Cees Nooteboom
CEES NOOTEBOOM EN QUELQUES MOTS & VIDEOS
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LE NOUVEAU RECUEIL
DU POÈTE FLAMAND Paul BOGAERT
À travers 29 séquences réparties en 5 volets (précédés ou non d’un argument), le Slalom soft nous entraîne sur les toboggans d’un centre de loisirs aquatique ou encore sous une immense cloche de verre qui abrite un système écologique fermé.
LA QUATRIÈME
L’Année du Bouillon. Au bureau, l’atmosphère est tendue. On doit inventer des noms alors que la climatisation ne marche pas comme elle le devrait. Au paradis aquatique règnent effervescence et enthousiasme, en particulier dans les toboggans. Jusqu’au moment où le maître-nageur rencontre des problèmes. Des noyés et des coachs personnels l’interrogent. Il tente de se concentrer. Mais le niveau a baissé. Le mal est fait.
Dans le Slalom soft, Paul Bogaert se focalise sur le travailleur qualifié qui s’active dans sa cloche de verre surchauffée ; dès qu’on l’appelle pour un excrément, il se précipite de-ci de-là « selon la grotesque chorégraphie à la longue épuisette ».
En fonctionnaire, quelqu’un viendra me cueillir
comme sur l’écran d’une série.
On sera bien surpris
de me voir en sortir gommé.
Abstraction faite de cela (revoilà ce gland, licencie-le)
j’entends une sirène,
le gyrophare caresse les façades sans doute
comme l’autre fois, tu te souviens, il s’agissait de faire évacuer
Le Je sais Tout.
Long poème d’un tenant, le Slalom soft se laisse scinder en courtes unités avant de se reformer en un ensemble qui risque à tout moment de se rompre sous vos pieds.
UN POÈME
Tu mens puis filtres
Tu mens puis filtres
l’accessoire, le commentes
l’humectes le tires le tends
et dans l’évocation des faits bien entendu le tisonnes.
Accessoire qui
rond et sensible aux majuscules
traîne alors dans les conclusions comme s’il
exploitait ce hotspot in.
Ou bien tu mens puis tombes dans l’habituel
dans l’explication bouche bée
dans le laborieux flip-flap que l’on voit trop souvent.
le poème en langue originale
L’AUTEUR
Paul Bogaert est né en 1968. En 1996 paraît son premier recueil, WELCOME HYGIENE. Tracassé par un état de surconscience, le poète porte sur lui-même et les autres un regard qui engendre une impression d’étrangeté.
On retrouve ces attitudes mentales et sensorielles exacerbées dans le recueil Circulaire systemen (Systè- mes circulaires, 2002) : Paul Bogaert y explore la fascination qu’il éprouve pour tout ce qui est rotatif. Le système circulaire fermé procure une impression de sécurité, mais aussi de malaise. L’auteur crée, sur un ton pseudo-scientifique, des sortes de machines langa- gières poétiques qui opposent le quotidien au systématique.
Après avoir publié AUB (SVP) en 2006, Paul Bogaert a signé l’essai Verwondingen (Blessures, Centre de Poésie, Gand, 2008) dans lequel il explore les secrets de la poésie en analysant la chanson serbe retenue pour le concours de l’Eurovision en 2007. Son éditeur Meulenhoff/Manteau vient de faire paraître le Slalom soft, son quatrième recueil.
En une dizaine d’années, Bogaert s’est affirmé comme l’une des voix les plus remarquables de la poésie flamande. Le site de l’auteur propose quelques poèmes des différents recueils en traduction française.
des poèmes du slalom soft ont paru dans une traduction de Paul Bogaert & Daniel Cunin dans la revue Deshima, d'autres paraîtront dans Action poétique, décembre 2010 ; une dizaine ont été imprimés dans une plaquette Poètes de Flandre - Paul Bogaert
MUTILATIONS, de Patrick DE BRUYN
À côté des polars relativement classiques d’un Pieter Aspe, des enquêtes à faire froid dans le dos d’un Luc Deflo, on relève bien entendu en Flandre des thrillers purs et durs. L’un des maîtres incontestables du genre, c’est Patrick De Bruyn. Invitation à l’automutilation.
