encore à fréquenter les « Mardis » de Mallarmé, côtoyant à l’époque Heredia, Huysmans, Henri de Régnier… Il semble que l’on ait gardé bien peu d’œuvres de sa main.

    Vers 1900, il s’établit à Utrecht pour enseigner à l’école Berlitz avant de bientôt donner des cours privés de français et des conférences, dont certaines dans le cadre de l’Alliance française, sur Verlaine, Rimbaud, Gérard de Nerval, Laforgue… ; ainsi, au début de l’année 1906 tient-il une série de 6 conférences dans sa ville d’adoption sur les thèmes suivants : L’Artiste et la Société ; Un conteur : Villiers de l’Isle Adam ; Un penseur : Le Comte de Gobineau ; Un sculpteur : Auguste Rodin ; Un peintre : Eugène Carrière ; Un poète : Émile Verhaeren. Il lui arriva aussi d’évoquer les écrivains néerlandais : « …le 25 novembre 1924, M. Paul Eyquem (…) a donné une conférence sur nos littérateurs modernes. Selon lui la langue des Hollandais était claire comme leurs tableaux et la littérature néerlandaise donnait la joie de voir clair » rapporte le journal De Telegraaf (27 novembre 1924).

    Devenu un grand connaisseur et des Pays-Bas et des langues néerlandaise et malaise, il vit tant bien que mal de traductions et de quelques autres activités. Rentré en France en 1911, il épouse à Bordeaux l’année d’après le sculpteur Jeanne-Louise Lot ; le couple s’établit ensuite à Paris. Traducteur assermenté auprès du Tribunal de la Seine, il sera rattaché de 1915 à 1940 au Bureau de l’Information du Ministère français des Affaires étrangères, emploi grâce auquel il entretenait un lien permanant avec la Belgique et la Hollande ; au sein de ce ministère, il a longtemps travaillé dans le service de Jean Giraudoux. Il a pu par ailleurs donner des cours de français à des Néerlandais séjournant à Paris, par exemple au futur journaliste J.L. Heldring, lui ouvrant les yeux sur une possible entente entre Staline et Hitler plus d’un an avant le pacte germano-soviétique. Nommé en 1926 membre exceptionnel de la Maatschappij der Nederlandse Letterkunde (Académie néerlandaise des Belles-Lettres), il retourne souvent en Hollande où il avait d’ailleurs séjourné à l’époque de la Grande Guerre comme interprète de l’armée française et représentant du service de presse du gouvernement français : ainsi, fin 1918-début 1919, il y a rencontré à quelques reprises Frederik van Eeden (1860-1932) qui le qualifie dans son journal de « journaliste français ». Dans ce pays, il entretient des liens plus ou moins amicaux avec d’autres écrivains dont Dirk Coster (1887-1956), Johan de Meester (1860-1931), Top Naeff (1878-1953), la philosophe et romancière Cary van Bruggen (1881-1932) ou encore le peintre R.N. Roland Holst (1868-1938). À Paris, il côtoie aussi certains écrivains néerlandais : dans sa correspondance, Eddy du Perron, qui a partagé un repas avec lui et quelques autres personnes, le considère, du moins selon ses premières impressions, comme un « bavasseur des plus doués » ; il reconnaît à ce barbu peu génial une certaine intelligence et un certain raffinement dès lors qu'on le compare à Benjamin Crémieux (lettre du 26 novembre 1932 à Jan Greshoff).

     

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    Les Marges, avec une traduction de P. Eyquem

     

    Vivant avec son épouse au milieu de chats, de gravures sur bois japonaises et de livres qu’il est parvenu à collectionner malgré un certain dénuement – 4, impasse Ronsin à Paris, où se trouvaient alors des maisons délabrées habitées par des artistes et où picoraient des poules –, ayant renoncé à ses ambitions de poète, il publie de temps à autres une contribution :

    « La Peinture hollandaise moderne », Le Monde Nouveau, 3, 1921 ;

    « Aux Indes néerlandaises : Le syndicalisme musulman et la IIIe internationale », p. 55-83, Revue du Monde musulman, déc. 1922 ;

    un texte dans Les Arts de la Maison. Choix des œuvres les plus expressives de la décoration contemporaine, [éd.] Christian Zervos, printemps-été 1924, Paris, Albert Morance [publication à laquelle a également contribué R.-N. Roland Holst] ;

    « Littérateurs hollandais contemporains et lettres françaises », La Haye, 1924…

    Il donne par ailleurs maintes traductions de textes néerlandais – poèmes, nouvelles, articles :

    « Histoire du Joueur de flûte et de la belle danseuse », d’Augusta de Wit, Le Monde Nouveau, 1930 ;

    La danse dans le Théâtre javanais de Th. B. van Lelyveld (Paris, Floury, 1931, préface de Sylvain Lévi) ;

    d’Ellen Forest (1880-1959), romancière totalement oubliée aujourd’hui, le roman Yuki San (Paris, Plon 1925) ;

    une thèse : R.H.W. Regout, La Doctrine de la guerre juste de saint Augustin à nos jours, d’après les théologiens et les canonistes catholiques (Paris, Pedone, 1934) ;

    J.H. Plantenga, L’Architecture religieuse dans l’ancien Duché de Brabant depuis le règne des Archiducs jusqu’au gouvernement autrichien (1598-1713) (La Haye, M. Nijhoff, 1926)…

    Il lui est même arrivé de traduire des textes français en néerlandais comme la brochure de J. Romieu, De Bolschevistische publicaties en de Fransche politiek. (Zwartboek en Geelboek), Paris, Costes, 1923.

    Paul Eyquem est mort peu après avoir regagné sa région natale dans les semaines qui ont suivi le déclanchement de la Deuxième Guerre mondiale. Dans ses mémoires – Bewegend portret (1960) –, le journaliste Henri Wiessing (1878-1961), qui l’a revu à Paris en mai 1940, nous dit qu’il était un homme fatigué par la bureaucratie française et par l’incapacité des politiques.

