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littérature - Page 19

  • La Maison dans la dune (1932)

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    Le premier roman

    de Maxence Van der Meersch

     

     

     

    Natif de Roubaix, Maxence Van der Meersch (1907-1951) a été un romancier très populaire dans les années cinquante. Dans ses œuvres, il lui arrive de brosser avec délicatesse les paysages de la Flandre. L'action de La Maison dans la dune (1932), son premier roman, dans lequel certains ont vu « une toile de Teniers ou de Jordaans » (Albert Goossens), d’autres une création vériste, se déroule à Dunkerque et dans les environs de cette ville, à un jet de pierre de la mer, de part et d’autre de la frontière belge. C’est là que les passeurs de tabac tentent d’échapper aux douaniers. On assiste à la confrontation entre deux hommes : Sylvain, ancien boxeur, qui passe du tabac de Belgique ou en fait passer à Tom le chien, et Lourges, homme vaniteux, qui dirige une brigade de douaniers. L’enjeu : Germaine, ancienne prostituée qui partage la vie de Sylvain mais dont Lourges s’amourache. L’intrigue, qui n’est sans doute pas sans défaut, même si on a pu reconnaître « un sens de l’action dramatique rarement égalé dans un premier roman, une habileté très réelle dans la conduite des événements, un style sobre et exact  » (André Douriez), nous montre un homme en quête du paradis perdu : menant une vie rustre, Sylvain découvre au hasard d’une de ses virées un havre de paix et de pureté où il aimerait couler le reste de ses jours auprès de la jeune Pascaline. Tout en nous transportant dans un monde aujourd’hui disparu (celui des contrebandiers qui passent la frontière à vélo avec leur chien), cette lecture nous plonge surtout dans les affres et les bassesses des hommes de toutes les époques : jalousie, dépit, rancœur, trahison, violence, désir insatisfait, appât du gain… Bien entendu, le drame attend son heure. Peu après, l'amoureux de la Flandre qu'était Maxence van der Meersch donna la plénitude de son talent en écrivant la fresque Invasion 14 (1935). En 1936, L'Empreinte de Dieu reçut le prix Goncourt.

     

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    Le succès qu’à rencontré La Maison dans la dune s’est traduit par trois adaptations cinématogra- phiques : deux en France (Pierre Billon en 1934 et Georges Lampin en 1952), une en Belgique (Michel Mees en 1988) dont un extrait suit ci-dessous (il précède la scène de lutte rapportée plus bas) :

     

     

     


    La maison dans la dune

     

     

    Une scène-clé du roman

    l’affrontement de Sylvain et Lourges

     

    Lourges toisa Sylvain.

    « L’ami, dit-il, tu ne m’aurais pas par terre.

    – Possible », dit Sylvain, flegmatique.

    Mais Jules lui-même se récria :

    « Tu ne sais pas ce que tu dis, Lourges !

    – Si, soutint le douanier.

    – Vas-y, alors, provoqua César.

    – Allons, César », voulut dire encore Sylvain.

    Mais Lourges interjetait :

    « Moi, je ne cane pas, vieux. J’ai jamais reculé devant personne. »

    Sylvain comprit qu’il n’y échapperait pas. Il se leva. Et, un peu pâle :

    « C’est pas que tu cherches une bataille, camarade ? Je ne la crains pas, tu sais.

    – On ne le dirait pas. »

    Maxence4.pngSylvain dédaigna de répliquer.

    « Qu’est-ce que tu veux ? demanda-t-il. La lutte ou le chausson ? La boxe, je ne veux pas. On ne trouverait pas de gants, ici, et ma femme ne veut plus que je m’abîme le portrait.

    – La lutte, alors, choisit Lourges. Franc jeu, hein ?

    – Bien sûr. Au premier qui touche des épaules, on arrête. »

    M. Henri, accoutumé à ces mœurs, débarrassa la pièce de la table et des chaises. Jules était allé appeler les agents dans le salon. L’un d’eux s’offrit comme arbitre. Et les deux hommes se dévêtirent, parurent nus, n’ayant gardé que leur pantalon soutenu par la ceinture. Lourges, plus gras, était aussi plus lourd, rond comme un bœuf, avec des mamelles de femme. Sylvain, large de poitrine, avec de longs bras nerveux et secs, était plus mince de hanches, plus élégant aussi.

