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flandres-hollande - Page 81

  • Fantômes en Flandre

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    LE TRIOMPHE DE LA MORT

    ou la firme littéraire Teirlinck-Stijns

     

     

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    « Il faisait presque nuit ; la fatigante tâche du jour accomplie, je m’étais assis à ma fenêtre et dirigeais machinalement mes regards vers la lune ou bien me créais, dans les nuages qui passaient, des milliers d’images ou de fantômes. J’étais las, mécontent même, et les fantaisies que mon esprit évoquait en subissaient l’influence. Tout me paraissait effrayant et triste. Je voyais des géants, à califourchon sur des monstres, qui, de leur gueule grimaçante, vomissaient une écume fumante ; des silhouettes de Titans qui brandissaient des blocs de rochers comme s’ils voulaient en écraser la terre ; des cadavres empilés les uns sur les autres, comme si un combat homérique venait d’avoir lieu. Plus loin s’élevait une suite de collines, dont le pied se baignait dans un lac sombre où les étoiles se reflétaient à peine ; et derrière ces collines, dans le lointain, s’étageaient des montagnes hautes comme le ciel, couronnées d’épaisses forêts et de châteaux aux donjons en ruines. Mon imagination me faisait voir des cavernes, des abîmes, des gouffres, des têtes de démons convulsionnées par la colère, des satyres, des nains, des serpents : horribles spectacles qui me faisaient frissonner malgré moi. Et je pensais : si je puis me livrer à de telles divagations, est-il étonnant que le trop naïf villageois peuple d’êtres surnaturels tout ce qui l’entoure ? Nulle ferme bâtie à l’écart qui n’ait sa légende, nul champ solitaire où il ne revienne un esprit, nul carrefour auquel ne se rattache une histoire de revenant ; nul tilleul isolé au pied duquel on n’ait enterré une ou plusieurs sorcières. Le campagnard ignorant réfléchit peu, tout lui semble surnaturel ; quoi de surprenant alors qu’il connaisse tant de terrifiants récits ? Ce que je vais raconter se passa dans un petit village de la Flandre et l’on y tient encore aujourd’hui cet événement pour mystérieux et surnaturel au possible. »

    Isidoor Teirlinck

    PortraitTeirlinckIsidoor.gifCes lignes qui ouvrent le récit reproduit ci-dessous ont été écrites il y a plus de 130 ans par un duo d’écrivains flamands : Isidoor Teirlinck (1851-1934) et son beau-frère Reimond Stijns (1850-1905) (ils avaient épousé deux soeurs). Entre 1877 et 1884, ces deux hommes publièrent à quatre mains un nombre assez impressionnant de nouvelles, pièces de théâtre, poèmes et romans dont le populaire Arm Vlaanderen (Pauvre Flandre). Une production et une façon de procéder qui ne manqueront pas de susciter des commentaires, par exemple ceux d’un littérateur flamand, Hendrik De Seyn Verhougstraete (1847-1926), dans le mensuel Le Livre (1881, p. 455-456) à propos des cinq premières œuvres de ceux que certains baptisèrent les « jumeaux » :

    « Voilà cinq ouvrages sortis de la plume de la firme littéraire Teirlinck-Styns.

    « Comme Erckmann-Chatrian, les conteurs alsaciens universellement connus, MM. Teirlinck et Styns, se sont associés pour produire leurs œuvres en commun.

    « Je me fais difficilement une idée de la façon dont on travaille pour produire un livre en commun : les écrits d’un auteur sont une partie de lui-même, et l’identification nécessaire des idées de l’un avec celles de l’autre me semble offrir de telles difficultés qu’elle me paraît impossible à réaliser. Et cependant cette collaboration existe ; journellement il paraît des livres dont l’auteur est une double personnalité. Serait-ce que la nature a créé des caractères mutuellement sympathiques ?

    « Et cette dualité d’auteur ne serait-elle pas cause de cette dualité de style et de sentiments qui se fait jour dans leurs productions ? D’un côté, des passages d’un romantisme et d’un sentimentalisme outré, et d’un autre, des pages charmantes de réalisme véritable, de tableaux pris sur le vif.

    « Mais ne nous attardons point à rechercher des causes qui nous échappent et revenons à nos auteurs.

    « Jeunes tous deux, – ils n’ont que trente ans, – ils ont déjà produit des œuvres que la critique a été unanime à louer.

    « L’influence de notre grand romancier Conscience se fait fortement sentir dans leurs œuvres. Comme lui, ils peignent la vie flamande, le paysan flamand avec ses vertus et ses travers.

    « Leurs deux premiers romans, Bertha van den Schoolmeester et Frans Steen, sont d’une couleur sombre. Dans le premier, c’est la lutte de l’amour et de l’argent qu’ils nous montrent en donnant, comme remèdes aux malheurs et aux souffrances de la vie, le courage et la patience.

    Reimond Stijns

    PortraitReimondStijns.jpg« Déjà dans cette première œuvre se découvrent des qualités d’écrivains qui se développeront dans leurs œuvres suivantes. Nous y aurions voulu moins de promenades sentimentales et plus de vie réelle chez les amants : Bertha est une fille éthérée. Mais c’est un premier essai ; et puis, convenons-en, cette idéalisation de l’amour tombe bien dans le goût du peuple flamand. L’amour que nous décrit Conscience dans toutes ses œuvres, n’est-ce pas un amour idéal ? Celui-là existe-t-il réellement, ou du moins existe-t-il à l’état de règle générale ? Et, là où on le trouve, n’y est-il pas né à la suite des lectures assidues des œuvres de Conscience ?

    « N’en voulons donc pas trop à Teirlinck-Styns s’ils ont suivi cette voie ; c’était un sûr moyen d’arriver au succès.

    « Frans Steen est l’histoire d’un enfant trouvé ; histoire bien triste, et malheureusement de nos jours encore trop vraie. La peinture de la location des orphelins et des vieillards pauvres est navrante. Cette coutume de louer les orphelins et les vieillards au moins offrant est une tache sur notre civilisation ; on voudrait croire que cela appartient aux siècles passés ; mais malheureusement la réalité des faits est là ; les communes non encore pourvues d’orphelinat et d’hospice mettent leurs orphelins et leurs vieillards en pension chez les habitants, au moins offrant. Quelle est la situation morale et physique de ces malheureux ? elle se laisse deviner.

    Gedichten en Novellen nous place dans un autre milieu. Ici les écrivains ont sacrifié à la muse, et leur sacrifice ne doit pas lui avoir été désagréable. Sans se vouer à la poésie, ils nous ont donné quelques jolis vers. Le cycle : Het Koren se recommande par sa vivacité d’allures, la justesse d’expression et d’exactitude dans la description des hommes et des sentiments de la nature.

    «  Une novelle qui nous a plu avant toute autre, c’est: Uit het Normaalschoolleven, la vie à l’École normale. Comme c’est vrai d’un bout à l’autre ! Quiconque a passé par là ne contredira point les auteurs. Ce surveillant sous le sobriquet de Zwarte, nous l’avons tous connu, cet homme sans cœur, s’ingéniant à briser tout sentiment humain dans le cœur de ses élèves. Ces surveillants-là se rencontreraient-ils donc partout ?

    « Baas Colder est l’histoire d’un Harpagon de village, histoire terrible et tellement vraisemblable qu’on la croit arrivée.

    « Mais ici encore se rencontre cette dualité dont nous parlions en commençant, et qui se fait sentir dans tous les ouvrages de Teirlinck-Styns. A côté des descriptions de la nature les plus réalistes et les plus exactes, se rencontrent des personnages agissant d’une façon toute conventionnelle. Non pas que les sentiments soient mal exprimés, qu’il n’y ait pas de figures typiques ; la langue et le style sont irréprochables, les figures principales sont bien décrites, mais elles n’agissent pas toujours assez d’après la réalité. Si les auteurs parviennent à faire agir leurs personnages avec toute la réalité de la vie, ils produiront des chefs-d’œuvre que nous pourrons placer à côté de ceux de nos meilleurs maîtres.

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    « Aldenardiana, recueil de cinq nouvelles se passant dans les environs d’Audenarde, nous prouve qu’ils tendent vers ce but : tout romantisme conventionnel, pour nous donner la nature et les hommes tels qu’ils sont.

    «  Ah! la nature! comme ils la peignent ! et les paysans flamands, ils les ont bien fouillés.

    « Qu’ils dirigent maintenant leurs investigations vers un autre coin de la société ; qu’ils élargissent ainsi le cercle de leurs travaux, en restant fidèles à la ligne de conduite qu’ils ont suivie jusqu’ici en moralisant le peuple par la lecture, ils pourront compter sur des succès durables.

    « Ajoutons encore qu’ils se sont aussi essayés au théâtre, et que leur drame Lina Donders et leur drame-lyrique, Stella, ont été représentés avec succès. »

    Le même critique affirmera dans le même périodique (1882, p. 406), qu’en Flandre, à l’époque, il n’y a « que Teirlinck-Styns et G. Segers qui soient parvenus à percer, et dont les œuvres portent un cachet propre ».

    Tous deux enseignants à Bruxelles, Teirlinck et Stijns s’efforcèrent d’éduquer le peuple à travers des écrits pessimiste et souvent anticléricaux (Pauvre Flandre est plus un livre de combat qu’un grand roman). Reimond Stijns continuera de produire seul des romans, d'abord plus ou moins dans la tradition de Hendrik Conscience, puis en adoptant une trame naturaliste. Certains l’ont d’ailleurs considéré comme le précurseur du naturalisme flamand ou, pour le moins, comme l’auteur d’une épopée naturaliste cruelle : Hard labeur (Dur labeur, 1904), un roman dur où pointe encore une note romantique, son livre le plus achevé.