     

    (source principale :  C. Serrurier, Jaarboek van de Maatschappij der Nederlandse Letterkunde te Leiden 1946-1947, p. 47-49)

     

     

    Paul Eyquem, traducteur de Louis Couperus

     

    Paul Eyquem a sans doute caressé le projet de traduire l’une des œuvres de Louis Couperus, Het snoer der ontferming – Japansche legenden (Le Collier de la Miséricorde – Légendes Japonaises). Deux textes de ce recueil ont paru en traduction française en 1923 ; la mort de l’écrivain la même année l’aura peut-être amené à renoncer à ce projet. Dans « La mort de Louis Couperus (texte) » sur ce blog, nous avons évoqué celui paru dans la revue Les Marges : le 15 juillet, veille de la mort de l’écrivain, paraissait en France une de ses nouvelles en traduction dans la revue Les Marges (tome XXVIII, n° 109, 20ème  année, p. 181-184) : Les Courtisanes, autrement dit De oirans (courtizanen), la treizième petite légende d’un recueil de proses « japonaises », Le Collier de la Miséricorde (Het snoer der ontferming), publiées en livraisons puis en volume, mais seulement après la mort de leur auteur. Le traducteur, Paul Eyquem, précisait dans une note : « La Hollande célèbre ce mois-ci le soixantième anniversaire de Couperus. Les Marges sont particulièrement heureuses de s’associer à cet hommage. Les pages traduites ci-dessus sont extraites d’un livre en cours de publication dans la revue Groot Nederland : Le Collier de la Miséricorde. »

     

    Les Nouvelles littéraires, 16/06/1923, Lettres hollandaises, avec un portrait de Couperus

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    Peu avant, dans Les Nouvelles Littéraires, Artistiques et Scientifiques du samedi 16 juin 1923, qui consacre toute sa première page à la mort de Pierre Loti, les lecteurs français pouvaient lire, à côté d’un portrait du romancier néerlandais, un premier passage du Collier de la Miséricorde : « Vivier et Cascade ». Dans une brève présentation, Paul Eyquem écrit : « La page, dont en humble hommage, nous donnons aujourd’hui la traduction, est extraite d’un ouvrage en cours de publication : Le Collier de la Miséricorde, fruit d’une récente visite au Japon. Pour la richesse du coloris, la grâce et la fermeté de l’arabesque, l’intensité de l’émotion, la profondeur du symbole, l’écrivain des Pays-Bas y rivalise, non sans succès, avec les plus grands artistes du pays du Soleil Levant. » Voici cette traduction :

     

    Vivier et Cascade

     

    Le torrent se précipitait du haut des rocs que des mains habiles avaient entassés dans le parc où ils formaient une flaque, un vivier environné de roches également amoncelées. Sous les irisations intermittentes du soleil le torrent, la cascade écumaient et clapotaient.

    Dans le vivier, à foison, nageaient des carpes d’apparat, poissons étincelant, poissons à des joyaux pareils, blancs, dorés, argentés, verts, bleus et rouges, toujours l’une suivant l’autre, toujours tour après tour, toujours et sans relâche.

    Le torrent, l’eau multiple chantait et clamait :

    « Ah ! voyez donc comme ces carpes, sans but et sans répit, toujours l’une suivant l’autre, toujours tour après tour, nagent dans notre petit vivier ! Or moi qui tombe abondamment des rochers je m’achemine, écumeuse et clapotante, vers mon but noble et lointain : la mer que je devine là-bas – Rivière après ma chute, puis large fleuve je roule vers le but que je sais : la mer éternelle ! »

    Autour du vivier et sous la cascade rêvaient, silencieux et calmes, les rochers, blocs arrondis, artistement disposés par la main des hommes. Et ils murmuraient sous leur mousse épaisse :

    « Nous ne coulons pas comme l’eau, nous ne nageons pas comme les carpes et nous ne nous connaissons aucun but dans notre immobilité. Mais des sages et des saints nous ont promis que, bien que nous semblions avoir été fixés ici pour l’éternité par des mains humaines, nous entrerons un jour, en flottant, dans le sacré Nirvâna, nous, rochers, tout comme les Bouddhas eux-mêmes.

    « La patience est toute notre sagesse et le rêve notre seule action : nous attendons, nous attendons patiemment et silencieusement. »

    Les carpes inlassablement nageaient en rond, l’eau se précipitait sans repos du haut des rocs ; deux grands papillons noirs, frémissants d’amour, voltigeaient sur les camélias pourpres.

     

    « Vijver met karpers en waterval », Groot Nederland, printemps 1923, repris dans VW 47, Het snoer der ontferming – Japansche legenden, pp. 33-34. Traduction par Paul Eyquem, Les Nouvelles Littéraires, Artistiques et Scientifiques, samedi 16 juin 1923.

     

     

  • Instantanés aux Pays-Bas (1906)

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    Le voyage d’Alphonse de Châteaubriant (1877-1951)

    dans la langue néerlandaise

     

     

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    Les Instantanés aux Pays-Bas proposent le compte rendu d’un séjour effectué par Alphonse de Châteaubriant en Hollande du 1er au 28 août 1905, et publié sous le pseudonyme Chateaubriand-Chanzé dans la Revue de Paris du 1er octobre 1906. Il s’agit de l’une des toutes premières publications  de ce descendant d’une branche de la famille néerlandaise Van Bredenbecq (orthographe ultérieure : de Brédenbeck) qui a acquis les droits féodaux de la seigneurie de Châteaubriant en 1690 ; ces pages seront reprises en volume fin décembre 1927. Avant de devenir un romancier très en vogue (Monsieur des Lourdines recevra le Goncourt en 1911, La Brière le Grand Prix du Roman en 1923), avant d’être condamné à mort par contumace en 1945 pour ses activités collaborationnistes, le Breton – qui travaille alors d’arrache-pied pour se faire un nom dans les lettres – est accueilli par la famille Schleef d’Egmond aan Zee, localité de 3000 âmes encore pittoresque avec des mamans aux « mentons roses arrondis sur des rabats de dentelles », des vieilles à « la tête hochante sous la capuche de dentelle » ; on vient d’inaugurer le tramway. La fenêtre de sa chambre sonne sur la mer et les dunes qu’il a appris « à aimer sur les toiles de Ruisdael et de Wynants ». Pas loin de là s’élève « la partie des dunes jadis occupée par les “Kaninefaten” (1) ». On est en présence d’un texte intime, plein de retenue, morcelé comme le titre l’indique, rédigé en réalité après coup, à partir de septembre 1905, face à la mer, dans une mansarde de la maison familiale de Piriac, près de Saint-Nazaire. On peut lire « instantanés » au sens de « description d’un instant précis », antérieur à l’acception photographique, sans oublier que le jeune père de famille se qualifiait lui-même de « chasseur de paysage ». On relève une attention quasi picturale, l’écrivain aimant sans doute les œuvres de Jozef Israëls et celles des frères  Maris. Il allait d’ailleurs souvent à l’époque faire ses gammes au Louvre, assis devant les paysagistes hollandais : « le porte-plume lui-même est dans la main comme un pinceau divisant et mélangeant », écrira-t-il (2).