De même que Je tue à la campagne de Paul Clément (pseudonyme de Jacques-Pierre Amette), Verminkt (Mutilations, 2004) commen- ce par un visage défiguré auquel manque une oreille. Mais la comparaison s’arrête là. Cette fois, pas de narration flegmatique en quelques dizaines de pages ni de maîtresse aux formes plantureuses, mais 400 pages denses, une jeune fille mutilée dans sa chair et un père mutilé dans sa tête : seule la peur qu’inspire cette histoire pourrait amener le lecteur à lâcher le roman, voire à le jeter contre un mur.
Un home-jacking chez des gens sans histoire tourne mal : avant de prendre la fuite, un des agresseurs plaque un côté de la tête de la jeune fille de la famille dans une poêle brûlante ; la mère elle aussi est amochée. Alors qu’elles sont hospitalisées, le père va se retrouver seul dans la maison du drame, pris en étau entre l’angoisse de voir revenir les deux malfrats d’origine slave et un vif sentiment de culpabilité : il se reproche d’avoir été lâche au moment de l’agression, de n’avoir rien fait pour protéger sa fille et son épouse. Dès lors, cet homme au chômage, qui a tendance à se réfugier dans l’alcool et les films pornos, va être aspiré dans une spirale infernale. Du fait de sa fragilité psychologique, il s’enlise peu à peu dans un univers kafkaïen ; dans ses hallucinations, média, police, entreprises mafieuses, personnalités politiques locales jouent tous et toutes un rôle. Il va finir par douter de tout le monde, y compris de ses proches, et par voir des menaces dans la moindre chose. Autrement dit, en sombrant dans un délire de persécution, il entre en enfer.
La grande force de Patrick De Bruyn, c’est de livrer, à partir de données simples, et de gens comme tout le monde – sans déverser qui plus est des flots d’hémoglobine –, une histoire qui fait bien plus peur que le meilleur film d’horreur. Son roman, c’est une voiture au bord de laquelle il vous embarque pour foncer de bout en bout à 200 km/h sans vous donner l’occasion d’en redescendre. Dès les premières pages, cramponnez-vous : l’histoire vous prend d’emblée aux tripes. L’angoisse qui envahit le personnage principal ne tarde pas à vous submerger. Tout comme lui, vous vous retrouvez en plein cauchemar. Cerise sur le gâteau : l’humour est lui aussi au rendez-vous.
LE ROMANCIER
En une dizaine d’années, le chasseur de têtes Patrick De Bruyn (né à Halle, 1955) s’est affirmé comme l’un des maîtres, si ce n’est le maître du suspense en Flandre. Alors qu’il rêvait de devenir cinéaste, il s’est mis à écrire. Il a 18 ans quand une de ses nouvelles est remarquée. Ce sera également le cas de son premier livre, un roman jeunesse publié en 1977, Angst om de Gijzelaars (Peur des kidnappeurs).
