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Compositeur et théoricien néerlandais, Rudolf George Escher (Amsterdam, 8 janvier 1912 – De Koog, 17 mars 1980), neveu du célèbre artiste graphiste, a passé une partie de son enfance aux Indes néerlandaises. Son père l’a initié au piano puis il a suivi des études au conservatoire de Rotterdam. Lors du bombardement de cette ville en mai 1940, une grande partie de ses compositions ont été détruites. La musique d’Escher montre des parentés avec celle de Ravel et celle de Debussy ainsi qu’avec la polyphonie de la Renaissance. Plusieurs de ses créations portent des titres français : Musique pour l'esprit en deuil (1943), Hymne du Grand Meaulnes (1951), Le tombeau de Ravel (1952), Le vrai visage de la paix (1953), Univers de Rimbaud (1970), Six epigraphes antique (Claude Debussy) (1977)…
« Il faisait presque nuit ; la fatigante tâche du jour accomplie, je m’étais assis à ma fenêtre et dirigeais machinalement mes regards vers la lune ou bien me créais, dans les nuages qui passaient, des milliers d’images ou de fantômes. J’étais las, mécontent même, et les fantaisies que mon esprit évoquait en subissaient l’influence. Tout me paraissait effrayant et triste. Je voyais des géants, à califourchon sur des monstres, qui, de leur gueule grimaçante, vomissaient une écume fumante ; des silhouettes de Titans qui brandissaient des blocs de rochers comme s’ils voulaient en écraser la terre ; des cadavres empilés les uns sur les autres, comme si un combat homérique venait d’avoir lieu. Plus loin s’élevait une suite de collines, dont le pied se baignait dans un lac sombre où les étoiles se reflétaient à peine ; et derrière ces collines, dans le lointain, s’étageaient des montagnes hautes comme le ciel, couronnées d’épaisses forêts et de châteaux aux donjons en ruines. Mon imagination me faisait voir des cavernes, des abîmes, des gouffres, des têtes de démons convulsionnées par la colère, des satyres, des nains, des serpents : horribles spectacles qui me faisaient frissonner malgré moi. Et je pensais : si je puis me livrer à de telles divagations, est-il étonnant que le trop naïf villageois peuple d’êtres surnaturels tout ce qui l’entoure ? Nulle ferme bâtie à l’écart qui n’ait sa légende, nul champ solitaire où il ne revienne un esprit, nul carrefour auquel ne se rattache une histoire de revenant ; nul tilleul isolé au pied duquel on n’ait enterré une ou plusieurs sorcières. Le campagnard ignorant réfléchit peu, tout lui semble surnaturel ; quoi de surprenant alors qu’il connaisse tant de terrifiants récits ? Ce que je vais raconter se passa dans un petit village de la Flandre et l’on y tient encore aujourd’hui cet événement pour mystérieux et surnaturel au possible. »
Isidoor Teirlinck
Ces lignes qui ouvrent le récit reproduit ci-dessous ont été écrites il y a plus de 130 ans par un duo d’écrivains flamands : Isidoor Teirlinck (1851-1934) et son beau-frère Reimond Stijns (1850-1905) (ils avaient épousé deux soeurs). Entre 1877 et 1884, ces deux hommes publièrent à quatre mains un nombre assez impressionnant de nouvelles, pièces de théâtre, poèmes et romans dont le populaireArm Vlaanderen(Pauvre Flandre). Une production et une façon de procéder qui ne manqueront pas de susciter des commentaires, par exemple ceux d’un littérateur flamand, Hendrik De Seyn Verhougstraete (1847-1926), dans le mensuelLe Livre(1881, p. 455-456) à propos des cinq premières œuvres de ceux que certains baptisèrent les « jumeaux » :
« Voilà cinq ouvrages sortis de la plume de la firme littéraire Teirlinck-Styns.
« Comme Erckmann-Chatrian, les conteurs alsaciens universellement connus, MM. Teirlinck et Styns, se sont associés pour produire leurs œuvres en commun.
« Je me fais difficilement une idée de la façon dont on travaille pour produire un livre en commun : les écrits d’un auteur sont une partie de lui-même, et l’identification nécessaire des idées de l’un avec celles de l’autre me semble offrir de telles difficultés qu’elle me paraît impossible à réaliser. Et cependant cette collaboration existe ; journellement il paraît des livres dont l’auteur est une double personnalité. Serait-ce que la nature a créé des caractères mutuellement sympathiques ?