    De son côté, après la collaboration avec son beau-frère, Isidoor Teirlinck écrira des nouvelles « rurales » plus impressionnistes, d’autres truffées de vocables dialectaux, et se consacrera surtout à des travaux portant sur la botanique, la magie, la dialectologie, le folklore… dont certains sont disponibles en version française… Il est l’auteur d’un dictionnaire de l’argot (auquel collabora d’ailleurs H. de Seyn-Verhougstrate), de Contes flamands… Le seul fils d’Isidoor Teirlinck s’est également fait un (pré)nom dans la littérature : Herman Teirlinck (1879-1967) compte en effet parmi les plus grands auteurs d’expression néerlandaise du XXe siècle, auteur en particulier du beau roman bruxellois Het ivoren aapje (Le Singe d’ivoire) dans lequel le personnage Lieven Lazare est inspiré de Léon Bloy que le Flamand avait rencontré à quelques reprises.

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    présentation d'Isidore Teirlinck & Raymond Stijns

    dans Six nouvelles

     

    « Superstition », reproduite ci-dessous, est extraite du recueil Six nouvelles publié en 1880 (H. de Seyn-Verhougstrate n'en parle pas dans sa critique) comme n° 54 d’une collection qui répondait au souci des auteurs de diffuser leurs œuvres auprès du peuple. Fondée par le sénateur Ernest Gilon (1846-1902), la Bibliothèque Gilon (Verviers) plaçait en effet en épigraphe à ses volumes la formule suivante : « Un livre volumineux et d’un prix élevé peut être comparé à un vaisseau qui ne peut débarquer ses marchandises que dans un grand port. – De petits traités ressemblent à de légers bateaux qui peuvent pénétrer dans les baies les plus étroites, pour approvisionner toutes les parties d’un pays. » Cette série de la fin du XIXe siècle, qui publiait 2 volumes de 100 pages par mois, visait à édifier le peuple dans un esprit d’inspiration maçonnique ; parmi les auteurs les plus réputés figurant dans cette collection, on relève des écrivains – Camille Lemonnier, Léopold von Sacher-Masoch… –, mais aussi nombre de vulgarisateurs des sciences : Camille Flammarion, Stanislas Meunier…

    TriompheDeLaMortDétail.jpgSix nouvelles contient quatre proses tirées des Gedichten en Novellen (Poèmes et nouvelles) évoqués plus haut et sans doute en grande partie rédigés par Stijns – « Bonheur détruit (Croquis) », « Scène de la Vie du Peuple », « Un Souvenir de l’École normale » et « Nelleke (Croquis) » – et deux qui avait paru dans un périodique (Nederlansche Dicht- en Kunsthalle) : « Superstition (Récit) » et « Deux Jours de Kermesse (Croquis) ». Il s’agit de textes d’une qualité inégale. « Scène de la vie du peuple » (un veuf qui a sombré dans l’alcool décide de se suicider afin que ses deux filles soient recueillies par l’orphelinat et aient au moins de quoi manger) et « Un Souvenir de l’École normale » sont des évocations larmoyantes.

    Il est dommage que les auteurs, dans « Deux Jours de Kermesse (Croquis) », ne brossent pas un tableau coloré des fêtes foraines de l’époque ; ils optent en réalité pour une morale – mise en garde contre la légèreté du sexe faible – qui restitue les désillusions d’un jeune homme éprouvant ses premiers émois amoureux. On ne peut s’empêcher, en relisant aujourd’hui une telle nouvelle, de relever une note comique, de même d’ailleurs que dans « Bonheur détruit (Croquis) » et « Nelleke (Croquis) » tant la naïveté de Teirlinck et de Stijns rejoint celle de leurs personnages, ces modèles de villageois qu’ils ambitionnaient de tirer de leur ignorance. On voit là combien la morale de substitution qu’ils opposaient à ce que prônait le clergé était redevable à cette dernière et restait prisonnière des clichés bourgeois. Le personnage central est à chaque fois un homme même si le Nelleke de la nouvelle éponyme partage les premiers rôles avec son épouse acariâtre, « la noire Thérèse », bien plus âgée que lui, et avec un coq auquel celle-ci tient plus qu'à tout. Dans l’ensemble, les dialogues sont peut convaincants. En restituant mœurs et coutumes des années 1875, certaines scènes présentes une valeur historique : les auteurs nous proposent par endroits une photo de la rue bruxelloise de l’époque (voitures des laitières tirées par un attelage de chiens, à l’aube). Avec « Nelleke », et d’un certain côté « Bonheur détruit » – le bonheur simple d’un vieil instituteur se trouve réduit pour ainsi dire à néant à cause d’une seconde d’inadvertance –, « Superstition » est sans doute le texte le plus abouti. Il possède qui plus est une dimension fantastique, quelques touches comme issues du Triomphe de la mort de Bruegel ou de quelque autre tableau flamand. La mort guette d'ailleurs presque dans chaque histoire de Teirlinck-Stijns. On regrettera toutefois la fin de la nouvelle où tout est expliqué, où la visée moralisatrice des auteurs reprend le dessus.

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    Georges Eekhoud, Mercure de France, 15/01/1906

     

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    Deux mots sur la paire de traducteurs

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    J. Elseni (pseud. de Jean-Baptiste Jamnoulle ou Jansoulle) et François Gueury(-Dambois) ont traduit ensemble d’autres œuvres du néerlandais (flamand) pour la Bibliothèque Gilon :

    Pierre Geiregat, Douleurs & Joies du Peuple, 1882, n° 84.

    Virginie & Rosalie Loveling, Scènes Familières, 1883, n° 102.

    Mme Courtmas, Tante Sidonie. Dedans ou dehors. La Fleur de Cleyt, avec une préface de Paul Fredericq, 1883, n° 107.

    Teirlinck-Stijns, Baas Colder, 1883, n° 113.

    Mme Courtmans, La Perle du Hameau, 1884, n° 132.

    Pierre Geiregat, Où git le Bonheur, 1884, n° 137.

    Jean Micheels, Benjamin Franklin, 1885, n° 160.

     

    J. Elseni a en outre traduit seul Myosotis et Trois récits de grand’père de Pierre Geiregat (1828-1902), un auteur gantois aujourd’hui totalement oublié, lui-même traducteur de Henry Havard.

     

     

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  • L'Indonésie d'Augusta de Wit

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    AugustadeWit0.png

     

    Une styliste délicieuse


    Si Multatuli, Louis Couperus, Eddy du Perron, Jeroen Brouwers, Maria Dermoût et Hella S. Haasse demeurent les écrivains majeurs des Pays-Bas dont les noms restent liés à l’Indonésie, plusieurs de leurs compatriotes, nés ou ayant vécu dans l'immense colonie, ont enrichi la littérature néerlandaise. Augusta de Wit (1864-1939) fait partie de ce groupe. Née sur l’île de Sumatra, elle passera une partie de son enfance aux Indes avant de suivre sa scolarité en Hollande et en Angleterre. De retour pour quelques années sur sa terre natale, elle sera enseignante à Batavia puis journaliste, une carrière qu’elle poursuivra au XXe siècle, entre autres à Berlin, Paris, aux Pays-Bas, en Bavière et en Prusse, de manière à subvenir à ses besoins puisqu’elle restera célibataire. Elle publiera des chroniques en anglais dans le Singapore Straits Times qui seront réunies sous le titre Facts and fancies about Java. Revenue en Europe, elle écrira – outre des romans et des nouvelles – pendant de nombreuses années des critiques sur la littérature étrangère, en particulier allemande et anglaise. Ces activités l’amèneront à correspondre avec Rilke, le poète Thomas Hardy ou encore D.H. Lawrence. Elle a aussi laissé des articles sur des auteurs français. Ainsi, Dick Gevers, dans l’article « La réception d’Octave Mirbeau en Hollande » peut-il écrire : « En 1918, Augusta de Wit, critique littéraire du journal libéral Nieuwe Rotterdamsche Courant (01/12/1918), compare Mirbeau à Herman Heijermans, un de nos auteurs les plus engagés de cette époque, et rend hommage à “la manière implacable” dont Mirbeau dénonce les tares de notre société. Et elle ajoute : “Mais sous l’implacabilité avec laquelle il dit ce qu’il croit être la vérité, quel désir infini de tendresse, quelle pitié de ce pauvre cœur humain !” »

    AugustaPortrait.pngDeux paradoxes dominent la vie de celle en qui Alexandre Cohen a vu une « styliste délicieuse » : alors que la politique n’était pas sa tasse de thé – elle a écrit qu’elle avait toujours refusé la lutte des classes et la haine qu’éprouvaient les « rouges » à l’égard d’une partie des hommes –, elle sera pendant quelques années membre du parti communiste (Sociaal Demokratische Partij) en raison de ses positions anticolonialistes avant d’opter pour un socialisme « religieux » proche de ce que défendait Hendrik de Man ; d’autre part, si elle cherche dans ses livres à comprendre l’âme javanaise, elle le fera en employant une prose d’un grand raffinement, inspirée du symbolisme, et selon un cadre de pensée tout à fait occidental. L’essentiel pour elle n’était pas tant de « comprendre » les Indes néerlandaises que d’en donner, dans un souci esthétique, une vision « pleine de rêverie romantique pour le pays et sa population autochtone » (A. Romein-Verschoor). Il ne fait aucun doute qu’elle a porté un grand amour et à la nature et aux gens de l’archipel.