Toutefois, il faudra attendre 1998 pour voir paraître son premier thriller, File (Embouteillage). Il y est question de la peur op- pressante, qu’éprouve un chasseur de tête, de se retrouver dans un bouchon et de finir écrasé sous le chargement d’un poids lourd : deux de ses collègues sont morts peu avant dans des accidents sur l’autoroute. Suivra en 2000 Indringer (Intrusion) dont une version refondue a paru en 2008 aux éditions Manteau : une femme ambitieuse qui aime son travail fait face à des gens qui, peu à peu et subtilement, s’immiscent dans son existence pour lui ravir ce qu’elle a de plus cher. En 2001, Vermist (Porté disparu) narre l’histoire d’une femme qui cherche à comprendre pourquoi son mari a disparu, pourquoi il lui avait caché qu’il avait perdu son emploi et comment il a pu se retrouver parmi les victimes « collatérales » du Concorde qui s’est écrasé près de Paris ; parallèlement, la personne sans scrupules responsable du licenciement de son mari reçoit des menaces de plus en plus inquiétantes. Dans ces pages, la catastrophe aérienne de juillet 2000 est exploitée pour accentuer les tensions. Deux ans après, Verdoemd (Maudit, 2006) s’ouvre sur un accident de la circulation : une femme renverse une passante et prend la fuite ; cette seconde de la vie de ces femmes va déclencher une suite d’événements cauchemar- desques. Verliefd (Amoureux, 2007) met en scène un homme marié qui tombe amoureux d’une femme mariée ; mais quand on tombe amoureux, on est très vulnérable. Entre ces deux personnes qui tiennent à garder le secret sur leur rencontre, tout commence par un banal échange de courriels, mais dès la première page, on comprend que les choses vont prendre un tour inattendu. L’amour, thème récurrent des œuvres de Patrick De Bruyn, est ici contrarié par un manipulateur hors pair. Après ces 4 livres au titre commençant par le même préfixe, le romancier a publié en 2008 Pas- sie (Passion) : un homme est accusé d’avoir tué un junkie, les preuves qu’il apporte de son innocence se retournent contre lui. Serait-il malgré tout le coupable ? L’auteur lit un passage de son roman :
Le premier tirage des livres de Patrick De Bruyn est d'environ 20 000 exemplaires. Sa nouvelle De witte woede (Colère blanche) a fait l'objet d'un court métrage. Le roman Verminkt devrait également être adapté à l'écran.
sur www.geuzeinfo.com, une mine d’infor- mations en néerlandais sur Patrick De Bruyn
sur www.radio1.be, Patrick De Bruyn lit une de ses nouvelles (texte en néerlandais)
L'ENFANT ET LE VIEIL HOMME
Troisième roman de Vonne van der Meer en traduction française (éditions Héloïse d’Ormesson). Non pas le dernier volet de la trilogie de l’île frisonne – ça viendra peut-être –, mais une histoire dérangeante qui nous emmène sur les traces de Julia, femme prête à tout pour adopter un enfant.
LE MOT DE L’EDITEUR
Quand Julia aperçoit un siège enfant sur une bicyclette, son désir de maternité s’affirme et elle rêve d’un bébé avec Max, son mari. Or le couple ne peut pas avoir d’enfant. Dans l’espoir d’adopter, ils décident alors de partir au Pérou, où ils iront de surprises en défaites. Et rencontreront Pablo qui, loin d’être le nourrisson tant espéré, changera leur vie à jamais.
Vonne van der Meer nous éblouit par son écriture limpide qui cerne les craquelures du quotidien. Son histoire forte et juste déborde d’émotions.
EXTRAIT
Dans l’appartement d’en face, la femme était en train d’entreposer sur son balcon les gâteaux qu’elle venait de cuire. Bientôt, quand le soir tomberait, son mari rentrerait du travail, garant sa voiture au coin de la rue avant d’en soulever le capot. Il ne se mettrait pas, à l’inverse de ce que Julia avait cru la première fois, à bricoler son moteur mais étendrait dessus une bâche. Sur cette bâche, il poserait les gâteaux préparés par sa femme ; dans le coffre grand ouvert, il entreposerait des boîtes de biscuits. Si la vente ne marchait pas bien, ils mettraient tout dans la voiture et tenteraient leur chance une ou deux rues plus loin. La femme allongerait son bébé sur la banquette arrière pour qu’il dorme et ne rentrerait que lorsqu’elle aurait vendu tous les gâteaux.
