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traduction - Page 16

  • Ma tante est un cachalot

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    Anne Provoost,

    présente en librairie et sur les planches

     

     

    Le premier roman d’Anne Provoost est enfin disponible en langue française, dans une traduction d’Emmanuèle Sandron. Par ailleurs, Le Piège, paru aux éditions du Seuil en 1997, vient d’être adapté pour la scène par le Goldmund Théâtre de la Bouche d’Or.

     

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    Ma tante est un cachalot,

    éditions Alice, Bruxelles, 2013

     

     

    Anna mène une vie heureuse auprès de ses parents à Cape Cod. Sa tante, son oncle et sa cousine Tara s’installent dans la maison voisine, une vieille bicoque hantée par la sorcière Goody Hallett qui pétrifie la bouche de ceux qui trahissent les secrets. Anna découvre que sa cousine Tara envoie des bouteilles à la mer. Quelle fille étrange… Pourquoi dit-elle à qui veut l’entendre que sa couleur préférée est le rouge car c’est celle qui dit « Stop » ?
La mère de Tara se suicide. « Maman a vu quelque chose qu’elle ne voulait pas voir », dit la jeune fille avant de se réfugier dans les dunes, le regard vide. Anna ne sait pas comment réagir. L’annonce qu’un banc de baleines vient de s’échouer sur la plage arrive presque comme un soulagement. Elle va pouvoir agir ! Pour Tara aussi, c’est une occasion inespérée. Les deux cousines participent avec ardeur à l’opération de sauvetage, comme si, en sauvant les baleines, elles sauvaient ce qui est en péril en elles. Donnant le meilleur d’elle-même pour ramener un baleineau à la vie, Tara va peu à peu se mettre à parler et révéler à Anna la relation incestueuse que lui impose son père. Eh non, aucune sorcière ne va la pétrifier ! Bien peu d’auteurs ont osé aborder le thème de l’inceste dans la littérature pour la jeunesse. Anne Provoost le fait avec tact, franchise et intelligence, en montrant les dégâts que peut provoquer l’inceste auprès de la victime et de toute sa famille, et en affirmant qu’il est possible de s’en sortir.


    anne provoost,ma tante est un cachalot,roman,littérature,belgique,flandre,traduction,théâtreDès 1995, la revue Septentrion portait l’attention de ses lecteurs sur ce livre :
    « Son premier récit, Mijn tante is een grindewal (Ma tante est un cachalot, 1990), a récolté d’emblée éloges et distinctions. Cela n’allait pas de soi pour une première parution néerlandaise originale parlant d’inceste à un public jeune, mais les esprits, en Flandre, étaient apparemment prêts à recevoir ce genre de livre, qui s’est tout de suite imposé et n’a pas tardé à être traduit en allemand, anglais, danois, suédois et portugais. Dans ces différentes langues, comme dans l’original, les lecteurs ont été captivés par l’histoire d’Anna et de son étrange nièce Tara, qui se fait mal à elle-même, qui découpe dans un recueil de contes la bouche du Petit Chaperon rouge et qui jette à la mer des bouteilles contenant des messages secrets. Après le suicide de sa maman, Tara se comportera de façon plus mystérieuse encore. Mais le tournant du récit se situe au moment où un banc de cachalots s’échoue sur la plage. Avec l’aide d’une biologiste, Tara prendra soin d’un jeune cétacé pour le rendre à nouveau apte à la vie en haute mer. Parallèlement, on observe par quelle subtile préparation Tara elle-même est orientée vers une nouvelle vie sociale. Si les blessures laissées par les rapports incestueux qu’elle a eus avec son père ne se cicatriseront jamais, l’histoire, pour elle aussi, s’achève sur une note optimiste.