« Et cette dualité d’auteur ne serait-elle pas cause de cette dualité de style et de sentiments qui se fait jour dans leurs productions ? D’un côté, des passages d’un romantisme et d’un sentimentalisme outré, et d’un autre, des pages charmantes de réalisme véritable, de tableaux pris sur le vif.
« Mais ne nous attardons point à rechercher des causes qui nous échappent et revenons à nos auteurs.
« Jeunes tous deux, – ils n’ont que trente ans, – ils ont déjà produit des œuvres que la critique a été unanime à louer.
« L’influence de notre grand romancier Conscience se fait fortement sentir dans leurs œuvres. Comme lui, ils peignent la vie flamande, le paysan flamand avec ses vertus et ses travers.
« Leurs deux premiers romans,Bertha van den SchoolmeesteretFrans Steen, sont d’une couleur sombre. Dans le premier, c’est la lutte de l’amour et de l’argent qu’ils nous montrent en donnant, comme remèdes aux malheurs et aux souffrances de la vie, le courage et la patience.
Reimond Stijns
« Déjà dans cette première œuvre se découvrent des qualités d’écrivains qui se développeront dans leurs œuvres suivantes. Nous y aurions voulu moins de promenades sentimentales et plus de vie réelle chez les amants : Bertha est une fille éthérée. Mais c’est un premier essai ; et puis, convenons-en, cette idéalisation de l’amour tombe bien dans le goût du peuple flamand. L’amour que nous décrit Conscience dans toutes ses œuvres, n’est-ce pas un amour idéal ? Celui-là existe-t-il réellement, ou du moins existe-t-il à l’état de règle générale ? Et, là où on le trouve, n’y est-il pas né à la suite des lectures assidues des œuvres de Conscience ?
« N’en voulons donc pas trop à Teirlinck-Styns s’ils ont suivi cette voie ; c’était un sûr moyen d’arriver au succès.
«Frans Steenest l’histoire d’un enfant trouvé ; histoire bien triste, et malheureusement de nos jours encore trop vraie. La peinture de la location des orphelins et des vieillards pauvres est navrante. Cette coutume de louer les orphelins et les vieillards au moins offrant est une tache sur notre civilisation ; on voudrait croire que cela appartient aux siècles passés ; mais malheureusement la réalité des faits est là ; les communes non encore pourvues d’orphelinat et d’hospice mettent leurs orphelins et leurs vieillards en pension chez les habitants, au moins offrant. Quelle est la situation morale et physique de ces malheureux ? elle se laisse deviner.
Gedichten en Novellennous place dans un autre milieu. Ici les écrivains ont sacrifié à la muse, et leur sacrifice ne doit pas lui avoir été désagréable. Sans se vouer à la poésie, ils nous ont donné quelques jolis vers. Le cycle :Het Korense recommande par sa vivacité d’allures, la justesse d’expression et d’exactitude dans la description des hommes et des sentiments de la nature.
« Unenovellequi nous a plu avant toute autre, c’est:Uit het Normaalschoolleven, la vie à l’École normale. Comme c’est vrai d’un bout à l’autre ! Quiconque a passé par là ne contredira point les auteurs. Ce surveillant sous le sobriquet de Zwarte, nous l’avons tous connu, cet homme sans cœur, s’ingéniant à briser tout sentiment humain dans le cœur de ses élèves. Ces surveillants-là se rencontreraient-ils donc partout ?
«Baas Colderest l’histoire d’un Harpagon de village, histoire terrible et tellement vraisemblable qu’on la croit arrivée.
« Mais ici encore se rencontre cette dualité dont nous parlions en commençant, et qui se fait sentir dans tous les ouvrages de Teirlinck-Styns. A côté des descriptions de la nature les plus réalistes et les plus exactes, se rencontrent des personnages agissant d’une façon toute conventionnelle. Non pas que les sentiments soient mal exprimés, qu’il n’y ait pas de figures typiques ; la langue et le style sont irréprochables, les figures principales sont bien décrites, mais elles n’agissent pas toujours assez d’après la réalité. Si les auteurs parviennent à faire agir leurs personnages avec toute la réalité de la vie, ils produiront des chefs-d’œuvre que nous pourrons placer à côté de ceux de nos meilleurs maîtres.
«Aldenardiana, recueil de cinq nouvelles se passant dans les environs d’Audenarde, nous prouve qu’ils tendent vers ce but : tout romantisme conventionnel, pour nous donner la nature et les hommes tels qu’ils sont.
« Ah! la nature! comme ils la peignent ! et les paysans flamands, ils les ont bien fouillés.
« Qu’ils dirigent maintenant leurs investigations vers un autre coin de la société ; qu’ils élargissent ainsi le cercle de leurs travaux, en restant fidèles à la ligne de conduite qu’ils ont suivie jusqu’ici en moralisant le peuple par la lecture, ils pourront compter sur des succès durables.
