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Traductions-Traducteurs - Page 22

  • Entre Psaumes et Lucifer

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    « C’est le plus fécond et un des meilleurs poètes de notre terroir, une pittoresque et originale figure, un homme de grand cœur et de caractère magnanime, qui vient de nous être ravi avec Emmanuel Hiel. »

    Georges Eekhoud

     

     

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     Les frères siamois : Peter Benoit & Em. Hiel

     

     

    Emanuel Hiel (1834-1899)

     

     

    Dans Les Écrivains francs-maçons de Belgique (1) – vaste sujet dans ce pays où un Ghelderode s’exclamait : « Ne prononcez pas mon nom, qui terrorise et les Maçons et les Jésuites et les bureaucrates théâtraux du “National” qui n’ose pas alléguer son nom vrai : chiotte, pissoir ou poubelle ! » (2)Paul Delsemme consacre une page au poète et traducteur Em(m)anuel Hiel, célèbre en son temps, aujourd’hui oublié et qui, bien qu’il se soit souvent abandonné « à l’emphase qui sonne creux, à la facilité qui se contente du premier jet », mériterait « que la postérité lui manifestât quelques égards ».

    E. Hiel (coll. AMVC-Letterenhuis)

    emanuel hiel,georges eekhoud,poésie,peter benoit,musique flamande,franc-maçonnerie,histoire littétraireIssu d’un milieu très modeste, ce flamingant emporté est parvenu à se mêler aux cercles intellectuels de sa contrée, se liant par exemple d’amitié avec le compositeur Peter Benoit. « Obligé, pour survivre, de pratiquer d’obscurs métiers, il se donna, à force de persévérance, la vaste culture qui lui permit de faire œuvre d’écrivain et de traduire en sa langue Goethe et Schiller, Heine et Uhland, Shakespeare et Shelley, Charles d’Orléans et Victor Hugo… Cette irrésistible ascension d’un homme du peuple tenait du conte de fées. Emmanuel Hiel entra vivant dans la légende, une légende que, à dire vrai, son passé exemplaire n’eût pas suffi à créer s’il n’avait été aussi un personnage haut en couleur, un orateur breughélien, un prophète d’estaminet. » À sa production de traducteur, il convient d’ajouter une transposition des Psaumes parue en 1870. Si ses œuvres complètes (6 volumes publiés dans les années 1930) n’attirent plus guère de lecteurs, son nom reste attaché à trois oratorios mis en musique par Peter Benoit : Lucifer, Prometheus, De Schelde. À propos de Lucifer, Charles De Coster, s’enthousiasmait tout en regrettant que ce Lucifer-là ne correspondît point à sa propre conception maçonnique : « Le poème de M. Emmanuel Hiel est écrit dans ce grand style lyrique flamand dont l’harmonie, la sonorité, l’ampleur du rythme, peuvent rivaliser avec ce que l’Allemagne a produit de plus beau sous ce rapport. […] A-t-il oublié que l’homme, avec ses qualités primordiales de virilité, de combinaison, de libre arbitre, d’orgueil même, de curiosité, d’avidité de savoir, de lutte contre le pouvoir qui s’impose et les éléments qu’il veut dompter ; oublie-t-il que cet homme n’est que le symbole vivant de la splendide figure de Lucifer, nommé l’esprit du mal, parce qu’il ne se soumit pas en aveugle, Lucifer qui représente si bien la résistance odieuse aux despotes, Lucifer, l’ange découronné, l’éternel Vaincu, l’infatigable lutteur debout et fier malgré ses blessures, et qui doit finir par triompher du mensonge et de l’hypocrisie agitant en vain leurs antiques épouvantails. » C’est qu’à l’époque, Em. Hiel n’était pas encore Frère : « Initié aux ‘‘Amis Philanthropes’’ en 1868, il fut un bon Maçon. Il écrivit la cantate qui fut chantée, sur une musique du Frère Gustave Huberti, lors de la consécration du temple des ‘‘Amis du Commerce et de la Persévérance réunis’’ à l’Orient d’Anvers, en 1883. Nestor Cuvelliez signale qu’il apporta pareille collaboration à la loge montoise ‘‘La Parfaite Union’’, en 1890. »

    emanuel hiel,georges eekhoud,poésie,peter benoit,musique flamande,franc-maçonnerie,histoire littétraireGrand champion de la Flandre, Emanuel Hiel a tout de même collaboré à plusieurs périodiques francophones, par exemple L’Art universel ; L’Art libre a de son côté publié certains de ses vers en langue néerlandaise. Des écrivains d’expression française ont pu lui dédier un poème (Henri Liesse) ou le prendre à partie dans leurs vers (poème anonyme ci-contre).

