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  • Ruysbroeck l'Admirable / Ruusbroec de Wonderbare

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    Claude-Henri Rocquet

    et les amitiés harmoniques

     

     

    Après avoir présenté la réédition du Ruysbroeck l’Admirable de Claude-Henri Rocquet et évoqué ce qui rattache cet écrivain français aux Flandres, le blogue flandres-hollande accueille une critique de ce même ouvrage, signée Pierre Monastier.

    (version PDF)

     

     

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    L’œuvre de Claude-Henri Rocquet est un monde à part entière : ses paysages sont autant de lectures contemplatives et amoureuses ; la fertilité de sa plume puise aux richesses de l’art, la vision de son style s’étend dans un ample horizon spirituel. Il est des promeneurs connus en ce pays, que nous croisons comme une trame invisible au fil des livres publiés par l’écrivain : au détour d’une phrase, parfois en une simple incise digressive, surgissent le vieux maître Lanza del Vasto, Bruegel, Jérôme Bosch, François d’Assise, Ruysbroeck, Norge… silhouettes amicales qui traversent la destinée d’un homme dont l’œuvre est un prolongement indissociable. Nous sommes sans cesse dans une harmonique impressionnante d’artistes convoqués par un ami fidèle.

    *

    *          *

    Né en 1933 dans le nord de la France, Claude Henri-Rocquet traduit en quelques vers ses origines, dans lesquels il dévoile subrepticement les grandes lignes de son cheminement :

     

    Je suis né quai des Quatre-Écluses

    À Dunkerque le vingt octobre

    Et quelques jours plus tard cest à l’église

    Saint-Martin que lon me baptise

    Me prénommant Claude-Henri Georges.

     

    La dame qui tenait la loge

    Sappelait Madame Pertuse

    Ou pour dire vrai Pertusot

    Élevait-elle des oiseaux

    Dont sur la seiche le bec suse ?

     

    Ciel gris sur le canal deau grise

    Où le soleil faisait un incendie

    Cest là que jai reçu la vie

    Quen ai-je fait jusqu’à ce jour ?

    Il est grand temps daimer lamour.

     

    Il est grand temps daimer lamour

    Il est grand temps de vivre enfin

    Claude aujourdhui nommé Martin

    Du nom secret de ton baptême

    Cest ce que pour quoi tu vins au jour

     

    Il est grand temps d’être toi-même.

     


    ruusbroec,ruysbroeck,claude-henri rocquet,flandre,belgique,mystique rhéno-flamande,éditions salvator,apocatastaseIl n’est pas une strophe qui ne fasse mention de sa destinée spirituelle, du catholicisme de son enfance à l’orthodoxie revendiquée aujourd’hui, après de longues années marquées par le positivisme et un athéisme de cœur. L’œuvre traduit livre après livre son questionnement essentiel, artistique et mystique. Le professeur Rocquet s’efface sans cesse derrière l’homme de la quête ; à l’académisme glacial de l’universitaire scrupuleux, il substitue une langue ciselée, passionnée, vivante. Doit-il à ses modèles pareil positionnement ? Il écrit en effet de Ruysbroeck :

    « Cette façon dentendre et d’écouter la parole divine est la façon liturgique et monastique. Cest la façon du monastère, de la cellule, du chœur et de lautel. Ce nest pas celle de lUniversité. Cest la lectio divina, et lon parlait alors de ruminatio. Ce nest pas la disputatio, la démonstration, le syllogisme : art de lUniversité. [] Écriture inscrite au creux de la main et connue par cœur. »

    Claude-Henri Rocquet est un véritable écrivain, et nous n’aurions assez de cent pages pour mettre en exergue les vibrations de son ardente plume ; ainsi la méditation sur la fresque de Giotto représentant François d’Assise s’adressant aux oiseaux :

    « Tout le bleu le plus pur du monde naurait pas suffi à Giotto pour peindre ce moment céleste. Il montre la foule de ces petits aux pieds de saint François et quelques-uns accotent encore et vont se poser, sur la branche dun arbre, dans la poussière du chemin, pour goûter l'enseignement et le poème de François comme on se délecte deau fraîche, dune perle de rosée au creux dune feuille. Le cœur de Giotto est comme lun de ces oiseaux qui se recueillent et jubilent.

    Cest ici l’Éden, retrouvé, et le Paradis où nous serons avec tous les animaux, ressuscités avec nous. Toute la Création resurgira de lombre où le temps laura plongée. Les oiseaux chanteront avec nous Dieu dun chant éternel. Toute larme sera essuyée. Il ny aura plus de mort. Oiseaux, petits enfants du ciel, vous vivrez dans les arbres et parmi les rameaux de la Jérusalem céleste comme vous avez vécu avec Noé dans larche. Et toi, corbeau, même ton chant nous ravira ! Et toi, colombe, ta place est au plus haut des cieux, pour toujours. Oui, cest un paradis que cette prédication ailée qua peinte Giotto. Un poème, silencieux, pour faire entendre une musique, un chant. Un alléluia pour louer, comme Dante, en son dernier coup darcher, lAmour. »

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    La publication récente de Ruysbroeck ladmirable en est un nouveau témoignage : cet ouvrage reprend en grande partie sa Petite vie de Ruysbroeck publiée chez DDB il y a plus de dix ans - moins le chapitre intitulé « Lire aujourd’hui Ruysbroek » -, auquel est ajouté un ensemble de textes aux thématiques diverses, rassemblé sous le titre : « Ruysbroeck et la mystique maternelle ». 