    Anne Provoost, Ma tante est un cachalot, roman, littérature, Belgique, Flandre, traduction, théâtreÉcrit dans un style sobre mais efficace, avec un sens rare du mot qui fait mouche et une extrême concision, Mijn tante is een grindewal annonce déjà également, par sa densité, le tempérament résolument quoique modérément opiniâtre dont l’auteur fera toujours preuve dans la suite. Ainsi, la description de la relation entre Anna et Tara n’a rien de la sensiblerie des clichés dépeignant certaines amitiés féminines. Le thème central de l’inceste est lui aussi traité tout en nuances. S’il est clair que le père de Tara a un comportement inacceptable, tout en lui n'est pas que dépravation et bestialité. Et les moments où Anna prend plaisir aux attouchements de son propre père forment un subtil contrepoint. »

    Wim Vanseveren, Septentrion, n° 3, 1995

     

     

    CouvProvoostPiège.pngNée en Belgique en 1964, Anne Provoost a étudié les langues germaniques à Courtrai et à Louvain. Après ses études, elle gagne un concours de nouvelles organisé par l’hebdomadaire Knack et passe deux ans aux États-Unis. C’est là qu’elle commence à écrire Ma tante est un cachalot, son premier roman, qu’elle publiera en 1990. Elle vit aujourd’hui à Anvers avec son mari et ses trois enfants. Elle a également publié Le Piège, porté à l'écran, Regarder le soleil (Fayard, 2009) et deux autres romans non encore traduits.

     

     

  • Margriet de Moor et ses personnages

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    La vie secrète des personnages

    dans l’œuvre de Margriet de Moor

    par Kees Snoek*

     

     

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    Si la nouvelle est la forme intime du roman, comme l’a dit Margriet de Moor lors du récent séminaire consacré à son œuvre, relevons que ses romans comprennent plusieurs nouvelles qui font que l’intimité devient un concept pluriel. Ceci s’applique surtout au dernier qui porte un titre français : Mélodie d’amour (1). Cette histoire regroupe quatre récits – quatre nouvelles en quelque sorte – qui peuvent se lire dans leur propre forme intime non sans qu’ils soient liés par les rapports qui se tissent entre les personnages. Chaque récit développe une version particulière de la thématique de l’amour. Autant de variations sur un thème unique – un rapport avec la musique s’imposant, laquelle joue d’ailleurs un rôle important dans l’œuvre de  Margriet de Moor, parfois comme motif mais surtout comme principe de composition.

    Margriet de Moor

    margriet de moor,kees snoek,eddy du perron,sutan sjahrir,littérature,pays-bas,traductionDans le roman Le Peintre et la jeune fille (2) (De schilder en het meisje, 2010), ce sont deux récits qui s’alternent et se répondent : celui sur le peintre passionné – dans lequel on devine Rembrandt – qui porte le deuil de son épouse ; celui sur Elsje, réfugiée venue en bateau du Danemark. En quête d’une meilleure vie, cette jeune fille est harcelée par sa logeuse amstellodamoise qui cherche à la pousser dans la prostitution. Elsje la tue en se servant d’une hache qui se trouve placée inopinément là. Pour ce crime, elle est condamnée à la peine de mort. Les deux personnages, le peintre et la jeune fille, sont animés d’une sorte d’aspiration à la pureté ; à la fin du roman, ils se rejoignent : le peintre dessine la défunte – exécutée peu avant –, d’après nature. Le destin, cette force tragique, les a réunis. Tous deux sont marqués par une tristesse singulière. Lorsque le peintre contemple la fille morte, il réfléchit, la romancière recourant alors au style indirect libre :

    Elsje dessinée par Rembrandt

    margriet de moor,kees snoek,eddy du perron,sutan sjahrir,littérature,pays-bas,traduction« Toujours pas le moindre signe de décomposition. Sans vie, mais pas sans corps. Était-ce encore bien elle ? Le visage, bouche presque close, reflétait la jeunesse, la douleur, l’incompréhension. Et une ombre d’indignation. »

    C’est alors que le peintre fait son portrait. Leu « face à face » est rapporté ainsi : « La rencontre d’une bougre d’idiote en d’un homme qui, à défaut de savoir par quel bout prendre son chagrin, sait ce que peindre veut dire. Ce qui les unit se trouve ramassé en ce moment unique. Comme il faut bien peu de chose pour le faire durer, non une poignée de secondes, mais à jamais ! » Autrement dit, le narrateur omniscient fait référence à Elsje immortalisée par Rembrandt, ou plutôt : la jeune fille immortalisée par le peintre, car c’est justement dans l’abstraction que le roman revêt sa dimension universelle.