    L’enthousiasme que sa prose « distinguée » et « noble » a soulevé chez artistes et critiques, on le retrouve sous la plume d’un universitaire d’expression française : Augusta de Wit « a voué son talent à la peinture de la grandeur et des souffrances, de la splendeur et des misères du monde colonial hollandais ; mais elle a voulu, avant tout, étudier l’âme cachée des 
peuples de Java. Parmi les écrivains d’aujourd’hui qui nous parlent des 
Indes à côté de Couperus et de Borel, Augusta de Wit a son mérite et son 
originalité. Orphée dans la Dessa est un petit chef-d’œuvre et la Déesse qui 
attend, un grand et noble livre.

    Elle met en scène surtout l’Européen confiant en sa richesse, son intelligence, son organisation, ses machines, venu à Java pour faire fortune
sans plus et qui rêve uniquement de spéculations industrielles à gros 
bénéfices. Elle lui oppose le peuple javanais appauvri, réduit à l’état de bétail humain, qui se venge lâchement de l’Européen, détraque ses machines, vole ses buffles, mais qui vit pourtant en communion d’âme avec 
les esprits des champs et des bois, qui a sa mythologie, ses usages, une 
vie intérieure intense et une imagination ardente et désordonnée. Tout est conté fort simplement et met à nu la cruauté de ces rencontres de deux
races. La note personnelle d’Augusta de Wit, outre la splendeur de son 
style et les qualités littéraires de la langue qu’elle emploie, c’est une certaine notion de grande pitié humaine, une profonde sympathie pour ceux que le monde écrase ou ignore ou bafoue. » (J. Lhoneux, « Profils de romanciers hollandais », Revue germanique, 1910, p. 198). Johannes Tielrooy reconnaît lui aussi certaines qualités à la femme de lettres : « Mme Augusta de Wit, styliste parfaite, fournit, dans ses beaux ouvrages un peu froids, quelque chose comme une série d’images du monde. Son grand bonheur semble être de contempler les spectacles de la vie et de les comprendre […]. Chez elle, le réalisme s’enrichit d’une poésie qu’on dirait classique. » (La Littérature hollandaise, 1938, p. 34)

    Même si le grand poète Martinus Nijhoff a pu critiquer avec virulence la prose très plastique d’Augusta de Wit – le communiste Theun de Vries fera de même –, certaines de ses œuvres ont parfaitement résisté au temps. On relit avec plaisir et admiration ses souvenirs et évocations des Indes néerlandaises (entre autres « De Boegi roepen den avondwind »), les pages sans pareilles qu’elle a consacrées aux papillons (Gods goochelaartjes) et aux vents qui soufflent dans l’archipel, ses nouvelles et récits où s’exprime une aspiration aristocratique à la beauté.

    AugustadeWit1.pngQuelques-uns de ses textes ont été traduits en français : la nouvelle « De Jager » (« Le chasseur ; histoire javanaise », trad. A.D.L. Mague, La Revue de Hollande, I, 1915-1916) et le court roman Orpheus in de dessa (Orphée au village, trad. E.J. Van Hasselt & Isabelle Rivière, La Revue hebdoma- daire, n° 27-28, 7et 14 juillet 1928). Dans Le Monde nouveau, Paul Eyquem a lui aussi transposé quelques pages de la nouvelliste (« Histoire du Joueur de flûte et de la belle danseuse »). En anglais, six de ses proses ont été réunies sous le titre Island India (1923).

     

    Bibliographie

    Facts and fancies about Java, Singapore, 1898 (traduit en néerlandais en 1905 par Cornelie van Osterzee sous le titre Java. Feiten en fantasieën).

    CouvAugusta3.gifVerborgen bronnen (Sources cachées),
1899 (nouvelles tra- duites en allemand par Else Otten : Feindschaft. Das höchste Gesetz, 1903).

    De godin die wacht (La Déesse qui attend), 1903 (roman traduit en allemand par Else Otten : Die Göttin, die da harret, 1908).

    Orpheus in de dessa (Orphée dans le village indonésien),
1903 (traduit en allemand par Eva Schumann : Orpheus in Java, 1928).

    Het dure moederschap (La Maternité chère payée), 1907 (traduit en allemand par Else Otten : Eine Mutter, 1908 ; un des rares livres d’Augusta de Wit dont l’action n’est pas située en Indonésie).

    Natuur en menschen in Indië (Nature et hommes aux Indes néerlandaises), 1914 (recueil de chroniques).

    De wake bij de brug en andere verhalen (La Garde près du pont et autres nouvelles), 1918.

    De drie vrouwen in het heilige woud (Les Trois femmes dans la forêt sacrée), 1921 (recueil de quatre nouvelles : « De drie vrouwen in het Heilige Woud » ; « Aan het strand » ; « De Jager » ; « Gezichten op Zee »).

    De avonturen van den muzikant (Les Aventures du musicien), 1927.

    De wijdere wereld (Le Large monde), 1930.

    CouvAugusta4.pngGods goochelaartjes (Les Petits Prestidigitateurs de Dieu),
1932 (récits poétiques sur les naturalistes et les papillons).

    Drie novellen (Trois nouvelles), 1939.

    Een witte angora en enige mensen (Un angora blanc et quelques gens), 1965.

    .......................................

    Augusta de Wit a par ailleurs publié en 1910 une collection de contes de différents pays.


    Voir en allemand

    L. Simoens, « R. M. Rilke und die Niederländische Schriftstellerin Augusta De Wit » (sur la correspondance entre R.M.Rilke et l’écrivain néerlandais Augusta De Wit), Germanic Notes Lexington, n° 1, 1984, p. 7-10.

     

    les 2 photos sont tirées d'un ouvrage d'Augusta de Wit


  • L’œuvre de Willy Spillebeen

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    Entre introversion et extraversion :

    un entretien avec le romancier et poète flamand

    Willy Spillebeen

     

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    La Lys en hiver 

     


    littérature,flandre,france,roman,néerlandais,poésie,mythologieStyliste hors pair, Willy Spillebeen nous parle ci-dessous de certaines caractéristiques de son œuvre : l’importance de la mythologie et du paysage dans l’ensemble de ses romans comme dans sa poésie, les métaphores sur lesquelles il édifie la plupart de ses histoires, la place qu’il accorde à la vie et au témoignage de certaines personnes qu’il a croisées au cours de son existence… Nombreux sont ses livres qui s’arrêtent sur des périodes troublées de l’Histoire, explorant les enjeux du pouvoir à travers les thèmes de l’équité et de la violence, du bien et du mal, de l’idéologie et de la cruauté : la conquête de l’Amérique par les Espagnols (par exemple dans Le Jésuite anonyme), la Saint-Barthélemy (racontée par Bousbecque, alors au service de la reine de France, dans Busbeke of de thuiskomst), la révolution russe (Anastasia), les deux conflits mondiaux du XXe siècle (Une autre guerre, Amants en temps de folie, La Butte ou encore le roman jeunesse Serge/Samuel)…


    littérature,flandre,france,roman,néerlandais,poésie,mythologieIl arrive à Willy Spillebeen de situer l’action de ses romans dans le Nord de la France. Ainsi, Le Seigneur de Peuplingues, qui baigne dans une atmosphère digne d’un Simenon, évoque un procès retentissant, l’auteur reconstruisant en quelque sorte l’affaire Rohart. Il situe à Linselles, près de Lille, une autre affaire judiciaire remontant plus ou moins à la même époque (le court roman De nabestaande publié dans le volume Le Désir de consolation). À travers une relecture du poème The End of War de Herbert Read, Les Yeux d'or de Dieu (titre emprunté à un vers de Georg Trakl) nous fait revivre un drame qui s’est déroulé près de Valenciennes en novembre 1918, lors la dernière nuit de la Première Guerre mondiale : un officier allemand moribond va entraîner des centaines d’hommes dans la mort. La capacité de l’auteur à se glisser dans la peau de ce soldat qui vit ses dernières heures est pour ainsi dire hallucinante. D'ailleurs, l'agonie constitue la donnée de base de trois de ses autres œuvres : Cortés ou la chute (1987), Énée ou la vie d’un homme (1982) et enfin Bousbecque ou le retour (2000) qui décrit les dix-huit derniers jours de l'existence de l'humaniste flamand Ogier de Bousbecque (ou Busbecq), l'homme à qui l'on doit entre autres l'introduction de la tulipe et du narcisse en Europe.

    littérature,flandre,france,roman,néerlandais,poésie,mythologieDans plus d’un de ses livres, l’écrivain approfondit une autre souffrance, celle que font subir les adultes aux enfants. Relatant lui aussi une histoire vécue, le court et magnifique roman Les Chiens de la Belle au bois dormant (couverture ci-contre) narre en trois tableaux d’une rare dureté trois années de l’existence d’une fillette désemparée par la séparation de ses parents et l’inconscience de sa mère. Là encore, les données que l’auteur emprunte à la réalité échappent à l’anecdotique grâce à une belle maîtrise de la composition. Dans Le Hasard, c’est un garçon de 4 ans qui se retrouve le jouet des « grands », en l'occurrence des représentants de l’administration (policier, magistrat, infirmières…). Pluche de mer se penche sur le destin d'un enfant un peu plus grand, un des boat people vietnamiens qui atterrit en Flandre.