    Ruysbroeck s’inscrit dans une terre flamande que décrit avec exultation Claude-Henri Rocquet. Hadewijch d’Anvers, Béatrice de Nazareth, Marguerite Porete, etc., forment une de ces traditionnelles « morris dansen » qu’ont peintes avec munificence Pieter Brueghel et Jeronimus Bosch, également convoqués par l’écrivain. Le récit vit et vibre de cette foi en mouvement des XIIIe et XIVe siècles.

    Les chapitres s’attachent formellement aux lieux traversés par Ruysbroeck, lieux spirituels ou physiques, pour mieux déployer une théologie élaborée au fil des années, surtout àpartir de ses cinquante ans, lorsqu’il décide d’abandonner sa charge de chapelain de Sainte-Gudule pour gagner la forêt de Soignes et fonder le prieuré de Groenendael : les trois chemins qui conduisent au Royaume de Dieu, les trois degrés de la vie sanctifiée, les trois types d’hommes bons et fidèles, les sept clôtures… Chaque distinction faite par le mystique vise in fine l’unité ; il redécouvre en un langage propre les grandes intuitions des Pères du Désert.

    ruusbroec,ruysbroeck,claude-henri rocquet,flandre,belgique,mystique rhéno-flamande,éditions salvator,apocatastase« Jamais Ruysbroeck noublie que Dieu est un en trois Personnes. Que lessence de Dieu est Unité et Trinité. Et lun et le ternaire sont en lhomme, en lhumanité, en chaque homme.

    Comme il est trois degrés dans le chemin vers Dieu, il est trois degrés dans la nature humaine : corps, âme, esprit. Mais chaque degré a son unité, et les trois degrés, bien que le supérieur ait à gouverner linférieur ont ensemble leur unité. Au plus haut degré de la nature, au plus haut degré de la nature humaine, lunité est lessence, lunité est celle de l’être, par quoi toute créature existe, sans quoi elle ne serait pas, et cette essence est en Dieu. Ainsi, dans la nature même en son plus haut degré, lhomme accède à la surnature divine.

    Entrer en soi-même et entrer dans le mystère de Dieu sont un même chemin. Sengloutir dans labîme de Dieu et se donner à son prochain sont le même chemin. Entrer dans la conscience de sa conscience, de la conscience humaine, est rencontrer le Christ, essence de lhomme, homme essentiel, homme commun à tous les hommes, et cest rencontrer en lui lessence de Dieu. Rencontrer le Christ, lun de la Trinité, cest rencontrer la Trinité et lUnité. » 

    Commentant un autre extrait de Ruysbroeck, Claude-Henri Rocquet insiste :

    « Cette union dont parle Ruysbroeck, cette communion, cette ‘’vie commune’’ dans lamour, est au cœur de sa vie et de son œuvre. Lexégèse de Ruysbroeck ne se sépare pas de son expérience intérieure, de son enseignement mystique. »

    Il est une joie qui filtre à chaque page, celle de l’apprenti qui trouve dans ses maîtres des chemins mystiques insoupçonnés, des instruments pour façonner année après année l’âme en conformité avec l’Absolu, un mode d’emploi exemplaire pour inscrire ses pas dans ceux qui ont parcouru la vallée terrestre avant lui.

    Ruusbroec, Opera Omnia, 8, Brepols, 2001
    ruusbroec,ruysbroeck,claude-henri rocquet,flandre,belgique,mystique rhéno-flamande,éditions salvator,apocatastaseClaude-Henri Rocquet est le fils secret de ses sujets ; ses modèles sont des géniteurs. Ses livres sont autant d’hommages à ceux qui l’ont enfanté spirituellement à une grâce qu’il sert, qu’il tente d’étreindre d’envolées lyriques mais qui le dépasse continuellement. Il a trop vécu intérieurement dans ces plaines mystiques flamandes pour rester à distance d’une expérience de l’amour infini, qu’il effleure de toute sa vigueur comme la main caresse les nombreux cahiers qui parsèment son bureau. Comme Ruysbroeck, il semble ne plus savoir écrire désormais sans que jaillisse, volontairement ou non, les fruits de sa propre contemplation silencieuse. Son Ruysbroeck ladmirable est un enchâssement mystique, son humble propos s’insérant en des tonalités semblables dans la douzaine d’ouvrages écrits par le moine six siècles plus tôt, jusqu’à confier - lui qui est marié à l’écrivain Anne Fougère : « Tout homme qui cherche son unité en Dieu, par lamour, est moine. »

    *

    *          *

    La deuxième partie de son ouvrage, qui compte une soixantaine de pages, est plus surprenante : non seulement elle consiste en un assemblage composite de quatre textes, mais certains d’entre eux ne présentent qu’un lien indirect avec la figure de Ruysbroeck ; ce dernier ferait presque figure de prétexte à la publication, ne serait-ce que dans le premier texte, qui offre une belle méditation sur sainte Véronique, seule femme présente dans Le Portement de la croix de Jérôme Bosch, ou encore dans le troisième texte intitulé « Mystique nuptiale, mystique maternelle, Eucharistie », qui s’ouvre sur Ruysbroeck pour aussitôt glisser vers Hadewijch d’Anvers avant de traiter l’épineuse problématique de l’apocatastase, sur laquelle Claude-Henri Rocquet achoppe. 