     

    margriet de moor,kees snoek,eddy du perron,sutan sjahrir,littérature,pays-bas,traductionOn retrouve la juxtaposition de deux récits comme principe de construction dans La Noyée (De verdronkene, 2005), traduit en français sous le titre Une catastrophe naturelle (3). Dans ce roman, la vie d’Armanda s’entrelace à un point extrême avec celle de sa sœur, Lidy. Armanda, la cadette, a une filleule en Zélande, dont on s’apprête à fêter le septième anniversaire. Naturellement, la marraine se doit d’être présente. Mais Armanda, qui n’a pas tellement envie de faire le voyage, demande à sa sœur, plus entreprenante qu’elle, de se rendre à sa place sur l’île zélandaise où elle est attendue. Comme les deux femmes se ressemblent beaucoup, il y a peu de chance que la filleule s’aperçoive de la supercherie. Lidy accepte sur-le-champ. Alors qu’elle prend la route, le 31 janvier 1953, la météo annonce une forte tempête. Elle poursuit toutefois son voyage. Mais le 1er février, le mauvais sort frappe impitoyablement : l’île zélandaise où a lieu la fête de famille est touchée de plein fouet par la grande inondation, plus encore que le reste de la région. Dans le pays, on ne prend conscience qu’au compte-gouttes de l’aspect apocalyptique du désastre. Le drame que vit alors Lidy (elle va périr noyée) est narré avec nombre de pauses : il est exposé comme un récit qui ne cesse de déterminer la vie de son mari, celle d’Armanda – lesquels vont d’ailleurs se marier – ainsi que celle de sa fille Nadja, que la sœur cadette adoptera. De la sorte, le récit de la vie d’Armanda court parallèlement aux derniers jours de la vie de Lidy, avec pour effet littéraire un étirement du temps (Dehnung) dans l’histoire de Lidy et une compression du temps (Raffung) dans celle d’Armanda. En se déroulant côte à côte, ces récits rendent plus concrets les jeux du destin à travers ce qui lie les deux personnages centraux. Le roman se termine par un responsorium : la défunte margriet de moor,kees snoek,eddy du perron,sutan sjahrir,littérature,pays-bas,traductionLidy et la vieille Armanda, proche de la mort, entrent en dialogue, passant en revue des sujets tant prosaïques qu’essen- tiels. La noyée (verdronkene), qui a d’abord été la refoulée (verdrongene), celle qui devait être effacée de la surface de la terre, devient dans cet échange final « la sœur clandestine que j’héberge en moi », « quelqu’un qui, tout au long de ma vie, a regardé et écouté avec moi ».

     

    Outre des romans, on doit à Margriet de Moor des recueils de nouvelles, certaines plutôt longues (novella), d’autres plus courtes (short story). C’est en pratiquant ce dernier genre – « la musique de chambre de la littérature », selon sa propre formule – qu’elle a commencé son parcours littéraire. Lors de l’atelier de traduction qui a eu lieu ces 16 et 17 octobre à la Sorbonne, avec le concours du Centre d’Expertise en Traduction Littéraire, nous avons travaillé sur la nouvelle « Tweede keer » (Deuxième fois), dans laquelle quelques références à des romans français fonctionnent comme autant de repères nostalgiques relativement à la jeunesse que deux sœurs ont partagée – deux sœurs là encore !  Toute nouvelle  connaît sa propre complexité, ainsi que Margriet de Moor le souligne elle-même : « Il n’est pas plus facile d’écrire une nouvelle qu’un roman. Les deux genres exigent le même travail, axé sur le style et la composition. Tous deux suscitent, tout au long du processus d’écriture, les mêmes angoisses et les mêmes joies. »