    chateaubriant,hollande,poésie,kloos,gezellig,egmondAlphonse de Châteaubriant ne nous dit rien du motif de son séjour. Il s’agissait probablement d’un pèlerinage aux sources – en chemin, il ne s’arrêtera que brièvement en Belgique pour visiter Bruges. Dans son texte, il n’évoque guère l’Histoire des Pays-Bas, se contente de parler de quelques voisins et jeunes voisines de ses hôtes, de quelques promenades dans la campagne et dans certaines localités. Son biographe précise que l’enchantement qu’il éprouve devant ces nouveaux paysages le conduit à renoncer à écrire de la poésie : « En Hollande son cœur chavire et n’a plus le goût à rimer. C’est l’éblouissement, une kermesse de joyeuses couleurs, dans le cri des mouettes et le murmure éternel de la “mer vineuse” en tout semblable à celle qu’Ulysse décrivait à Nausicaa près de la plage des Phéaciens. Sous le ciel bas, dans les polders diaprés, les moulins couverts de chaume et les vaches semblaient des jeux d’enfants. Dans les villes closes mais vivant de l’eau, les églises, les musées, les auberges, étaient ses haltes sous la canicule. Lui “l’hyperboréen”, il se rassasiait de nuages gris et tourmentés qu’il avait déjà vus dans une vie antérieure, il reconnaissait les intérieurs et les meubles qui teintaient les fenêtres belles comme des vitraux. »

    Se rendant à Egmond-Binnen, Alphonse de Châteaubriant relève la rupture dans le climat entre la région des dunes et celle des polders. Il brosse un beau tableau de la nature dont les vaches font partie intégrante : « Ici, dans des verdures clôturées par un canal, paissent des vaches blanches, marquées de gris-fer aux mamelles. Ce sont, dans la langue populaire, des vaches “bleues”. Puissamment campées, immobiles, tête lourde, les cuisses bourrelées d’une chair sans poils, que mouille la rosée du matin, elles clignent des yeux aux mouches et mâchent : “La Hollande est à nous ; – semblent-elles ruminer dans les vapeurs de leur bien-être, – et ce sont les bons Hollandais qui ont pris la terre à la mer pour nous donner de l’herbe.” » Au cimetière de cette même localité, où « les ruines de l’abbaye (…) ne subsistent que sous les espèces d’une petite église neuve » (3), M. Schleef lui raconte qu’ « on a déterré récemment un squelette gigantesque, celui d’un des premiers seigneurs d’Egmond ; les os de ses jambes étaient gros comme “des cuisses de vache” ».

    J. van Ruysdael, Vue d'Haarlem

    RuysdaelHaarlem.jpgAlphonse de Châteaubriant s’attarde aussi sur les infimes variations de lumière sur le paysage et la peau du promeneur. Le 8 août, les deux hommes se rendent une première fois à Alkmaaar, puis le 17 à Amsterdam. L’écrivain évoque en particulier la Kalverstraat, artère commerçante, ainsi que le quartier juif. À Haarlem, il contemple la Kermesse de Jan Steen, mais le même soir, la kermesse organisée à Egmond le déçoit.

    Après cinquante pages de descriptions essentiellement rurales, botaniques, atmosphériques, l’écrivain, qui a épousé civilement une protestante en 1903 – le mariage religieux n’étant célébré qu’un an plus tard –, s’intéresse à la religion : « En Hollande, le Jansénisme baptise, sonne, officie et retient les deux tiers de la population catholique. » (p. 59) Il parle de Racine et de jansénisme avec un partisan de Jansénius. Le séjour se termine, le temps se gâte, les villageois restent enfermés chez eux tout en demeurant une part de la nature : « Et les Hollandais jouissent de cet isolement harmonieux sous la triple enveloppe de leur ciel, de leur maison et de leur corps. Car le corps du Hollandais est une maison, qu’il porte avec lui comme le colimaçon. Lui, est à l’intérieur. C’est là qu’il pense, qu’il jouit, qu’il souffre, derrière les vitres de ses yeux de Delft, et les stores baissés de son flegme. La seule vue d’un Hollandais devrait appeler à l’esprit la représentation d’une maison, comme au nom du castor s’associe l’image de ses constructions lacustres. »

    L’attention qu’Alphonse de Châteaubriant accorde à la langue néerlandaise transparaît – même s’il n’énumère en l’occurrence que des termes français – dans la fréquente évocation des plantes qui poussent dans les dunes, dont « la plupart portent des noms populaires charmants : la torche, (…) le millefeuilles, (…) l’astre-de-sable, (…) le bec-de-héron, (…) la queue-de-cheval, la raquette-de-la-mer… ». Le jeune français ne manque pas non plus d’évoquer un des vocables néerlandais les plus caractéristiques : son hôte tente en effet de lui expliquer la singularité de l’insaisissable gezellig, « sans équivalent » dans la langue française : ce serait, « – moins une nuance encore intraduite – le confortable dans l’intimité et l’intimité dans le confortable ». Le terme backvischje l’amuse (bakvis signifie à la fois « petit poisson pour la friture » et « adolescente (qui ricane pour un rien) »). Il grappille aussi les expressions het geheim van de smid (=le secret du forgeron), autrement dit : le secret réservé aux initiés (tournure employé surtout dans des jeux et des chansonnettes), et jongens van Jan de Witt (=des garçons de Jean de Witt), c’est-à-dire des lurons.