    La question de la mort et des fins dernières habite l’œuvre de notre auteur ; il serait fastidieux de relever toutes les phrases qui abordent, même subrepticement, la fin de la vie ici-bas. Alors qu’il résume Les sept clôtures de Ruysbroeck, Claude-Henri Rocquet glisse un rapide commentaire, sans s’y attarder.

    « La journée du jour sachève ainsi comme sachèvera la journée de la vie. Sendormir est apprendre à mourir comme s’éveiller préfigure la résurrection. [] À son réveil, au réveil de la mort, celle qui dort verra venir à sa rencontre son bien-aimé. »

    Dans son commentaire des fresques de Giotto sur François d’Assise, la mort est partout : des stigmates du saint à la mort du chevalier de Celano et du Poverello ; le crucifix en est le centre, le cœur, le sens.

    « Cet office des morts, et ce crucifix qui se penche vers nous et vers François, est un credo, laffirmation de notre espérance. Il tient ensemble la naissance et la mort du Christ. »

    ruusbroec,ruysbroeck,claude-henri rocquet,flandre,belgique,mystique rhéno-flamande,éditions salvator,apocatastaseCar c’est bien de la mort du Christ dont il est question ultimement, dans laquelle toute vie et toute mort s’inscrivent. La mort ouvre un abîme dramatique à toute existence humaine ; le sacrifice du Christ sur la croix trace un sillon d’espérance : le drame trouve son bienheureux déploiement. L’écrivain ne saurait y demeurer insensible : que deviennent les premiers mots quand la seule perspective d’avenir certaine est un dernier souffle ? L’acte d’écriture est encore le témoin d’une existence donnée, réalisée, transmise, pourvu qu’il soit offrande de vie jusque dans sa finitude.

    « Plus j’écris et plus jai le sentiment que la pensée de la mort est au cœur de lacte d’écrire – pour se préparer à la mort, et pour y opposer la mémoire, la force de vie, lespérance. Et plus jai conscience de la vanité de toute parole, de toute pensée, de toute écriture – de leur radicale insuffisance – devant la mort quand il faut la vivre, en réalité, en vérité. Il ny a que le silence et la charité qui tiennent devant la mort. »

    Cette espérance porte le poète qui quitte son jardin secret pour naître au monde par la publication, jusqu’à sa propre mort et son éternelle renaissance.

    « Et maintenant que nul n'aura plus soin de vous
    Mes arbres et mes herbes folles
    Frères et sœurs de sève et de silence
    Vivez vivez tenaces contre le rocher
    Je vous confie au ciel à sa pluie à ses flammes
    Je vous confie à vous-mêmes je vous confie
    Au temps et à la terre
    Au loin j'écouterai dans la rumeur humaine
    Votre sagesse instruire les étoiles » 

    ruusbroec,ruysbroeck,claude-henri rocquet,flandre,belgique,mystique rhéno-flamande,éditions salvator,apocatastaseCette éternité même interroge encore le croyant qu’il est, irréductible porteur d’une lumière qui éclabousse de ses deux bois la face d’un monde errant. Se peut-il qu’un être sombre sans fin, loin de Dieu ? Le questionnement affleure dans la première partie de l’ouvrage de Claude-Henri Rocquet, né de quelques lignes de Ruysbroeck que l’auteur ne comprend pas ni n’admet : le mystique flamand, à la hauteur de vue si prodigieuse, conçoit néanmoins l’existence d’un enfer éternel. Il s’interroge avec indignation, presque naïvement. 

    « Comment un homme dun tel cœur pouvait-il concevoir quune partie de lhumanité fût exclue éternellement de la lumière éternelle ? Comment une âme montée si haut dans la contemplation et dans lamour de Dieu pouvait-elle oublier que la miséricorde de Dieu est infinie ? Comment pouvaient en elle saccorder lexpérience de lamour fou de Dieu et la croyance à lenfer ? Comment ce mystique pouvait-il sabstenir despérer lapocatastase [nous y sommes ! PM], cest-à-dire la réintégration finale de toute lhumanité dans la lumière et lamour de Dieu ? - L’époque ? L’époque nexplique pas tout. [] Cest quun fil sépare, au plus haut degré de la vie intérieure, lexpérience de Dieu et lillusion spirituelle. »

    Claude-Henri Rocquet ne poursuit pas davantage : après plusieurs interrogations, certaines maladroites dans leur formulation, il a mentionné cette infime distinction entre expérience et illusion, distinction non perçue par le mystique au XIVe siècle mais dont lui, six siècles plus tard, semble avoir la clef. Quelle est-elle ? Nous l’ignorons. Il faut attendre le troisième texte ajouté dans cette édition pour voir resurgir la question qui, décidément, le hante. Ruysbroeck ne s’y attardait pas ; Rocquet ne peut sauter à pieds joints au-dessus de l’obstacle. L’espérance qu’il professe ne saurait trouver une contradiction dans un scénario privé d’un happy end convenu.