Elle empaqueta son bébé dans une pièce de tissu aux rayures vives, plus ou moins semblable à celle que Julia avait achetée à Puno. Elle fredonna la chanson qu’elle chantait toujours pour son enfant. À chaque fois, Julia captait quelques paroles : Es tu risa en tus ojos, la luz del mundo… Tu risa me hace libre…
Julia sortit son morceau d’étoffe de l’armoire et l’étendit sur le lit. Elle roula quelques vêtements dans une serviette qu’elle posa sur le tissu. Elle s’était entrainée jusqu’à parvenir à le jeter sur son dos en un mouvement fluide. À plusieurs reprises, ayant songé que son enfant ne serait peut-être pas un bébé, elle avait alourdi le paquet avec un oreiller, ses chaussures de marche et un dictionnaire.
Cette fois, le paquet était tellement léger qu’elle le sentait à peine dans son dos. Elle s’endormit avec lui. C’est bien plus tard – il faisait déjà nuit dehors –, alors qu’elle s’avançait vers le lavabo, quelques petites culottes à la main, qu’elle remarqua dans le miroir qu’elle le portait toujours.
Lecture de Thomas Roman, Parutions.com, 24/08/2009
« Vonne van der Meer trace cette errance à deux, en fait une véritable solitude, de main de maître. Sous sa plume, marionnette triste, Julia incarne mille itinéraires, dix-mille, des milliers ; ceux de femmes dont l’horloge biologique devient ce mécanisme grippé, déboussolé. Une fable aussi sur le besoin d’ “être avec”, et les solutions offertes par l’existence, jusqu’aux plus surprenantes. Vous lirez… Vous verrez… Une écriture sèche, blanche, dure parfois, qui convainc tout à fait. »
Lecture de Jeanne Garcin, Femmes, septembre 2009
« Elle est professeur de lettres classiques, lui est architecte. Max et Julia s’aiment depuis dix ans mais désespèrent de fonder une famille. Las d’attendre que le miracle opère, le couple se lance dans l’aventure de l’adoption.
Par le biais du jeune duo et au fil de son parcours à travers le Pérou, le périple quotidien viendra sans cesse nourrir l’épopée humaine. De découvertes en déceptions, de désillusions en espérances renouvelées, Le Voyage vers l’enfant figure avant tout l’intense expérience d’une vie. Heureuse coïncidence par ailleurs, c’est une écriture tout en rondeur et en limpidité qui sert ce chemin déployé vers la maternité. A cette féminité ambiante, Vonne van der Meer ajoute un très exigent soucis du détail. Minutieusement relatée, chaque scène évoque une manière de tableau mouvant.
De cette prose quasi cinématographique découle une lecture éminemment visuelle : accolés les uns aux autres, les plans successifs laissent transparaître la possibilité d’un scénario. Rien d’étonnant à ce que, déjà attelé à l’adaptation sur grand écran, un cinéaste ait succombé à la séduisante intrigue. »
Lecture de Yaël Hirsch : ici
voir sur ce blog l’entretien avec l’auteur : ici
L'auteur présentera et dédicacera son livre le jeudi 8 octobre à 19h00 à l'Institut néerlandais, 121 rue de Lille, 75007 Paris : ici
LE ROMAN POLICIER ET A SUSPENSE EN FLANDRE (1)
Cet article propose en plusieurs volets un aperçu historique du roman policier flamand ainsi qu’un tableau des auteurs contemporains de ce qu’on appelle, de l’autre côté de la fron- tière, misdaadroman ou thriller (polar/roman noir/roman à suspense). Une partie des données de cette présentation est empruntée à certains ouvrages, articles et sites mentionnés dans la bibliographie ci-dessous, l’autre provient tout simplement de la lecture de romans eux-mêmes.
