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  • Hommage à Hugo Claus

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    Alain Van Crugten, à qui l'on doit entre autres la traduction du roman Le Chagrin des Belges, rend hommage à l'écrivain flamand Hugo Claus, disparu en 2008. La vidéo a été réalisée le 4 octobre 2009 à l'occasion d'une soirée Claus organisée à Bruxelles par Het beschrijf.

     

     

    Clausmarathon - Alain Van Crugten from deBuren on Vimeo


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  • La Nuit qui s’annonce

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    Un roman qui nous concerne tous

     

    Une escapade un peu plus au nord que d’habitude, sur les traces d’un écrivain suédois, C.-H. Wijkmark, grâce à l’entremise de son traducteur, Philippe Bouquet, qui nous propose un petit texte en guise de prolongement ou de faire-part de naissance d'un roman.

     

    PortraitWijkmark.jpg

    photo : Diana Kempff

     

     

    Carl-Henning Wijkmark,

    La Nuit qui s’annonce

    Cénomane, 2009,

    traduit du suédois par Philippe Bouquet

     

     

    « Dans l’immobilité couchée d’une unité de soin palliatif, un ancien acteur examine la progression inéluctable de la mort sur le vivant. Son corps et celui des autres sont contaminés par l’existence et son souvenir, par le temps passé et le (peu de) temps qu’il lui reste. Au cœur des esprits et de la vie même, l’étreinte fatale est permanente. Quelques livres, un dernier vertige érotique, des rencontres, la mort fait comme si de rien n’était, mais elle est là, aux aguets.  » (Nils C. Ahl)

     

    CouvLaNuitQuiSanonnce.jpg

     

    Voici un roman qui nous concerne tous, sans exception. Pourquoi ? Tout simplement par ce dont il nous parle : la mort. Mais ce n’est pas un essai de plus sur le sujet, il en existe déjà une certaine quantité, y compris de la main du même auteur : La Mort moderne (première édition : Le Passeur, 1997), que Cénomane réédite parallèlement, augmenté d’une postface datant de 1985 – ce qui permet de constater que le raisonnement de Wijkmark n’a pas pris une ride, au contraire pourrait-on dire : il avait compris avant beaucoup d’autres que la mort serait, elle aussi, soumise à des critères de rentabilité – il n’y a pas de raison que le phénomène le plus humain entre tous y échappe, où irait-on, sinon ? Le libéralisme se doit d’être avancé, puisque la chair (la viande !) peut bien l’être. Dans ce roman, c’est une vision plus directe et concrète du même phénomène qui nous est donnée : la mort en direct, peut-on dire, à la première personne, comme si vous y étiez et donc sans avoir besoin d’en faire l’expérience. Voilà qui est d’un bon rapport qualité/prix (16 euros 50 TTC), c’est cadeau, en ces temps de recherche des « bas coûts » (qui peuvent être de simples coups bas, mais enfin…), non ? D’autant que ce n’est pas morbide, ni même totalement triste. Il est vrai que cela finit mal – oh, pardon, il ne faut pas révéler la fin d’un roman… Mais, étant donné le sujet, que voulez-vous qu’il advienne ? Ce serait tromperie sur la marchandise. Pour le reste, vous verrez qu’une mort bien… vécue n’est pas forcément aussi désolante que cela. Elle peut être le sujet de considérations littéraires et culturelles non dépourvues de dignité. Elle peut être joyeusement arrosée, si l’on trouve les complicités nécessaires. Elle peut même offrir quelques consolations non négligeables. Saviez-vous, par exemple, que l’instinct érotique est le dernier à s’éteindre ? Croyez-en quelqu’un qui sait. C’est plutôt agréable et rassurant, non ? Et cela permet d’envisager ce moment avec un certain détachement (n’allons pas jusqu’à parler d’impatience, restons lucides et modérés dans notre enthousiasme). Alors, ne venez pas, après cela reprocher (à qui, d’ailleurs, si ce n’est à vous-même ?) d’avoir manqué votre mort. Ce sera de votre faute et vous ne pourrez pas prétendre qu’on ne vous a pas prévenu. Le reste (les pompes funèbres, les formalités administratives, les querelles d’héritage, bref : tous les embêtements), c’est aux survivants de s’en débrouiller. Après tout, le rôle du mort n’est peut-être pas le plus inconfortable de tous. Au bridge, déjà, c’est le plus agréable : il vous permet même d’engueuler votre partenaire pour avoir mal joué le contrat. Alors pourquoi pas dans la vie – si j’ose dire ?