« Ajoutons encore qu’ils se sont aussi essayés au théâtre, et que leur drameLina Donderset leur drame-lyrique,Stella, ont été représentés avec succès. »
Le même critique affirmera dans le même périodique (1882, p. 406), qu’en Flandre, à l’époque, il n’y a « que Teirlinck-Styns et G. Segers qui soient parvenus à percer, et dont les œuvres portent un cachet propre ».
Tous deux enseignants à Bruxelles, Teirlinck et Stijns s’efforcèrent d’éduquer le peuple à travers des écrits pessimiste et souvent anticléricaux (Pauvre Flandreest plus un livre de combat qu’un grand roman). Reimond Stijns continuera de produire seul des romans, d'abord plus ou moins dans la tradition de Hendrik Conscience, puis en adoptant une trame naturaliste. Certains l’ont d’ailleurs considéré comme le précurseur du naturalisme flamand ou, pour le moins, comme l’auteur d’une épopée naturaliste cruelle :Hard labeur(Dur labeur, 1904), un roman dur où pointe encore une note romantique, son livre le plus achevé.
De son côté, après la collaboration avec son beau-frère, Isidoor Teirlinck écrira des nouvelles « rurales » plus impressionnistes, d’autres truffées de vocables dialectaux, et se consacrera surtout à des travaux portant sur la botanique, la magie, la dialectologie, le folklore… dont certains sont disponibles en version française… Il est l’auteur d’un dictionnaire de l’argot (auquel collabora d’ailleurs H. de Seyn-Verhougstrate), deContes flamands… Le seul fils d’Isidoor Teirlinck s’est également fait un (pré)nom dans la littérature : Herman Teirlinck (1879-1967) compte en effet parmi les plus grands auteurs d’expression néerlandaise du XXesiècle, auteur en particulier du beau roman bruxelloisHet ivoren aapje(Le Singe d’ivoire) dans lequel le personnage Lieven Lazare est inspiré de Léon Bloy que le Flamand avait rencontré à quelques reprises.
présentation d'Isidore Teirlinck & Raymond Stijns
dans Six nouvelles
« Superstition », reproduite ci-dessous, est extraite du recueilSix nouvellespublié en 1880 (H. de Seyn-Verhougstrate n'en parle pas dans sa critique) comme n° 54 d’une collection qui répondait au souci des auteurs de diffuser leurs œuvres auprès du peuple. Fondée par le sénateur Ernest Gilon (1846-1902), la Bibliothèque Gilon (Verviers) plaçait en effet en épigraphe à ses volumes la formule suivante : « Un livre volumineux et d’un prix élevé peut être comparé à un vaisseau qui ne peut débarquer ses marchandises que dans un grand port. – De petits traités ressemblent à de légers bateaux qui peuvent pénétrer dans les baies les plus étroites, pour approvisionner toutes les parties d’un pays. » Cette série de la fin du XIXesiècle, qui publiait 2 volumes de 100 pages par mois, visait à édifier le peuple dans un esprit d’inspiration maçonnique ; parmi les auteurs les plus réputés figurant dans cette collection, on relève des écrivains – Camille Lemonnier, Léopold von Sacher-Masoch… –, mais aussi nombre de vulgarisateurs des sciences : Camille Flammarion, Stanislas Meunier…
Six nouvellescontient quatre proses tirées desGedichten en Novellen(Poèmes et nouvelles) évoqués plus haut et sans doute en grande partie rédigés par Stijns – « Bonheur détruit (Croquis) », « Scène de la Vie du Peuple », « Un Souvenir de l’École normale » et « Nelleke (Croquis) » – et deux qui avait paru dans un périodique (Nederlansche Dicht- en Kunsthalle) : « Superstition (Récit) » et « Deux Jours de Kermesse (Croquis) ». Il s’agit de textes d’une qualité inégale. « Scène de la vie du peuple » (un veuf qui a sombré dans l’alcool décide de se suicider afin que ses deux filles soient recueillies par l’orphelinat et aient au moins de quoi manger) et « Un Souvenir de l’École normale » sont des évocations larmoyantes.