    Défenseur du petit peuple, progressiste inconditionnel, Hiel affichait en même temps, à l’instar d’ailleurs de nombre de ses amis (3), un nationalisme sans faille. Les lignes qui suivent, publiées dans la Revue trimestrielle (1864, n° 3), témoignent des grands axes de sa pensée : « Il est un fait digne de l’attention du philosophe, de l’historien, c’est que partout où le peuple a le sentiment, la conscience de son existence physique et morale, soit qu’il ait la liberté, soit qu’il la désire, partout aussi il lutte pour la réhabilitation, le maintien et le développe­ment de sa langue.

    « Les lois de la philologie, conçues de nos jours dans un sens plus universel, avec un amour plus profond et plus vrai de la vie réelle, démontrent clairement que toutes les langues ont le même droit, que pas une seule ne peut et ne doit être dédaignée. En attaquant la langue d’un peuple, on attaque ce peuple dans sa vie intime, on lui déclare une guerre injuste et cruelle, qui a souvent des conséquences plus terribles que des guerres à coups de canon. C’est, qu’en effet, la langue d’un peuple est la construction esthétique de son esprit, la révélation géné­rique de son génie, l’affirmation de son existence, la sauvegarde la plus sûre, la plus fidèle de son indépendance, de ses droits, de sa liberté, et disons même de la moralité et de la famille.

    « Dès qu’un peuple abdique sa langue, il renie son passé, s’efface dans le présent et s’annihile pour l’avenir. Les despotes et les conquérants ont toujours compris qu’un peuple peut réparer une bataille perdue, sortir triomphant d’une lutte à main armée, mais qu’il se courbe à jamais, qu’il abdique et oublie sa personnalité quand il succombe à l’envahissement d’une langue étran­gère.

    « […] Le pays que l’homme aime par-dessus tout, c’est la patrie. La langue qu’il doit aimer par-dessus tout, c’est sa langue maternelle. Elle seule a été la mère, la nourrice de son esprit, et elle sera tou­jours l’unique lien spirituel qui l’attache à ses parents, à ses concitoyens, à sa patrie.

    L'Art universel, 01/05/1874

    emanuel hiel,georges eekhoud,poésie,peter benoit,musique flamande,franc-maçonnerie,histoire littétraire« […] Vint le mouvement flamand qui créa un grand nombre de journaux, de revues littéraires et scientifiques, et d’autres écrits périodiques. Des auteurs jeunes et pleins d’enthousiasme apparurent de tous côtés. L’histoire, la poésie, le théâtre, le roman, tous les genres qui composent une littérature complète trouvèrent des représen­tants. Sciences, arts, philosophie, religion, tout fut traité dans la langue maternelle, avec plus ou moins de succès. Et la Belgique, qui, depuis deux siècles, n’avait été citée nulle part pour ses belles-lettres, vit refleurir sur son sol une littérature féconde et puissante, sut conquérir l’admiration de l’Allemagne savante et produisit plusieurs œuvres traduites dans presque toutes les langues de l’Eu­rope. Le mouvement flamand exhuma aussi nos vieux auteurs : Van Maerlant, Jan van Heelu, Jan van Rusbroec, Zevecote, Anna Byns, etc. ; il nous rendit notre Reinaert de Vos et tant d’autres trésors légués par nos pères ; il attira notre attention sur la Goedroensage et les Nibe­lungen, ces grandes épopées nationales d’autrefois. Il nous fit fraterniser de nouveau avec la Hollande, nous en rapporta notre bon Cats, nous fit goûter les beautés imm­ortelles de Hooft, Vondel, Coornhert, Huygens et Spiegel, nous familiarisa avec les modernes : Bilderdijk, Bellamy, Helmers, Feith, Vander Palm, Tollens, da Costa et tant d’autres. En France même, ce mouvement eut de l’écho. Un comité flamand se fonda à Dunkerque et MM. de Coussemaker, de Baecker, l’abbé Carnel et beaucoup d’autres s’y occupent sérieusement de la culture et de l’enseignement de la langue néerlandaise dans la par­tie flamingante de la Flandre française. En 1850, le mouvement flamand réveilla le mouvement littéraire des bas-Allemands. Des poëtes éminents, comme Claus Groth, Fooken, Hoissen Müller, chantèrent dans la langue du peuple. Des savants remarquables, comme Raabe, Kosegarten, Köne, Woeste, Burgwardt, défendirent la langue maternelle par leurs travaux linguistiques et leurs ouvrages élémentaires et populaires. Le mouvement fla­mand fut donc cause que vingt et un millions de Flamands, Hollandais et bas-Allemands parlent encore cette bonne vieille langue, dont Jean Ier, duc de Brabant, et Jacques van Artevelde avaient voulu former le lien politique entre toutes les nations de la race thioise. Oui, cette bonne vieille langue de la Hanse est encore une des trois langues maritimes, elle se parle encore sur les côtes de la mer du Nord à la Baltique, au nord de la Flandre française, dans une grande partie de la Belgique, dans toute la Hollande, dans le Bas-Rhin, sur l’Elbe, sur l’Oder et jusqu’en Livonie. »

