Le livre bleu nuit
Un jour tout sera différent
format : 19 x 13,5 cm
Une histoire qui commence dès la couverture : « Bonjour, lecteur. Bonjour, toi. », calligramme (un chêne, arbre de vie et axis mundi) qui se poursuit sur 150 pages, dans une typographie bleu nuit sur fond blanc ou blanche sur fond bleu nuit. Par endroits une simple ligne, une brève phrase (« Tout en haut, au-dessus de tout ça, la lune : peu à peu, elle donne jour à l’obscurité »), en d’autres un texte qui se déroule à la manière d’un poème en prose ou qui prend l’apparence d’un conte philosophique, entre terre et ciel. Ainsi se présente Ooit zal alles anders zijn (Un jour tout sera différent), publié aux éditions De Eenhoorn en 2011, petit roman original à plus d’un titre, qui s’adresse à des lecteurs de 10 ans et bien plus.
Il s’agit du premier livre d’Alexander Wolfram, pseudonyme qui renvoie à un prénom d’origine germanique (entre autres celui d’un évangélisateur de la Frise, Wulfram de Sens) et fait bien entendu songer au minerai de tungstène dont on se sert par exemple pour faire les filaments de lampes à incandescence.
Tobe est un gamin qui, ne parvenant pas à dormir (« Dans sa tête, ça fait tout un boucan la nuit avec les bruits de la journée »), quitte la maison familiale et erre dans la rue. Bientôt, alors qu’il a perdu pour de bon son chemin, il s’arrête devant une fenêtre éclairée : l’homme qui habite là et avec lequel il va passer quelques heures dehors, en particulier dans un parc, perché en haut (enfin presque tout en haut) d’un chêne, l’intrigue et éveille la curiosité du lecteur : est-il un Tobe devenu grand ? est-il un double de l’auteur ? est-il une création du garçon, le père qu’il aurait aimé avoir ? Lui-même n’est-il pas une création de cet homme ? Avant que cet homme ne finisse, au bout de la nuit, par raccompagner le gamin chez lui, on progresse dans une histoire qui accorde une place tant à la dimension onirique qu’à des thèmes cosmogoniques et mythologiques (essentiellement celtes et germaniques) ; tandis que plusieurs narrateurs semblent par moments se confondre – Tobe existe-t-il où n’est-il qu’une créature sortie de l’imaginaire de l’homme que l’enfant a surpris, de l’autre côté de la fenêtre, en train d’écrire ? –, les deux protagonistes abordent avec légèreté et humour de grands sujets : Dieu et les dieux (le dieu du Tonnerre), le mythe d’Icare, les pères, la mort, la honte, l’angoisse (celle de Tobe mise en parallèle avec la peur que pouvaient éprouver nos lointains ancêtres face aux forces de la nature)… L’écriture facétieuse, qui privilégie jeux de mots et sonorités, associations d’idées, métaphores, onomatopées, qui marie très bien cohérence et rythme saccadé, permet d’aborder sans pathos des questions graves, d’effleurer le secret, les peurs qui habitent Tobe : même si l’essentiel reste dans l’évocation, on devine que cet enfant cherche à échapper à un environnement familial violent.
Aux antipodes des romans-fleuves « gothiques », Un jour tout sera différent offre quelques heures de silence et d’émerveillement. L’imagination, cueillie sur les branches du chêne, entrouvre une fenêtre sur l’espérance, sur le réconfort. Privilégiant le langage visuel, la mise en page bien pensée – l’auteur, par ailleurs metteur en scène et vidéaste, a mûri le tout pendant de nombreuses années –, qui, telle une forme de ponctuation, participe de la teneur du texte, fait de ce livre intemporel un objet à part et, dans sa sobriété, ajoute encore à la qualité de l’ensemble. Un ouvrage jeunesse non illustré dont forme et fond s’entrelacent en un magnifique équilibre.
D. Cunin
L’auteur parle (en néerlandais) de son livre