    *

    *         

    Il y a ceux qui affichent sèchement leur certitude qu’il existe des âmes humaines déjà damnées. D’autres plus nombreux - tel notre écrivain - ne peuvent imaginer qu’un seul être subisse les affres d’une damnation éternelle ; pire, il en est parmi eux qui le conçoivent d’abord comme un océan de feu et de soufre, non comme un refus ferme de la présence divine… Claude-Henri Rocquet n’échappe curieusement pas à ce travers. Dans ces deux options extrêmes, Dieu et l’homme se voient radicalement privés de leur liberté ; il est une nécessité d’une grande embrassade finale, d’une orgie béatifique, à la manière des grands banquets gaulois, après une belle aventure humaine.

    C.-H. Rocquet, François et l'itinéraire, 2008
    ruusbroec,ruysbroeck,claude-henri rocquet,flandre,belgique,mystique rhéno-flamande,éditions salvator,apocatastaseClaude-Henri Rocquet commence par condamner avec raison des excès commis ici-bas par des hommes d’Église, avant de les confondre finement avec la notion d’un enfer éternel, en un raisonnement léger et douteux, par des références bibliques qu’il interprète en les forçant. C’est qu’il sait ce à quoi il se frotte : toute la tradition de l’Église, majoritaire les premiers siècles, unanime depuis le deuxième concile de Constantinople en 553 (Ruysbroeck compris), qu’il durcit sciemment en un injuste choix entre Origène et Augustin.

    Plus encore, Claude-Henri Rocquet s’oppose au texte saint lui-même. Le terme apocatastasis n'apparaît qu'une seule fois dans la Bible, lorsque Pierre, après avoir guéri un mendiant handicapé, se tourne vers les témoins et annonce la fin des temps.

    Il [Jésus] doit rester dans les cieux jusqu’à ce que vienne le temps où Dieu restaurera toutes choses (apocatastasis), comme il l'a promis il y a longtemps par ses saints. (Ac 3,21)

    Comme tout hapax, le mot lucanien a un sens incertain : ce tout renvoie-t-il à l’universel, à l’ensemble de la promesse, à l’alliance abrahamique accomplie pleinement par le Messie…? En revanche, le Nouveau Testament regorge, sous une forme ou une autre, de références indiquant l’éternité de l’enfer : Mt 3,12 ; 13,41-42 ; 18,8 ; 25,41 ;  Mc 9,44-49 ; Lc 16,23-24 ; Jude 7 ; Ap 14,11 ; 20,11 ; 22,4-5… Claude-Henri Rocquet le sait ; c’est pourquoi il continue son impuissante lutte, par une accusation de fondamentalisme, de « littéralisme », de « théologie de la terreur », etc. Il se fait Alexandrin contre l’école d’Antioche, maître ès interprétations contre toute forme de magistère imposé ; sa théologie devient pure affectivité devant un problème qu’il ne sait résoudre, sinon en prenant la place de Dieu. La langue s’enflamme, l’écrivain l’emporte ; la raison est mise au ban, le philosophe se meurt. 

    Claude-Henri Rocquet est un homme fin. Il connaît les arguments adverses. Il ne les affronte pas. S’il ne peut les contredire, il les balaye avec dextérité, d’un revers de main. La liberté de l’homme qui ne s’achèverait pas par un pardon absolu de Dieu n’est plus selon lui que « ratiocination », « sophisme », « vain cliquetis de concepts ». Il ne prend finalement pas la mesure du drame qui se joue depuis la Création dans cet espace infime de la liberté. Elle n’est pas un concept mais une réalité existentielle, inscrite dans notre nature… Il refuse de la prendre au sérieux.

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    Rogier van der Weyden,

    Polyptyque du jugement dernier,

    Musée de l’Hôtel-Dieu, Beaune (1446-1452) 

     

    N’est-il pas de miséricorde dans cette pudeur de Dieu à ne pas la forcer ? Quel serait l’amant qui imposerait de force l’union ?

    Que votre oui soit un oui, que votre non soit un non Le « oui » serait pour lui définitif mais pas le « non »… curieuse contradiction résolue dans une miséricorde divine qui force la volonté de l’homme à l’extrême.

    Si je ne puis affirmer qu’il n’y a aucune âme humaine en enfer, il m’est néanmoins permis de l’espérer, à la suite de Charles Péguy ou de Hans-Urs von Balthasar. Le déclarer reviendrait à usurper le jugement de Dieu ; l’espérer nous place à côté du Christ sur la croix lorsque, au moment d’expirer, il implore le pardon pour toute l’humanité.

    La condamnation de l’apocatastase par le cinquième concile œcuménique à Constantinople (reconnu par les Églises catholiques et orthodoxes) m’interroge personnellement sur les conséquences anthropologiques que cela suppose. Claude-Henri Rocquet s’indigne de la possibilité d’un enfer éternel qu’il ne peut concevoir ni de cœur ni d’intelligence ; je préfère davantage considérer attentivement ce que l’affirmation d’un enfer éternel, énoncé presque unanimement par la Bible et la tradition, nous dévoile de la réalitéde la compassion.