Aucune étude ne saurait proposer un tableau tout à fait exhaustif du roman policier chez nos voisins. Pour être complet, ne faudrait-il d’ailleurs pas remonter au Moyen Âge et au premier chevalier impliqué dans une affaire de meurtre ? Les universitaires flamands et hollandais ne s’intéressant que depuis peu au polar, ce sont, comme bien souvent en la matière, quelques passionnés – en premier lieu Danny De Laet et Chris Vandenbroucke – qui ont rédigé les travaux existants ; dans le nombre, ceux qui portent à la fois sur les Pays-Bas et sur la Flandre privilégient souvent les auteurs néerlandais, publiés chez des éditeurs plus en vue établis à Amsterdam. (Remarquons au passage que lorsqu’on parle du polar hollandais, il ne faut pas oublier de penser à la production en langue néerlandaise venue des Indes néerlandaises/Indonésie : ICI.
Le succès actuel du roman noir – au sens large du terme – dans la Belgique néerlandophone se traduit par l’organisation de manifestations diverses, la création de prix littéraires, de groupements d’auteurs et l’intérêt croissant des éditeurs. Voici un petit tableau du contexte actuel :
Le 7 juin 2002, à l’instigation de Bob Mendes, on a assisté à la naissance de l’Association des Auteurs de polars flamands (la GVM), celle des Pays-Bas ayant été créée pour sa part bien plus tôt (1986). Cette association a connu des débuts difficiles, peu d’écrivains y adhérant ; Hubert van Lier avait succédé à Bob Mendes à sa tête avant que Mieke De Loof n’en prenne les rênes en 2008. Aujourd’hui, cet organisme regroupe une soixantaine d’auteurs. Un de ses objectifs est de convaincre les acteurs culturels concernés de mieux défendre la littérature policière, en particulier en encourageant les traductions.
Certaines manifestations récentes tentent de promouvoir la littérature policière en Flandre :
Les prix littéraires :
Éditeurs (flamands et hollandais) publiant des auteurs flamands : Manteau, Bruna, Houtekiet, Davidsfonds, Artus, House of Books, BMP (Book & Media Publishing), Allmedia, Prometheus, De Zuidnederlandsche uitgeverij, Kramat, Q(uerido), Van Halewyck, Boekenplan, Akwastilis, De Arbeiderspers…
Depuis quelques années, la presse fla- mande propose régulièrement des comptes rendus de polars et de thrillers.
LES DÉBUTS DU POLAR : fin XIXe siècle - fin années 1970
Jean Ray / John Flanders nous parle en français
Si quelques auteurs de romans policiers néerlandais ont acquis une grande renommée en France et dans d’autres pays – Willy Corsari (1897-1998) et son inspecteur Rod Lund : 6 romans traduits en français entre 1954 et 1970 et de nombreuses rééditions ; Janwillem van de Wetering (1931-2008), Grand Prix de la Littérature Policière 1984 ; le diplomate et sinologue Robert Hans van Gulik (1910-1967) et son juge Ti –, les Flamands sont pour leur part restés jusqu’à présent plutôt en retrait à l’exception d’un Jan Ray ou John Flanders (pseudonymes parmi d’autres du Gantois Raymond De Kremer 1887-1964) qui a écrit tant en français qu’en néerlandais, d’un Frans Van Dooren (1905-1996) (en traduction française : les numéros 89 et 93 de la Collection Jaune sous le pseudonyme Deck Dorval : Un Yacht vogue au large, 1948 et Magie noire, 1949) ou encore, mais dans le domaine du livre d’espionnage, de Martha Cnockaert (1), plus connue sous le nom Marthe McKenna (1892-1966).