    Autour d’eux on fit cercle. Pour tous ces gens-là, le muscle était roi. Et la vigueur des deux lutteurs, leur aspect impressionnant, soulevait l’admiration.

    Germaine, assise sur sa chaise, regardait aussi, sans s’émouvoir autrement. C’était loin d’être la première fois qu’elle voyait Sylvain se battre, en combat amical, ou même pour de bon.

    Il y eut un silence. L’arbitre regardait sa montre.

    « Allez », dit-il.

    Lourges n’avait pas bougé. Il s’était solidement campé sur ses fortes jambes, et, massif, les mains ouvertes pour l’empoignade, attendait. Il savait que s’il pouvait étreindre Sylvain sous les côtes, il avait gagné. Personne ne résistait à l’effroyable constriction de ses bras herculéens.

    Mais la tactique de son adversaire le dérouta. Sylvain s’était baissé, il ouvrit les bras, il se jeta, tête basse, sur Lourges. Le douanier, instinctivement, se pencha en avant, durcissant les muscles abdominaux pour supporter le choc. Et il essaya d’empoigner l’adversaire. Mais Sylvain, le dos arrondi, la tête passée sous le bras gauche de l’autre, n’offrait aucune prise. Et il passa son bras, il ceintura Lourges, il l’arracha de terre, irrésistiblement. Lourges voulut se raidir. Il était trop tard. Sylvain se laissait aller sur lui. Et, sous son adversaire, Lourges tomba sur le dos, lourdement, du poids de ses quatre-vingt-dix-sept kilos.

    Une clameur monta.

    « Et voilà, dit Sylvain, déjà relevé, et qui soufflait violemment.

    – Rien à dire, constata l’arbitre, c’est du franc jeu. »

    Lourges, pesamment, se relevait à son tour. Il se sentait tout ébranlé, après cette lourde chute. Il eût aimé recommencer. Mais il était comme disloqué, sans force. Il lui faudrait se reposer trois ou quatre jours, avant de retrouver son équilibre.

    Les deux lutteurs se rhabillaient César exultait, proposait des paris invraisemblables aux policiers un peu déçus que la lutte se fût si vite achevée.

    « Sans rancune », dit Sylvain à Lourges, avant de s’en aller. Et il lui tendait la main. Lourges la prit.

    « Sans rancune », dit-il.

    Mais son regard évitait celui de son vainqueur.

     

    (Le Livre de Poche, n° 913, p. 91-94)

     

     

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    Le décor flamand

     

    Il franchit la frontière sans s’en apercevoir, dans cette plaine plate et nue, aussi vide que la voûte immense du ciel qui la couvrait. C’étaient ce qu’on appelle ici les « moers », terre conquise lentement par les hommes sur la mer, et qui garde dans sa nudité désertique, dans la monotonie de ses horizons rasés, dans ses étendues uniformes où le vent se rue librement, quelque chose encore de la grandeur et de la mélancolie de son passé marin. Des champs de seigle et d’avoine, des pâturages divisent cette plaine. Et l’eau, l’ennemie qu’il faut sans cesse contenir, sourd de partout, imprègne la terre, se laisse deviner, immédiate, sous le sol sablonneux et pauvre. Des ruisselets innombrables bornent chaque enclos, reçoivent l’eau des rigoles et des drains, s’étalent encore çà et là en mares où boivent les bestiaux. On les devine, sur le tapis uni des prés, à la végétation vigoureuse, roseaux, joncs, herbes d’eau, qui pousse dans leur lit. Et on s’étonne, en traversant ce pays, de le voir ainsi régulièrement morcelé et comme partagé par ces ruisseaux au cours rectiligne, géométrique, se coupant les uns les autres à angles droits. Ils sont comme un vivant quadrillage, dessiné par l’homme pour drainer le pays.

    Maxence3.pngSylvain, dans ce réseau, avançait lentement. Il était tout seul. Autour de lui, le vent passait avec une force soutenue, une chanson perpétuelle qui bruissait aux oreilles. On le voyait de loin accourir, à l’ondulation infinie qui passait comme une vague sur les avoines et les herbages. À ce grand souffle rude et constant, on sentait que la mer était proche.