    *

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    Claude-Henri Rocquet, juin 2014 (© MHC) 

     

    En affrontant la question de l’apocatastase, Ruysbroeck s’est retiré et Claude-Henri Rocquet imposé au premier plan. Ainsi l’écrivain procède-t-il régulièrement, brisant les conventions arbitraires qui envisagent une biographie avec distance, avec - quel terrible vocable ! - objectivité. Il s’enthousiasme, pleure, chante, complimente, condamne avec une même liberté, dont témoignent les nombreuses pages noircies au fil du temps : ici, il s’oppose à sa propre Église sur un problème délicat ; là, il arbore un christianisme face à une société agonisante en l’absence de sens. Son écriture obéit au seul diktat de l’amour, de l’homme à Dieu. Laissons-le déployer une dernière fois sa parole des profondeurs, au moment de clore notre propos, par une de ces pages où perce l’insaisissable mystère, celui de la Transfiguration - si chère aux orthodoxes - et de l’ultime révélation.

    « Admirable par la connaissance de l’Écriture, par la lecture inspirée de l’Évangile et de lApocalypse. Cest par l’Écriture que Ruysbroeck explique le mystère indicible de lexpérience mystique, par la manne et le caillou blanc, par la Transfiguration sur le Tabor : parole commune. Cest sur l’Écriture quil fonde son enseignement, lautorise, le vérifie. Et en même temps, lexpérience intérieure et la contemplation éclaire l’Évangile, ouvre le livre scellé. Quelquun avant Ruysbroeck avait-il montré le chemin qui va de la révélation du Tabor à la révélation de lApocalypse ? Entendre Ruysbroeck, cest apprendre à lire le livre intérieur de lhomme, le livre humain que nous sommes, et cest apprendre à lire l’Écriture, à nous y orienter comme les mages guidés par l’étoile à Bethléem, à voir dans le paysage montagneux quelle constitue, livre après livre comme les plis des plaines et des monts, les plis des horizons successifs, - à voir se lever le soleil sur les vallées obscures, et se dessiner le fil des chemins, à voir le paysage de la parole apparaître comme un édifice, un temple, l’évidence de la Jérusalem éternelle. Et cest le même livre, le livre de lhomme et le livre de Dieu, le livre intérieur à chacun et le livre plus intérieur. La connaissance de lun accroît la connaissance de lautre, la lumière de lun saccroît par la connaissance de lautre. Noverim me, noverim Te. Une lumière éclaire une lumière. Un seul livre : dun côté si clair et tout proche, et de lautre, insondable, disant lindicible, couvert de la nuée obscure qui enveloppe les trois disciples jetés face contre terre et qui ont vu la face éblouissante de Dieu conversant avec Élie et Moïse. Un même livre : puisque Dieu sest fait homme et a parlé parmi nous laraméen comme Ruysbroeck le thiois, le flamand. »

     

    Pierre Monastier

    28 août 2014

     

     

    Joseph Haydn,


    Les Sept Dernières Paroles du Christ sur la Croix,



    Quatuor Ludwig,

    

texte de Claude-Henri Rocquet, 
dit par Alain Cuny

     

     

    Œuvres de Claude-Henri Rocquet citées dans l’article

     

    - Ruysbroeck ladmirable, Salvator, Paris, 2014.

    - Vie de saint François dAssise selon Giotto,

    Éditions de L’Œuvre, Paris, 2011.

    - Les Sept Dernières Paroles du Christ sur la croix,

    Arfuyen, Paris, 1996.

    - Le Village transparent, Éolienne, Paris, 1994.

    - LAuberge des vagues, Granit, Paris, 1986.

      

     

  • Ruysbroeck selon Claude-Henri Rocquet

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    À l’occasion de la réédition de

    Ruysbroeck l’admirable

     

     

    Ce « Nord » dont je parle est un pays réel et c’est un pays imaginaire. « La Flandre est un songe », dit Ghelderode, qui fait de cette espèce de devise le titre d’une de ses œuvres que je préfère. C’est un pays aux frontières aussi imprécises que celle du ciel et de la mer à l’horizon.

    C.-H. Rocquet

     

     

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    Né à Dunkerque voici plus de quatre-vingts ans, Claude-Henri Rocquet n’a pas manqué, au fil de ses ouvrages, de revenir à la Flandre au sens large, le plus souvent à travers des écrits sur la peinture – les plus récents s’apparentant à des méditations dans une « écriture qui s’arrime au mystère de la foi » (1) –, parfois au cœur de poèmes (en prose) comme dans L’auberge des vagues (Granit, 1986) où il chante Joachim Patinir et la ville natale.

    Claude-Henri Rocquet, Ruysbroeck, Ruusbroec, peinture, littérature, mystiqueÉvocation des jeunes années, le texte « Nord » révèle cette tendresse pour les contrées septen- trionales, qui n’empêche toutefois pas lauteur de tourner son regard vers l’Italie de François d’Assise et de Giotto, lAmérique du dissident Hopper ou encore vers l’Espagne de Goya« Le temps et l’espace, le réel et l’imaginaire forment un seul tissu, et ce tissu, pourtant collectif, est singulier en chaque âme, en chaque esprit. Français, parce que de naissance et de langue française, on se reconnaît Flamand, et cette filiation, ce fil, comme souterrainement, rêveusement, vous conduit en Espagne – il m’a conduit à écrire Goya. La patrie n’est pas une île mais un archipel. La patrie est une constellation. »