Il est dommage que les auteurs, dans « Deux Jours de Kermesse (Croquis) », ne brossent pas un tableau coloré des fêtes foraines de l’époque ; ils optent en réalité pour une morale – mise en garde contre la légèreté du sexe faible – qui restitue les désillusions d’un jeune homme éprouvant ses premiers émois amoureux. On ne peut s’empêcher, en relisant aujourd’hui une telle nouvelle, de relever une note comique, de même d’ailleurs que dans « Bonheur détruit (Croquis) » et « Nelleke (Croquis) » tant la naïveté de Teirlinck et de Stijns rejoint celle de leurs personnages, ces modèles de villageois qu’ils ambitionnaient de tirer de leur ignorance. On voit là combien la morale de substitution qu’ils opposaient à ce que prônait le clergé était redevable à cette dernière et restait prisonnière des clichés bourgeois. Le personnage central est à chaque fois un homme même si le Nelleke de la nouvelle éponyme partage les premiers rôles avec son épouse acariâtre, « la noire Thérèse », bien plus âgée que lui, et avec un coq auquel celle-ci tient plus qu'à tout. Dans l’ensemble, les dialogues sont peut convaincants. En restituant mœurs et coutumes des années 1875, certaines scènes présentes une valeur historique : les auteurs nous proposent par endroits une photo de la rue bruxelloise de l’époque (voitures des laitières tirées par un attelage de chiens, à l’aube). Avec « Nelleke », et d’un certain côté « Bonheur détruit » – le bonheur simple d’un vieil instituteur se trouve réduit pour ainsi dire à néant à cause d’une seconde d’inadvertance –, « Superstition » est sans doute le texte le plus abouti. Il possède qui plus est une dimension fantastique, quelques touches comme issues duTriomphe de la mortde Bruegel ou de quelque autre tableau flamand. La mort guette d'ailleurs presque dans chaque histoire de Teirlinck-Stijns. On regrettera toutefois la fin de la nouvelle où tout est expliqué, où la visée moralisatrice des auteurs reprend le dessus.
Georges Eekhoud,Mercure de France, 15/01/1906
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Deux mots sur la paire de traducteurs
J. Elseni (pseud. de Jean-Baptiste Jamnoulle ou Jansoulle) et François Gueury(-Dambois) ont traduit ensemble d’autres œuvres du néerlandais (flamand) pour la Bibliothèque Gilon :
Pierre Geiregat,Douleurs & Joies du Peuple, 1882, n° 84.
Mme Courtmas,Tante Sidonie. Dedans ou dehors. La Fleur de Cleyt, avec une préface de Paul Fredericq, 1883, n° 107.
Teirlinck-Stijns,Baas Colder, 1883, n° 113.
Mme Courtmans, La Perle du Hameau, 1884, n° 132.
Pierre Geiregat,Où git le Bonheur, 1884, n° 137.
Jean Micheels,Benjamin Franklin, 1885, n° 160.
J. Elseni a en outre traduit seulMyosotisetTrois récits de grand’pèrede Pierre Geiregat (1828-1902), un auteur gantois aujourd’hui totalement oublié, lui-même traducteur de Henry Havard.
SiMultatuli, Louis Couperus,Eddy du Perron, Jeroen Brouwers,Maria Dermoût et Hella S. Haassedemeurent les écrivains majeurs des Pays-Bas dont les noms restent liés à l’Indonésie, plusieurs de leurs compatriotes, nés ou ayant vécu dans l'immense colonie, ont enrichi la littérature néerlandaise.Augusta de Wit (1864-1939)fait partie de ce groupe. Née sur l’île de Sumatra, elle passera une partie de son enfance aux Indes avant de suivre sa scolarité en Hollande et en Angleterre. De retour pour quelques années sur sa terre natale, elle sera enseignante à Batavia puis journaliste, une carrière qu’elle poursuivra au XXesiècle, entre autres à Berlin, Paris, aux Pays-Bas, en Bavière et en Prusse, de manière à subvenir à ses besoins puisqu’elle restera célibataire. Elle publiera des chroniques en anglais dans leSingapore Straits Timesqui seront réunies sous le titreFacts and fancies about Java. Revenue en Europe, elle écrira – outre des romans et des nouvelles – pendant de nombreuses années des critiques sur la littérature étrangère, en particulier allemande et anglaise. Ces activités l’amèneront à correspondre avec Rilke, le poète Thomas Hardy ou encore D.H. Lawrence. Elle a aussi laissé des articles sur des auteurs français. Ainsi, Dick Gevers, dans l’article «La réception d’Octave Mirbeau en Hollande»peut-il écrire : « En 1918, Augusta de Wit, critique littéraire du journal libéralNieuwe Rotterdamsche Courant(01/12/1918), compare Mirbeau à Herman Heijermans, un de nos auteurs les plus engagés de cette époque, et rend hommage à “la manière implacable” dont Mirbeau dénonce les tares de notre société. Et elle ajoute : “Mais sous l’implacabilité avec laquelle il dit ce qu’il croit être la vérité, quel désir infini de tendresse, quelle pitié de ce pauvre cœur humain !” »
Deux paradoxes dominent la vie de celle en quiAlexandre Cohena vu une « styliste délicieuse » : alors que la politique n’était pas sa tasse de thé – elle a écrit qu’elle avait toujours refusé la lutte des classes et la haine qu’éprouvaient les « rouges » à l’égard d’une partie des hommes –, elle sera pendant quelques années membre du parti communiste (Sociaal Demokratische Partij) en raison de ses positions anticolonialistes avant d’opter pour un socialisme « religieux » proche de ce que défendait Hendrik de Man ; d’autre part, si elle cherche dans ses livres à comprendre l’âme javanaise, elle le fera en employant une prose d’un grand raffinement, inspirée du symbolisme, et selon un cadre de pensée tout à fait occidental. L’essentiel pour elle n’était pas tant de « comprendre » les Indes néerlandaises que d’en donner, dans un souci esthétique, une vision « pleine de rêverie romantique pour le pays et sa population autochtone » (A. Romein-Verschoor). Il ne fait aucun doute qu’elle a porté un grand amour et à la nature et aux gens de l’archipel.