    Bonne lecture à tous !

    Philippe Bouquet

     

     


     Ph. Bouquet parle de son amour du suédois

    et de Henning Mankell

     

     

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  • Un Raspoutine flamand

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    Quand des hommes se réincarnent en marionnettes


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    Guy Didelez (source : embee.be)


    De l’immense production de l’auteur jeunesse et scénariste flamand Guy Didelez, retenons le roman policier Raspoetine (Raspoutine, 1987), primé et réédité régulièrement depuis plus de 20 ans (le plus récemment aux éditions Abimo). Cette histoire qui s’adresse aux collégiens narre les aventures de Bram, Sofie en Bert. Ces ados décident de mener une enquête sur Peter, leur nouveau camarade de classe qui ne manque pas de les intriguer. Ce garçon plutôt réservé s’est attiré les foudres d’un des professeurs à cause de son bégaiement. Mais Peter cache en réalité certains talents et même des pouvoirs plutôt inquiétants. Lui qui éprouve des difficultés à s’exprimer correctement se révèle être un excellent ventriloque - un don que lui a transmis son père disparu dans des circonstances mystérieuses. De ce père, il a également hérité de vieilles et sinistres marionnettes avec lesquelles il vit dans une bien étrange demeure. L’une de ces marion- nettes, celle qui a une tête de Raspoutine, ne serait-elle pas la réincarnation d’un défunt ?

    L’amitié qu’éprouve le trio pour Peter va-t-elle permettre à ce dernier de découvrir les tenants et les aboutissants de la mort de son père et de se libérer du mauvais sort que quelqu’un semble avoir jeté sur lui ? Que va-t-il advenir du professeur qui joue au tyran avec ses élèves et dont Peter souhaite la mort ?

     

    CouvRaspoetin.jpg

    une des éditions de Raspoutine


    Dix ans après avoir donné à ses lecteurs ce roman captivant qui marie trame classique et ingrédients fantastiques, Guy Didelez a écrit une suite, Le Retour de Raspoutine, où l’on retrouve les mêmes personnages.

    Raspoutine a été traduit en suédois et en norvégien. À l’époque, le roman a reçu le prix du meilleur polar flamand, récompense en principe uniquement décernée à des livres destinés à un public d’adultes.

    À ce jour, alors que plusieurs de ses ouvrages sont traduits en allemand, un seul est disponible en français : Bons baisers d’Andromède (trad. Martine Bom, CERA, Namur, 1998). Il s’agit en réalité de l’un des nombreux titres qu’il a écrits en collaboration avec le touche-à-tout Patrick Bernauw.

     


  • Intermède Jan Zwart (1)

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    Jan Zwart

    Fantaisie et fugue psaume 72

     

     

     

    Orgue : Arjan van Hees

     

    Grande figure de l'orgue aux Pays-Bas, Jan Zwart (1877-1937) a contribué par ses ouvrages historiques, ses compositions et les pièces qu'il a jouées à la radio à faire connaître son instrument auprès d'un large public. Grâce à lui, l'oeuvre de Jan Pieterszoon Sweelinck a connu un vif regain d'intérêt.