    Des livres assez récents marquent également l’intérêt que le Parisien d’adoption porte à deux grandes figures des Pays-Bas : Vincent van Gogh jusqu’au dernier soleil (Paris, Mame, 2000) et Érasme et le grelot de la Folie (illustré par Céline Le Gouail, Paris, Les Petits Platons, 2012). À propos de l’écriture des pages consacrées à Van Gogh, Claude-Henri Rocquet précise que « c’est aux mineurs de ma famille, de mon pays, que je pensais quand je l’imaginais en Belgique, pasteur et déjà peintre, le Borinage étant de même nature que les mines du nord de la France… » 

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    Passé d’un athéisme (du cœur et positiviste) à lÉglise orthodoxe, Claude-Henri Rocquet s’est penché sur le catholique Jan van Ruusbroec, offrant une des œuvres du mystique brabançon en traduction : Les Sept degrés de l’échelle d’amour spirituel de Jean Ruysbroeck (Paris, Desclée de Brouwer, 2000). Deux ans plus tôt, il avait publié un Ruysbroeck l’admirable dont une version corrigée a vu le jour en 2003 sous le titre Petite vie de Ruysbroeck, toujours chez Desclée de Brouwer. C’est ce même livre, dans une édition remaniée et augmentée, que viennent de donner les éditions Salvator.

    claude-henri rocquet,ruysbroeck,ruusbroec,peinture,littérature,mystique,bruegel,boschDans les belles pages de « Nord » justement, Claude-Henri Rocquet expose son chemine- ment d’historien de l’art en qui va naître le désir de revenir, par la mar- che et l’écriture, sous les cieux flamands : « Ce n’est pas le Nord qui m’attachait à Bosch, mais sa peinture, son monde intérieur, son œuvre, l’énigme de cette œuvre. Je ne savais presque rien de Ruysbroeck ; j’ai eu l’intuition qu’une part de l’œuvre de Bosch s’éclairerait à la lumière de Ruysbroeck. J’ai commencé à le lire. Et Ruysbroeck rayonne dans certaines pages de Bruegel. Pourtant, si j’ai eu le désir d’écrire une ‘‘petite vie de Ruysbroeck’’, ce qui impliquait la lecture attentive de toute l’œuvre, ce n’est pas le maître spirituel, le mystique, et sa mystique, qui en premier lieu m’attirait vers lui, mais son lien avec le Nord, avec la forêt de Soignes, près de Bruxelles, où je suis allé, marchant de Groenendael à Rouge-Cloître, sous les grands hêtres pourpres, et qui est devenue pour moi un lieu mythique : ma forêt de Brocéliande. »

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    La fin de l’introduction intitulée « L’ami invisible » éclaire mieux encore le parcours de cet écrivain resté attaché à un Ita- lien dascendance maternelle flamande, Lanza del Vasto (2) : « Je ne sais plus d’où me vint l’intuition d’un lien entre Jérôme Bosch et Ruysbroeck, qu’un siècle et demi sépare, mais c’est en cherchant, voici trente ans, le sens et le dessein, la structure spirituelle, de l’œuvre de Bosch que j’ai rencontré celle de Ruysbroeck. […] Plus tard, quand j’écrivais une vie de Bruegel, j’imaginai, où plutôt je vis, un épisode qui ne se trouve nulle part évoqué : Bruegel égaré dans la forêt de Soignes, fiévreux, malade, et sauvé, guidé, par une lumière, une présence. C’était comme un rêve du personnage en même temps qu’un rêve pour moi, qui l’écrivais. Avais-je le droit d’inventer ainsi un moment à la lisière de l’histoire et du songe ? Certaines peintures de Bruegel, et la littérature elle-même, autorisaient cette couleur fantastique. Mais la page, en somme dédiée à Ruysbroeck, et tout éclairée par le rayonnement du tilleul de Soignes, je l’écrivis un 2 décembre. Et j’ignorais alors que le 2 décembre est jour de la mort et de la fête du bienheureux Jean Ruysbroeck, à Malines. Quand je l’ai su, il m’a semblé que ce que je croyais de l’ordre du fantastique était proche du surnaturel, de l’invisible, et qu’il s’agissait moins d’imaginaire que d’imaginal. J’ai pris cette coïncidence pour un signe adressé de son séjour incorporel par un ami et j’ai placé devant mes livres, comme une icône, la reproduction du seul portrait qu’on ait de lui : la copie, ancienne, d’une peinture perdue. Ruysbroeck, vêtu de noir et de blanc, l’habit des augustins, y lève les yeux vers le signe d’un rayonnement. J’avais acquis toute son œuvre pour accompagner mon voyage dans la Flandre de jadis, celle de Bruegel, et pour la lire le jour venu.

    claude-henri rocquet,ruysbroeck,ruusbroec,peinture,littérature,mystique,bruegel,bosch« Il est vrai que j’avais senti, à l’origine de ce livre sur Bruegel, la présence, le soutien, de Lanza del Vasto. Lanza n’était plus de ce monde. Je savais ce qu’il devait à saint Augustin et à saint Thomas. J’ignorais que cet hom- me né en Italie, mais d’une mère anversoise, devait à Ruysbroeck, en partie, sa conversion.