L’enthousiasme que sa prose « distinguée » et « noble » a soulevé chez artistes et critiques, on le retrouve sous la plume d’un universitaire d’expression française :Augusta de Wit« a voué son talent à la peinture de la grandeur et des souffrances, de la splendeur et des misères du monde colonial hollandais ; mais elle a voulu, avant tout, étudier l’âme cachée des peuples de Java. Parmi les écrivains d’aujourd’hui qui nous parlent des Indes à côté de Couperus et de Borel, Augusta de Wit a son mérite et son originalité.Orphée dans la Dessaest un petit chef-d’œuvre et laDéesse qui attend, un grand et noble livre.
Elle met en scène surtout l’Européen confiant en sa richesse, son intelligence, son organisation, ses machines, venu à Java pour faire fortune sans plus et qui rêve uniquement de spéculations industrielles à gros bénéfices. Elle lui oppose le peuple javanais appauvri, réduit à l’état de bétail humain, qui se venge lâchement de l’Européen, détraque ses machines, vole ses buffles, mais qui vit pourtant en communion d’âme avec les esprits des champs et des bois, qui a sa mythologie, ses usages, une vie intérieure intense et une imagination ardente et désordonnée. Tout est conté fort simplement et met à nu la cruauté de ces rencontres de deux races. La note personnelle d’Augusta de Wit, outre la splendeur de son style et les qualités littéraires de la langue qu’elle emploie, c’est une certaine notion de grande pitié humaine, une profonde sympathie pour ceux que le monde écrase ou ignore ou bafoue. » (J. Lhoneux, « Profils de romanciers hollandais »,Revue germanique, 1910, p. 198).Johannes Tielrooyreconnaît lui aussi certaines qualités à la femme de lettres : « Mme Augusta de Wit, styliste parfaite, fournit, dans ses beaux ouvrages un peu froids, quelque chose comme une série d’images du monde. Son grand bonheur semble être de contempler les spectacles de la vie et de les comprendre […]. Chez elle, le réalisme s’enrichit d’une poésie qu’on dirait classique. » (La Littérature hollandaise, 1938, p. 34)
Même si le grand poèteMartinus Nijhoffa pu critiquer avec virulence la prose très plastique d’Augusta de Wit – le communisteTheun de Vriesfera de même –, certaines de ses œuvres ont parfaitement résisté au temps. On relit avec plaisir et admiration ses souvenirs et évocations des Indes néerlandaises (entre autres « De Boegi roepen den avondwind »), les pages sans pareilles qu’elle a consacrées aux papillons (Gods goochelaartjes) et aux vents qui soufflent dans l’archipel, ses nouvelles et récits où s’exprime une aspiration aristocratique à la beauté.
Quelques-uns de ses textes ont été traduits en français : la nouvelle « De Jager » (« Le chasseur ; histoire javanaise », trad. A.D.L. Mague,La Revue de Hollande, I, 1915-1916) et le court romanOrpheus in de dessa(Orphée au village, trad. E.J. Van Hasselt & Isabelle Rivière,La Revue hebdoma- daire,n° 27-28, 7et 14 juillet 1928). DansLe Monde nouveau,Paul Eyquema lui aussi transposé quelques pages de la nouvelliste (« Histoire du Joueur de flûte et de la belle danseuse »). En anglais, six de ses proses ont été réunies sous le titreIsland India(1923).