    margriet de moor,kees snoek,eddy du perron,sutan sjahrir,littérature,pays-bas,traductionDans les short stories, de même que dans Mélodie d’amour, on ne peut qu'être frappé par la concentration aphoristique à laquelle parvient l’écrivain. Tant dans les nouvelles en question que dans les romans, le drame de la vie se déploie devant nous ; il s’agit souvent du drame de l’amour dans lequel le destin joue son rôle perfide. La vie intérieure des personnages est suggérée en passant et non pas expliquée. Les personnages s’encerclent les uns les autres comme des planètes et des étoiles dans un rapport magnétique, mais dans quelle mesure se connaissent-ils ? La nouvelle « Verkozen landschap » (Paysage élu) a pour sujet un couple, Mira et Paul. Au début, on nous présente Mira en ces termes : « Elle souriait à son mari comme dans un rêve. Ils étaient ensemble depuis quatorze ans déjà, elle s’était accoutumée à leur amour. À son visage étroit. À ses mains aux ongles très soignés. Toutes les choses disparates, inintelligibles qui avaient pu la traverser au cours de ces quatorze années, étaient reliées par un fil ténu à cet homme. »

    Bien entendu, il existe des différences entre, d’une part, des personnes qui vivent ensemble et, d’autre part, des personnes qui ne se connaissent que superficiellement ou encore des gens qui sont des étrangers l’un pour l’autre. Concernant la dernière catégorie, citons un passage emprunté à la nouvelle « Dubbelportret » (Portrait double) : « Les choses qui arrivent à autrui ne revêtent qu’un faible degré de réalité. Moindre qu’un rêve. Moindre qu’un récit. Moindre que le contenu d’un film rapporté de façon incohérente. »

    margriet de moor,kees snoek,eddy du perron,sutan sjahrir,littérature,pays-bas,traductionIl n’en est pas moins vrai que chaque vie, chaque individu recèle son propre mystère qui en constitue l’essence même. Le personnage de Magda dans Gris d’abord puis blanc puis bleu (4) (Eerst grijs dan wit dan blauw, 1991) abandonne sans rien dire son foyer ; deux ans après, elle retourne chez elle, comme si de rien n’était, sans dire mot à son mari de ce qu’elle a fait durant son absence. Leur vie de couple reprend, mais le secret que Magda n’entend pas partager avec son mari représente une partie essentielle de sa personnalité ; pour celui-ci, il devient peu à peu une obsession au point qu’il se sent exclu et qu’il finit par tuer son épouse avec un poignard tibétain.

    margriet de moor,kees snoek,eddy du perron,sutan sjahrir,littérature,pays-bas,traductionBeaucoup de personnages de Margriet de Moor sont à la merci de leurs propres intuitions, de leurs impulsions ou encore de circonstances qui les prennent par surprise en soulevant en eux des émotions qu’ils ne soupçonnaient pas. D’autres reculent devant l’abîme de ces émotions et préfèrent se laisser bercer au rythme de la routine. Il en est aussi qui se sentent totalement désorientés, qui souffrent d’une perte d’identité à la suite d’événements cruciaux, par exemple quand ils se sentent trahis ou victime de la fatalité. Dans Mélodie d’amour, Atie, l’épouse de Luuk, mari adultère, est la proie d’émotions contradictoires, lesquelles font naître « un éventail de nuances » sur son visage. Elle est « pleine de tristesse et de désir, de haine et d’amour, d’indulgence et de ressentiment, ne sait plus à quel saint se vouer car elle sait qu’elle va de toute façon le perdre, elle écume de rage contre lui, contre elle-même […] ». Oui, il arrive que l’amour se révèle tout aussi redoutable que la force des éléments, qu’une catastrophe naturelle ; on est emporté sans pouvoir opposer la moindre résistance ; on se trouve plongé soit dans le bonheur soit dans le malheur quand ce n’est pas dans les deux à la fois. Ce n’est pas un hasard si les volets de Mélodie d’amour, quatre récits traitant de diverses façons d’aimer, y compris de l’amour entendu comme affection réciproque entre frère et sœur, comportent des motifs ayant un lien avec la nature et les conditions météorologiques. Dans ces pages, plusieurs éléments font écho au sujet central d’Une catastrophe naturelle : l’ouvrier qui pilote une drague, les travaux hydrauliques, les dépressions atmosphériques qui amènent des tempêtes, la marée basse décrite comme « marée malveillante du bas-fond, démon hantant les fosses sombres entre les bancs de sable qui disparaissent sous les eaux »…