    G. Eekhoud

    emanuel hiel,georges eekhoud,poésie,peter benoit,musique flamande,franc-maçonnerie,histoire littétraireGeorges Eekhoud a rendu un hommage à Em. Hiel, cette figure marquante de la seconde moitié du XIXe siècle flamand, hommage en partie repris dans la nécrologie reproduite ci-dessous, tirée d’un journal d’Ostende. (4)

     

    (1) Bruxelles, Bibliothèques de l’Université libre de Bruxelles, 2004 (p. 459-460).

    (2) Lettre du 2 décembre 1960 au poète français Emmanuel Looten, citée par Roland Beyen, « Michel de Ghelderode entre deux chaises », Romaneske, n° 2, juin 2008.

    (3) Peter Benoit, « possédé du démon du Nationalisme », selon un critique, écrit par exemple : « Sans l’idée absolue de la nationalité, le monde ne doit s’attendre qu’à une dissolution lente et implacable. » (« Réflexion sur l’art national », L’Art universel, 15 juin 1873, p. 85. Dans cet essai, le compositeur cite les propos de son ami publiés en 1864 et que nous reprenons).

    emanuel hiel,georges eekhoud,poésie,peter benoit,musique flamande,franc-maçonnerie,histoire littétraire(4) L’érudit Léonard Willems a lui aussi consacré des pages en français au défunt : « Emmanuel Hiel », Revue de Belgique, 15 novembre 1899, p. 193-206. Une étude récente revient sur la place que Hiel a occupée en politique, dans la franc-maçonnerie et au sein du flamingantisme : Dempsig Alistair, Emanuel Hiel. Essay over de emancipatie van de Vlamingen te Brussel (Emanuel Hiel. Essai sur l’émancipation des Flamands de Bruxelles), préface de Lydia De Veen-De Pauw, Willemsfonds Schaarbeek-Evere/Liberaal Archief, Bruxelles/Gand, 2011. Elle complète l’ouvrage de référence sur le poète : Emiel Willikens, Emanuel Hiel (1834-1899), dichter en flamingant tussen Dender en Zenne, Willemsfonds Brussels Hoofdstedelijk Gewest, 1984. La même année, une exposition (accompagnée d’un catalogue : Emanuel Hiel 1834-1899: tentoonstelling 13 tot 23 oktober 1984 [in het] stadhuis) lui était consacrée à l’hôtel de ville de Dendermonde.  Relevons encore, à propos de Hiel, que son rôle s’est étendu jusqu’en Allemagne : il y a attiré l’attention de cercles lettrés et éditoriaux sur les lettres néerlandaises, en particulier sur le mouvement littéraire flamand (voir article de 1874 ci-dessus).

     


    De Schelde (L'Escaut, 1867), oratorio de Peter Benoit sur un texte d'E. Hiel

     

     

    Emmanuel Hiel

     

    La mort du poète flamand Emmanuel Hiel creuse un vide dans les rangs déjà clairsemés des littérateurs flamands ou, plutôt, néerlandais de Belgique.

    Emmanuel Hiel était en effet le prototype de la littérature contemporaine flamande du pays.

    Chef du flamingantisme, Emmanuel Hiel en était l'irréductible apôtre et, à toutes occasions, avec la véhémence et la conviction sincère qui étaient chez lui les qualités d'une foi profonde, il exposait et développait les théories de ce parti, de «son» parti, dont la principale faiblesse réside dans l'exagération irraisonnée et voulue de ces théories mêmes.

    Né à St Gilles-lez-Termonde le 30mai 1834, Emmanuel Hiel fut d’abord employé puis contremaître et enfin directeur d’une filature. Il abandonna cette situation pour entrer à l’octroi, puis au ministère de l’Intérieur.

    Emanuel Hiel - Photo.pngEn 1867, il entra au conservatoire royal de Bruxelles en qualité de professeur de déclamation flamande et deux ans après, en 1869, il était nommé bibliothécaire au Musée Royal de l’Industrie, puis à l’École Industrielle de la ville.