    Page de titre avec mention d'un autre éditeur

    TitreChateaubriant.jpgDès les premières pages, Alphonse de Châteaubriant révèle une certaine curiosité pour la langue néerlandaise qu’il ne parle pas (il commet des petites erreurs en retranscrivant certains mots). Le premier matin, il tire en effet de sa poche, nous dit-il, « un recueil de Kloos, le grand poète néerlandais » (4), qu’il ouvre au hasard, lisant et nous donnant à lire le poème « La Mer ». Or, il n’existe pas à notre connaissance de recueil de Kloos en langue française ni d’ailleurs à l’époque dans les langues européennes majeures ; le Breton aurait tout au plus pu lire le poème « Homo sum » traduit par le folkloriste Achille Millien dans son anthologie Poètes Néerlandais datant de 1904 (5). Dédié à Frederik van Eeden, « Van de Zee » (De la mer) a été publié en 1889 dans la revue De Nieuwe Gids (Le Nouveau Guide) avant de trouver sa place – sans titre et sans dédicace – dans le recueil Verzen (Poèmes) de 1894. Il est donc plus que probable que Châteaubriant a eu en main un exemplaire de ces Verzen et qu’il aura essayé, avec l’aide de son hôte, d’en déchiffrer et d’en lire certains passages.

    Se réclamant de Shelley, de Keats ou encore de Wordswoth, Willem Kloos (1859-1938) a été le fondateur et l’une des chevilles ouvrières de la revue De Nieuwe Gids (1885-1894), organe des Tachtigers. Il a aussi traduit quelques œuvres majeures dont, en 1898, Cyrano de Bergerac. Pierre Brachin nous dit de ses poèmes réunis dans Verzen : « On y perçoit le frémissement d’un cœur avide de Beauté, mais rempli aussi du sentiment “moderne” de la solitude. Tantôt Kloos déclare : “Je suis un Dieu au plus profond de mes pensées”, tantôt il souhaite se laisser aller tout entier. Or, soit justement à cause de cet orgueil, soit par timidité ou apathie, ses efforts restent vains, et il se réfugie dans le rêve. En tout cas, certains de ses sonnets chanteront toujours dans la mémoire du Hollandais lettré. » (6) Considéré comme un des plus grands poètes de son temps, son talent s’est, de l’avis de beaucoup, fané très vite (7). Voici, suivie du texte original, la version française du poème « Van de zee » (8) que nous propose l’auteur des Instantanés aux Pays-Bas :

     

    LA MER

    La mer, la mer continue de frapper dans une ondulation sans fin,

    La mer, dans laquelle mon âme se voit reflétée.

    Et la mer est comme mon âme en son être et en ses apparences,

    Elle est le Beau vivant et ne se connaît pas elle-même.

     

    Elle se lave elle-même dans une éternelle purification ;

    Elle se tourne elle-même et revient là d’où elle s’est enfuie ;

    Elle s’exprime elle-même par mille sortes de signes,

    Et compose une chanson éternellement gaie, éternellement plaintive.

     

    O mer, si j’étais comme toi dans toute ton ignorance,

    Alors je serais complètement heureux,

     

    Alors je ne désirerais plus ce que les hommes envient :

    La joie et la souffrance.

     

    Alors, mon âme serait une mer, et sa tranquillité,

    Puisque mon âme est plus grande que la mer, serait plus grande encore.

     

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    portrait de W. Kloos par W. Witsen (www.dbnl.org)

     

    De Zee, de Zee klotst voort in eindelooze deining,

    De Zee, waarin mijn Ziel zich-zelf weerspiegeld ziet;

    De Zee is als mijn Ziel in wezen en verschijning,

    Zij is een levend Schoon en kent zich-zelve niet.

     

    Zij wischt zich-zelven af in eeuwige verreining,

    En wendt zich altijd òm en keert weer waar zij vliedt,

    Zij drukt zich-zelven uit in duizenderlei lijning

    En zingt een eeuwig-blij en eeuwig-klagend lied.

     

    O, Zee was Ik als Gij in àl uw onbewustheid,

    Dan zou ik eerst gehéél en gróót gelukkig zijn;

     

    Dan had ik eerst geen lust naar menschlijke belustheid

    Op menschelijke vreugd en menschelijke pijn;

     

    Dan wás mijn Ziel een Zee, en hare zelfgerustheid,

    Zou, wijl Zij grooter is dan Gij, nóg grooter zijn.

     

     

    (1) Les Cananefates, tribu germanique qui vivait vers le début de l’ère chrétienne sur le territoire actuel de la Hollande.

    (2) Cette citation comme quelques autres et comme certains éléments biographiques sont empruntés à Louis-Alphonse Maugendre, Alphonse de Châteaubriant (1877-1951), A. Bonne, 1977.

    (3) C’est à propos de ce même lieu que l’érudit autodidacte néerlandais J.A. Alberdingk Thijm (1820-1889), père d’un autre Tachtiger, l’écrivain Lodewijk van Deyssel (1864-1952), écrivait : « La célèbre abbaye d’Egmont, tombée en ruines (avec tout ce qu’elle renfermait encore dans son sein), est devenue l’achoppement du laboureur, le jouet de l’enfance, la pâture de la bête de somme, l’objet de la négligence des archéologues. » (« L’art et l’archéologie en Hollande », Annales archéologiques, T. 14, 1854, p. 48.)

    (4) Sur Willem Kloos, voir sur ce même blog la page qui lui est consacrée dans la Catégorie « Poètes & Poèmes ».

    (5) Il existait aussi à l’époque une anthologie allemande de 1901 et une anglaise de 1902 comprenant quelques poèmes de Willem Kloos.