Bibliographie
Facts and fancies about Java,Singapore, 1898 (traduit en néerlandais en 1905 par Cornelie van Osterzee sous le titreJava. Feiten en fantasieën).
Verborgen bronnen(Sources cachées), 1899 (nouvelles tra- duites en allemand par Else Otten :Feindschaft. Das höchste Gesetz, 1903).
De godin die wacht(La Déesse qui attend), 1903 (roman traduit en allemand par Else Otten :Die Göttin, die da harret, 1908).
Orpheus in de dessa(Orphée dans le village indonésien), 1903 (traduit en allemand par Eva Schumann :Orpheus in Java, 1928).
Het dure moederschap(La Maternité chère payée), 1907 (traduit en allemand par Else Otten :Eine Mutter, 1908 ; un des rares livres d’Augusta de Wit dont l’action n’est pas située en Indonésie).
Natuur en menschen in Indië(Nature et hommes aux Indes néerlandaises), 1914 (recueil de chroniques).
De wake bij de brug en andere verhalen(La Garde près du pont et autres nouvelles), 1918.
De drie vrouwen in het heilige woud(Les Trois femmes dans la forêt sacrée), 1921 (recueil de quatre nouvelles : « De drie vrouwen in het Heilige Woud » ; « Aan het strand » ; « De Jager » ; « Gezichten op Zee »).
De avonturen van den muzikant(Les Aventures du musicien), 1927.
De wijdere wereld(Le Large monde), 1930.
Gods goochelaartjes(Les Petits Prestidigitateurs de Dieu), 1932 (récits poétiques sur les naturalistes et les papillons).
Drie novellen(Trois nouvelles), 1939.
Een witte angora en enige mensen(Un angora blanc et quelques gens), 1965.
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Augusta de Wit a par ailleurs publié en 1910 une collection de contes de différents pays.
Voir en allemand
L. Simoens, « R. M. Rilke und die Niederländische Schriftstellerin Augusta De Wit » (sur la correspondance entre R.M.Rilke et l’écrivain néerlandais Augusta De Wit),Germanic Notes Lexington, n° 1, 1984, p. 7-10.
les 2 photos sont tirées d'un ouvrage d'Augusta de Wit
Styliste hors pair, Willy Spillebeen nous parle ci-dessous de certaines caractéristiques de son œuvre : l’importance de la mythologie et du paysage dans l’ensemble de ses romans comme dans sa poésie, les métaphores sur lesquelles il édifie la plupart de ses histoires, la place qu’il accorde à la vie et au témoignage de certaines personnes qu’il a croisées au cours de son existence… Nombreux sont ses livres qui s’arrêtent sur des périodes troublées de l’Histoire, explorant les enjeux du pouvoir à travers les thèmes de l’équité et de la violence, du bien et du mal, de l’idéologie et de la cruauté : la conquête de l’Amérique par les Espagnols (par exemple dans Le Jésuite anonyme), la Saint-Barthélemy (racontée par Bousbecque, alors au service de la reine de France, dans Busbeke of de thuiskomst), la révolution russe (Anastasia), les deux conflits mondiaux du XXe siècle (Une autre guerre, Amants en temps de folie, La Butte ou encore le roman jeunesse Serge/Samuel)…
Il arrive à Willy Spillebeen de situer l’action de ses romans dans le Nord de la France. Ainsi, Le Seigneur de Peuplingues, qui baigne dans une atmosphère digne d’un Simenon, évoque un procès retentissant, l’auteur reconstruisant en quelque sorte l’affaire Rohart. Il situe à Linselles, près de Lille, une autre affaire judiciaire remontant plus ou moins à la même époque (le court roman De nabestaande publié dans le volume Le Désir de consolation). À travers une relecture du poème The End of War de Herbert Read, Les Yeux d'or de Dieu (titre emprunté à un vers de Georg Trakl) nous fait revivre un drame qui s’est déroulé près de Valenciennes en novembre 1918, lors la dernière nuit de la Première Guerre mondiale : un officier allemand moribond va entraîner des centaines d’hommes dans la mort. La capacité de l’auteur à se glisser dans la peau de ce soldat qui vit ses dernières heures est pour ainsi dire hallucinante. D'ailleurs, l'agonie constitue la donnée de base de trois de ses autres œuvres : Cortés ou la chute (1987), Énée ou la vie d’un homme (1982) et enfin Bousbecque ou le retour (2000) qui décrit les dix-huit derniers jours de l'existence de l'humaniste flamand Ogier de Bousbecque (ou Busbecq), l'homme à qui l'on doit entre autres l'introduction de la tulipe et du narcisse en Europe.
