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erik lindner

  • UN MONUMENT

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    Poésies de Hans Faverey

     

     

    Hans Faverey was the purest poetic intelligence of his generation, the author of poems of lapidary beauty that echo in the mind long after the book is closed.

    J.M. Coetzee

     

     

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    L’année 2019 a vu la parution de la traduction de l’un des monuments de la littérature néerlandaise, à savoir l’œuvre poétique de Hans Faverey (1933-1990). Après quelques tentatives, en particulier : Contre l’oubli en 1991 – une petite anthologie traduite par les auteurs néerlandais Joke J. Hermsen et Henk van der Waal – et Poèmes en 2012 – résultat cette fois de la collaboration du duo franco-hollandais Éric Suchère et Erik Lindner, avec la complicité bilingue de Kim Andringa –, ce sont ces trois derniers que l’on retrouve aux manettes pour les 650 pages de Poésies, magnifique objet relié édité à Bruxelles par Vies Parallèles. Une quatrième tout aussi sobre que le titre, niellée en noir à même la toile jaune du volume : La beauté toutefois / est la certitude des choses / qu’on ne voit pas. Un dépouillement visuel qui rejoint celui auquel l’auteur était attaché pour ses publications en néerlandais.

    hans faverey,erik lindner,eric suchère,kim andringa,éditions vies parallèles,traduction,poésie,hollande,pays-bas,andré du bouchetÀ l’écart des écoles, Faverey a composé, en plus ou moins trois décennies, ce qui reste l’une des créations poétiques majeures de la Hollande du XXe siècle, à côté de celles de Gerrit Achterberg – lui aussi poète au langage clos sur lui-même et poète et rien que poète –, Martinus NijhoffLeo Vroman et Lucebert, celles de deux ou trois autres aussi sans doute, Ida Gerhardt par exemple.

    Cet homme au patronyme d’origine française semble-t-il, né dans la capitale du Suriname, qui vint travailler à Leyde comme psychologue dans une clinique rattachée à l’Université, se montre extrêmement précautionneux dans l’emploi des mots et groupes de mots, comme si chacun était un objet fragile, un frêle chaînon qui risque à tout moment de se rompre – une caractéristique qu’il partage avec son ami Gerrit Kouwenaar même si ce dernier se concentre certainement plus sur le vocable isolé. Écoutons Hans Faverey lire un poème sans titre du cycle « La tortue » (vidéo de 1983) :


     

    La tortue :

     

    comment fait la tortue ;

    et pourquoi la tortue fait-elle

    ainsi. Pour ne pas être lièvre

    ni hérisson, rit le pic-vert ;

     

    en ne rêvant pas

    de sauterelles

    qui marchent sur Troie.

     

    En tant que lièvre la tortue

    n’a rien à perdre hormis une forme

    de rapidité, qui fait tellement

    rire la tortue, que même

    sa flèche la rattrape, après s’être

     

    d’abord écrasée sans but.

     

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    Le poète et son épouse Lela

     

    Le temps est à l’arrêt, on fait une place précaire à la vie dans le poème et dans les blancs du poème, sans pour autant qu’il soit question d’une aliénation : la langue ne nous devient pas totalement étrangère. Un couple de mots, une signification, « la négation du mouvement », « l’incantation rétive », la rareté de la métaphore, tout cela se déroule en des bribes, des séries, des séquences de trois, cinq ou dix pages. Ainsi celles qui portent le nom d’un artiste : « Hommage à François Couperin », « Adriaen Coorte », « Girolamo Cavazzoni, disparu en contexte » ou encore « Hommage à Hercule Seghers », cet Hercule Seghers que Faverey admirait tout cautant que cet autre ami, André du Bouchet, l'un de. Dans l’hommage au peintre et graveur du XVIIe siècle, l’hiver se fait, qui sait, écho de celui de Gerrit Achterberg : Voici l’hiver tassé en son silence. / Nous sommes sans principes. Légendaires, / villages et étangs se blottissent les uns / contre les autres. Hercules Seghers.