    (6) Pierre Brachin, La Littérature néerlandaise, Armand Colin, 1962, p. 114.
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    (7) C’est l’avis de P. Brachin, mais aussi celui de H. Messet, « La littérature néerlandaise », Mercure de France, 15 novembre 1905, p. 222 (voir note 4), ou encore celui de J.-L. Walch qui, à l’occasion de la parution d’un troisième volume de Verzen (1913) écrit dans sa chronique « Lettres néerlandaises » du Mercure de France (1er juin 1914) qu’ « on ne peut envisager cette œuvre sans se rappeler des émotions passées. Le premier recueil de la série a fait époque dans notre littérature. C’était chez nous la révélation, en poésie, du mouvement littéraire de 1880. Ce mouvement aujourd’hui a fait son temps ; de nouvelles écoles en sont issues ou ont réagi contre leur devancière. Willem Kloos malheureusement n’a, depuis l’époque de ses débuts, pas évolué et, ce qui pire est, sa verve est entièrement morte. »

    (8) Henry Fagne en propose une autre, sous le titre « De la mer », dans son Anthologie de la poésie néerlandaise de 1850 à 1945, Éditions universitaires, 1975, p. 99.

    D. Cunin

     

    Il existe une « adaptation » en néerlandais, signée Jaak Boonen, du roman La Brière parue sous le titre Het veenland, Luyckx-Pax, Bruxelles/La Haye, 1943 (voir photo)

     

     

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  • Mouvement des années 1880

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    Willem Kloos (1859-1938)

     

     

    En guise de présentation d’un poète qui a joué un rôle considérable dans la littérature néerlandaise à la charnière des XIXe et XXe siècles, voici un texte de 1905 rédigé en français qui évoque son œuvre. Si son auteur nous dit que Willem Kloos « fit la guerre à tous les dogmes littéraires », il convient de préciser qu’il fut en quelque sorte le grand prêtre d’un nouveau culte, celui de la Beauté divinisée à travers « l’écriture artiste » (woordkunst) et qu’il élimina les dogmes du passé pour en introduire d’autres. On peut par ailleurs ajouter que « le mouvement de 1880 fut plus qu’un courant littéraire, ce fut une renaissance qui marchait de pair avec une rénovation sur tout le front de la vie économique, sociale et intellectuelle en Hollande. Voilà pourquoi les discussions dans le Nieuwe Gids avaient pour sujets des problèmes économiques et sociaux aussi bien que littéraires et particulièrement la question de savoir si l’art et le socialisme sont compatibles. » (1)

    W. Kloos par W. Witsen

    KloosParWWitsen.gifWillem Kloos – né en 1869 – a été appelé fondateur du Nieuwe Gids ; et lui-même, dans ses « sonnets injurieux », s’est attribué la gloire d’avoir fondé tout le groupe littéraire qui a pris le nom du périodique. Dans la littérature des vingt dernières années je ne connais pas de talent poétique qui ait fleuri si rapidement et se soit fané si tôt.

    Dès son premier recueil de vers il se révéla un des plus fiers, des plus fervents et des plus grands poètes de son temps ; et tel on le voit encore dans le gros volume de sonnets paru en 1894. Jamais on n’avait entendu en Hollande des chants en vers si sonores, d’un rythme si éclatant, d’une si mélodieuse et large ondulation. Sous tous les rapports, Kloos se montra supérieur à ce pauvre Jacques Perk (2), tant admiré par lui pour la délicatesse et la profondeur du sentiment, pour la musique de ses vers et le charme poétique de sa courte existence. Ajoutons aussitôt que Kloos, malgré son beau fragment épique Okeanos et deux fragments dramatiques (3), fut grand seulement comme lyrique : sorte de Verlaine, à la voix plus ample que le poète de Sagesse*. Jamais il n’a pu, comme Shelley, faire un grand drame lyrique, et le puissant talent objectif qui crée des hommes vivants et dramatise la vie lui a fait défaut.

    Bientôt, dans ses magistrales chroniques du Nieuwe Gids, puis dans ses Quatorze ans d’histoire littéraire (4) il se montra grand prosateur aussi. Dans une prose très ample et belle, comme personne n’en avait écrit avant 1880, il analysa d’une façon superbe et hardie, et avec une extrême perspicacité souvent, la redondance et la creuse rhétorique des versificateurs antérieurs au Nieuwe Gids. Il bannit au loin la poésie didactique et scolastique et fit la guerre à tous les dogmes littéraires. Il prouva clairement que l’art cérébral est un art faux et mort-né, que pour être poète il ne suffit pas de savoir à peu près son métier, mais qu’il faut avant tout que l’âme vibre et tressaille dans les mots. « La Beauté, disait-il, dort sur le fond de la Vie, mais elle ne se donne qu’à celui qui porte l’ardeur dans son âme et la volonté dans sa main et le baiser sur son front. » Il communiqua aux jeunes poètes une toute nouvelle théorie du son, si je puis dire ; il leur apprit les secrets murmures de la langue et la vie mystérieuse du rythme ; il leur dit que le vrai poète se reconnaît à la beauté du son et de l’expression, à la faculté de traduire jusqu’aux plus délicates nuances de l’émotion, à l’harmonie parfaite entre la perception et l’image. Et c’est ainsi que Kloos, poète et critique, exerça une forte et salutaire influence.

    Ses recueils de vers sont de valeur très inégale. Il y a des sonnets sublimes et d’autres tout à fait médiocres ; les extrêmes s’y touchent. La série de « sonnets injurieux » (5), parue en 1894 à la suite du volume nommé ci-dessus, porte déjà les germes visibles de sa dégénération artistique et intellectuelle. A quoi attribuer cette prompte décadence d’un si magnifique poète ? J’en vois deux causes principales : lui-même s’est énormément surfait – ne s’était-il pas écrié dans un accès d’immense orgueil : Je suis un dieu au fond de ma pensée ? et surtout : le sentiment lyrique s’était tellement individualisé chez lui que l’épuisement ne pouvait tarder. Aussi, huit ans à peine après la fondation du Nieuwe Gids, son principal fondateur en est déjà aux convulsions de l’agonie. La même année, par suite d’assez dégoûtantes querelles, la rédaction du périodique se dissout et ses membres se dispersent. Kloos s’était montré le plus âpre à la lutte ; c’était lui qui avait distribué le plus d’injures et de coups. Mais laissons là ces querelles peu édifiantes, et constatons seulement que dès lors le soleil du Nieuwe Gids penche vers son déclin et qu’aujourd’hui, malgré certains collaborateurs qui ne sont point à dédaigner, il n’exerce plus guère d’influence sur le mouvement littéraire (6).