    margriet de moor,kees snoek,eddy du perron,sutan sjahrir,littérature,pays-bas,traductionAu vu des thèmes et motifs mentionnés, Mélodie d’amour apparaît par ailleurs comme un roman très hollandais où le danger inhérent à la vie se trouve symbolisé par l’eau, cette menace immémoriale. Au temps de la grande inondation de 1953, des chevaux ont survécu en restant plantés sur place, raides comme des piquets, parfois des journées entières. Ils n’ont pas cherché à fuir n’importe où, au hasard. Mélodie d’amour se referme sur l’image de deux cents chevaux, coincés sur un anneau de terre au milieu de la mer des Wadden. « Avec la marée haute et la tempête de novembre qui fait rage depuis des jours, la mer affleure le haut de la digue. » Les chevaux restent obstinément plantés sur place, n’osant pas même, à marée basse, traverser l’estran pour gagner le continent, leur salut. Ceci en dépit de toutes les tentatives de l’armée et des sauveteurs. C’est alors qu’arrivent quatre amazones, quatre Frisonnes à cheval, qui lancent leurs montures dans l’eau en empruntant un passage submergé ; avec elles, elles entraînent bientôt la jument qui guide la harde. Le roman se termine en une apothéose pleine d’amour et de dévouement :

    margriet de moor,kees snoek,eddy du perron,sutan sjahrir,littérature,pays-bas,traduction« Derrière les quatre amazones, en un trot intrépide, le cortège se dirige vers la digue : c’est le cortège le plus gai qu’on ait jamais vu. L’eau qui éclabousse se fait argentine et le ciel de plus en plus bleu à mesure que les chevaux rejoignent la terre ferme.

    Doux, dociles, prodigieusement heureux. »

     

     

    Paris, le 18 octobre 2013. Discours prononcé par le professeur Kees Snoek à la résidence de l’ambassadeur des Pays-Bas à l’occasion d’une soirée littéraire consacrée à Margriet de Moor, écrivain en résidence à l’Université de Paris-Sorbonne.

     

     

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     Margriet de Moor et Abdelkader Benali,

    Paris, le 18 octobre 2013 (photo : S. Benali)

     

    (1) Mélodie d’amour, Amsterdam, De Bezige Bij, 2013.

    (2) Le Peintre et la jeune fille, trad. Annie Kroon, Paris, Libella-Maren Sell, 2012.

    (3) Une catastrophe naturelle, trad. Danielle Losman, Paris, Libella-Maren Sell, 2009.

    (4) Gris d’abord puis blanc puis bleu, trad. Marie Hooghe, Paris, Robert Laffont, 1993.

      


    entretien en allemand avec Margriet de Moor

     

     

    * Kees Snoek est l’auteur d’un ouvrage monumental sur la vie et l’œuvre de l’écrivain Eddy du Perron. Il prépare actuellement une biographie sur Sjahrir  (1909-1966), premier Premier ministre de l’Indonésie, en recourant entre autres aux très belles lettres que le politicien a adressées à sa première épouse, la Néerlandaise Maria Duchâteau (1907-1997).

