« À quoi sert la littérature ? »
Un discours de Hubert Nyssen (2007)
Vidéo de l’intégralité du discours
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Extrait
« […] Pas un livre qui, d’une certaine façon, ne soit un appel au désir donc à une forme d’insurrection. Espoir et désespoir, élans et chute, proférations et silences sont alors des manières de manifester la reconnaissance du désir comme un premier pas dans la conquête d’une liberté, celle d’être présent dans le grand concert des humains. Les écrivains qui sont honorés ici le savent, et je sais qu’ils le savent parce que je l’ai lu dans leurs livres.
Or une œuvre de littérature ne va jamais seule comme peuvent aller une sculpture, un dessin ou une sonate qu’il ne faut ni modifier ni travestir quand on change de territoire. La littérature, elle, est irriguée par la langue dont elle se sert. Volens nolens elle est fille de sa langue mère, elle est portée par cette langue qu’en même temps elle déploie et elle porte. Une langue qui la contraint et qu’elle contraint, qui l’entrave et qu’elle débride, qui la défie et qu’elle défie. Une langue si chargée d’histoire, de règles, de traditions et de souvenirs, qu’il n’est pas un livre qui, par les traces et sédiments de cette langue, ne traîne avec lui des réminiscences du passé, des fragments de la mémoire collective et l’un ou l’autre scintillement d’une culture ancienne. Toutes choses dont les nuances échapperaient à notre perception sans le concours essentiel de la traduction. Car si une œuvre littéraire est en soi une traduction de ce qu’elle entend représenter, elle ne peut offrir d’accès aux lecteurs d’une autre langue sans le concours de sa propre traduction. C’est l’une de ces évidences dont Paulhan disait avec humour qu’il est dans leur nature de passer inaperçues : sans la traduction, sans les traducteurs qui sont à leur manière des écrivains, la littérature resterait tribale.
Voilà peut-être d’abord à quoi elle sert, la littérature. Par l’intelligence et la force de ses représentations, par leur multiplicité, et avec le concours de ses traductions, elle sert à nous éclairer sur le monde en ses multiples états, à nous en révéler les hideurs et les splendeurs, les astres et les désastres, à nous faire comprendre sa logique et ses contradictions, à nous faire sentir sa cruauté et sa tendresse. Elle sert, la littérature, à nous permettre de nommer le monde en sa diversité, et elle nous autorise par la lecture, qui est elle-même une traduction, à l’enrichir de nos propres percepts avant de la transmettre à nos successeurs. »
Hubert Nyssen
Ce discours a été prononcé en septembre 2007 à l’occasion de la remise du titre
de docteur honoris causa de l’Université de Liège
à Nancy Huston, Paul Auster, Alberto Manguel et Bahiyyih Nakhjavani.
Les lettres néerlandaises aux éditions Actes Sud : ici
Hubert Nyssen, à livre ouvert (2009)
documentaire de Sylvie Deleule
Entretien avec H. Nyssen
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