     

     

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  • W.F. Hermans « lu » par René Girard

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    L’œuvre de W.F. Hermans

    sous l’éclairage girardien

     

     

    Le 3 avril 2007, Sonja Pos a soutenu sa thèse dans laquelle elle explore certaines œuvres du romancier Willem Frederik Hermans au regard de la théorie de René Girard sur le mimétisme, la rivalité et le bouc émissaire. Trois ans plus tard, les éditions Amsterdam University Press publient une version légèrement remaniée de cette étude sous le titre : Dorbeck is alles! Navolging als sleutel tot enkele romans en verhalen van W.F. Hermans (Dorbeck est tout ! Le mimétisme comme clé de quelques romans et nouvelles de W.F. Hermans). Nous reproduisons ci-dessous, avec l’autorisation de l’auteur, une version revue du résumé français qui figure dans la version de 2007 de la thèse.

     

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    Le présent ouvrage trouve son origine dans l’intuition suivante : le motif des doubles dans De donkere kamer van Damokles (La Chambre noire de Damoclès) de Willem Frederik Hermans (1921-1995) pourrait indiquer la présence dans ce roman d’un processus de mimésis entre le personnage principal, affligé d’une grande naïveté, et un modèle plus ou moins proche. Depuis 1961, le penseur français René Girard a démontré dans ses publications le rôle décisif que joue la mimésis dans le fonctionnement du phénomène du double, dans la rivalité et dans le développement du mécanisme du bouc émissaire, quand une communauté se trouve en crise.

    Dans le premier chapitre, je commence par exposer les remarques que Hermans a faites lui-même à propos de la mimésis et d’auteurs engagés dans un processus de mimétisme, remarques figurant dans des articles publiés à partir de 1946 et rassemblés par l’auteur dans un recueil intitulé Mandarijnen op zwavelzuur (Mandarins au vitriol, 1963). Il rejette les auteurs néerlandais de l’après-guerre qu’il considère comme des épigones des écrivains des années trente. Selon lui, « une idée directive » fait d’ailleurs défaut à leurs textes.

    tome 2 des Œuvres complètes de WFH

    rené girard,mimétisme,littérature,néerlandais,wf hermansLe premier récit de W.F. Hermans, «Een ontvoogding» (La Fin d’une tutelle, 1941), contient d’ailleurs un processus de mimétisme du personnage principal avec un modèle proche mais corrompu. C’est le seul texte de Hermans où le personnage principal tue à la fin son modèle, devenu son rival puis un obstacle. Dans le roman Ik heb altijd gelijk (J’ai toujours raison, 1951), œuvre en partie autobiographique, on trouve les reproches amers qu’adresse Lodewijk Steg- man, alter ego de l’auteur, à ses parents qui l’ont forcé à suivre docilement le « bon exemple », c’est-à-dire sa sœur Debora, son aînée de trois ans. Plus tard Lodewijk, adolescent, entre en mimétisme avec son cousin, secrètement corrompu. Relevons que la sœur et le cousin de W.F. Hermans, deux modèles traîtres, se suicidèrent ensemble en mai 1940 lors de l’invasion des Pays-Bas par l’armée allemande.

    À la fin de cette introduction, je signale l’influence exercée sur Hermans par des romans antérieurs à 1940 de Franz Kafka et de Louis-Ferdinand Céline dans lesquels est évoquée l’expulsion de boucs émissaires. À partir de 1945, Hermans a suivi avec une grande attention ce qui se passait dans les milieux littéraires parisiens.

    Dans le deuxième chapitre, j’expose, à travers une présentation des publications successives de Girard, la théorie et les concepts que ce dernier a développés. Dans un premier temps, je retiens les résultats de Mensonge romantique et vérité romanesque, ouvrage datant de 1961. Girard démontre que les personnages principaux de Don Quichotte de Cervantes, du roman Le Rouge et le noir de Stendhal et de Madame Bovary de Gustave Flaubert, sont en mimésis avec un modèle lointain. Après CouvRenéGirard3.gifune prise de conscience, ils abandonnent leur comportement mimétique et meurent. À la recherche du temps perdu de Marcel Proust propose une variante : le narrateur, en mimésis avec ses modèles lointains, ne meurt pas après sa prise de conscience, mais il se met à écrire son œuvre.