     


     Marque Page - Margriet de Moor - Une catastrophe naturelle

     

     

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  • La Femme à la clé

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    Nouveaux romans de Vonne van der Meer

     

     

    Après Les Invités de l’île (intitulé La Maison dans les dunes avant sa parution en 10/18), Le Bateau du soir et Le Voyage vers l’enfant, les éditions Héloïse d’Ormesson ont publié un nouveau roman de Vonne van der Meer. La Femme à la clé (traduction : Isabelle Rosselin) a reçu un accueil chaleureux.

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    « Après la mort soudaine de son mari, sans expérience professionnelle aucune, ni ressources, Nettie, 59 ans, se trouva bien dépourvue... Femme au foyer, elle devait maintenant trouver un emploi, et vite ! Aussi, elle publia une annonce afin de proposer ses services de lectrice, variante des anciens Mitschlafer : ‘‘Femme, 59 ans, d'apparence maternelle, hanches larges, voix agréable, vient vous border et vous faire la lecture avant que vous vous endormiez. Discrétion assurée. Intentions sexuelles totalement exclues’’. Nettie reçoit immédiatement des propositions et le lecteur accompagne cette lectrice novice à la rencontre d'une palette hétéroclite, enfants, adultes, femmes, hommes, de personnages qu'elle aidera à s'endormir, certes, mais aussi à qui elle redonnera goût à la vie. Ils lui confieront la clé de leur intimité et elle saura en faire bon usage au même titre que sa propre clé ! Et comme cela passe par la lecture, que demander de plus, le bonheur quoi ! Un voyage empreint de douceur, de tendresse et d'humanité. » (source : ici)

     

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    Vonne van der Meer, quatrième de Het smalle pad van de liefde

    (photo : Annaleen Louwes)


    « Tout commence avec une petite annonce passée dans le journal : ‘‘Femme, 59 ans, d’apparence maternelle, hanches larges, voix agréable, vient vous border et vous faire la lecture avant que vous vous endormiez. Discrétion assurée. Intentions sexuelles totalement exclues.’’

    C’est ainsi que Nettie, jeune veuve décide de prendre son avenir à bras le corps pour sortir de la douce neurasthénie qui s’installe dans son existence. Devenir lectrice, donner de la voix et aller à la rencontre des gens pour leur offrir une évasion immobile et une fenêtre sur le monde. Voilà une aventure courageuse pour celle qui va peu à peu pénétrer l’intimité de ses clients, et qui à travers la lecture va installer avec eux, des relations beaucoup moins linéaires que la posture de départ ne le laisserait penser.

    Le roman de Vonne van der Meer est d’une grande finesse dans sa manière d’aborder une histoire qui se veut ‘‘sans engagement’’. Tout comme Nettie qui pense au départ que cette aventure légère lui permettra de papillonner de livres en livres et de clients en clients, sans avoir à s’attacher ni aux uns ni aux autres, le lecteur se retrouve happé vonne van der meer,littérature,traduction,héloïse d'ormesson,pays-bas,isabelle rosselinpar les différentes strates de lecture que ce roman dévoile. Une subtile mise en abyme qui nous suspend au fil des différentes voix narratives.

    On suit avec intérêt l’évolution de Nettie et de sa reconstruction progressive au contact des souffrances des autres ; on se passionne pour chaque nouvelle, extrait de roman ou incipit, qu’elle lit à haute voix (celle du senior qui veut séduire une femme plus jeune le temps d’un dîner au restaurant et qui tourne au cauchemar est une vraie perle !) ; on s’attache à découvrir les non-dits et les secrets de famille de ses clients qui ouvrent eux aussi les pages de leur intimité et de leurs émotions au fil des rendez-vous. Un roman de femme pourrait-on dire, par la sensibilité complexe, à voix multiples, qui s’en dégage et les différentes approches que l’on peut faire de la lecture du roman et des lectures dans le roman.