    L’intérêt que Willy Spillebeen a porté à l'Histoire et à certains auteurs de l’Amérique latine l’ont amené à écrire, outre des traductions d’œuvres de Pablo Neruda (entre autres le Canto General), des récits centrés sur les civilisations aztèque (Cortès ou la chute), maya (L'Enfer existe) et inca. D'autre part, un profond amour de sa région natale, marié à une prédilection pour le genre historique, l’a conduit à peindre l’existence de deux grandes figures flamandes : Ogier de Busbecq, déjà mentionné, et Guillaume de Rubrouck. Ce dernier, originaire d'un village situé près du mont Cassel, été un ami très proche de Louis IX, lequel l’avait envoyé en Mongolie vingt ans avant que Marco Polo ne s’y rende. De ce voyage, il a ramené une œuvre importante (Voyage dans l’empire mongol). Il aurait participé aux sixième et septième croisades et été prisonnier avec le roi à Mansourah. Guillaume aurait aussi assisté à la mort du souverain. Il a vécu un certain temps à Paris où il avait comme ami Roger Bacon.

     

    vidéos de l'entretien accordé par Willy Spillebeen

    le 30 janvier 2010

    arrivée en Flandre occidentale par une belle journée hivernale

    romans jeunesse, structure des romans, Les Yeux d'or de Dieu...

    la métaphore à la base du roman,

    l'écriture de l'Énée, l'impossible liberté

    mythologie grecque, civilisation d'Amérique latine,

    le paysage, l'humour

    Emmanuel Looten,

    la traduction (Romain Gary, Charles De Coster)

    évolution littéraire, structure du roman,

    dette à l'égard d'écrivains d'expression espagnole

    Ogier de Busbecq, Guillaume de Rubrouck,

    la Flandre et la Grande Guerre, la poésie

    Faulkner, Yourcenar, Joyce, L.-F. Céline ;

    une écriture qui marie classicisme et modernité

     

     

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    La Chasse au renard

     

    L'un des romans majeurs de l'écrivain flamand, fresque épique du déclin de la terre natale des protagonistes, trois pères et trois fils qui évoquent leurs désillusions et la résistance acharnée qu'ils opposent à la fatalité ; le renard apparaît comme la métaphore de l'homme qui ne cesse, au cours de l'Histoire, d'être pourchassé sans jamais trouver un havre de paix. Quand la Flandre occidentale sert de cadre à une tragédie de dimension universelle.

     

     

    ROMANS, RÉCITS & NOUVELLES

    De Maanvis (Le Scalaire), Desclée de Brouwer, Bruges, 1966.

    De Krabben (Les Crabes), Desclée de Brouwer, Bruges, 1967.

    De Sfinks op de Belt (Le Sphinx sur le dépotoir), Manteau, Bruxelles, 1968.

    Steen des Aanstoots. Een boek (Pierre d’achoppement. Un livre), Davidsfonds-De Standaard / Louvain-Anvers, 1970 (autobiographie romanesque).

    Drie X Drempelvrees (Trois x La peur d’entrer), Standaard, Anvers, 1984 (trois nouvelles).

    De Vossejacht (La Chasse au renard), Davidsfonds-De Standaard/Louvain-Anvers, 1979.

    Herinneringen aan de Toekomst (Souvenirs du futur), Orion, Bruges, 1979 ; réédité sous le titre De Andere Oorlog (La Grande Guerre), Davidsfonds, Louvain, 1988.

    Het goede Doel van het Geweld (La Bonne fin de la violence), Davidsfonds, Louvain, 1979.

    Aeneas of De Levensreis van een Man (Énée ou la vie d’un homme), Manteau, Anvers, 1982, réédition Davidsfonds, Louvain, 1999.

    Doornroosjes Honden (Les Chiens de la Belle au bois dormant), Manteau, Anvers, 1983.

    De Varkensput (Le Puits aux cochons), Manteau, Anvers, 1985.

    CouvSpillebeenRat.jpgDe Engel van Saint-Raphael (L’Ange de Saint-Raphaël), Manteau, Anvers, 1986.

    Moeder is een Rat (Mère est un rat), Houtekiet, Anvers, 1986.

    Cortés of De Val (Cortés ou la chute), Houtekiet, Anvers, 1987.

    De Waarheid van Antonio Salgado (La Vérité d’Antonio Sagado), Houtekiet, Anvers, 1988.

    Het Toeval (Le Hasard), Houtekiet, Anvers, 1989 (le titre a un double sens : à la fois hasard et crise d’épilepsie).

    De Schreeuw van de Bunzing (Le Cri du putois), Houtekiet, Anvers, 1991.

    In vele Staten - Amerikaans relaas (Dans tous mes États – Récit américain) Manteau, Anvers, 1992 (récit d'une année passée aux États-Unis).

    De anonieme Jezuiet (Le Jésuite anonyme), Manteau, Anvers, 1992.

    De Seigneur van Peuplingues (Le Seigneur de Peuplingues), Manteau, Anvers, 1993.

    De ongestorven Doden (Les Morts qui ne sont pas morts), Manteau, Anvers, 1994.

    Thersites of het Bordeel van Troje (Thersite ou le bordel de Troie), Manteau, Anvers, 1997 (théâtre, monologue).

    God gouden Ogen (Les Yeux d'or de Dieu), Davidsfonds, Louvain, 1998.

    Busbeke of de thuiskomst (Bousbecque ou le retour), Davidsfonds, Louvain, 2000.

    De hunker naar troost (Le Désir de consolation), Davisfonds, Louvain, 2001 (deux courts romans et deux longues nouvelles).

    De heuvel (La Butte), Davidsfonds, Louvain, 2003.

    Minnaars in waanzin (Amants en temps de folie), Davidsfonds, Louvain, 2006.

    Rubroeks reizen (Les Voyages de Guillaume de Rubrouck), Davidsfonds, Louvain, 2009.

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    Énée ou la vie d’un homme

    le roman dans lequel Willy Spillebeen réécrit l'Énéide

     

     

    ROMANS JEUNESSE

    CouvSpillebeenAdo5.jpgHij is een Vijand en een Vriend, Brito, Anvers, 1970, réédité sous le titre Vijand en Vriend (Ami et ennemi), Berghmans, Anvers, 1984.

    De Hel bestaat (L’Enfer existe), Manteau, Anvers, 1984.

    Een Pluisje van de Zee (Pluche de mer), Houtekiet, Anvers, 1989 (réédition Davidsfonds/Infodok, Louvain).

    Anastasia, Davidsfonds/Infodok, Louvain, 2001.

    Het toeval (Le Hasard), Davidsfonds/Infodok, Louvain, 2003 (réédition en collection jeunesse du roman de 1989).

    De muur (Le Mur), Davidsfonds/Infodok, Louvain, 2004.

    Serge/Samuel, Davidsfonds/Infodok, Louvain, 2005.

     

     

    Louis-Ferdinad Céline, personnage de roman


    Dans le roman Het varkensput (Le Puits aux cochons), où la Première Guerre mondiale occupe une nouvelle fois une belle place, Willy Spillebeen aborde un épisode peu connu de la vie de Louis-Ferdinand Céline.

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    Le Puits aux cochons

     

     

    ESSAIS

     

    Pour être à peu près exhaustif, il convient de mentionner que Willy Spillebeen a également publié un certain nombre d’essais sur des poètes d’expression néerlandaise, en particulier les Flamands Jos de Haes (Desclée de Brouwer, Bruges, 1966), Hubert van Herreweghen (Desclée de Brouwer, Bruges, 1973), André Demedts (1974), Marcel Coole (1977) Luuk Gruwez (2003) et les Néerlandais Jan Hendrik Leopold (Orion,  Bruges, 1978), Ida Gerhardt (Orion,  Bruges, 1980) et Martinus Nijhoff (De Geboorte van het Stenen Kindje, Orion, Bruges, 1977). Mais l’un de ses premiers ouvrages, c’est bien à un poète flamand de France que Willy Spillebeen l’a consacré : Emmanuel Looten (1963).

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    L'étude consacrée à Emmanuel Looten

    suivie d'un choix de poèmes en traduction néerlandaise

     

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  • Intermède Gheerkin de Hondt (1)

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    Gheerkin de Hondt

    Langueur d'amour

     

    Egidius Kwartet 


     

    Gheerkin de Hondt - Ge(r)rit, Gheerart ou Gerryt de Hont -, actif à Bois-le-Duc vers 1530-1547, est un compositeur de l’école franco-flamande, qui a vécu et travaillé à Bruges et Bois-le-Duc. De Hondt écrivit cinq messes, quatre motets, huit chansons françaises et une chanson en néerlandais. Quelques-uns de ses motets témoignent de son grand talent musical et de son habilité technique. Het was mij wel te vooren gheseijt, sa seule chanson en néerlandais, est un arrangement à quatre voix d’une seule strophe de la chanson dont les paroles sont notées dans le célèbre chansonnier d’Anvers…(lire la suite)

     

     

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  • Figaro première

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    Alexandre Cohen

    et l'idolâtrie social-démocrate 

     

    Dans la série des documents concernant le publiciste frison Alexandre Cohen, voici le premier article - non dénué d'humour - qu'il a publié dans Le Figaro, journal dont il deviendra plus tard l'un des correspondants. Le texte a été transcrit et annoté par Gaël Cheptou.

     

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    Les Social-Démocrates

    et leur propagande (1)

     

    Le mouvement électoral bat son plein en Allemagne.

    Les partis politiques, de la Reichspartei (2) aux social-démocrates, déploient une fiévreuse activité et tout fait prévoir que ces derniers rentreront au Reichstag plus nombreux qu‘ils en sont sortis.