    Et comme poète et comme critique, Kloos a cessé d’être le « Grand-maître de la langue de Hollande » ainsi qu’il s’intitulait fièrement (7). Autour de ses vers actuels le silence se fait de plus en plus complet. Et ses chroniques sont loin d’avoir la superbe ampleur et le large rythme de sa prose d’autrefois. On n’y retrouve plus cet esprit fin et cet infaillible coup d’œil ; il s’y répète à l’infini et s’attache indéfiniment à vouloir nous faire sentir l’essence de la poésie. Or, comme il a prouvé jadis par ses propres vers et expliqué dans de pénétrantes analyses ce qui distingue la vraie poésie, ces médiocres et fastidieuses redites ne peuvent qu’irriter le lecteur au lieu de l’instruire.

    Kloos – le Kloos des premières années – restera sans contredit un des plus grands poètes de la littérature néerlandaise. Il a eu et a encore de nombreux imitateurs, et bien des sonnets qui se fabriquent actuellement sont inspirés du maître. Les prédictions sont dangereuses ; mais tout semble indiquer que dans la vie littéraire de cet artiste il ne fleurira pas de second été. N’importe ! sa voix fût-elle éteinte à jamais son nom ne périra pas.

    * Dans ses vers français, imités ceux-là de Verlaine, il a complètement échoué (8).

     

    H. Messet, « La littérature néerlandaise », Mercure de France, 15 novembre 1905, p. 202-204.

     

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    couverture du premier numéro du Nouveau Guide

     

    (1) A. Romein-Verschoor, Alluvions et Nuages. Courants et figures de la littérature hollandaise contemporaine, trad. W.F.C. Timmermans, Querido, 1947, p. 17-18. On lira en français : Pierre Brachin, « Le Mouvement de 1880 aux Pays-Bas et la littérature française», in Un Hollandais au Chat noir. Souvenirs du Paris littéraire 1880-1883, textes de Frans Erens, choisis et traduits par Pierre Brachin avec la collaboration de P.-G. Castex pour les annotations, La Revue des Lettres modernes, n° 52-53, 1960, p. 3-27.

    (2) Jacques Perk (1859-1881), ami intime de Willem Kloos. Ce dernier publiera, avec l’aide de Carel Vosmaer, l’œuvre posthume de son ami. La substitution d’une religion individuelle au christianisme se trouve déjà formulée par Perk dans « Deinè Theos » : Beauté, ô toi dont le nom est sanctifié, / Que ta volonté soit faite, que vienne ton empire ; / Que la Terre n’adore point d’autre dieu que toi !

    (3) Okeanos, seule tentative de Kloos d’écrire de la poésie épique. Les deux « fragments » dramatiques s’intitulent Rhodopis et Sappho.

    (4) Quatorze ans d’histoire littéraire (1880-1893), étude publiée en 1896. À l’œuvre du Kloos critique il convient d’ajouter les nombreux volumes des Letterkundige inzichten en vergezichten.

    (5) Les « sonnets injurieux » (scheldsonnetten) ont sans doute été écrits en 1893-début 1894, alors que les tensions atteignaient leur paroxysme au sein du Nouveau Guide. Kloos s’en prend violemment à d’anciens amis (pas toujours identifiables), en particulier des collaborateurs de la revue, et à d’autres personnes dont J.-K. Huysmans dans le cinglant poème « Contre J.-K. Huysmans ». Notons que Theo van Doesburg a, sous le pseudonyme d’I.K. Bonset, injurié à son tour des poètes hollandais dont Willem Kloos, qualifié de «  pot de chambre de Pétrarque » (dans « Chronique scandaleuse des Pays-Plats »).

    (6) Si la revue De Nieuwe Gids (Le Nouveau Guide) – lancée le 1er octobre 1885 par les jeunes auteurs W. Kloos, Frederik van Eeden, Frank van der Goes, Willem Paap et Albert Verwey – a connu une seconde vie (jusqu’en 1943) après le départ de nombreux collaborateurs et la rupture de 1894, l’historien de la littérature a tendance à ne retenir que ses neuf premières années d’existence.

    (7) Même si Kloos cesse d’être le « grand-maître », des auteurs en herbe continuent de lui demander son avis, par exemple le futur peintre Conrad Kickert (1882-1965) (www.conrad-kickert.org).

    (8) Citons à titre d’exemple le sonnet CLXI publié dans Verzen (1894) :

     

    Oh, le doux bonheur d’être une fois sage,

    Sage et puis d’une volonté suprême

    De régner, moi, Roi seul, dans un extrême

    Moment de vouloir et de pouvoir, Mage

     

    Inconscient, tout blanc, qui de lui-même

    Tire son sort superbe, quoique rage

    Autour de lui l’inéluctable orage....

    Inéluctable ? Oh non, sinon que blême

     

    Moi-même, je me perdrais dans la crainte

    Des hommes et des choses, de ce monde

    Terriblement infâme. Ô tas immonde

     

    En ce beau monde, qu’il veut perdre et puis

    Savoir ne voudra jamais que je suis,

    Pauvre moi, suis l’Universelle Plainte.

     

     

    Une poignée de poèmes de Willem Kloos ont été traduits en français (en allemand, on verra par exemple Stefan George : Zeitgonössische Dichter, 1929) : « Homo sum », dans Achile Millien, Poètes néerlandais, A. Lemerre, 1904 ; « Phébus et Apollon », « Je me tus », « Je suis un dieu », « Les feuilles tombes doucement », « De la mer », « Dieu n’est pas un roi », dans Henry Fagne, Anthologie de la poésie néerlandaise, Éditions Universitaires, 1975. On peut lire en français : Joseph Daoust, « Huysmans et Willem Kloos », Bulletin de la Société J.‑K. Huysmans, n° 25, 1953, p. 275‑280.

     

     

    Le poème néerlandais de W. Kloos

    Contre J.-K. Huysmans

     

    Tegen J.K. Huysmans

     

    O, gij uit uw kantoor-bediendes-kop

    Ziende u-zelfs klein in-innerlijkste smerig

    Bestaantje, trots-gaande als een vrij-wel heerig

    Looper langs ’t Volk van ’t groot Parijs, uws kops

     

    Afslaan niet waard zijnd, waard zijnd wel des strops

    Bloed-stremming onafwendbaar, op des tops

    Niet-Zijnds gruwbaarst, vuil voortknoeier op Rops.