    Dans un magistral article qu’il publie dans La Réforme de Bruxelles le prestigieux artiste Georges Eekhoud ajoute : « Lors de la création de l’académie flamande à Gand il fut un des premiers appelés ''dans son sein''. J’ajouterai qu’il était chevalier de l’ordre de Léopold.

    Voilà pour sa carrière d’homme public, sa vie officielle. Mais il mena une vie bien autrement mouvementée et intensive que ne le feraient croire ces quelques points de repère biographiques.

    Tout jeune il s’était déjà mis à rimer. En 1855, donc à vingt et un ans, il compose sous le pseudonyme de G. Hendrikzone une pièce de vers en l’honneur d’un brave ouvrier de la filature dans laquelle il était employé à l’occasion de la décoration que le gouvernement venait d’octroyer à ce travailleur, après vingt années de probe labeur. Le jeune poète lut lui-même son œuvre au vénérable jubilaire et l’embrassa ensuite avec effusion, aux applaudissements de tous leurs camarades d’atelier.

    L’année suivante il publia sa première ode flamingante pour affirmer les droits méconnus de sa race ; ode énergique et virulente qui devait être suivie de tant d’autres !

    Ces deux œuvres de début caractérisent toute l’œuvre d’Emmanuel Hiel : il fut un poète essentiellement flamand et populaire ; il lutta pour les parias politiques comme pour les parias sociaux.

    À partir de ce moment il publia poème sur poème. Le 21 avril 1862 le bourgmestre de Termonde prit l’initiative, en plein Conseil communal, d’une souscription afin de permettre au poète peu fortuné de publier un premier volume de vers illustré par Jan Verhas, le peintre, son concitoyen. Ce livre parut à Bruxelles en 1863.

    P. Benoit par J. van Beers jr

    emanuel hiel,georges eekhoud,poésie,peter benoit,musique flamande,franc-maçonnerie,histoire littétraireQuelques mois après, Emmanuel Hiel composa le poème d'une cantate, De Wind (le Vent) qui fut couronné et dont M. J. Van den Eeden fit la musique.

    Entretemps il s’était mis aussi à écrire pour la scène. Hedwige, son premier essai dans ce genre, est une comédie imitée de l'allemand.

    Le succès du Wind fit rechercher sa collaboration par les musiciens. En 1865, il fournit des poésies à Émile Mathieu et à Peter Benoit.

    Il devait surtout servir admirablement le génie de celui-ci. Ainsi, en 1866, il écrivit ce fameux Lucifer sur lequel Peter Benoit édifia un de ses oratorios immortels dans le Panthéon flamand. Puis ce fut le Schelde, un autre magnifique oratorio, et Isa, un drame lyrique, auquel collabora Benoit pour la partie musicale. »

    C’est, résumée, toute la vie de ce beau poète. La place nous fait défaut pour analyser son œuvre magistrale suffisamment connue d'ailleurs.

    Abattu depuis deux mois surtout par une maladie d’estomac et par un affaiblissement nerveux qui minaient sa robuste constitution, Emmanuel Hiel s’est éteint doucement dans les bras de son fils Wilhem, après une agonie de plusieurs heures durant laquelle il n’a pas paru souffrir. Il avait reçu le jour même la visite de son ami Peter Benoit le grand musicien flamand auquel il avait dit ses suprêmes paroles «Ik ben niet wel ! » (Je ne suis pas bien).

    Et sans doute cette dernière rencontre des deux artistes de même race et de même envergure dans des domaines différents, a-t-elleadouci pour le moribond les minutes dernières d’une vie qu’il avait de toute son âme et de tout son cœur consacrée à l’art flandrien.

     

    Émile De Linge, Le Carillon, 29 août 1899

     

     

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    Revue encyclopédique, 1899, p. 821

     

     

    De man die Hiel wou zijn

    hommage humoristique au poète, devant et dans sa maison

     

     

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    Ik droomde (Je rêvais), poème de Hiel

    traduit par Louis Jorez, musique de Peter Benoit

    Illustration : Paul Lauters

      

     

     

  • Belladonna

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    Scènes de la vie de Province

    un roman de Hugo Claus


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    « Dans une traduction ébouriffante d’Alain van Crugten, qui a encore perfectionné la virtuosité qu’il avait démontrée dans sa version du Chagrin des Belges. Un grand coup de chapeau à ce passeur surdoué : c’est que Belladonna pose au moins autant de problèmes que le magnum opus de son auteur, par son invention verbale et son subtil réseau d’allusions. Mais apparemment, Van Crugten se joue de ces défis : ils sont autant de stimulants à son intarissable inventivité. Mertens, lorsqu’il paraîtra en néerlandais, ne demeurera pas en reste : Ernst van Altena, le meilleur traducteur des Pays-Bas, l’homme que Brel considérait comme son frère en poésie, s’est déjà lancé dans sa version d’Une paix royale.