    Depuis 1884, le nombre de voix obtenues par les social-démocrates est toujours allé en augmentant dans des proportions considérables et de 540998 suffrages dévolus, cette année-là, aux candidats du parti, ils sont arrivés au chiffre de 1341587 lors des dernières élections générales, le 20 février 1890.

    Est-ce à dire, comme le prétendent les quatrième-étatistes français, que le socialisme mette en danger la forme gouvernementale de l’Allemagne et que les jours de l’Empire soient comptés ?

    La question est intéressante et, pour l’élucider, les manifestations extérieures du parti et ses procédés de propagande nous semblent avoir leur importance.

     

    Car il en est des groupements politiques comme des individus. Ils se caractérisent extérieurement par des tics, des manies, des ridicules, qui, pour l’observateur superficiel, ne sont qu’amusements, mais qui, interprétés, fournissent à l’historien d’utiles éléments pour une enquête plus profonde : c’est sur le canevas de l’anecdote qu’un jour sera brodée l’histoire du boulangisme.

    Les chefs social-démocrates qui se sont tant gaussés de l’engouement du peuple français pour le panache d’un général, font eux-mêmes, en Allemagne comme ailleurs, tout ce qui est en leur pouvoir pour se mettre en relief par quelque peu de charlatanisme.

    Peu leur importe que l’adulation de leurs personnes, ouvertement encouragée par la fraction social-démocrate du Reichstag (3), soit contraire aux principes essentiels de ce socialisme qu’ils prétendent toujours professer. Cette doctrine est, en effet, ou plutôt était, impersonnelle et égalitaire et n’admettait nullement l’élévation d’une individualité quelconque au-dessus des masses populaires.

    Or, tout cela a changé. Au cours des années les Bebel et les Liebknecht (4) – pour ne citer que les deux chefs les plus connus du socialisme allemand – ces fougueux et intransigeants révolutionnaires d’antan, sont devenus de plus en plus modérés et de plus en plus ambitieux. L’ambition surtout de M. Bebel est légendaire dans le parti et incommensurable. Ses succès électoraux réitérés, l’influence qu’il a acquise sur les foules par une éloquence facile, l’ont complètement grisé, nous dirions volontiers : ahuri. Plus jeune que Liebknecht – appelé couramment : « le vieux soldat » par ses amis – il a depuis longtemps refoulé au second plan ce dernier, qui est moins habile et moins fort politicien. L’amitié grande que partout ils affichent n’est qu’apparente et seul l’intérêt du parti – de la fraction – les contraint à dissimuler leur animosité réciproque.

    Considérés universellement comme faisant contrepoids au pouvoir quasi-absolu de l’empereur, ils ont créé un Etat dans l’Etat avec son Parlement, ses décrets, sa presse, sa police, ses nominations, ses révocations et « last not least » son caporalisme outrancier.

    Tous les « Genossen » (citoyens) marchent au doigt et l’œil et ils sont menés à la baguette. Toute tentative d’opposition contre le despotisme du comité directeur est immédiatement et rigoureusement réprimée.

    « Wer nicht zufrieden ist, fliegt hinaus ! » Voilà la devise de M. Liebknecht, qui est plus spécialement chargé de la police du parti. « Qui n’est pas content, à la porte ! » Que dans une réunion où pérore un membre de la « fraction » ou un orateur officiellement investi, un malencontreux contradicteur ouvre la bouche, et aussitôt des centaines de mains s’abattent sur lui pour le mettre dehors avec toute la délicatesse due à un adversaire. Comme on voit, l’infortuné n’a même pas le temps voulu pour devenir « contradicteur » de fait.

     

    *

    *   *

    Cohen1894.png

    Alexander Cohen (portrait publié en 1894)

     

    Ce que, dans de pareilles conditions et dans un tel milieu, deviennent « l’éducation libertaire et l’émancipation du peuple », inscrites dans tous les programmes social-démocrates qui se respectent et ressassées à tous les congrès, on le devine aisément.

    Les exclusions du parti pour cause d’ « indiscipline » sont très fréquentes et comportent souvent les plus graves préjudices matériels pour les victimes de ces mesures de rigueur. Parfois, cependant, l’excommunication est rapportée. Un M. Bruno Geiser, gendre de Liebknecht, exclu du parti il y a dix ans, vient d’être solennellement réhabilité sur la proposition de son beau-père et il a repris son rang dans les cadres (5). Ne faut-il pas laisser une porte ouverte au repentir ?

     

    Nulle part on ne trouve autant d’étroitesse d’esprit et de pharisaïsme que dans le parti social-démocrate allemand, qui, cependant, se targue d’être le parti le plus avancé de l’Empire.

    Un exemple entre mille :

    Quelques temps avant la scission du parti et la sortie en masse des « jeunes » (6), il avait été question de poser la candidature de M. Werner (7) dans la circonscription Feltow-Beskow-Storkow. Mais M. Werner était père d’un enfant naturel ! Et quoiqu’au su de tout le monde il subvint largement aux besoins de l’enfant et de la mère, il fut jugé indigne d’un mandat électoral à cause de son « immoralité notoire ».

    Quant au niveau intellectuel du parti, on peut s’en faire une idée si l’on sait que, sur la demande de ses lecteurs, le Vorwaerts, le moniteur officiel du 4e Etat allemand, dut cesser la publication en feuilleton de Germinal, jugé trop « immoral ».

     

    Les instruments de propagande correspondent à merveille aux préoccupations de parti et à l’intellectualité des leaders.

    Des innombrables objets servant, sinon à propager des idées, au moins à populariser messieurs les chefs, nous nous sommes procurés quelques types. Ils sont si invraisemblables parfois que nous aurions hésité à les mentionner si nous n’avions pu les mettre sous les yeux du public.

    Nous exposons donc cette collection dans la salle des dépêches du Figaro.

    CohenTasse.jpg

    Voici d’abord une grande tasse sur laquelle s’épanouit la niaise figure de M. Singer, le financier et le financeur du parti. (Cette figure rappelle, favoris en plus, le banquier que Lautrec nous montre dans une de ses violentes et satyriques affiches). D’une absolue insignifiance, M. Singer s’est acquis, grâce à sa situation matérielle, une place prépondérante dans le comité directeur (8). Il est troisième dans la trinité : Bebel-Liebknecht-Singer.

    Les petits social-démocrates, aussitôt sevrés, boivent leur lait et leur chocolat dans les tasses-Singer, Dreesbach, Auer, Molkenbuhr (9)... afin de se familiariser, dès le début de leur carrière, avec l’effigie des grands hommes. En outre on les débarbouille avec du « savon du peuple » (Volksseife) qui porte, en relief, les traits bien-aimés des membres de la « fraction ». Ce savon nous paraît quelque peu corrosif, à en juger d’après l’odeur. Mais cela ne l’empêche pas de se vendre beaucoup, débité par les épiciers qui pullulent dans le parti et colporté dans les campagnes par des propagandistes-hygiénistes. Jusqu’ici, cependant, aucun décret officiel n’a rendu obligatoire le décrassage au « savon du peuple ».

    Innombrables sont les variétés de pipes et de porte-cigares socialistes. Nous en exhibons quatre spécimens : une grande pipe en porcelaine avec les portraits de MM. Bebel, Lassalle (10), Singer et Liebknecht, aux yeux tirés, aux yeux pochés. Ces messieurs ont l’air de sortir d’un terrible combat... ou des affres d’un ballotage. Un Bebel en écume de mer, agrémenté d’un petit cordon vert, un Lassalle encadré de fer-blanc sur fond bleu jaspé et un porte-cigare en merisier avec la photographie microscopique des trente-six députés socialistes, complètent notre collection fumivore.

    Nombreuses également sont les boites à allumettes en fer-blanc, pourvues, bien entendu, des portraits des chefs du parti.

    Nul social-démocrate bien pensant qui ne porte, dimanches et jours de fête, une paire de grotesques boutons de manchettes en cuivre, illustrés naturellement, et une épingle de cravate.

    La parure des citoyennes n’est pas non plus négligée. Elles portent des broches et des boucles d’oreille en verroterie ou en ambre, munies d’une célébrité quelconque.

    Les fidèles s’adressent leurs souhaits à l’occasion du nouvel an, d’un anniversaire ou d’un mariage, au moyen de cartes mirobolantes, estampillées de portraits qu’encadrent des lauriers. Au-dessus, la devise : Durch Kampf zum Sieg (par la lutte à la victoire) et au-dessous : Die besten Glückwünsche (les meilleurs souhaits).

    Comme la propagande ne perd jamais ses droits, même auprès des ivrognes, un ingénieux verrier socialiste a mis dans la circulation des flacons à « schnapps » avec des inscriptions empruntées à l’Evangile des social-démocrates : das Kapital. Le nôtre porte les deux devises suivantes : Ihr habt die Macht in Handen wenn Ihr nur einig seid ! (Unis, vous aurez le pouvoir), et : Proletarier aller Länder vereingt euch ! (Prolétaires de tous les pays, unissez-vous). Marx a-t-il voulu dire que les braves social-démocrates doivent s’unir autour d’une bouteille de schnapps pour conquérir l’univers ?

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    August Bebel (1840-1913), Deutsches Bundesarchiv

     

    D’autres flacons portent en relief les traits austères de Bebel et de Liebknecht, surmontés de deux mains fraternellement serrées. Et lorsqu’un citoyen offre un « petit Liebknecht » à un coreligionnaire, celui-ci accepte avec empressement. C’est un petit verre d’eau-de-vie, versé chez un cabaretier du parti – ils fourmillent ! – d’une bouteille « fractionnelle ».