    ’n Goed mensch is van elk slecht mensch diepst afkeerig.

     

    Gij zijt geen man: gij zijt een vies verkrachter

    Van ’s Werelds eeuw’ge schoonheid, die voortdurend

    Met staat’gen zwaai vermeestrend ’s werelds macht, er

     

    Een hoogre macht van maakt, o gij, die turend

    In ’s Levens mikroskoop, zoo idioot, vergeet

    Dat gij met uw slim turen nòg niets weet.

     

     

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    L'Humanité nouvelle, 1899, vol. 4, p. 509

     

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    André de Ridder, L'Humanité nouvelle, 1899, vol. 5, p. 398

     

     

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  • Le bonheur selon Luc Dietrich

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    « Il est ennuyeux de mentir,

    mais la poésie y gagne. » (1)

     

     

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    F. Richaud, Luc Dietrich, Grasset, 2011

     

     

    Luc Dietrich est né en 1913 à Dijon. Orphelin de père à l'âge de six ans, il mène une vie itinérante avec sa mère qui, minée par la drogue, disparaît à son tour en 1931. Le jeune homme s'engage alors dans une vie désarticulée, basculant d'amour en amour, passant sans transition ni scrupules de la pauvreté la plus sordide à la richesse frelatée des milieux de la drogue et de la prostitution. En 1930, il publie sous le nom de Luc Ergidé un premier recueil de poèmes Huttes à la lisière. Mais c'est Lanza del Vasto, rencontré en 1932, qui lui révèle ses talents d'écrivain et le pousse dans la voie de la « connaissance ». Ils écrivent ensemble le Livre des rêves, proposé en 1934 à Grasset qui le refuse. Fortifié par cette expérience, Luc Dietrich commence la rédaction de son premier roman La Leçon de vie qu'il présente avec l'approbation de Lanza del Vasto à Denoël. Le livre sera publié en 1935 sous le titre Le Bonheur des tristes, mais amputé des quatre derniers chapitres. Parallèlement à l'écriture, Dietrich s'intéresse à la photographie et présente sa première exposition à Paris en 1937. Il meurt en 1944, laissant une œuvre brève, lumineuse et fulgurante comme son existence tiraillée entre détresse de désir.

     

    Hollande des heures entre l’eau, la terre et le ciel, le ciel de la mer et l'haleine de la terre, lavé de vent et de pluie.

    Bourrasque

     

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    poème autographe (fac-similé)

     

    Hollande

    Des arbres plantureux distribués comme des meules ont des feuillages de pluie par la campagne plate. Vers le soir, des nuages bas perdent d'opulentes lumières au milieu des blés laiteux où surgit un cargo peint de neuf. Et par toute l'étendue de longs bras d’eau couleur d'acier portent les péniches chargées de charbon, de ballots de laine, de poutres musquées, de cuves et de grains. Une herbe détaillée comme un bouleau d'hiver pleure son ombre sur un chemin de sable.

    Amsterdam - août 1935

     

    La hollande, tout s’y découpe, s’y compose lumineusement. La lumière y est parfaite. Ça ne ressemble à rien d'autre ailleurs, toute cette eau. Vous êtes dans un grand champ, et soudain, au bord du champ, il y a un grand navire qui glisse.

    Luc Dietrich

     



     

     

     

    De Songeson au Pain de terre

    ou six mois de la vie du jeune Luc Dietrich

     

    Le vendredi 17 mai 1929, Raoul Dietrich, dit Jacques, arrive au petit village de Songeson dans le Jura. Monté dans le train de 8h05 à la Gare de Lyon, il franchit le seuil du domicile de ses nouveaux patrons en début de soirée puis goûte du lit rude qui sera le sien durant six mois. « Mon Dieu protégez-moi », écrit-il sur l’Agenda 1929, petit journal de ses « souffrances », avant que de fermer les yeux. Raoul vient de fêter son seizième anniversaire dans la solitude du pensionnat de Vendôme, le 17 mars, dimanche de la Passion. Autour du dix-sept de chaque mois, Jacques va faire le bilan de sa carcasse pour dresser « cette courbe » : 17 mai 63 kg ; 17 juin 61 kg 500 ; 17 juillet 58 kg ; 17 août 61 kg ; 17 septembre 58 kg. Une pesée, tout compris : « gros brodequins, chaussettes, culotte, bretelle, chemise fine, chemise de coton, gilet, veste ». Le dimanche 17 novembre, il remontera dans le train.

    luc dietrich,hollande,littératureEntre ce 17 mai et ce 17 novembre, le valet de ferme Jacques perd son peu de graisse et plonge de toute sa hauteur dans la dure réalité du quotidien paysan, pugnace. Avec les jours, toutefois, la main se fait au bâton comme à la croupe fumante parée de bouse, au bois de la scie comme à la poignée du passe-partout, au manche sec du râteau et de la faux comme à celui plus court mais plus musclé du croc à fumier et du croc à pommes de terre ou à mottes, aux dents de la herse comme aux ruant brancards, aux bras rigides de la brouette ; les doigts gourds prennent la mesure des pis poilus, désapprennent la crainte des naseaux baveux, serrent leurs engelures sur l’anse glacée du seau, manient la batte à beurre, se referment sur la morsure de la mauvaise herbe et sur la rugosité de la gerbe. En arpentant les raidillons et la terre fraîchement retournée, les pieds se rebellent dans les sabots – ces « cercueils trop courts » – qui, d’usure, prennent l’eau, autant que les brodequins neufs. « Mes pieds me font tellement souffrir. On dirait que je suis chaussé de chaussettes garnies de clous » : d’un samedi de printemps à la première neige, les talons se déchirent. Bon gré mal gré, le nez s’ouvre dès l’aube aux relents de purin et, au cœur de la semaine, aux effluves qu’exhale le tonneau des cabinets dont le contenu regagne l’air libre ; les narines et la gorge absorbent – à quoi bon rechigner – la poussière que soulève le vannage. Seul, le cœur, sous la maigreur, sous les craquements des jointures, ne se fait à rien.