    Belladonna est, avant tout, un immense éclat de rire, une plaisanterie qui, pour être longue, n’en est pas moins la meilleure de son auteur. On savait que Claus avait l’humour carnassier, mais il ne l’exerça jamais avec autant d’exubérance qu’ici. Belladonna est le pendant sarcastique d’un livre précédent, Une douce destruction, qui, dans sa description du milieu culturel flamand, n’avait pas réussi pleinement à trouver son ton. Ici, Claus met en plein dans le mille de bout en bout. » (Jacques De Decker, « Le roman du bas-art », Le Soir, 20/09/1995)

     

     

    Quatrième de couverture

     

    Parce qu’il aime vraiment les arts, Hugo Claus n’est pas tendre avec ceux qui font semblant : les snobs, les hypocrites, les imposteurs, les fonctionnaires de l’art, profiteurs du « patrimoine », chasseurs de subventions en tout genre, et tous les autres acteurs de cette comédie de notre temps qu’est la comédie culturelle.

    Hugo Claus, Belladonna, roman, Alain van Crugten, édition de falloisBelladonna réunit quelques- uns de ces acteurs. Pour obtenir l’appui du Ministère, quelle meilleure idée que de consacrer un film à une gloire nationale ? Ce sera donc ici, puisque nous sommes en Flandre, la vie de Peter Breughel l’Ancien, peintre célèbre du XVIe siècle, grand parmi les grands, et flamand de la tête aux pieds.

    C’est l’occasion pour Hugo Claus de nous faire entrer dans les coulisses – pour ne pas dire la cuisine – du cinéma, un petit monde qu’il connaît bien. Avec un rire vengeur et ravageur il cingle tous ces fantoches, acteurs, metteurs en scène, politiciens ignares, roublards et bavards, financiers sans argent, scénaristes sans idées, critiques sans talent, dignes émules des bossus et des aveugles qui traversent les toiles de Breughel.


    Interview de l'écrivain flamand Hugo CLAUS qui avec humour, tente de définir son activité artistique très variée


     

    Avant-propos de Louis Parrain

     

    « Considéré comme le plus grand écrivain actuel de langue néerlandaise, Hugo Claus n’en est pas moins l’ ‘‘enfant terrible’’ des lettres flamandes. Né en 1929 à Bruges d’un père imprimeur, Hugo Claus passa les dix premières années de sa vie chez les bonnes sœurs (épisode dont on trouve la trace dans son roman le plus connu, Le Chagrin des Belges), et ne rentra dans ses foyers qu’à l’âge de onze ans pour s’en échapper quatre ans plus tard : ‘‘Je suis parti avec une amie de ma mère. À l’époque, je me faisais entretenir par des dames riches.’’ Puis, lassé du rôle de gigolo, il se fit embaucher dans les sucreries de Chevrière, pour la récolte des betteraves : ‘‘Alors, j’ai eu une étrange lueur, comme une vocation. Je ne travaillerais plus, je ne recevrais plus d’ordres. Je préférerais devenir la dernière des loques humaines plutôt que de travailler.’’ Il alla à Paris, fit partie du groupe d’art expérimental Cobra (Copenhague-Bruxelles-Amsterdam) avec Pierre Alechinsky et Karel Appel, et écrivit en trois semaines La Chasse aux canards. Sur manuscrit, le roman reçut le prix Léon Kryn, le Goncourt belge. Et c’est le début d’activités prodigieuses. Traducteur, scénariste, poète, metteur en scène de théâtre et de cinéma, Hugo Claus a choisi de s’installer dans le Vaucluse, naviguant entre Anvers et son refuge, passant six mois tantôt ici, tantôt là, et se définissant comme un ‘‘retraité immigré’’ : hugo claus,belladonna,roman,alain van crugten,édition de fallois‘‘L’important, c’est de ne pas vivre en Belgique, car j’y suis trop près de ma nature flamande : une combinaison de goinfrerie et de mysticisme. Et puis, c’est un pays trop étriqué. La religion catholique envahit tout.’’

    Esprit non conformiste, nourri de Chateaubriand, de Cingria, d’Albert Cohen et de Valéry, Hugo Claus cultive l’ambiguïté : celle d’être tout à la fois un mandarin et un autodidacte amoureux de la France et qui se moque de la propension hexagonale à l’exégèse et à la grandiloquence – ‘‘Comme si Chateaubriand avait vaincu Stendhal’’ – ; un auteur préoccupé de recherches formelles et un écrivain engagé, qui croit cependant que la seule attitude politique possible est l’anarchisme total ; un nomade (il a vécu à Amsterdam, en Italie, à Hong-Kong) et un chroniqueur de la Belgique, qu’il décrit comme une province exotique, avec son état d’esprit ‘‘mesquino-flamand’’, ses guerres picrocholines, ses sociétés secrètes.