    La traductrice Isabelle Rosselin n’est pas étrangère au plaisir de lecture du roman écrit en néerlandais par Vonne van der Meer. Elle donne la bonne musique des mots, et traduit parfaitement l’intimité des huis clos qui se jouent entre la lectrice et ses auditeurs, comme ce fut déjà le cas dans sa traduction notamment du Retour d’Anna Enquist. 

    Ce roman à tiroirs est aussi une belle manière de rappeler que la lecture à haute voix n’est pas un plaisir réservé à l’enfance. À la fois pudique et généreux, c’est un partage qui peut ouvrir bien des voix/voies…

    Un gros coup de cœur de cette rentrée littéraire dans le domaine littérature étrangère ! » (source : ici)

     

    CouvSmallePas-Vonne.jpgPeu après la parution de La Femme à la clé en France, les lecteurs néerlandophones ont pu découvrir le dernier roman de Vonne van der Meer : Het smalle pad van de liefde (Le sentier étroit de l’amour). Ou comment une femme renonce à l’homme dont elle s’éprend afin de sauver son mariage, sa famille, comment elle surmonte jalousie et ressentiments à travers la découverte d’autres désirs que ceux qui nous submergent dans la passion amoureuse. Une histoire pleine de tact qui se déroule entre Pays-Bas et Auvergne.



    Vonne van der Meer à propos de son dernier roman

    (l'entretien dans son intégralité : ici)



  • Paternité manquée

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    Brouwers50ans.pngAlors qu'on s'apprête à célébrer, aux Pays-Bas, les cinquante années d'écriture de Jeroen Brouwers à l'occasion de la parution de son nouveau roman Het hout (2014), Jours blancs (Galli- mard, 2013) a retenu l'attention de quelques critiques. Ainsi, Yaël Hirsch écrit-elle : « Avec une ironie mordante, Jeroen Brouwers dresse le portrait d’un monstre tranquille, retiré dans les sphères d’un égoïsme banal et plongé dans une solitude vague et pleine de ressentiment diffus. C’est à travers ce prisme, aussi mesquin que lettré, que le lecteur assiste, impuissant, à une rencontre qui ne se fait pas, faute de sentiments possibles. Mais qui dit absence  de cœur ne dit pas absence d’images. Jours blancs est un livre dur, superbement écrit et terriblement juste. »  (« Jeroen Brouwers décrit les affres de la paternité elliptique », toutelaculture.com). Quant à Tiphaine Samoyault, elle a donné l'article suivant à la Quizaine littéraire n° 1085 :


    Paternité manquée

    CouvBrouwers2013.pngTroisième livre de Jeroen Brouwers traduit en français (après Rouge décanté et L’Éden englouti) au sein d’une œuvre qui compte en néerlandais plus de cinquante titres, Jours blancs a été provoqué par un événement violent de la vie de son auteur : la mort de son fils aîné, à l’âge de quarante ans. Il en tire un récit puissant et heurté sur les relations impossibles ou ratées.


     

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    Rougé décanté, présenté par Olivier Barrot


  • Refus de paternité

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    Jours blancs de Jeroen Brouwers

     

     

     

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    J. Brouwers, Jours blancs, trad., D. Cunin, Gallimard, 2013.

     

     

     

    « Jeroen Brouwers s’était attelé à un nouveau roman quand, à la suite de la mort prématurée de son fils aîné, un autre livre s’imposa à lui. En l’espace de quelques mois – une durée étonnamment courte pour lui –, il écrivit Datumloze dagen (Jours blancs), publié en 2007.