    Rien n’échappe à la folie décoratrice et fétichiste des social-démocrates : cannes, parapluies, lampes, encriers, pendules, foulards, montres. Des cadrans enluminés de portraits sont très fréquents. Il y a des montres Bebel, Lassalle, Marx et Singer ; et, pour la modique somme de deux marks, on peut faire peinturlurer, sur un chronomètre encore neutre, le chef de ses rêves.

    Des canevas en carton, à devises brodées et à médaillons enguirlandés de fleurs séchées, font souvent face, dans les intérieurs socialistes, au chromo de l’empereur et aux images saintes. Le socialisme allemand est essentiellement éclectique et parvient à concilier les choses les plus disparates. Aussi les chefs du parti ne se prononcent-ils jamais contre l’empereur ni contre l’Eglise. Ils sont bien avec tout le monde et nullement intransigeants.

    Surtout dans ces derniers temps, l’idolâtrie social-démocrate a revêtu des formes absolument inouïes. Aucun parti politique, dans aucun pays et à aucune époque, n’a poussé à un tel excès le culte des personnes.

     

    Un M. Auguste Heine (11), fabricant de chapeaux à Halberstadt, a lancé dans le commerce toute une série de couvre-chefs. Il y a le chapeau « Demokrat », le « Congress », le « Gleichheit » (Egalité), le « Maifeier » (Fête de mai) et enfin le chapeau « Auf zur Wahl » (Allons voter !). Tous ces chapeaux, nous dit l’alléchant prospectus de la maison, sont munis de plumes rouges et garnis – intérieurement ! – des masques obsédants des « hommes populaires les plus éprouvés ». Ces « hommes populaires » ne sont autres que les députés social-démocrates, et l’inventeur de toute cette chapellerie, M. Auguste Heine, étant lui-même membre de la fraction socialiste au Reichstag, vend couramment des « melons » avec, au fond, sa propre image. Voilà donc ces messieurs directement à l’œuvre !

    C’est ce même Heine qui adressait à ses principaux électeurs, à la suite d’un discours qu’il avait prononcé au Reichstag, une carte postale ainsi libellée : « J’ai prononcé un grand discours. Immense succès : Bismarck est écrasé. Je recommencerai demain. A. Heine » (12). On se demande pourquoi M. Heine, après avoir « écrasé » le prince de Bismarck, voulait encore s’acharner sur la victime.

     

    La gloire chapelière de M. le député socialiste Heine avait banni le sommeil du chevet d’un brave cordonnier de Mayence, le citoyen Braun. Au chapitre des chapeaux, il opposa le chapitre des... pantoufles. Ce pilier du quart-Etat fournit aux électeurs des pantoufles illustrées. On peut voir, dans la salle des dépêches, une paire d’énormes pantoufles, décorées d’un Liebknecht très rébarbatif. Tellement, qu’il en est presque méconnaissable. En outre, l’éclat de ces luxueuses chaussures est rehaussé par des drapeaux rouges écartelés d’une croix – sans doute pour piper les socialistes-chrétiens – et par des têtes de requins qui, vues de près, ont une vague ressemblance avec des bonnets phrygiens.

    Il n’est pas rare, les jours d’élection, de voir galoper aux urnes, en rangs serrés, des citoyens coiffés de feutres « Allons voter » et chaussés de pantoufles-Liebknecht ou Bebel.

    PortraitWilhelmLiebknecht.jpg

    Wilhelm Liebknecht (1826-1900)

     

    *

    *   *

     

    Il est de toute évidence que, si le comité directeur voulait mettre un terme à ces pratiques, il n’aurait qu’à s’y montrer formellement hostile. (Rien ne serait plus facile. Nous nous rappelons que, il y a quelques années, un fabricant de cigares de La Haye demanda à M. Domela Nieuwenhuis (13) l’autorisation de mettre en vente des « cigares-Domela ». M. Nieuwenhuis refusa catégoriquement et tout était dit.)

    Lorsqu’au congrès d’Erfurt un délégué des « jeunes » interpella M. Bebel à ce sujet, celui-ci répondit que ses collègues et lui ne croyaient pas devoir intervenir (14).

     

    D’ailleurs, les chefs social-démocrates ne nous paraissent pas se rendre bien compte du ridicule dont continuellement ils se couvrent. C’est ainsi que dans l’ordre du jour réglant le Congrès de Zurich qui doit avoir lieu au mois d’août prochain, on peut lire ceci :

    4° « Les représentants au bureau des différentes nationalités désignent parmi eux et pour chaque jour DEUX PRESIDENTS D'HONNEUR »

    Voit-on ces présidents d’honneur réglementairement imposés par des « démocrates » et des « égalitaires » ?

     

    *

    *   *

     

    Les craintes, qu’à un moment donné le socialisme a pu inspirer au gouvernement, sont depuis longtemps dissipées.

    L’empereur Guillaume s’est montré fort habile, le jour où il a mis à la retraite M. de Bismarck et où il a renoncé aux lois d’exception contre les social-démocrates. Ces derniers s’en sont montrés reconnaissants et de plus en plus ils ont abandonné leur tactique d’opposition farouche.

    A plusieurs reprises ils ont même offert, par la bouche autorisée de M. Liebknecht et du haut de la « tribune nationale », leur concours au gouvernement, pour aider à mettre à la raison les « perturbateurs », « jeunes » ou anarchistes. Il y a quelques mois, M. Liebknecht offrait de capturer, si on voulait seulement mettre à sa disposition quelques policiers et une couple de « paniers-à-salade », tous les anarchistes du territoire (15). Pieds et poings liés il les déposerait sur le bureau de la Chambre ! (M. Andrieux n’inventait donc rien lorsqu’il faisait ses offres de services au gouvernement pour arrêter Arton).

     

    Pendant les émeutes de février 1892, lorsqu’à Berlin, à Dantzig et à Hanovre des bandes de meurt-de-faim pillaient quelques boulangeries et boucheries – émeutes provoquées, d’après le témoignage même des journaux « bourgeois », par une effroyable misère – M. Liebknecht écrivait, dans le Vorwaerts, que ces émeutiers étaient de la « canaille » et des « souteneurs », et que les socialistes convenables n’avaient rien de commun avec cette lie de la population sortie d’on se sait où. Plus royaliste que le Roi – qui s’était contenté, pour la répression de quelques charges de police –, M. Liebknecht rappela aimablement que pendant les révolutions de 1848 et de 1871, on collait tout simplement au mur les pillards, « an die Mauer gestellt und erschossen » (16).

    ImageCohenFigaro16.png

    Pillage d’un magasin de denrées coloniales,

    Berlin, soir du 25 février 1892

    (Illustrierte  Zeitung, n° 2541, 12 mars 1892, p. 27)

     

    En temps d’élection, le langage de ces messieurs est tout autre. La « lie de la population, sortie d’on ne sait où », devient alors subitement estimable, et les candidats sollicitent à qui mieux mieux les suffrages de ces souteneurs de la veille.

    Dans son prospectus électoral, distribué cette semaine à Halle, M. Kunert député social-démocrate sortant, dit :

    « ...Donc tous dehors ! Toi, prolétariat, sors de tes caves, de tes mansardes, de tes tanières ! ».

    « Descends dans la rue, pâle misère, et montre-toi à la bourgeoisie effrayée. Conquiers, ton bulletin de vote à la main, un autre sort ! Ne te laisse pas rogner encore plus ton peu de droits, ton droit d’élire tes représentants au Reichstag, mais conquiers encore plus de droits politiques ».

     

    Tout comme M. Bebel a la haine du Russe, contre lequel, de temps à autre, il prêche la croisade, M. Liebknecht a la haine de l’anarchiste. L’anarchiste est sa terreur, son cauchemar. Oublieux d’avoir écrit : « Qui parlemente transige et qui transige trahit (Wer parlementiert pactirt und wer pactirt trahirt) » (17), il traite « d’anarchistes » tous ceux qui pensent aujourd’hui comme il pensait lui-même en d’autres temps. Et, pour M. Liebknecht, d’anarchiste à « mouchard », il n’y a que l’épaisseur d’un cheveu.

     

    Il est vrai que la fâcheuse habitude d’appeler « mouchards » des adversaires ne lui est pas spéciale. Nous voyons tous les jours le même phénomène se produire en France, surtout chez les marxistes qui, en ceci comme en tout le reste, copient servilement le maître : Marx.

    Nous nous rappelons, à ce propos, une anecdote que nous tenons d’un compagnon d’exil de Bakounine.

    Marx et Bakounine, longtemps avant la grande brouille de 1872, fréquentaient l’un et l’autre chez George Sand. Marx qui déjà redoutait la concurrence du précurseur anarchiste, répandait sur son compte les bruits les plus perfides. A George Sand il avait confié que Bakounine était un agent provocateur et un policier international. Elle n’en crut rien. Mais un jour que tous deux étaient chez elle, indignée de voir Marx s’entretenir amicalement avec Bakounine, elle dit brusquement à celui-ci :

    - Savez-vous que M. Marx parle de vous comme d’un agent provocateur ?

    Une explication s’ensuit : Marx essaye d’abord de nier le fâcheux propos ; mais mis au pied du mur par George Sand, il finit par avouer en disant que c’était une plaisanterie. Son attitude fut tellement piètre que Bakounine eut pitié de lui ; il pardonna à Marx sa petite infamie, l’engageant cependant à ne plus recommencer (18).