    Sylvain franchissait les ruisseaux sur des planches, disposées par-ci, par-là. Ou bien il jetait son vélo par-dessus, et ensuite sautait lui-même. À la profondeur de l’eau, il tâchait de découvrir les gués qu’avait dû préférer Tom. Et quand il voyait au loin une tache sur l’herbe, il faisait un détour, il s’en approchait, pour voir si ce n’était pas son chien. Une lassitude, un découragement le prenait. Il avançait de plus en plus en territoire français. Bientôt, il lui faudrait renoncer à la recherche, s’il ne voulait pas être vu du poste de douane.

    (Le Livre de Poche, n° 913, p. 224-225)

     

     

    L'écrivain nordiste Anna van Buck présente son ouvrage

    consacré à Maxence van der Meersch,

    Salon du Livre Régional de Gravelines, le 25 avril 2010

     

    Les archives Maxence Van der Meersch sont consultables en ligne :

    Bibliothèque numérique de Roubaix.

    La note de travail reproduite plus haut est empruntée à ce site.

     

     

  • Traductrice de Janwillem van de Wetering

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    Portrait d’Isabelle Reinharez

     

     

    Un entretien avec Isabelle Reinharez... où il est question d'un roman sans aucun personnage humain et de chapitres qui comptent tous le même nombre de mots. Parmi les innombrables livres qu’elle a traduits de l’anglais, on en recense plusieurs de l’auteur néerlandais Janwillem van de Wetering (1931-2008), Grand Prix de la Littérature Policière 1984 pour Le Massacre du Maine (Het werkbezoek, 1979). Van de Wetering a souvent donné et une version anglaise et une version néerlandaise de ses ouvrages.

     


    © Centre du livre et de la lecture en Poitou-Charentes - 2009

     

     

     

    Entretien en anglais avec Janwillem van de Wetering

    sur son installation dans le Maine, son enfance à Rotterdam,

    sa jeunesse à Londres et la suite...

     

     

    Le beau livre que Janwillem van de Wetering

    a consacré à son confrère et compatriote :

    Robert van Gulik : Sa vie, son œuvre,

    traduit de l’anglais par Anne Krief, 10/18, n° 2068.

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  • La Comtesse des digues

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    Un roman de la « châtelaine de Missembourg »

     

      

    CouvGeversDigues.jpg

    Editions Labor,  coll° Espace Nord, n° 6, 2000

    préface Jacques Sojcher, lecture Vincent Vancoppenolle

    Couverture : Theo Van Rysselberghe,

    Voilier sur l’Escaut (détail), 1892

     

     

     

    O vieille maison blanche en l’étang reflétée,

    La douceur répétée

    De ce nom, toute enfant, je l’aimais: « Missembourg »

    Un son vif, puis un lourd.

     

    Mais le sens de ce nom me fut longtemps mystère…

    Jusqu’au jour où mon père,

    Rangeant de vieux papiers, pensivement me dit :

    « C’est aux temps interdits

     

    Que la maison qui nous abrite fut nommée :

    Les églises fermées,

    Vers les quatre-vingt-treize, des prêtres proscrits

    Ont dit la messe ici. »

     

    Missembourg… Missembourg… chant long, « château des messes »

    Tout le passé se dresse…

     

     

    Marie Gevers (1883-1975) fait partie de ces écrivains flamands qui ont choisi le français pour écrire leur œuvre. Son fils Paul Willems (1912-1997), qui lui succèdera à l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique, fera d’ailleurs de même. Née à Edegem, près d’Anvers, Marie Gevers a passé sa vie dans la grande maison familiale de Missembourg, laquelle sert de cadre à plusieurs de ses livres. Les strophes citées ci-dessus fournissent une des versions relatives à l’origine du nom de la vieille demeure. Outre son œuvre, elle a laissé un certain nombre de traductions de romans et contes d'auteurs flamands et néerlandais.