    Scènes de la vie de province, Belladonna, en dépit de l’hommage flaubertien, est une fresque ubuesque, où Les Âmes mortes de Gogol sont convoquées au détour d’une page pour présider à ce banquet où l’argent, la stupidité et le sexe dansent leur sarabande de mort autour du fantôme de Breughel l’Ancien. Née de l’expérience cinématographique que fit Hugo Claus en 1982 avec le tournage de son film Le Lion des Flandres, film historique sur la bataille des Éperons d’or en 1302 (l’armée française y fut vaincue par les Flamands), Belladonna conte l’élaboration d’un film sur Breughel l’Ancien, commandé par une commission culturelle.

    Hugo Claus, jeune

    hugo claus,belladonna,roman,alain van crugten,édition de falloisÉcrit par un poète devenu conservateur d’un petit musée d’art contemporain, le scénario est revu par un touche-à-tout, puis proposé pour remaniement à des Anglais, avant d’être remis entre les mains d’un écrivain populiste qui se veut au-dessus de la mêlée, mais meurt de dépit de n’avoir pas obtenu le prix Michelin de la ville de Termonde. Ajoutons à cela un acteur parasite, une nymphomane, un ministre sous Valium, un producteur omniscient, quelques ratés, une foule de cabotins, et nous avons un tableau à la James Ensor où Axel Le Sourt, le poète obèse, promène sur des masques grimaçants son regard désenchanté. La belladone, plante vénéneuse a baies noires, est aussi un liquide que les belles dames se mettent dans les yeux pour mieux voir, au risque d’en être aveuglées : ‘‘Je ne me réjouis, disait Céline, que dans le grotesque aux confins de la Mort. Tout le reste est vain.’’ »

     

     

  • La Femme à la clé

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    Nouveaux romans de Vonne van der Meer

     

     

    Après Les Invités de l’île (intitulé La Maison dans les dunes avant sa parution en 10/18), Le Bateau du soir et Le Voyage vers l’enfant, les éditions Héloïse d’Ormesson ont publié un nouveau roman de Vonne van der Meer. La Femme à la clé (traduction : Isabelle Rosselin) a reçu un accueil chaleureux.

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    « Après la mort soudaine de son mari, sans expérience professionnelle aucune, ni ressources, Nettie, 59 ans, se trouva bien dépourvue... Femme au foyer, elle devait maintenant trouver un emploi, et vite ! Aussi, elle publia une annonce afin de proposer ses services de lectrice, variante des anciens Mitschlafer : ‘‘Femme, 59 ans, d'apparence maternelle, hanches larges, voix agréable, vient vous border et vous faire la lecture avant que vous vous endormiez. Discrétion assurée. Intentions sexuelles totalement exclues’’. Nettie reçoit immédiatement des propositions et le lecteur accompagne cette lectrice novice à la rencontre d'une palette hétéroclite, enfants, adultes, femmes, hommes, de personnages qu'elle aidera à s'endormir, certes, mais aussi à qui elle redonnera goût à la vie. Ils lui confieront la clé de leur intimité et elle saura en faire bon usage au même titre que sa propre clé ! Et comme cela passe par la lecture, que demander de plus, le bonheur quoi ! Un voyage empreint de douceur, de tendresse et d'humanité. » (source : ici)

     

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    Vonne van der Meer, quatrième de Het smalle pad van de liefde

    (photo : Annaleen Louwes)


    « Tout commence avec une petite annonce passée dans le journal : ‘‘Femme, 59 ans, d’apparence maternelle, hanches larges, voix agréable, vient vous border et vous faire la lecture avant que vous vous endormiez. Discrétion assurée. Intentions sexuelles totalement exclues.’’

    C’est ainsi que Nettie, jeune veuve décide de prendre son avenir à bras le corps pour sortir de la douce neurasthénie qui s’installe dans son existence. Devenir lectrice, donner de la voix et aller à la rencontre des gens pour leur offrir une évasion immobile et une fenêtre sur le monde. Voilà une aventure courageuse pour celle qui va peu à peu pénétrer l’intimité de ses clients, et qui à travers la lecture va installer avec eux, des relations beaucoup moins linéaires que la posture de départ ne le laisserait penser.