    L’essai « Du désir mimétique au double monstrueux », faisant partie de La Violence et le sacré (1972), a lui aussi été particulièrement important pour ma recherche. Dans ce texte, Girard distingue les phases successives du processus mimétique entre frères et sœurs ou des jumeaux. Au cours d’une lutte que ceux-ci se livrent pour s’emparer du pouvoir, le mimétisme réciproque provoque parfois une rivalité mortelle, finissant par le meurtre du plus faible par le plus fort. J’en profite pour donner un aperçu des auteurs qui, avant Girard, ont essayé de dépister et d’expliquer le motif du double dans la littérature.

    Ma recherche a également tiré profit des analyses de Girard publiées en 1982 dans Le Bouc émissaire. Ces pages exposent le mécanisme du bouc émissaire par lequel un innocent ou les membres d’une minorité, affligés de « caractéristiques victimaires », sont expulsés et éventuellement assassinés quand une communauté se trouve en crise. Selon Girard, les membres de la com- munauté se rassemblent spontanément dans l’expulsion et le meurtre des innocents, jugés coupables de la catastrophe qui menace la communauté. Il démontre que des textes historiques et nombre de mythes contiennent le récit défiguré des assassins qui essaient de camoufler le meurtre. Les mythes décrivent en outre le changement ultérieur des victimes innocentes en déités, vénérées rituellement comme cause de l’unité retrouvée. Hermans a dépisté le renversement de la victime en déité ainsi que le démontre la fin de son récit Manuscript in een kliniek gevonden (Manuscrit trouvé dans une clinique, 1953).

    rené girard,mimétisme,littérature,néerlandais,wf hermansLe chapitre 3 contient l’analyse minutieuse du roman De donkere kamer van Damokles, publié en 1958 (La Chambre noire de Damoclès, Gallimard, 2006). Le motif du double révèle en effet que ce roman contient un processus mimétique avec un modèle plus ou moins proche du personnage principal. Ce dernier, Henri Osewoudt, affligé de caractéristiques victimaires, exécute aveu- glément les ordres de Dorbeck qu’il a choisi comme modèle et qui se présente comme membre d’un groupe de la Résistance. Dorbeck est décrit expressément comme un personnage qui existe pour de bon. Dans d’autres romans de W.F. Hermans, on retrouve d’autres personnages de chair et d’os, qui donnent des ordres au personnage principal. Les actes résultant du mimétisme et les motifs secondaires comme celui de la métamorphose, reliée à des scènes devant un miroir, constituent la structure du processus dynamique à l’intérieur de la composition. Dans cette médiation interne, Dorbeck figure d’abord comme modèle ; ensuite Osewoudt le regarde comme un frère jumeau. Plus tard, il craint toutefois que Dorbeck triomphe comme rival auprès de la femme qu’il aime. Au final, Dorbeck se transforme en obstacle.