    Le roman le plus célèbre de Marie Gevers, La Comtesse des Digues (1931) – avec lequel Mensen achter de dijk (1949) de son confrère et compatriote Filip de Pillecyn (1891-1962) n’est pas sans présenter des parallèles – offre une merveilleuse évocation d’un coin des Flandres et d’un monde aujourd’hui disparu. Beautés de la nature, métiers d’antan, menaces que font peser les éléments, sentiments qu’éprouve l’héroïne Suzanne tiraillée entre plusieurs hommes dont l’un, le beau et fort Triphon, incarne la nature et un autre, Max Larix, la bourgeoisie cultivée, sont les ingrédients majeurs de cette histoire qui se déroule sur les bords de l’Escaut, le grand amour de l’héroïne : « Elle songeait vaguement que Triphon avait “mangé à la cuisine” avec Jo et que Larix se promenait en quelque sentier boueux. Elle trempa sa main droite dans l’étang, s’amusant du cercle de fraicheur à ses doigts… une bague de fiançailles avec l’eau… parfois à son poignet : “ainsi l’anneau de la chaine qui me retient à l’Escaut”… Puis creusant sa main, elle y ramenait un peu d’eau – l’âme de l’Escaut – et la laissait couler entre ses doigts joints. Elle pêcha ainsi un de ces petits têtards qui pullulent dans les mares : “Je pêche l’âme de l’Escaut dans un trou à brochet… et je ramène une larme noire”. »

     

    La maison de Missembourg

     

     

    Le mot de l’éditeur

     

    L’histoire intrigante et passionnante d’une femme amoureuse d’un homme et d’un fleuve. Parviendra-t-elle à concilier ces deux amours si différents ? C’est le roman du fleuve, de l’Escaut-roi, du mariage, toujours à préserver, des eaux avec les terres qu’elles irriguent et qu’elles minent. C’est le roman d’une femme attachée au fil des saisons, à la surveillance des digues, au combat d’amour avec l’eau. Mais il arrive que les digues cèdent, que le désir soit plus fort. Alors il faudra que la Comtesse des digues choisisse et qu’elle trouve entre l’homme qu’elle va épouser et le fleuve une nouvelle harmonie.

     

     

    Sur la langue employée par l’auteur

     

    La Comtesse des Digues – comme d’ailleurs la plupart des œuvres de Marie Gevers –, révèle de diverses façons son appartenance à un espace linguistique bilingue ou même plurilingue. Ce sont évidemment d’abord les nombreux patronymes et toponymes flamands qui enracinent ce texte dans un « terroir » linguistique bien précis, au même titre, d’ailleurs, que les paysages évoqués, les allusions au folklore, à l’artisanat local, à la flore et à la faune. Mais il y a plus : on observe que la langue française tend à s’y faire vernaculaire, accueillante aux expressions populaires en flamand, aux apports lexicaux étrangers dans les mots de la conversation (dag, proficiat, mijn beste), aux interjections en dialecte du pays de Weert. Un rapport dialogique s’instaure même par endroits avec la langue flamande : ce sont ces rapports, en ce qu’ils déterminent les modalités d’émergence d’une langue dans l’autre, qui retiendront surtout notre attention ici car ils constituent à notre avis la véritable histoire de ce texte. (suite)

     

     

    CouvGeversOiseaux.png

    Les Oiseaux gris

    roman de l’écrivain néerlandais Arthur van Schendel (1874-1946)

    traduit par Marie Gevers, Plon, 1939

     

     

    Entretien vidéo avec Marie Gevers : ICI

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    Deux textes de Marie Gevers

    « Le Pain du printemps » & « Soyez fidèles à Orion »

     

    En ligne sur Marie Gevers, un dossier de la revue Textyles :

    Alberte SPINETTE, « Marie Gevers ou les rythmes du monde »

    Anne JANMART, « Marie Gevers et Max Elskamp : de la rue Saint-Paul aux arbres de Missembourg »

    Cynthia SKENAZI, « Marie Gevers et Jean-Jacques Rousseau : affinité ou héritage ? »

    Christian BERG & Anne VERSTREPEN, « La langue dans la langue : une relecture de La Comtesse des digues »

    Vincent Vancoppenolle, « La composition de Madame Orpha et son histoire : quelques notes »

    Michel TORREKENS, « Madame Orpha : le "candiraton" ou la rumeur populaire »

    Xavier DEUTSCH , « Pour les peupliers de Paix sur les champs »