     

    Les organes officiels de la « fraction », le Vorwaerts en tête, insinuent que les « jeunes » dont font partie MM. Auerbach, Kampffmeyer, Werner, Wildberger et Bruno Wille (19) – pour la plupart déjà connus en France par les articles de M. de Wyzewa dans le Figaro (20) – sont des « mouchards », ou que, pour le moins, ils sont payés par les « bourgeois » pour désorganiser le parti et faire échouer les candidatures social-démocrates (21).

    Or, on a pu en juger, les leaders du parti donnent l’impression d’une navrante médiocrité, nullement faite pour inspirer la moindre frayeur au bourgeois. Seuls, parmi les trois douzaines de députés du quatrième état, MM. von Vollmar et Schippel (22) sont d’une intelligence supérieure, ce qui, du reste, est la raison principale pour laquelle leurs collègues les détestent cordialement.

    M. Schippel, qu’un jour M. Bebel déclara vouloir « écraser », « pulvériser » (zertreten, zerschmettern !), et qui vient de purger une condamnation à plusieurs mois de prison pour délit de paroles, est un écrivain de talent, épris de choses d’art.

    Or, être artiste ou avoir des goûts artistiques est considéré comme folie pure dans les milieux social-démocrates où, sous prétexte de « science », on ne professe autre chose qu’un matérialisme des plus grossiers.

     

    « Le socialisme est une question de ventre et de sous-ventre » – voilà l’élégante formule donnée par un des chefs collectivistes français (23).

    Les social-démocrates allemands y ont ajouté la si troublante question des pantoufles.

     

    ALEXANDRE COHEN

     

    P.S. – Les objets de propagande socialiste dont M. Cohen parle dans son article seront exposés à partir de demain dans notre Salle des dépêches.

     

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    Recueil d'articles d'Alexandre Cohen

    couvrant trente années de journalisme

     

    (1) L’article d'A. Cohen a paru dans Le Figaro du 31 mai 1893, p. 3.

    (2) La Reichspartei était un parti conservateur prussien qui représentait les intérêts des grands propriétaires terriens et des industriels. Elle fut un soutien inconditionnel de Bismarck, notamment lorsque celui-ci fit adopter une législation d’exception contre la social-démocratie entre 1878 et 1890 (Sozialistengesetz).

    (3) Le terme de « fraction » désigne le groupe parlementaire du parti social-démocrate.

    (4) August Bebel (1840-1913) : ouvrier tourneur, puis petit patron, il fut l’un des fondateurs du parti social-démocrate allemand dont il fut jusqu’à sa mort le plus grand dirigeant, et occupa une place de premier plan dans le mouvement socialiste international. Wilhelm Liebknecht (1826-1900), surnommé le « soldat de la révolution », instituteur et journaliste, fonda avec Bebel le parti social-démocrate.

    (5) Bruno Geiser (1846-1898), journaliste et député de 1881 à 1887, fut l’un des meneurs de l’aile réformiste du parti social-démocrate. En 1887, après avoir refusé d’approuver l’organisation d’un congrès clandestin par le parti - et suite à la faillite de la publication Die Neue Welt (le Nouveau Monde) qu’il dirigeait -, il se vit retirer toutes ses fonctions officielles… qu’il retrouva cinq plus tard. Liebknecht dira que Geiger, qui était aussi son gendre, avait été son plus grand malheur.

    (6) Après la levée des lois d’exception contre les socialistes (1890) se forma au sein du parti social-démocrate une opposition dite des « Jeunes » contre la direction. Elle reprochait aux dirigeants un trop grand légalisme et un attachement immodéré au parlementarisme. Les principaux meneurs furent exclus au congrès d’Erfurt en 1891. Ils fondèrent alors l’Association des socialistes indépendants. Une partie d’entre eux finit par rejoindre le giron social-démocrate ; les autres par passer dans le camp anarchiste.

    Voici une liste de ses griefs contre les « vieux » dirigeants :

    1) L’esprit révolutionnaire du parti est systématiquement tué par certains chefs.

    2) La dictature exercée étouffe tout sentiment et toute pensée démocratique.

    3) Le mouvement entier a perdu de plus en plus son allure virile [sic] et il est devenu purement et simplement un parti de réformes à tendances « petites-bourgeoises ».

    4) Tout est mis en oeuvre pour arriver à une conciliation entre prolétaires et bourgeois.

    5) Les projets de loi demandant une législation ouvrière et l’établissement de caisses de retraite et d’assurances, ont fait disparaître l’enthousiasme parmi les membres du parti.

    6) Les résolutions de la majorité de la fraction sont généralement adoptées en tenant compte de l’opinion des autres partis et classes de la société et facilitent ainsi des virements à droite.

    7) La tactique est mauvaise et néfaste.

    Voir Ferdinand Domela Nieuwenhuis, « Les divers courants de la démocratie socialiste allemande », in : Le socialisme en danger, Paris, Stock, 1897, p. 26.

    (7) Wilhelm Werner (1859-1941), ouvrier imprimeur, adhéra à la social-démocratie en 1883. Délégué au congrès de fondation de la II. Internationale à Paris en 1889, il fut candidat aux élections en 1890 dans la circonscription de Teltow (Berlin). Leader des « Jeunes », éditeur du Sozialist, il devint l’un des pionniers du mouvement anarchiste en Allemagne. De 1894 à 1915, il résida en Angleterre avant de rentrer à Berlin. Au congrès d’Erfurt (1891), Werner fut exclu du parti.

    CouvPaulSinger.jpg(8) Depuis 1885, Paul Singer (1844-1911), riche industriel berlinois, était membre de la direction du parti social-démocrate. C’est grâce à sa fortune que le parti avait pu en 1884 se doter d’un organe central (Berliner Volksblatt). A partir du congrès de Halle en 1890, il devint l’un des deux présidents du parti. Très populaire, il fut député de 1884 à sa mort.

    (9) August Dreesbach (1844-1906), ébéniste, puis petit commerçant, fut député au Reichstag de la ville de Mannheim.

    Ignaz Auer (18746-1907), ouvrier sellier de métier ; membre influent de la direction du parti ; député réformiste à partir des années 1890.

    Hermann Molkenbuhr (1851-1927), ancien ouvrier cigarier, émigré aux Etats-Unis entre 1881-1884 ; journaliste, haut responsable du parti social-démocrate, il fut député au Reichstag entre 1890 et 1918.

    (10) Ferdinand Lassalle. (1825-1864). Socialiste autoritaire, national et réformiste, F. Lassalle fonda en 1863 l’Association générale des travailleurs allemands (Allgemeiner Deutscher Arbeiterverein), qui fusionna en mai 1875, à Gotha, avec le Parti ouvrier social-démocrate (« marxiste ») d’A. Bebel et de W. Liebknecht, fondé à Eisenach, en août 1869.

    (11) August Heine (1842-1919), chapelier de Halberstadt, député de 1884 à 1887 et de 1890 à 1893, fut l’un des dirigeants de l’aile réformiste du parti. Il compta ses premiers clients parmi les sociaux-démocrates de Halberstadt : le premier mai, « on reconnaissait les sociaux-démocrates à leurs chapeaux à large bord qu’ils avaient achetés dans la Haute-rue, chez le chapelier August Heine ». Ses chapeaux eurent un tel succès qu’il se décida à faire paraître dans la presse socialiste des annonces publicitaires. Heine put ainsi développer un système de vente par correspondance, « une symbiose originale entre publicité commerciale et agitation politique » selon l’un de ses descendants ! Cf. K. Heinrich Heine, Damals in Halberstadt. Die Schicksale einer demokratischen Familie von 1800 bis 1950, Karlsruhe, Corona Verlag, 1981, pp. 102-103.

    (12) C’est avéré. Voir Horst Karasek, Belagerungszustand ! Reformisten und Radikale unter dem Sozialistengesetz 1878-1890, Berlin, Wagenbach, 1878, p. 130 (Magdeburger Volksstimme, n°245/1891).

    PhotoFerdinandDomelaNieuwenhuis.jpg(13) « Ma vie est l’évolution d’un pasteur un peu croyant à un anarchiste par voie de la libre pensée et de la social-démocratie, un dévelop- pement des idées graduellement et organiquement ». C’est en ces termes que Ferdinand Domela-Nieuwenhuis (1846-1919), socialiste libertaire hollandais, résumait son évolution intellectuelle dans une lettre adressée à Victor Dave le 28 avril 1907. Présent au congrès du parti social-démocrate allemand à Halle (1890), il se prononça en faveur des « Jeunes » et devait reprendre leurs positions contre W. Liebknecht au congrès international de Bruxelles en 1891. Cf. F. D. N., Die verschiedenen Strömungen in der deutschen Sozialdemokratie, traduit du français par Albert Auerbach : Les divers courants de la démocratie socialiste allemande (Bruxelles, 1892), Berlin, O. Harnisch, 1892, 31 p. ; Bert ALTENA, « Kritik wegen der Praxis. F. Domela-Nieuwenhuis und der Marxismus » [A l’origine de la critique : la praxis. F. D.-N. et le marxisme], in : Marcel van der Linden (éd.), Die Rezeption der marxistische Theorie in den Niederlanden, Trèves, Kral-Marx-Haus, 1992, pp. 47-85.