    Une identification à l’hiver qu’on trouve, non au début, mais en fin de poème chez Faverey :

      

    Vidant la tête

     

    la main sur le cœur.

    Me tapant la tête

    pour vider le cœur.

    Tout ce temps le lointain attirant,

     

    comme le lointain doit

    l’être : attirant.

     

    Pour que je garde au moins une

     

    longueur de nez d’avance

    sur celui que je deviens,

    avant que je ne sois hiver

    et qu’on m’éteigne.

     

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    Dans Poésies, on relève maints autres exemples de cet approfondissement d’un « vide » plus ou moins énoncé, de cette « logique répétitive qui conduit davantage à faire différer l’élément repris qu’à mécaniquement le reproduire » dont parle Emmanuel Laugier – « un jeu très sérieux de langage, une façon d’interroger les mots, les syntagmes, jusqu’à créer une écriture parataxique rare – et puissante ».

    Parmi ces « fragments d’inconscient qui mordent la conscience, composition quasi musicale de ces fragments… » (Lucien Noullez), les plus connus aux Pays-Bas sont sans doute « Man & Dolphin / Homme & dauphin » ainsi que ceux réunis dans les recueils chrysanten, roeiers (Chrysanthèmes, rameurs) et Tegen het vergeten (Contre l’oubli). Dans son liminaire, Erik Lindner apporte de précieux éléments sur ces « poèmes partiels » ainsi que sur la biographie du poète et quelques-unes des influences qu’il a pu absorber au fil du temps (poésie chinoise, Gertrude Stein, Wallace Stevens, ouvrages scientifiques…).

    hans faverey,erik lindner,eric suchère,kim andringa,éditions vies parallèles,traduction,poésie,hollande,pays-bas,andré du bouchetSous la main d’un homme familier du clavecin, l’écriture nous invite à collaborer en quelque sorte de l’intérieur même à son processus créateur, un processus qui pouvait prendre des années de repentirs, de biffages, d’effacements.

    Dans les années cinquante, au cours d’un voyage en Yougoslavie, Hans Faverey rencontre sa future épouse, Lela Zečković (1936-2018). Traductrice et elle-même poète – Belvédère, son recueil de 1981 écrit en néerlandais sera remarqué –, elle se charge, après la disparition de son mari, de mettre au point une édition de poèmes posthumes. Plus tard encore, en 2010, l’universitaire Marita Mathijssen édite les œuvres complètes (poèmes inédits, posthumes, etc.) de Faverey. L’édition dont on dispose à présent en français regroupe tous les poèmes qui ont paru du vivant de ce dernier. Il a pu tenir en main son dernier recueil, Het ontbrokene (Le décomplété) – néologisme basé sur le participe passé du verbe « manquer », de « faire défaut » –, deux jours avant de mourir.

    Écoutons encore une fois Hans Faverey : il lit « Man & Dolphin / Homme et dauphin » lors de Poetry International 1977, poème inspiré par les dauphins qu’il a vus, enfant, sur le bateau qui l’amenait en Europe, et plus encore d’un article de John C. Lilly sur les vocalises de ces cétacés. Les cinq brefs volets du poème/cycle reposent sur la simple répétition des mots « dauphin », « balle », « tu », « dis », « dois », « une fois », « hé ». Autrement dit, le poème insiste toujours plus pour que le dauphin prononce au moins une fois le mot « balle ». L’assistance va-t-elle se substituer à l’animal ?

     

    Daniel Cunin

     

     

     

     

     

  • Blonk bugle Bonset

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    Le poète sonore Jaap Blonk,

    interprète d’I.K. Bonset

     

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    À l’occasion de l’exposition « Theo van Doesburg. Une nouvelle expression de la vie, de l’art et de la technologie » qui se tient à Bozar du 26 février au 29 mai 2016, le poète Jaap Blonk redonne vie à des poèmes que cet artiste touche-à-tout a composés sous l’un de ses hétéronymes :

    I.K. Bonset.