    Le roman de Vonne van der Meer est d’une grande finesse dans sa manière d’aborder une histoire qui se veut ‘‘sans engagement’’. Tout comme Nettie qui pense au départ que cette aventure légère lui permettra de papillonner de livres en livres et de clients en clients, sans avoir à s’attacher ni aux uns ni aux autres, le lecteur se retrouve happé vonne van der meer,littérature,traduction,héloïse d'ormesson,pays-bas,isabelle rosselinpar les différentes strates de lecture que ce roman dévoile. Une subtile mise en abyme qui nous suspend au fil des différentes voix narratives.

    On suit avec intérêt l’évolution de Nettie et de sa reconstruction progressive au contact des souffrances des autres ; on se passionne pour chaque nouvelle, extrait de roman ou incipit, qu’elle lit à haute voix (celle du senior qui veut séduire une femme plus jeune le temps d’un dîner au restaurant et qui tourne au cauchemar est une vraie perle !) ; on s’attache à découvrir les non-dits et les secrets de famille de ses clients qui ouvrent eux aussi les pages de leur intimité et de leurs émotions au fil des rendez-vous. Un roman de femme pourrait-on dire, par la sensibilité complexe, à voix multiples, qui s’en dégage et les différentes approches que l’on peut faire de la lecture du roman et des lectures dans le roman.

    La traductrice Isabelle Rosselin n’est pas étrangère au plaisir de lecture du roman écrit en néerlandais par Vonne van der Meer. Elle donne la bonne musique des mots, et traduit parfaitement l’intimité des huis clos qui se jouent entre la lectrice et ses auditeurs, comme ce fut déjà le cas dans sa traduction notamment du Retour d’Anna Enquist. 

    Ce roman à tiroirs est aussi une belle manière de rappeler que la lecture à haute voix n’est pas un plaisir réservé à l’enfance. À la fois pudique et généreux, c’est un partage qui peut ouvrir bien des voix/voies…

    Un gros coup de cœur de cette rentrée littéraire dans le domaine littérature étrangère ! » (source : ici)

     

    CouvSmallePas-Vonne.jpgPeu après la parution de La Femme à la clé en France, les lecteurs néerlandophones ont pu découvrir le dernier roman de Vonne van der Meer : Het smalle pad van de liefde (Le sentier étroit de l’amour). Ou comment une femme renonce à l’homme dont elle s’éprend afin de sauver son mariage, sa famille, comment elle surmonte jalousie et ressentiments à travers la découverte d’autres désirs que ceux qui nous submergent dans la passion amoureuse. Une histoire pleine de tact qui se déroule entre Pays-Bas et Auvergne.



    Vonne van der Meer à propos de son dernier roman

    (l'entretien dans son intégralité : ici)



  • Paternité manquée

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    Brouwers50ans.pngAlors qu'on s'apprête à célébrer, aux Pays-Bas, les cinquante années d'écriture de Jeroen Brouwers à l'occasion de la parution de son nouveau roman Het hout (2014), Jours blancs (Galli- mard, 2013) a retenu l'attention de quelques critiques. Ainsi, Yaël Hirsch écrit-elle : « Avec une ironie mordante, Jeroen Brouwers dresse le portrait d’un monstre tranquille, retiré dans les sphères d’un égoïsme banal et plongé dans une solitude vague et pleine de ressentiment diffus. C’est à travers ce prisme, aussi mesquin que lettré, que le lecteur assiste, impuissant, à une rencontre qui ne se fait pas, faute de sentiments possibles. Mais qui dit absence  de cœur ne dit pas absence d’images. Jours blancs est un livre dur, superbement écrit et terriblement juste. »  (« Jeroen Brouwers décrit les affres de la paternité elliptique », toutelaculture.com). Quant à Tiphaine Samoyault, elle a donné l'article suivant à la Quizaine littéraire n° 1085 :


    Paternité manquée

    CouvBrouwers2013.pngTroisième livre de Jeroen Brouwers traduit en français (après Rouge décanté et L’Éden englouti) au sein d’une œuvre qui compte en néerlandais plus de cinquante titres, Jours blancs a été provoqué par un événement violent de la vie de son auteur : la mort de son fils aîné, à l’âge de quarante ans. Il en tire un récit puissant et heurté sur les relations impossibles ou ratées.


     

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    Rougé décanté, présenté par Olivier Barrot


  • Refus de paternité

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    Jours blancs de Jeroen Brouwers

     

     

     

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    J. Brouwers, Jours blancs, trad., D. Cunin, Gallimard, 2013.