    (14) L’exposition de Cohen correspondait à l’une des principales critiques à l’égard des « vieux » dirigeants, « le culte de la personnalité », au sein du parti. Au congrès d’Erfurt en 1891, deux délégués avaient déposé la motion qui suit : « Considérant qu’il y va de la dignité et de l’intérêt du parti que de lutter contre le culte des personnes, le congrès considère qu’il est nécessaire de restreindre la diffusion d’images représentant des camarades encore vivants sous quelque forme que ce soit ; qu’à l’avenir il ne sera plus fabriqué ou vendu d’objets avec de telles illustrations par des membres du parti ; à leur place doivent circuler des représentations allégoriques en rapport avec les efforts du prolétariat ou, à la rigueur, des images de camarades disparus ». L’un d’eux précisa : « Ces derniers temps, on retrouve partout, à chaque occasion, des fume-cigare, des cannes de marche, des images, des timbres, etc. avec les portraits des actuels députés. Le congrès doit déclarer sans ambiguïté qu’il désapprouve de tels usages ». Mais cette proposition fut repoussée après un discours de Bebel qui, pourtant d’accord sur le fond, estimait qu’il était utile de diffuser les portraits des grands chefs pour satisfaire la curiosité (!) des prolétaires allemands. Cf. Wilhelm Schröder, Handbuch der sozialdemokratischen Parteitage von 1863 bis 1909, Munich, G. Birk u. Co., 1910, pp. 420-421.

    (15) La citation est sans doute empruntée à l’étude de Ferdinand Domela Nieuwenhuis, Le socialisme en danger, op. cit., p. 22.

    (16) Dès l’année 1891, Berlin avait été le théâtre d’importantes manifestations d’ouvriers réduits au chômage. Ces assemblées de chômeurs avaient, à plusieurs reprises, adopté des résolutions qui furent toutes repoussées par les autorités municipales. Et, en février 1892, une réunion organisée par des ouvriers du bâtiment au chômage fut suivie de pillages à Berlin pendant près de deux jours. Le Vorwärts, l’organe du parti social-démocrate, décrivit ces émeutes de la faim comme étant l’œuvre de « canailles » et du « Lumpenprolétariat » et, dans un appel aux ouvriers berlinois publié le 27 février, enjoignait de rester à l’écart des troubles pour ne pas discréditer les « efforts légitimes de la classe ouvrière ». Voir « Lettre d’August Bebel à Friedrich Engels du 27 février 1892 », in : August Bebels Briefwechsel mit Friedrich Engels, herausgegeben von Werner Blumenberg, Londres-La Haye-Paris, Mouton, 1965, pp. 513-516 et « Lettre de Friedrich Engels à August Bebel du 8 mars 1892 », in : Ibid, pp. 516-521 ; Eduard Bernstein, Die Berliner Arbeiterbewegung 1890-1905, Berlin, Dietz Nachf., 1924, pp. 177-178.

    Engagée dans les luttes de chômeurs, les Socialistes Indépendants condamnèrent avec virulence les déclarations du Vorwärts et organisèrent des meetings de protestation : « Si la social-démocratie se plaît à représenter les repus, nous autres, nous défendrons encore plus énergiquement la cause des affamés. Nous n’avons pas peur d’être traités de "protecteurs du Lumpenprolétariat" : nous sommes sûrs que c’est là notre voie. Mais la social-démocratie repue doit s’attendre à être bientôt dévorée par ce prolétariat mourrant de faim ». (« Die Sozialdemokratie und die Arbeitslosen », Der Sozialist, 6 mars 1892).

    Au congrès du parti à Berlin en novembre 1892, le délégué Wartmann proposa la motion suivante : « Le congrès désapprouve la conduite du Vorwärts dans l’affaire de février et récuse fermement le terme de "Lumpenprolétariat", car ainsi il ne semble pas exclu que nous nous considérions comme appartenant à une catégorie supérieure de prolétaires. » Liebknecht se chargea de répondre : « Le mot lumpenprolétariat est un terme scientifique, il a été employé d’abord par Marx en opposition au prolétariat révolutionnaire qui affronte en tant que classe, avec conscience de classe, la classe dominante [...]. Le Lumpenprolétariat, ce sont les déclassés, les victimes du capitalisme qui n’ont pas été refoulées dans la classe ouvrière, les réprouvés dont les moyens de subsistance sont, d’après la morale dominante, souvent malhonnêtes. Ceux que l’on appelle les Ballonmützen [Casquettes à soufflets] appartiennent au lumpenprolétariat. Je ne sais pas si les délégués de province [sic] savent ce que sont les Ballonmützen. Ce sont les souteneurs, ceux qui vivent de la prostitution, ceux qui exploitent la femme poussée à la prostitution par la société pour mener la belle vie. Ce sont des exploiteurs qui, de notre point de vue, ne sont pas plus mauvais que les autres, mais des exploiteurs quand même, et le prolétariat révolutionnaire combat toute exploitation et tous les exploiteurs ». Voir Wilhelm Schröder, Handbuch, op. cit., p. 559.

    (17) Wilhelm Liebknecht, « Über die politische Stellung der Sozialdemokratie, insbesondere mit Bezug auf den Nordddeutschen ‘Reichstag’ (1869) », in : Kleine politische Schriften, Francfort/Main, Röderberg, 1976, pp. 14-30, ici p. 18 : « Wer mit Feinden Parlamentelt, parlamentiert ; wer parlamentiert, paktiert ».

    Couvbakounine1.jpg(18) Amédée Dunois, dans son Michel Bakounine [Portrait d’hier – Les hommes du jour, 1er juin 1909], écrit : « Quand, le 12 juin [1848], la lutte se fut engagée dans les faubourgs de Prague entre le peuple soulevé et l’armée impériale du féroce Windischgraetz, Bakounine, plantant là le congrès, saisit un fusil et se jeta dans la mêlée. Il combattit jusqu’au dernier moment et ne consentit à s’enfuir que lorsque tout espoir fut perdu. Il réussit à gagner Breslau. L’atroce calomnie qui le représentait comme un agent du gouvernement russe l’y attendait : elle émanait du journal socialiste que Marx éditait à Cologne. Bondissant sous l’injure, Bakounine exigea des preuves ; et comme Georges Sand avait été mise en cause par le calomniateur, il en appela à son témoignage. Celui-ci fut formel : jamais la romancière n’avait mis en doute la loyauté de caractère ni la franchise d’opinion du révolutionnaire russe. Marx, en fin de compte, dut désavouer son informateur ». Voir aussi la mise au point récente de Wolfgang Eckhardt sur cette affaire, premier grand différend entre Marx et Bakounine : « Bakunin, Marx und George Sand: Die Affäre "Neue Rheinische Zeitung" (1848) », IWK, Nr. 3, 2001, pp. 281–369.

    (19) Albert Auerbach (disparu en 1925), l’un des meneurs du mouvement des commis de magasin, présenta au nom des « Jeunes » les revendications de l’opposition lors du congrès d’Erfurt.

    Paul Kampffmeyer (1864-1945), publiciste, l’un des meneurs de l’opposition, resta cependant dans le SPD, évoluant vers le révisionnisme, et devint un auteur très prolixe sous la république de Weimar.

    Carl Wildberger (1855-1939), ouvrier tapissier de Berlin, fut exclu en même temps que W. Werner ; il réintégra, quant à lui, le parti socialiste en 1902.

    Bruno Wille (1860-1928), écrivain-philosophe et dramaturge, co-fondateur en 1890 de la Freie Volksbühne. A partir de 1892, il dirigea le journal des libres-penseurs allemands, Der Freidenker.

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    T. de Wyzewa par J.-E. Blanche, détail

    (20) Les articles de Teodor de Wyzewa (1862-1917, Théodore-Etienne de Wyżewski dit), musicologue, écrivain et traducteur d’origine polonaise, qui ont paru dans le Figaro entre le 12 juillet et le 14 octobre 1891, ont été rassemblés dans un ouvrage : Le Mouvement socialiste en Europe, les hommes et les idées, Paris, Perrin, 1892, 283 p. (sur les « Jeunes » : « Les origines du schisme - Bruno Wille », pp. 75-92 et « Les jeunes socialistes - M. Werner et ses compagnons », pp. 93-108). Voir la critique qu’en fit l’organe des Socialistes Indépendants : « Sozialistische "Portraits" aus und von einem bürgerlichen Pinsel », Der Sozialist, 10 avril 1892 : « Nous étions encore sous le choc des récentes émeutes de la faim, lorsque le livre de Th. de Wyzewa, Le mouvement socialiste en Europe, nous tomba entre les mains. Sa lecture nous a fait beaucoup rire et comme joie partagée compte double, nous avons décidé d’en faire profiter nos lecteurs ». Le livre de Wyzewa, constitué d’une série de portraits des « meneurs » socialistes, est en effet bourré de clichés, de confusions et d’erreurs parfois comiques [Wilhelm Werner ressemble à un étudiant pauvre, Bruno Wille à l’empereur Guillaume II., etc.]

    (21) Le conflit tomba très vite, en effet, au niveau de l’invective : au congrès de Halle en 1890, le délégué Grillenberger déclara qu’à Berlin – le fief des « Jeunes » – « sur trois camarades, on était jamais sûr de ne pas tomber sur un mouchard ». Cf. Wilhelm Schröder, Handbuch, op. cit., p. 422.

    (22) Georg von Vollmar (1850-1922) : ancien officier, d’abord social-démocrate de gauche, il évolua vers le réformisme à partir des années 1890. Vollmar fut député de 1881 à 1886 et de 1890 à 1918. Il était surnommé le « roi non couronné de Bavière », son fief électoral.

    Max Schippel (1859-1928), économiste, social-démocrate depuis 1886, fut l’un des porte-parole des « Jeunes », avant de devenir, à partir du tournant du siècle, l’un des théoriciens en vue du réformisme. Schippel fut député de 1890 à 1905.

    (23) Il s’agit ici sans doute de Jules Guesde (1845-1922), fondateur du Parti Ouvrier Français.