Il faut dire que dans la Flandre encore faiblement peuplée d’il y a peu où la prépondérance du français se faisait largement sentir, il a d’abord été question – grosso modo entre 1830 et 1940 – de faire renaître la littérature de ses cendres avant de songer à rivaliser avec l’étranger ou avec un Steeman ou un Simenon dans le domaine du roman policier. Comme aucun auteur d’avant-guerre n’est parvenu à réellement s’imposer ni à imposer un héros détective, la tradition du polar est plus récente encore que chez les voisins bataves. Il est possible d’avancer d’autres éléments d’explication de ce retard : à la différence de la Hollande, où la collection de poche Zwarte Beertjes (Oursons noirs, éditions Bruna), créée en 1955, favorisa la diffusion du polar, l’édition flamande, malgré quelques tentatives dès les années 1940, n’a pas connu une collection reconnue et reconnaissable ; de plus, une certaine censure imposée par la société bourgeoise belge a pu contrarier la production et la diffusion du genre policier : de nos jours encore, malgré Internet, les ouvrages qui sont tus par les media et pas commandés par les bibliothèques trouvent plus difficilement un lectorat. Il convient par ailleurs de tenir compte du fait que la pratique des langues étrangères et l’existence de nombreuses traductions ont fait que, comme aux Pays-Bas, la tradition anglo-saxonne et, dans une moindre mesure, la tradition française, ont occupé la place laissée libre en exerçant une influence considérable.
Le commissaire Maigret dans la collection Zwarte Beertjes
Si certains considèrent que l’histoire du polar flamand commence seulement en 1928 avec De verdwenen koerier (Le Courrier disparu) de l’Anversois Theo Huet (1890-1969) (2), d’autres la font remonter à la fin du XIXe siècle et aux feuilletons publiés par Raf Verhulst (1866-1941), dont certains sous le pseudonyme Koen Ravestein (Robert en Bertrand, 1890, et surtout Jack-the-Ripper, 1891 ; Robert en Bertrand in Antwerpen, 1904…) et par Jan Bruylants jr. (1871-1928) qui donna entre autres, sous les pseudonymes J.B. Janszoone et Auctor, plusieurs suites à Robert et Bertrand (3). Avant et encore par la suite, on relève surtout des romans et des feuilletons basés sur des faits historiques relatant les méfaits de (bandes de) malfaiteurs – ainsi que des histoires parues dans les pulps ou les journaux pour les jeunes, par exemple celles d’Edmund Bell écrites par John Flanders. Au cours de ces premières décennies, l’influence anglo-saxonne est déjà patente.
Après ces pionniers, il faudra attendre les années quarante pour assister à un premier élan du polar flamand alors même que la période de la guerre est marquée par la diffusion d’une avalanche de titres en langue française. De leur côté, les Pays-Bas connaissaient quelques auteurs à succès (d’abord Ivans, puis Willy Corsari et Havank…) et un écrivain renommé, Eddy du Perron, l’ami de Malraux, venait de consacrer un essai au genre policier.
Pour cette période du conflit mondial, Danny de Laet relève un roman policier relatant l’enquête menée suite au vol d’un tableau de Rubens (4). Frans de Roeck (1882-1973) fut un assez piètre styliste, trop présent sous divers pseudonymes dans d’innombrables pulps pour faire figure de père du polar flamand, malgré un incontestable talent à développer ses intrigues dans 14 romans policiers publiés entre 1942 et 1947. Pas non plus forcément tout à fait convaincants : De zeven dwazen d’Albrecht Ram (n° 65 de la Bibliothèque Jaune sous le titre Sept fous jouent avec la mort) (5) et Het Geheim van de Groendreef (1943) du jeune journaliste Marcel De Ceulener (1902-1982). Les titres de Frans Van Dooren (mentionné plus haut) et du journaliste Anton Van Casteren (1911-1997), qui lancera le premier véritable duo d’enquêteurs anversois, Beek et Stoffels (Onvolooide Rhapsodie, 1948) sont plus aboutis. Malheureusement, les auteurs qui montrent un certain talent ne persévèreront pas – par exemple Frans Buyle (1913-1977), auteur d’un seul roman de qualité – ou leur production, publiée uniquement sous forme de feuilleton, disparaîtra sans avoir été réellement remarquée.