    Sur les ordres de Dorbeck, Osewoudt exécute trois personnes, des assassinats présentés comme autant de liquidations commandées par le groupe de résistants, mais ensuite il tue quatre personnes de son propre mouvement. Le mécanisme du bouc émissaire se renforce durant l’année 1944-1945 pendant la crise mimétique résultant de l’occupation allemande. Dorbeck qui, dès le début, grâce à une certaine ressemblance avec Henri Osewoudt, a usé de lui comme d’un double et d’un substitut pour faire la sale besogne, s’est probablement rendu coupable de haute trahison même si toute preuve patente fait défaut dans le roman. Hermans a rendu le motif du bouc émissaire très complexe en faisant de Osewoudt et un coupable (des assassinats) et un innocent (de la haute trahison qu’on lui impute). Cependant Osewoudt ne transcende pas le mimétisme avec son modèle. La fin présente le dévoilement réel d’une partie de la vérité, combiné à un faux dévoilement. Les facteurs formés par l’interchangeabilité, le remplacement d’un personnage par l’autre, les doubles, la polarisation et le renversement en son contraire qui s’opère au milieu du roman, les fausses identités et la perte successive des différences garantissant l’ordre social, prouvent que la crise décrite est bel et bien une crise mimétique. La description minutieuse de la croissance de l’uniformité, menant à la dépravation, prouve la compréhension qu’avait l’auteur des origines de la violence qui se développe pendant une telle crise « sacrificielle ». Sa description, datant de 1958, est en parfait accord avec la démonstration ultérieure de Girard, faite en 1972, d’une crise « mimétique » et du mécanisme menant à la désignation du bouc émissaire. Les erreurs commises à la fin du roman par les inspecteurs de police et par le psychiatre peuvent duper le lecteur. Celui-ci ne peut reconstruire la vérité qu’en dépistant les faits que l’auteur a savamment dissimulés dans le texte. Le motif du désarroi prolongé du personnage principal, qui fait suite à la disparition de plusieurs personnages, se retrouve dans d’autres romans de Hermans. En tout, les passages contenant ce motif occupent dans l’œuvre entière près de mille pages.

    CouvDormir2.jpgDans le quatrième chapitre, j’analyse en détail les processus mimétiques à l’œuvre dans le roman Nooit meer slapen (Ne plus jamais dormir, Gallimard, 2009). Le géologue Alfred Issendorf, jeune homme de 25 ans naïf et manquant d’expérience, se rend dans la région montagneuse du Nord de la Norvège pour se livrer à des recherches. Les résultats qu’il espère en rapporter doivent former la base de sa thèse de doctorat. Il est rejoint par Arne Jordal, Norvégien sportif et dominant, son cadet d’un an. Les constantes et les variantes sur le thème du double comportent d’abord une manipulation par laquelle Alfred entre en mimésis avec un premier modèle, déjà décédé. Le personnage principal est par ailleurs affligé, tout comme Osewoudt mais de façon moins prononcée, de caractéristiques victimaires. En outre, le motif de l’imposture est présent chez les puissants universitaires norvégiens et leurs acolytes, deux géophysiciens de caractère douteux, de même que le motif de la métamorphose reliée à des scènes où figure un miroir. Cette fois, ce n’est pas le personnage principal, de nouveau fort mimétique, qui meurt, mais le deuxième modèle, Arne. Tout comme La Chambre noire de Damoclès, ce roman se termine sur un échec.

    La mère d’Alfred a saboté jadis l’idéal d’Alfred qui voulait devenir flûtiste, elle l’a manipulé pour qu’il entre en mimésis avec son père, un botaniste décédé accidentellement à l’âge de vingt-sept ans alors qu’il allait être nommé professeur d’université. Cette femme aspire à prendre sa revanche sur le destin grâce à la réussite de son fils. La tâche qu’elle impose à ce dernier recèle un paradoxe : « fais comme ton père » (devenir professeur à l’université) et en même temps « ne fais pas comme ton père » (mourir jeune suite à une chute fatale). Cela implique également une rivalité avec un personnage mort jeune. Au cours de l’expédition norvégienne apparaît en outre une rivalité entre Alfred et les trois Norvégiens expérimentés qui connaissent déjà le terrain.

    Le second modèle, Arne, se transforme en obstacle, mais l’opposition d’Alfred échoue. Alfred, le double de son père, court surtout le risque de mourir comme lui d’une chute accidentelle. Cependant, la crise ne se développe pas en une crise mimétique totale et Alfred, victime de l’imposture, ne devient pas un véritable bouc émissaire. Il est avant tout la victime de la manipulation de sa mère et des erreurs qu’il commet lui-même, erreurs que l’auteur dissimule là encore soigneusement dans le texte. Je souligne la série des erreurs fatales commises par Alfred : il oublie de mesurer le géomagnétisme ; il ne comprend pas pourquoi sa boussole s’affole ; surtout, il ne reconnaît pas un vallon comme étant le cratère creusé par un météorite.