Dans plus d’un de ses livres, l’écrivain approfondit une autre souffrance, celle que font subir les adultes aux enfants. Relatant lui aussi une histoire vécue, le court et magnifique roman Les Chiens de la Belle au bois dormant (couverture ci-contre) narre en trois tableaux d’une rare dureté trois années de l’existence d’une fillette désemparée par la séparation de ses parents et l’inconscience de sa mère. Là encore, les données que l’auteur emprunte à la réalité échappent à l’anecdotique grâce à une belle maîtrise de la composition. Dans Le Hasard, c’est un garçon de 4 ans qui se retrouve le jouet des « grands », en l'occurrence des représentants de l’administration (policier, magistrat, infirmières…). Pluche de mer se penche sur le destin d'un enfant un peu plus grand, un des boat people vietnamiens qui atterrit en Flandre.
L’intérêt que Willy Spillebeen a porté à l'Histoire et à certains auteurs de l’Amérique latine l’ont amené à écrire, outre des traductions d’œuvres de Pablo Neruda (entre autres le Canto General), des récits centrés sur les civilisations aztèque (Cortès ou la chute), maya (L'Enfer existe) et inca. D'autre part, un profond amour de sa région natale, marié à une prédilection pour le genre historique, l’a conduit à peindre l’existence de deux grandes figures flamandes : Ogier de Busbecq, déjà mentionné, et Guillaume de Rubrouck. Ce dernier, originaire d'un village situé près du mont Cassel, été un ami très proche de Louis IX, lequel l’avait envoyé en Mongolie vingt ans avant que Marco Polo ne s’y rende. De ce voyage, il a ramené une œuvre importante (Voyage dans l’empire mongol). Il aurait participé aux sixième et septième croisades et été prisonnier avec le roi à Mansourah. Guillaume aurait aussi assisté à la mort du souverain. Il a vécu un certain temps à Paris où il avait comme ami Roger Bacon.
vidéos de l'entretien accordé par Willy Spillebeen
le 30 janvier 2010
arrivée en Flandre occidentale par une belle journée hivernale
romans jeunesse, structure des romans,Les Yeux d'or de Dieu...
dette à l'égard d'écrivains d'expression espagnole
Ogier de Busbecq,Guillaume de Rubrouck,
la Flandre et la Grande Guerre, la poésie
Faulkner, Yourcenar, Joyce, L.-F. Céline ;
une écriture qui marie classicisme et modernité
La Chasse au renard
L'un des romans majeurs de l'écrivain flamand, fresque épique du déclin de la terre natale des protagonistes, trois pères et trois fils qui évoquent leurs désillusions et la résistance acharnée qu'ils opposent à la fatalité ; le renard apparaît comme la métaphore de l'homme qui ne cesse, au cours de l'Histoire, d'être pourchassé sans jamais trouver un havre de paix. Quand la Flandre occidentale sert de cadre à une tragédie de dimension universelle.
ROMANS, RÉCITS & NOUVELLES
De Maanvis(Le Scalaire), Desclée de Brouwer, Bruges, 1966.
De Krabben(Les Crabes), Desclée de Brouwer, Bruges, 1967.
De Sfinks op de Belt(Le Sphinx sur le dépotoir), Manteau, Bruxelles, 1968.
Steen des Aanstoots. Een boek(Pierre d’achoppement. Un livre), Davidsfonds-De Standaard / Louvain-Anvers, 1970 (autobiographie romanesque).
Drie X Drempelvrees(Trois x La peur d’entrer), Standaard, Anvers, 1984 (trois nouvelles).
De Vossejacht(La Chasse au renard), Davidsfonds-De Standaard/Louvain-Anvers, 1979.
Herinneringen aan de Toekomst(Souvenirs du futur), Orion, Bruges, 1979 ; réédité sous le titreDe Andere Oorlog(La Grande Guerre), Davidsfonds, Louvain, 1988.
Het goede Doel van het Geweld(La Bonne fin de la violence), Davidsfonds, Louvain, 1979.
Aeneas of De Levensreis van een Man(Énée ou la vie d’un homme),Manteau, Anvers, 1982, réédition Davidsfonds, Louvain, 1999.
Doornroosjes Honden(Les Chiens de la Belle au bois dormant),Manteau, Anvers, 1983.
De Varkensput(Le Puits aux cochons), Manteau, Anvers, 1985.
De Engel van Saint-Raphael(L’Ange de Saint-Raphaël), Manteau, Anvers, 1986.
Moeder is een Rat(Mère est un rat), Houtekiet, Anvers, 1986.