    Murielle BRIOT, « "Mais la cueilleuse de nénuphars demeure intacte..." »

    + Denis MALASI NGANDU, « Le Congo (Zaïre), le Rwanda, le Burundi dans Dialogues africains de R. Bodart et Des mille collines aux neuf volcans de M. Gevers »

     

     

  • Littérature néerlandaise en traduction

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    Dans la magazine Culture de l'Université de Liège, le journaliste belge Michel Paquot consacre un dossier aux lettres néerlandaises. Il s'entretient avec Erik Spinoy, Emmanuèle Sandron et Daniel Cunin, s'intéresse au cas Pieter Aspe et propose un petit aperçu de parutions récentes.


    CouvReveEnRouteverslafin.jpgLes éditeurs français traduisent régulièrement des auteurs néerlandais. Actes Sud, Gallimard et Le Castor Astral sont particulièrement actifs sur ce terrain. Le premier réunit des auteurs comme Cees Nooteboom, Hella Haasse ou Anna Enquist au sein de la collection « Lettres néerlandaises » dirigée par Philippe Noble ; le deuxième rassemble Willem Frederik Hermans, Kader Abdolah, Harry Mulisch, Adriaan Van Dis ou Jeroen Brouwers dans sa collection « Du Monde entier » ; et le troisième, via la collection Escales du Nord codirigée par Francis Dannemark, se montre ouvert à la fois aux Flamands (Jef Geeraerts, Willem Elsschot, Stefan Hertmans, Geert van Istendael, Louis Paul Boon) et aux Hollandais (Benno Barnard, Doeschka Meijsing). Mais d'autres éditeurs ne sont pas en reste, par exemple Héloïse d'Ormesson (Stefan van Brijs, Vonne van der Meer), Phébus (Karel Schoeman, Gerard Reve) ou Denoël (Elle Eggels, Carl Friedman, Paul Gellings, Sakia Noort). Voici quelques parutions récentes. (lire la suite)

     

    A lire sur le même site un papier consacré à l'auteur flamand Peter Verhelst, ou encore un dossier sur la traduction littéraire et un article sur la traduction d'Alice in Wonderland.


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  • Le Seigneur de Peuplingues

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    Un roman psychologique à la Simenon

     

     

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    Willy Spillebeen, De Seigneur van Peuplingues, Manteau, 1993

     

     

    L’affaire Armand Rohart a défrayé la chronique à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Ce maire du village de Peuplingues, près de Calais, accusé d’avoir tué son épouse lors d’une baignade, a été condamné à la perpétuité à l'issue de deux procès devant les assises. Plus de vingt ans plus tard, Willy Spillebeen a repris des données de cette histoire pour exercer avec brio son talent de romancier. S’il modifie le nom de quelques protagonistes (Rohart s’appelle François Bernart) et s’accorde certaines libertés par rapport au déroulement des faits (le procès ne se tient pas en 1969 ni en 1970, mais début juillet 1973 ; le condamné n’est pas libéré après douze ans de détention…), la plupart des éléments, en particulier ceux retenus par l’accusation, nous replongent dans ce drame à travers les principaux protagonistes : l’accusé bien sûr, mais aussi l’avocat René Fleuriot ou encore l’ancien membre de la légion étrangère, cet homme qui a enregistré certaines conversations qu’il a pu avoir avec Armand Rohart. C’est d’ailleurs sur la reconstruction de l’une d’elles que s’ouvre De Seigneur van Peuplingues. Mais la conversation que l’on soumettra aux jurés est-elle bien celle qui a eu lieu entre les deux hommes quelques années plus tôt, avant le décès du légionnaire ? La bande magnétique n’a-t-elle pas été trafiquée ? L’auteur le laisse entendre puisque qu’on relève des différences entre la version qu’il propose au début de son roman et celle qu'on soumettra aux jurés. Des experts émettront eux aussi des doutes comme un certain Pierre Laforêt :

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    extrait du compte rendu de Pierre Laforêt,

    témoin au cours du second procès,

    Nouvel Observateur, 11/05/1970, p. 34

     