     

     

     

    « Jeroen Brouwers s’était attelé à un nouveau roman quand, à la suite de la mort prématurée de son fils aîné, un autre livre s’imposa à lui. En l’espace de quelques mois – une durée étonnamment courte pour lui –, il écrivit Datumloze dagen (Jours blancs), publié en 2007.

    « Le protagoniste de ce long monologue est un homme âgé qui vit dans un bois isolé. Remords, regret, mélancolie et honte, tels sont les sentiments qui prédominent dans ces pages. Le roman traite des rapports troublés entre un père et son fils ; sous une apparente négligence, l’auteur déploie une telle maîtrise du style que le livre marque profondément le lecteur au risque de trop l’affecter. Le narrateur revient sur l’échec de sa paternité à propos de ce fils qu’il a à peine connu. Si pour ce qui est des faits rapportés, il ne ressemble en rien à l’écrivain, il partage en revanche nombre de ses traits de caractère.

    jeroen brouwers, littérature, pays-bas, hollande, traduction, gallimard« Stylistiquement, le roman se situe dans le prolongement de Geheime kamers. La critique a cette fois encore relevé le style étonnement leste et léger. Une qualité du Brouwers de la maturité, qui, sous une nonchalance trompeuse, privilégie une composition ingénieuse truffée de références aux mythes classiques et à des thèmes explorés dans des œuvres antérieures. On peut aussi dégager des parallèles avec des romans précédents, à commencer par le premier d’entre eux, Joris Ockeloen en het wachten (Joris Ockeloen et l’attente, 1967), également centré sur les rapports père/fils. De même, dans Datumloze dagen, tout est en rapport avec tout. Dès la deuxième page, il est question ‘‘d’un soleil qui prend congé en caressant tout une dernière fois, en projetant une ombre’’. »

     

    JohanVandenbroucke, « Le mémorial de papier de Jeroen Brouwers », Septentrion, n° 1, 2012.

      

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    EXTRAIT

    (le narrateur se remémore le jour où sa première épouse lui a annoncé qu’elle était enceinte)

      

    Les femmes, leur parler, c’est peine perdue. Les femmes, dès que l’utérus les démange, c’est peine perdue que de chercher à s’accorder sur quoi que ce soit avec elles. L’horloge biologique ? Mieux vaudrait parler de bombe à retardement. Les femmes ne respectent aucun engagement ni aucune promesse dès qu’elles ressentent un petit courant d’air dans le bas-ventre ; elles obéissent alors aveuglément à leur instinct de bête en chaleur qui leur commande d’être emplies.

    Nous, on s’aime ? me suis-je écrié. Je ne crois plus pouvoir être aussi catégorique que toi. Toi, tu ne m’aimes en aucune façon puisque tu assouvis tes désirs sans tenir compte de moi. Raison pour laquelle je ne t’aime plus.

    Le don des larmes. Deuxième aiguillon le plus perfide de la rouerie féminine. Je l’entendis renifler – du coin de l’œil, je la vis se tamponner yeux et joues avec l’embryon de layette.

    Elle : Mais toi aussi, tu assouvis tes désirs en refusant d’avoir un bébé ?

    Je suis bien trop crétin pour les femmes. Ça me démangeait et me désespérait.

    Ce sujet, nous l’avons déjà épuisé je ne sais combien de fois. Voilà ce que je lui ai rappelé. Attendons d’abord d’être des adultes. En tout cas que j’aie terminé mes études. D’autre part : qui est encore assez fou, en cette époque abominable, pour mettre au monde un enfant dans ce monde abominable – n’est-ce pas là commettre un crime et se rendre coupable, par anticipation, de maltraitance d’enfant ?

    Pousser le bouchon un peu trop loin quand le moment s’y prête, ce n’est pas défendu.

    Sans compter qu’un petit poupon, ça ne reste pas indéfiniment le joli gentil petit toutou à sa maman qui se trémousse à quatre pattes sur la moquette. Ça grandit, ça vous cause du souci jour et nuit, et dès l’âge de dix ou douze ans, ça pousse des coups de gueule. Le quart de siècle suivant, vous arrivez encore moins à vous en défaire, ça vous tient pieds et poings liés alors que, parallèlement, votre vie se dissipe comme la cendre d’une cigarette. Vous croisez les doigts pour que le petit ne tombe ni dans l’héroïne, ni dans l’eau bénite, ni dans la prostitution… Et vous n’y couperez pas, le jour viendra où il vous lancera à la figure, comme un glaviot : J’ai pas demandé à naître ! Moi, je me vois lui répondre du tac au tac, sur un ton chaleureux : L’heureux hasard ! Ne vas surtout pas m’imputer ta naissance. Je n’avais aucun scrupule à ce que ta mère avorte !


     

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