     

    Jaap Blonk Dada Vocal performance 

     

    Theo van Doesburg (1883-1931), qui a écrit sous différents pseudonymes (I.K. Bonset, Aldo Camini…), s’appelait en réalité Christian Emil Marie Küpper. Il a laissé une œuvre de théoricien, d’architecte, de peintre et d’écrivain. Principale figure de la mouvance Dada en Hollande, il a été entre autres à l’origine de la revue De Stijl ou encore rédacteur, sous le nom d’I.K. Bonset – anagramme de ik ben sot = « je suis sot » –, de la publication dadaïste Mécano à laquelle ont pu collaborer Arp, Schwitters, Picabia et Tzara. On lui doit le ciné-dancing l’Aubette (Strasbourg), une demeure qui porte son nom à Meudon… ou encore certaines chaises de cafés alsaciens.

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    La poésie d’I.K. Bonset se caractérise en particulier par sa puissance expressive. Alors que la production littéraire de Theo van Doesburg puisait, à l’origine, dans une veine ésotérique et un romantisme tardif, Bonset n’a cessé, à compter de 1914, d’épurer sa langue. Des impressions visuelles se trouvent ainsi ramenées à leur essence : il décrit une guitare suspendue comme une « planche noire et étroite » ayant un « disque jaune » en guise de « corps » et une « ligne ténue » en guise de cordes. Bonset tente de « restituer directement les émotions dans les sons ». Ses « Images-X » (un exemple ci-dessus), qui font partie de la série des « Kubistische verzen » (Poèmes cubiques, 1913-1919), sont des poèmes visuels qui suggèrent le mouvement par des jeux typographiques. Ils sont volontairement ludiques et provocateurs : « les éclats du cosmos je les trouve dans mon thé ».

    Livret de poèmes (bilingue)

    jaap blonk,poésie sonore,pays-bas,theo van doesburg,i.k. bonset,bozar,laurens ham,erik lindner,poètes néerlandais de la modernité,avant-gardeBonset se soucie bien peu des limites sensorielles : le personnage central, « pénétré de la chambre où se glisse le tram », nous dit que des « sons d’orgues : dehorstraversmoi / tombent derrière moi cassés ». L’auteur parvient de la sorte à traduire sur le papier des expériences qui avaient déjà trouvé une concrétisation dans les arts plastiques et le cinéma futuristes : l’abolition des frontières entre ouïe, vue et toucher. On a l’impression qu’il existe un fort contraste entre l’aspect fougueux de ces poèmes et la rigueur graphique et théorique de De Stijl ; ce qui est certain, c’est qu’en faisant sauter des frontières, le poète avait besoin de nouveaux cadres. « Le non-sens, c’est le pied central de la table au quatrième étage de la vérité », expliqua-t-il alors que Tristan Tzara venait de reconnaître en lui un dadaïste.

     

     

    jaap blonk,poésie sonore,pays-bas,theo van doesburg,i.k. bonset,bozar,laurens ham,erik lindner,poètes néerlandais de la modernité,avant-gardeToutefois, I.K. Bonset ne se concentre pas uniquement sur la dimension visuelle des mots, il s’attache plus encore à leur sonorité. Ce sont surtout les poèmes nés à l’époque où Van Doesburg remplissait ses obligations militaires – par exemple « Voorbijtrekkende troep » (« Troupe qui vient à passer ») et « Centra » (« Centre ») – qui marient une typographie saisissante à des onomatopées. Sons et images se fondent en une explosion sensorielle: « VLAN / visible Coup defeu ». L’aboutissement de ce processus d’abstraction, I.K. Bonset l’a atteint en donnant ses « Letterklankbeelden » (Images sonores lettristiques - la n° 3 en écoute ci-dessus). Des mots, il ne reste désormais plus rien : les poèmes se composent de simples lettres auxquelles un encodage attribue une certaine longueur et une certaine valeur sonore. Il paraît bien difficile d’aller plus loin dans la dislocation de la poésie si ce n’est en renonçant à écrire et en se faisant compositeur. Sa carrière tout aussi intense que courte offre, d’une certaine façon, un aperçu de l’ensemble de l’avant-garde. En effet, dans cette œuvre, dadaïsme, constructivisme, expressionnisme et surréalisme se côtoient et se croisent avec aisance. Un peu comme si I.K. Bonset avait éprouvé le besoin de rattraper le retard pris par la Hollande littéraire où ces chamboulements avaient pour ainsi dire échappé à tout le monde. 