    « Le protagoniste de ce long monologue est un homme âgé qui vit dans un bois isolé. Remords, regret, mélancolie et honte, tels sont les sentiments qui prédominent dans ces pages. Le roman traite des rapports troublés entre un père et son fils ; sous une apparente négligence, l’auteur déploie une telle maîtrise du style que le livre marque profondément le lecteur au risque de trop l’affecter. Le narrateur revient sur l’échec de sa paternité à propos de ce fils qu’il a à peine connu. Si pour ce qui est des faits rapportés, il ne ressemble en rien à l’écrivain, il partage en revanche nombre de ses traits de caractère.

    jeroen brouwers, littérature, pays-bas, hollande, traduction, gallimard« Stylistiquement, le roman se situe dans le prolongement de Geheime kamers. La critique a cette fois encore relevé le style étonnement leste et léger. Une qualité du Brouwers de la maturité, qui, sous une nonchalance trompeuse, privilégie une composition ingénieuse truffée de références aux mythes classiques et à des thèmes explorés dans des œuvres antérieures. On peut aussi dégager des parallèles avec des romans précédents, à commencer par le premier d’entre eux, Joris Ockeloen en het wachten (Joris Ockeloen et l’attente, 1967), également centré sur les rapports père/fils. De même, dans Datumloze dagen, tout est en rapport avec tout. Dès la deuxième page, il est question ‘‘d’un soleil qui prend congé en caressant tout une dernière fois, en projetant une ombre’’. »

     

    JohanVandenbroucke, « Le mémorial de papier de Jeroen Brouwers », Septentrion, n° 1, 2012.

      

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    EXTRAIT

    (le narrateur se remémore le jour où sa première épouse lui a annoncé qu’elle était enceinte)

      

    Les femmes, leur parler, c’est peine perdue. Les femmes, dès que l’utérus les démange, c’est peine perdue que de chercher à s’accorder sur quoi que ce soit avec elles. L’horloge biologique ? Mieux vaudrait parler de bombe à retardement. Les femmes ne respectent aucun engagement ni aucune promesse dès qu’elles ressentent un petit courant d’air dans le bas-ventre ; elles obéissent alors aveuglément à leur instinct de bête en chaleur qui leur commande d’être emplies.

    Nous, on s’aime ? me suis-je écrié. Je ne crois plus pouvoir être aussi catégorique que toi. Toi, tu ne m’aimes en aucune façon puisque tu assouvis tes désirs sans tenir compte de moi. Raison pour laquelle je ne t’aime plus.

    Le don des larmes. Deuxième aiguillon le plus perfide de la rouerie féminine. Je l’entendis renifler – du coin de l’œil, je la vis se tamponner yeux et joues avec l’embryon de layette.

    Elle : Mais toi aussi, tu assouvis tes désirs en refusant d’avoir un bébé ?

    Je suis bien trop crétin pour les femmes. Ça me démangeait et me désespérait.

    Ce sujet, nous l’avons déjà épuisé je ne sais combien de fois. Voilà ce que je lui ai rappelé. Attendons d’abord d’être des adultes. En tout cas que j’aie terminé mes études. D’autre part : qui est encore assez fou, en cette époque abominable, pour mettre au monde un enfant dans ce monde abominable – n’est-ce pas là commettre un crime et se rendre coupable, par anticipation, de maltraitance d’enfant ?

    Pousser le bouchon un peu trop loin quand le moment s’y prête, ce n’est pas défendu.

    Sans compter qu’un petit poupon, ça ne reste pas indéfiniment le joli gentil petit toutou à sa maman qui se trémousse à quatre pattes sur la moquette. Ça grandit, ça vous cause du souci jour et nuit, et dès l’âge de dix ou douze ans, ça pousse des coups de gueule. Le quart de siècle suivant, vous arrivez encore moins à vous en défaire, ça vous tient pieds et poings liés alors que, parallèlement, votre vie se dissipe comme la cendre d’une cigarette. Vous croisez les doigts pour que le petit ne tombe ni dans l’héroïne, ni dans l’eau bénite, ni dans la prostitution… Et vous n’y couperez pas, le jour viendra où il vous lancera à la figure, comme un glaviot : J’ai pas demandé à naître ! Moi, je me vois lui répondre du tac au tac, sur un ton chaleureux : L’heureux hasard ! Ne vas surtout pas m’imputer ta naissance. Je n’avais aucun scrupule à ce que ta mère avorte !


     

    jeroen brouwers, littérature, pays-bas, hollande, traduction, gallimard