    luc dietrich,hollande,littératureLes journées de pluie amènent un peu de repos, assez pour copier quelque poésie et les apprendre ou lire des chapitres de Jules Verne. Mais elles traversent aussi le vêtement maculé, saucent et trempent l’épouvantail jusqu’aux os. Par tous les temps, il faut pacager. Charmante est là qui vient de mettre bas et Papillon peut-être aussi qui, un soir venu, au lieu de rentrer à l’étable pour la traite, prendra le layon de la littérature. Sous le ciel clément, le commis – pour sa part « vache à lait » de Robert, le patron –  goûte l’herbe, s’allonge de tout son long derrière des halliers ou en surplomb du village. À plat ventre, il dévore Faust, Le discours de la Méthode, des lettres de Joseph de Maistre, du Musset ou encore le Voyage autour de ma chambre. Jacques se repaît mais est encore à des lieues de penser que « Rares sont les livres qu’on peut poser sur l’herbe et qui résistent à la comparaison avec les brins tout droits, le filigrane des graminées, le silence que traverse un murmure de feuilles. » (2) Où, plutôt, le pense-t-il déjà mais ne le sait. Pour l’instant, il sue le labeur et porte sa croix.

    Quand, le dimanche, Robert – ce « pédant en sabots » – où la rosse de marâtre – cette vieille crasseuse qui, entre deux gorgées de vinasse, déverse ses grossièretés sur le commis (« t’es aussi bête que t’es grand »), lui arrache des larmes et insulte la maman qu’il a mise une fois pour toute sur un piédestal –, quand ces butors ne s’acharnent pas en grotesques roueries pour lui interdire d’emprunter la bicyclette, il file à la messe – mais les volées de la grosse campane n’annoncent-elles pas l’heure de la sortie – ou directement à la cure de Doucier. Le doux curé est son seul ami. Il lui procure quelque lecture, lui remonte le moral, étale la confiture écarlate sur une épaisse tartine beurrée. Raoul lui soumet ses poésies. On parle devant un verre de rouge. Mais déjà les vaches beuglent. Il faut rentrer, soulever sa longue guibole par-dessus le cadre de la petite reine, mouiller sa chemise en moulinant, lâcher le guidon, saisir la trique qui attend debout sur la terre battue du chépu et s’élancer vers le pâturage. « Si je n’avais pas cette religion catholique je songerais à quitter la vie puisque la vie paraît-il n’est qu’une erreur de la nature. »

    luc dietrich,hollande,littératureDrôle de « clampin » vraiment que cet adolescent malingre et pieux qui se dit « trop moche pour aimer », qui a « hâte de crever » et que seules réconfortent en semaine les lettres écrites par la main maternelle. Les autres femmes ? Une plaie plus qu’autre chose. Le visage déjà mangé par la barbe, ne voilà-t-il pas que Jacques se recroqueville dans la coquille de Raoul dès qu’une donzelle des champs approche, la jupe bleue au vent où les dents entr’ouvertes. Qu’une jolie daigne lui faire l’honneur d’une parole ou d’un regard, il se méfie, se détourne – « La Marguerite Tulli me barbe par ses galanteries, pourtant c’est un beau fruit doré » –, se tait ou encore fait « attention à sa langue ». Ne voilà-t-il pas que ce pecnot du dimanche commence à leur parler littérature et philosophie pour, une fois retourné à sa solitude, gribouiller : « Les femmes sont et seront toujours les mêmes que l’on soit à Paris à Vendôme ou à Songeson. Elles ont toujours une langue acérée, un penchant irrésistible vers le commérage, la manie de larder le premier venu–. Et je suis celui-là–. Se vengeant de mon indifférence une bergère a dit à ma patronne que je laissais mes vaches aller où bon leur semblait pendant que je lisais. Le sujet est futile mais faux. » Et quand il apprend que l’une ou l’autre cause de le déculotter, il s’esquive, et versifie sa réserve, dédiant son Yvonne sans doute à la plus mignonne d’entre elles. Poète et séducteur, c’est sûr, sommeillent encore sous les trèfles.

    luc dietrich,hollande,littératureÀ défaut des dimanches ou de courrier, en butte aux sourires railleurs, aux « gracieuses avances » des vierges et aux tonnantes semonces de fermiers balzaciens, Jacques s’en va plonger sa nudité dans un lac des environs. La baignade le lave pour une demi-journée des affronts et l’aide à cracher l’amour-propre ravalé : « Il me fait boulonner le malin et avec un air supérieur et maussade, il me dit : “Cire-moi mes souliers”. Oh ! Oh ! l’orgueilleux Jacques cirant les souliers, eh ! bien oui, Jacques est domestique de ferme, Jacques domestique, son orgueilleuse ambition d’antan, oh ! oui, une fumée !... » Séché au soleil et rhabillé à la hâte, il retourne mordre la poussière et bouffer des briques, mordre et bouffer de ce pain de ménage de couleur grise, qui colle quand il est frais, de ce pain qui « ici joue un grand rôle », qui « est vraiment l’aliment de fond ». Et qu’on « estime d’avantage » quand on a vu les chemins et les transformations qui mènent à lui.

    À la saint Asciscle, le vacher reprend la direction de la ville, de « cette vie enfiévrée et efféminée de Paris ». Avec 275 francs en poche reçus pour prix de ses peines, et un « apprentissage de la vie qui me coûte cher » accompli, Raoul Dietrich, encore « beau d'inexpérience », est en route vers Luc Dietrich. Jacques retrouve le soir même les bras de sa mère aimée par-dessus tout, cette femme en instance de mort qu’il « trouve changée à son avantage ».

    Daniel Cunin

     

    (1) Luc Dietrich, Le Bonheur des Tristes, « Le Pain de terre », XLV.

    (2) Ibid., XIX.

     

     

    Ce texte, basé sur un des carnets dans lesquels Raoul-Jacques,

    futur Luc Dietrich (1913-1944),

    consignait les petits riens du quotidien,

    a été publié dans Luc Dietrich. Cahier douze,

    sous la direction de Frédéric Richaud,

    Cognac, Le Temps qu’il fait, 1998.

     

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