    Alfred ne transcende pas son mimétisme ; son projet de compléter les recherches d’Arne et d’écrire lui-même en norvégien la thèse que celui-ci aurait dû écrire, se heurte à un refus du professeur norvégien. À la fin, Alfred rentre aux Pays-Bas chez sa mère. Tout se résume pour lui à un échec total.

    CouvRenéGirard1.jpgDans le cinquième chapitre de ma thèse, je donne d’abord un aperçu des correspondances et des différences entre La Chambre noire de Damoclès et Ne plus jamais dormir. Ensuite je commente som- mairement d'autres romans de W.F. Hermans : Conserve (Conserve, 1947), De tranen der acacia’s (Les Larmes des acacias, 1949), Herinneringen van een engelbewaarder (Souvenirs d’un ange gardien, 1971), Onder professoren (Entre professeurs, 1975), Een heilige van de horlogerie (Un saint de l’horlogerie, 1987) et Au pair (1989). Les deux premiers contiennent déjà quelques motifs que l’on retrouvera par la suite, structurés à l’intérieur d’un processus mimétique ou d’un processus de rivalité. De ce fait, De tranen der acacia’s forme une ouverture aux textes ultérieurs.

    Dans les autres romans, on relève la présence de nouvelles variantes sur la même thématique, mais avec un affaiblissement notable, voire l’absence totale de la première phase du processus mimétique. Dans un cas, il s’agit de la manipulation du personnage principal par un ange gardien et par le diable, dès le début d’une crise mimétique, pour que le personnage en question se conforme par mimétisme à leurs recommandations et à leurs ordres. Dans un autre, on a affaire à un universitaire, lauréat du prix Nobel, qui pourrait fonctionner comme un bon modèle, mais qui, au lieu de cela, est expulsé par ses étudiants. Dans ses derniers romans, Hermans présente de plus en plus souvent des personnages, sujets (entre eux) à la rivalité mimétique. En outre, il retient plutôt un personnage dominant et de nouveau corrompu sans qu'il soit un modèle. Celui-ci donne cependant, comme d’autres de certains romans antérieurs, des ordres à un personnage naïf. La fin implique toujours un échec ou un effondrement total, sauf dans le dernier roman Au pair.

    Je propose ensuite une esquisse des thèmes et des motifs des récits et nouvelles suivants : Het behouden huis (La Maison préservée, 1951), « De blinde fotograaf » (Le Photographe aveugle), « De electriseermachine van Wimshurst » (La Machine électrostatique de Wimshurst), « Een wonderkind of een total loss » (Un enfant prodige ou une perte totale) et Naar Magnitogorsk (Vers Magnitogorsk). On y retrouve le thème du processus mimétique pendant une crise, la présence de quelques boucs émissaires, la rivalité mimétique causée par une médiation interne, mais de plus en plus souvent aussi des innocents, victimes de violence ou de trahison. La violence à grande échelle (la guerre, l’URSS) et à petite échelle (le cercle de la famille, une classe de l’école primaire) sont évoquées dans des descriptions qui prennent des proportions surréalistes. Ce qui formait un motif dans un roman, se retrouve parfois comme thème principal dans un récit. Seule une étude exhaustive de tous les romans et de tous les récits et nouvelles, à partir de la perspective girardienne, pourrait rendre compte de la totalité des variantes sur le thème fondamental évoqué ici. Je signale que le thème formé par la situation d’un personnage principal impliqué dans un processus de mimésis avec un jeune défunt apparaît également dans deux des derniers récits de W.F. Hermans, certes sous une forme atténuée et moins dramatique.

    ouvrage récent sur WFH

    CouvgroteWFHboek.jpgDans ma conclusion (chapitre 6), j’expose sommairement les deux méthodes résultant de ma recherche : elles permettent de déterminer si un texte contient ou non un processus mimétique et si deux personnages fonctionnent réellement comme des doubles.