    La plus grande part du roman restitue les deux premières journées du premier procès, celui qui s’est tenu à Saint-Omer. On vit la première à travers les réflexions et les doutes de la fille de l’accusé, Marie-Françoise, la deuxième à travers ceux de son fils aîné, qui porte le même prénom que lui. L’intérêt essentiel de cette reconstitution romancée réside dans l’opposition de caractère entre ces deux êtres : à la différence de son frère – qui en apparence tient plus de leur mère –, Marie-Françoise croit en l’innocence de son père. Les deux jeunes gens, qui ont hésité avant de se décider à assister au procès, subissent le déroulement de cette « mise en scène » juridique en vivant chacun à sa façon le défilé des témoins et des experts. Cette opposition illustre l’impossibilité dans laquelle on se trouve de trancher la question de la culpabilité de l’accusé. Autre caractéristique qui donne du piment à la narration : Willy Spillebeen tourne dans tous les sens les éléments de preuve ainsi que les zones d’ombre qui subsistent tout en nous faisant entrer dans les secrets les plus intimes de ses personnages. Si on a pu parler de « roman à la Simenon » – il ne s’agit pas d’un polar mais bien d’un roman qui est sans conteste dans la lignée de ceux de Simenon où prédominent atmosphère lourde, obsessions et travers des protagonistes –, c’est en raison de la pénétration dont fait preuve l’auteur qui entremêle subtilement son propos aux points de vue des deux jeunes personnes et aux dialogues afin de mieux cerner l’égoïsme et les sentiments de chacun (jalousie, haine, rancœurs…) ou encore de lever certains tabous qui règnent dans le milieu décrit ; c’est aussi parce qu’on assiste à une sorte de mise à mort du notable par la foule déchaînée et par une justice qui semble avoir jugé avant même le début du procès. On ne pardonne pas à cet homme de régner en maître sur sa commune – près de la moitié des villageois sont ses employés –, ni d’avoir bâti un petit empire agricole, ni de séduire les jeunes femmes. Les rivalités sexuelles qui opposent les hommes et la pruderie de la victime ont aussi leur part dans le puzzle complexe de cette intrigue.

    roman,littérature,flandre,simenon,rohartLe quatrième et dernier volet du Seigneur de Peuplingues, purement fictif, emmène le lecteur dans l’esprit du condamné toujours détenu vingt ans après le prononcé du jugement. On sait que le Flamand aime retenir quelques métaphores centrales dans ses romans. En l’espèce, il a choisi celle du tunnel – le tunnel mental du cauchemar auquel le prisonnier ne parvient pas à échapper et celui que l’on construit à l’époque sous la Manche et qui se prolonge jusqu’au niveau des terres qui lui appartenaient avant son arrestation. Cette métaphore nous reconduit au début du drame, au tunnel du coma que le mari dit avoir traversé juste après avoir failli mourir noyé comme sa femme, coma que les médecins ont mis en doute. Un des tunnels ne laisse pas subsister grand-chose du domaine qui a appartenu au seigneur de Peuplingues, l’autre ne cesse de ramener ce dernier à la mort de sa femme. Dans ces dernières pages, l’auteur nous propose, à travers les réflexions de François Bernart, une version des faits différentes de celles avancées par les différentes parties au procès.

    De par sa composition ingénieuse, sa densité et son style, le roman de Willy Spillebeen nous place face à ce qui détruit et tue l’homme, l'égoïsme.

     

    documentaire : Armand Rohart, un notable devant la justice

    (« 50 ans de faits divers »)

     

    En 1967, les époux Rohart passent un moment sur la célèbre plage d’Escalles, dans le Nord de la France. Mais un accident survient. Lors d’une baignade, le couple perd pied. Armand Rohart est aperçu inanimé par plusieurs badauds ; il est parvenu à regagner la grève. Tôt le lendemain, le corps sans vie de son épouse, Jacqueline, est retrouvé. Le jour des funérailles, un personnage vient jeter le trouble sur ce qui aurait pu demeurer une simple affaire de noyade. Un ancien légionnaire se dit en effet détenteur d’une bande magnétique sur laquelle on entend Armand Rohart demander conseil pour supprimer sa femme. Une enquête est ouverte. Condamné à perpétuité, Rohart a toujours clamé son innocence. Ses quatre enfants tentent de le faire libérer.

     

     

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