    jaap blonk,poésie sonore,erik lindner,pays-bas,theo van doesburg,i.k. bonset,bozar,laurens ham,poètes néerlandais de la modernité,avant-gardeLe disque vinyle Jaap Blonk lit Theo van Doesburg édité à l’occasion de cette exposition bruxelloise (pochette ci-contre) nous permet d’écouter plusieurs de ces poèmes emblématiques. Le poète sonore en a d’ailleurs interprété certains le mardi 8 mars 2016 lors d’une soirée dédiée à l’avant-garde des années 1915-1930  au cours de laquelle les spectateurs/auditeurs ont pu voir des films de Hans Richter et Viking Eggeling remontant au tout début des années 1920, écouter Joachim Badenhorst improviser au saxophone et à la clarinette sur des toiles de Theo van Doesburg ainsi que Marc Matter (membre de Durian Brothers et Institut für Feinmotorik) manipuler des voix sur disques et platines… Mais qui est Jaap Blonk ?


    Hans Richter, Film Ist Rhythm: Rhythmus 21 (1921)


    Viking Eggeling,  Symphonie Diagonale (1924)


    jaap blonk,poésie sonore,lindner,pays-basJaap Blonk ? Un nom absent de toutes les anthologies néerlandaises. Qui plus est, un auteur jusque voici peu sans éditeur. Cela ne l’empêche pas d’être un poète sonore reconnu au plan international. Il s’est d’abord manifesté comme musicien de jazz et comme artiste vocal. Interprète de l’intégralité de l’Ursonate de Kurt Schwitters, il se sent comme un poisson dans l’eau dans l’univers des avant-gardes de l’entre-deux-guerres. Blonk explore les frontières entre langage et musique, étudie les voyelles sous leur aspect phonétique. Au début, il appelait ses poèmes sonores Liederen uit de hemel (Chants venus du ciel). Il écrit certains de ses poèmes en « souslandais », sa propre variante du néerlandais. Les ébauches phonétiques qu’il propose ressemblent parfois à des notes prises par un étudiant en chimie. D’autres poèmes commencent en néerlandais avant de progressivement s’en détacher, de s’en éloigner, tant sur le plan sonore que sémantique. Dans le célèbre « le ministre déplore pareilles déclarations » (voir ci-dessous), le néerlandais se trouve abâtardi de deux façons : l’élimination systématique des voyelles donne aux vers l’aspect d’une injonction, l’apport de consonnes celui d’une requête. Le fait que Blonk ne soit pas considéré comme membre de la confrérie des poètes ne paraît pas lui nuire : il évolue à son aise entre les univers de l’improvisation musicale, du jazz et de la performance. Cette situation est-elle caractéristique d’un esprit de cloisonnement propre aux Pays-Bas ?

    Éditeur flamand du vinyle en collaboration avec Bozar, Het balanseer a publié en 2013 klinkt, un recueil de textes du même Jaap Blonk accompagné de deux CD.* 

     

    * Cette présentation reprend des passages de l’introduction à « Theo van Doesburg = I.K. Bonset. Poèmes » (Laurens Ham, Guide du visiteur, Bruxelles, Bozar, février 2016) et de la « Préface » à Poètes néerlandais de la modernité, (Erik Lindner, Montreuil, Le Temps des Cerises, 2011, p. 42-43).

     


    J. Blonk performs Ursonate with real-time typography 

    Frictional (Phonetical Etude n° 2) (Poetry International) 

    Free Verse (2012)

     

     

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