    Au fond, Hermans a décrit trois formes de mimésis : un proces- sus de mimésis spontané, un processus de mimésis imposé au moyen de la terreur et enfin un processus de mimésis résultant d’une manipulation.

    Il s’est rendu compte de la parenté que présentent cer- tains textes qu’il a écrits alors qu’il était étudiant, soit pendant la Deuxième Guerre mondiale, avec des pièces de théâtre d’auteurs de l’après-guerre français, à savoir Jean-Paul Sartre, Samuel Beckett et Eugène Ionesco. Hermans a eu la sagesse de réécrire les textes en question. On constate que cette parenté consiste en une concordance évidente de la thématique formée par les processus mimétiques, la présence de doubles, la rivalité mimétique, l’imposture et la trahison, la violence opérant pendant des crises, les boucs émissaires et les victimes innocentes. Chaque auteur met bien entendu l’accent sur certains aspects en particulier.

    Je signale qu’un motif obsédant de l’œuvre de Hermans réside dans la peur ressentie par plusieurs personnages principaux – en passe d’être  victimes de malveillants qui ont le pouvoir – de n’être jamais que le numéro deux ou de ne former qu’un élément interchangeable et remplaçable à l’intérieur d’une série constituée par des éléments identiques. Dans ce contexte, il faut noter que le per- sonnage principal et âgé du récit Hundertwasser, honderdvijf en meer, relate comment, dans sa jeunesse, il avait voulu « devenir grand par ses propres forces, (…) être unique, neuf et le premier ». Ceci donne me semble-t-il une clé d’explication de l’attitude de Hermans à l’égard des milieux littéraires néerlandais. Pendant de longues années, il s’est senti méconnu. En outre, il a souvent dit que personne n’avait perçu ce qui formait l’essence de son œuvre. Dans Het grote medelijden (2002), il écrit qu’il n’a jamais flatté ses confrères, mais qu’il s’est toujours positionné comme un rival. Tout ceci n'a fait que renforcer sa solitude.

    Hermans a éclairé l’origine du fascisme sur le plan individuel et sur le plan social.  Ceci m’amène à faire une remarque critique à propos de la vision de Girard concernant la « spontanéité » de l’expulsion unanime pendant une crise des innocents comme des boucs émissaires. Le résultat de ma recherche montre au contraire que par la manipulation et par la terreur, exercées par ceux qui ont le pouvoir, les membres d’une communauté sont forcés d’expulser, voire de tuer ceux qui sont considérés comme responsables de la crise. Les personnes qui ont la force morale de s’y opposer, forment une minorité. Il est souhaitable qu’on mène une étude plus approfondie sur tous les facteurs menant au comportement mimétique pendant une crise.

    L’étude de la thématique des processus mimétiques, y compris la rivalité mimétique et le mécanisme victimaire,CouvRenéGirard2.jpg a permis de mieux révéler l’extrême complexité de la composition romanesque telle que la pratique Hermans. Sans la théorie et les concepts de Girard, il aurait été impossible de déceler ces aspects. Cela explique peut-être en partie pourquoi « l’idée directive » d’une grande partie de l’œuvre du romancier soit restée cachée aussi longtemps. J'espère que ma recherche aura rendu plus accessible cette thématique sous-jacente mais fonda- mentale de l’œuvre du plus grand auteur néerlandais du XXe siècle.

     

    Sonja Pos

     

     

    Grande francophile, Sonja Pos est l’auteur de recueils de poésie et de romans (entre autres Daglicht, De eigen tijd et Een paar woorden per dag) ainsi que de plusieurs traductions.

    La correspondance qu’elle a entretenue avec Willem Frederik Hermans avant la disparition de ce dernier en 1995 témoigne de l'intérêt qu'il portait à ses travaux.