Cortés of De Val(Cortés ou la chute), Houtekiet, Anvers, 1987.
De Waarheid van Antonio Salgado(La Vérité d’Antonio Sagado), Houtekiet, Anvers, 1988.
Het Toeval(Le Hasard), Houtekiet, Anvers, 1989 (le titre a un double sens : à la fois hasard et crise d’épilepsie).
De Schreeuw van de Bunzing(Le Cri du putois), Houtekiet, Anvers, 1991.
In vele Staten - Amerikaans relaas(Dans tous mes États – Récit américain) Manteau, Anvers, 1992 (récit d'une année passée aux États-Unis).
De anonieme Jezuiet(Le Jésuite anonyme), Manteau, Anvers, 1992.
De Seigneur van Peuplingues(Le Seigneur de Peuplingues), Manteau, Anvers, 1993.
De ongestorven Doden(Les Morts qui ne sont pas morts),Manteau, Anvers, 1994.
Thersites of het Bordeel van Troje(Thersite ou le bordel de Troie), Manteau, Anvers, 1997 (théâtre, monologue).
God gouden Ogen(Les Yeux d'or de Dieu), Davidsfonds, Louvain, 1998.
Busbeke of de thuiskomst(Bousbecque ou le retour), Davidsfonds, Louvain, 2000.
De hunker naar troost(Le Désir de consolation), Davisfonds, Louvain, 2001 (deux courts romans et deux longues nouvelles).
De heuvel(La Butte), Davidsfonds, Louvain, 2003.
Minnaars in waanzin(Amants en temps de folie), Davidsfonds, Louvain, 2006.
Rubroeks reizen(Les Voyages de Guillaume de Rubrouck), Davidsfonds, Louvain, 2009.
Énée ou la vie d’un homme
le roman dans lequel Willy Spillebeen réécrit l'Énéide
ROMANS JEUNESSE
Hij is een Vijand en een Vriend, Brito, Anvers, 1970, réédité sous le titreVijand en Vriend(Ami et ennemi), Berghmans, Anvers, 1984.
De Hel bestaat(L’Enfer existe), Manteau, Anvers, 1984.
Een Pluisje van de Zee(Pluche de mer),Houtekiet, Anvers, 1989 (réédition Davidsfonds/Infodok, Louvain).
Anastasia, Davidsfonds/Infodok, Louvain, 2001.
Het toeval(Le Hasard), Davidsfonds/Infodok, Louvain, 2003 (réédition en collection jeunesse du roman de 1989).
De muur(Le Mur), Davidsfonds/Infodok, Louvain, 2004.
Serge/Samuel, Davidsfonds/Infodok, Louvain, 2005.
Louis-Ferdinad Céline, personnage de roman
Dans le roman Het varkensput (Le Puits aux cochons), où la Première Guerre mondiale occupe une nouvelle fois une belle place, Willy Spillebeen aborde un épisode peu connu de la vie de Louis-Ferdinand Céline.
Le Puits aux cochons
ESSAIS
Pour être à peu près exhaustif, il convient de mentionner que Willy Spillebeen a également publié un certain nombre d’essais sur des poètes d’expression néerlandaise, en particulier les Flamands Jos de Haes (Desclée de Brouwer, Bruges, 1966), Hubert van Herreweghen (Desclée de Brouwer, Bruges, 1973), André Demedts (1974), Marcel Coole (1977) Luuk Gruwez (2003) et les Néerlandais Jan Hendrik Leopold (Orion, Bruges, 1978), Ida Gerhardt (Orion, Bruges, 1980) et Martinus Nijhoff (De Geboorte van het Stenen Kindje, Orion, Bruges, 1977). Mais l’un de ses premiers ouvrages, c’est bien à un poète flamand de France que Willy Spillebeen l’a consacré : Emmanuel Looten (1963).
L'étude consacrée à Emmanuel Looten
suivie d'un choix de poèmes en traduction néerlandaise
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Gheerkin de Hondt - Ge(r)rit, Gheerart ou Gerryt de Hont -, actif à Bois-le-Duc vers 1530-1547, est un compositeur de l’école franco-flamande, qui a vécu et travaillé à Bruges et Bois-le-Duc. De Hondt écrivit cinq messes, quatre motets, huit chansons françaises et une chanson en néerlandais. Quelques-uns de ses motets témoignent de son grand talent musical et de son habilité technique. Het was mij wel te vooren gheseijt, sa seule chanson en néerlandais, est un arrangement à quatre voix d’une seule strophe de la chanson dont les paroles sont notées dans le célèbre chansonnier d’Anvers…(lire la suite)