    « En écrivant sur Bruegel et Bosch, je me rapprochais de mon pays natal, La Flandre, Dunkerque, je le découvrais dans une autre lumière, je reconnaissais le sens qu’à pour notre vie le fait d’être né dans une certaine famille, un certain paysage, sous un certain ciel, et je comprenais mieux que la vocation de toute patrie est d’être une terre spirituelle, un lieu où l’invisible prend forme et couleur, où le visible et le sensible accueillent le surnaturel, un lieu de passage, un lien particulier entre l’humain et le divin. C’est à partir de ce sentiment spirituel de la patrie que toutes les patries, et les plus lointaines, les plus étrangères, les plus hostiles, nous sont fraternelles. Et j’eus le désir d’écrire un livre consacré à l’esprit du Nord, à la merveille resplendissante et douce des béguinages, à Memling et à l’art populaire, à cette piété dont Ruysbroeck est la source, la résurgence, et l’Imitation de Jésus-Christ, le joyau. Le livre que je termine aujourd’hui vient de là.

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    « J’ai voulu m’approcher de Ruysbroeck par le chemin de ses livres : traverser la forêt de ses livres, en recevoir la lumière. Je le vois comme Jérôme Bosch a représenté les anachorètes, les ermites : à l’abri d’un saule creux, au bord d’un ruisseau, tandis que les dernières agitations de l’âme achèvent de s’effacer comme se dissipe un mauvais rêve. »

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    Si la nouvelle édition de Ruysbroeck l’admirable ne reprend pas le chapitre « Lire aujour- d’hui Ruysbroek », elle en comprend de nou- veaux regroupés sous l’intitulé « Ruysbroeck et la mystique maternelle » (3). Claude-Henri Rocquet s’explique : « Le livre publié, un dialogue avec Michel Cazenave, à France Culture, m’a rendu plus attentif à ce qui chez Ruysbroeck porte sur le ‘‘féminin’’ et j’ai écrit ‘‘Ruysbroeck et la mystique maternelle’’, qui prolonge la nouvelle édition de Ruysbroeck l’admirable. Bosch sans doute s’est nourri de l’enseignement de Ruysbroeck. Et Ruysbroeck écrivait et voyait en peintre. Tout près du monastère de Groenendael, à Rouge-Cloître, Hugo van der Goes vécut ses dernières années. »

     

    (1) Articles : « Bosch » et « Bruegel l’ancien » dans l’ Encyclopædia Universalis, Paris, 1965.

    « La Fable de Babel » p. 111-112 et « Notice sur ‘‘La pie sur le gibet’’ n°76 », p. 274, dans le catalogue de l’exposition « Fables du paysage flamand, Bosch, Bles, Brueghel, Bril » au Palais des Beaux-Arts de Lille du 6 octobre 2012 au 6 janvier 2013, sous la direction d’Alain Tapié, Paris, Éditions Somogy.

    claude-henri rocquet,ruysbroeck,ruusbroec,peinture,littérature,mystique,bruegel,bosch« Bruegel-Majewski, du tableau au film », Magazine des Arts, avril-mai 2012, n°2, p. 86-97.

    « Le peintre de Rouge-Cloître » (sur Hugo van der Goes), NUNC, n° 32 (dossier Charles Péguy), février 2014, p. 107-118.

    Livres : Bruegel, la ferveur des hivers, Paris, Mame, 1993.

    Jérôme Bosch et l’étoile des mages, Paris, Mame, 1995.

    Bruegel ou L’atelier des songes, Paris, Denoël, 1987, rééd. Zurfluh, 2010 (épuisé).

    « Dans l’histoire de l’art et de la littérature, les influences ont sans doute moins d’importance, elles sont moins fascinantes, moins riches de sens, que les métamorphoses, les filiations : l’œuvre de Bau- delaire se transforme en celle de Mallarmé, celle de Mallarmé en Valéry, et nous savons ce que Rimbaud doit à Hugo et Claudel à Rimbaud. La création engendre et suscite la création.

    Claude-Henri Rocquet, Ruysbroeck, Ruusbroec, peinture, littérature, mystique« Les contemporains de Bruegel voyaient en lui un ‘‘nouveau Bosch’’. Quand j’ai écrit sur l’un et l’autre, vers 1968, pour l’Ency- clopædia Universalis, je voyais deux esprits s’oppo- ser, sinon se contredire : un esprit religieux et mysti- que, inséparable de la Bible, un esprit imprégné de la pensée antique, et tourné vers la terre et la ‘‘nature’’. Je déchiffrais Bosch à la lumière de Ruysbroeck. Et puis, chez Bruegel, j’ai vu, au-delà de la terre paysanne, au-delà de ses Géorgiques, sa proximité avec les géographes de son époque et, dans certaines de ses œuvres, sa relation avec le mythe : le Labyrinthe et Babel. Ce qui m’a conduit à reconnaître en lui un esprit religieux, un peintre chrétien.

    « La question de ‘‘l’hérésie’’ me semble au cœur de l’œuvre de Bosch : dans Le Jardin des délices, en particulier. Pour certains, cette peinture est une apologie de l’hérésie des Adamites ; pour d’autres, dont je suis, la mise en scène est le rejet de ce dévergondage ‘‘spirituel’’. La famille de Bruegel est celle de l’ ‘‘humanisme chrétien’’.

    claude-henri rocquet,ruysbroeck,ruusbroec,peinture,littérature,mystique,bruegel,bosch« Je n’envisage ici que le ‘‘sens’’ de ces œuvres. Je ne dis rien de leur génie, de la beauté de leur peinture. Qu’ils soient du Nord, ‘‘flamands’’, compte dans mon attachement à leur œuvre : ma ‘‘prédilection’’. Leur paysage est celui de ma naissance et de ma jeunesse. Ils ont puisé aux traditions populaires, aux jeux de mots et aux traditions du peuple : au ‘‘folklore’’, si l’on veut désigner cela d’un mot. Cela, chez Bruegel, s’allie à un grand savoir, une réflexion de philosophe : la kermesse et Platon, le carnaval et la bibliothèque peuvent confluer. C’est sur ce point, et non par les truculences, que se rejoignent Rabelais et Bruegel, Érasme.

    « Le sens du ‘‘peuple’’, chez Bruegel, n’est pas seulement celui des hommes en un certain lieu de la Terre, en un certain temps de l’Histoire, une patrie : ce sens du ‘‘peuple’’, en son fond, est un humanisme, un sens du ‘‘genre humain’’, une connaissance de l’homme. Un amour de l’homme, aussi ; mais sans l’amour, qu’est-ce que la ‘‘connaissance’’ ? »  (entretien de Claude-Henri Rocquet avec Pascal Amel, « L’œil de Claude-Henri Rocquet. Écrire la peinture », (art absolument), n° 52, mars-avril 2013, p. 105-106.)

    claude-henri rocquet,ruysbroeck,ruusbroec,peinture,littérature,mystique,bruegel,bosch(2) Claude-Henri Rocquet, Lanza del Vasto, serviteur de la paix, Paris, L'Œuvre, 2011.

    Anne Fougère & Claude-Henri Rocquet, Lanza del Vasto : pèlerin, patriarche, poète, Paris , Desclée de Brouwer, 2003.

    Lanza Del Vasto, Les Facettes du cristal : entretiens avec Claude-Henri Rocquet, Paris, Le Centurion, 1981.

    quatrième de couverture

    Claude-Henri Rocquet, Ruysbroeck, Ruusbroec, peinture, littérature, mystique« La rencontre de Lanza del Vasto est l’une des grâces majeures de ma vie. Si vers ma vingtième année je n’avais pas rencontré cet homme, sa lumière, son enseignement, et sa patience envers le jeune maladroit que j’étais, aurais-je eu connaissance du très ancien et toujours vivant chemin de l’homme, aurais-je commencé d’ouvrir les yeux dans la nuit intérieure, aurais-je su dissiper enfin le mensonge de l’inepte violence ? Mais cette grâce, qui fut d’abord un émerveillement, j’en ai sans doute longtemps méconnu la nature et la force. Longtemps, je me suis tenu à l’écart de cette grande figure paternelle, j’étais irrité de sa foi en ce Dieu dont notre bavardage fait un mort, un ennemi ; je me crus même un cœur hostile à ce cristal. Pourtant, à travers les années, parfois, il m’arrivait de rêver de lui et de ses compagnons ; et la blancheur de ces rêves au réveil m’était douce : lumière et laine dans le désert et la confusion des jours. »

    Claude-Henri Rocquet, Ruysbroeck, Ruusbroec, peinture, littérature, mystique(3) Pages publiées sous une forme différente : « Ruys- broeck. Mystique nuptiale, mystique maternelle » in Alain Dierkens & Benoît Beyer de Ryke (ed.), Maître Eckhart et Jan van Ruusbroec – Études sur la mystique « rhéno-flamande » (XIIIe_XIVe siècle), Bruxel- les, Éditions de l’Université de Bruxelles, [Problèmes d’Histoire des religions], t. XIV, 2004, p. 211-226. Il s’agit des chapitres : « Luc et Véronique », « Mystique nuptiale, mystique maternelle, Eucharistie », « Sainte Belgique » et « Le livre des douze béguines », le quatrième portant en grande partie sur la question de la traduction.

     

     

    Claude-Henri Rocquet, conférence, fin 2012, Nîmes 

     

     

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    Le jardinier de Babel

    portrait de Claude-Henri Rocquet par Xavier Dandoy de Casabianca

    (vidéo, 1993)

     

     

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  • Édouard Rod sur Maeterlinck, traducteur

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    Rêveries sur un livre mystique

     

     



    Rod00.pngL’Ornement des noces spirituelles
    , traduction d’une des œuvres de Ruysbroeck (ou Jan van Ruusbroec) par Maurice Maeterlinck a eu un grand retentissement. On la lit toujours, elle a encore été rééditée en 1990, soit un siècle après sa parution, alors que venait de voir le jour chez Brepols l’édition de référence, à savoir le volume III des œuvres complètes du mystique flamand : Opera omnia III. Die geestelike brulocht. De ornatu spiritualium nuptiarum (1988, texte moyen néerlandais annoté et présenté en regard de la traduction latine de Sirius et d’une nouvelle traduction anglaise).

    Parmi les écrivains qui ont tout de suite manifesté leur enthousiasme, on relève le Suisse Édouard Rod (1857-1910). C’est sa critique accueillie en page 3 de la Gazette de Lausanne du 2 mai 1891 que nous reproduisons ci-dessous.

     

     

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    The Blue Bird (1918) de Maurice Tourneur d'après M. Maeterlinck

     


     Béatrice Arnac chante Et s'il revenait un jour de M. Maeterlinck