Dans la décennie suivante, Roger d’Exsteyl (1926-1979) a captivé les lecteurs par quelques romans empreints d’une atmosphère hagarde et sadique, en par- ticulier De Dames Verbrug- ge (1953) qui se déroule dans les milieux de la bourgeoisie francophone gantoise (adapté à l’écran par Jean Daskalidès : 6, rue du Calvaire, 1973, après que le livre eut été traduit sous le titre Le Mystère de la rue du Calvaire, Bruxelles, Wellprint, 1966). Citons encore Per Ceptor (pseudonyme d’Emil Verhaert) qui met en scène un détective nommé Socras (6), Philippe Wouters ou encore Ludovic Leysen.
Au cours des années 1950-1960, un auteur se dégage : après avoir soutenu une thèse de philosophie, Aster Berkhof (pseudonyme de Louis Paulina Vandenbergh, 1920) va incarner presque à lui seul le genre policier en Flandre en signant au moins une quinzaine de polars dont certains autour de l’inspecteur Markus. En 1945, son premier roman policier, paru en 1944, avait été traduit en français (L’Homme au manteau gris, Bruges/Paris, Librairie Saint-Charles/Desclée de Brouwer) (7). Auteur incroyablement prolifique qui a abordé en 60 ans plus ou moins tous les genres, il deviendra l’un des écrivains les plus populaires de Flandre. Un autre auteur flamand jouira également à la même époque d’une certaine considération aux Pays-Bas, Louis De Lentdecker (Moord in de krant, 1960 ; Horens voor de stier, 1964).
Dans la grande production du romancier et scénariste né en 1929, Fernand Auwera, on retiendra In memoriam A.L. (1968) qui se déroule dans les milieux artistiques de l’avant-garde anversoise (8). Signalons en- core Moordenaar met vakantie (Meurtrier en vacances, 1ère éd. 1952 sous un autre titre) de Jos Ghysen, Atltijd op zongag (Toujours le dimanche, 1963) d’Eugène Bosschaerts, De blikken dood (1966, première éd. sous un autre titre en 1962) de Frans De Bruyn, Het geheim van de dubbele muur (Le Secret du double-mur, 1968) deValère Depauw.
La décennie soixante-dix se révéla assez pauvre – d’aucuns avancent même qu’avant 1979, la tradition du polar flamand se faisait remarquer par son absence. On relèvera quand même De zondvloed (Le Déluge, 1972) de Marc Andries (né en 1939) qui bâtit depuis 1960 une œuvre très variée privilégiant plutôt ces dernières années les biographies romancées comme celle de Maximilien et de son épouse Charlotte. On peut aussi retenir Een sterke geur van terpentijn (1978) de Frans Sierens, que certains considèrent comme le meilleur polar flamand écrit avant les années quatre-vingt. Freddy De Vree. Dans l’imposante production de Robin Hannelore, on relève aussi quelques enquêtes policières.
Mais c’est Kodiak .58, le premier polar du romancier confirmé Jef Geeraerts, que l’on a coutume de considérer comme le point de départ d’une nouvelle ère. Il s’agit de l’histoire d’un Américain qui, ayant perdu une grande partie de ce qu’il possédait au Zaïre, va tout mettre en œuvre, avec un soin diabolique, pour se venger. Plusieurs romans, polars et autres, de ce romancier réputé ont été traduits en français : ici. (D. Cunin, à suivre)
NOTES
(1) Titres en français : Souvenirs d’une espionne, Paris, Payot, 1933 ; Les Espions que j’ai connus, Bruxelles/Paris, Editions Excelsior, 1934 ; Comment on devient espion, Paris, Payot, 1935 ; Un rôle dangereux, Paris, Baudinière, 1937 ; Le Lancier espion, Paris, Baudinière, 1938 ; L’Agent Three Three, Paris, Baudinière, 1938 ; Espion double, Paris, Librairie des Champs Elysées, 1940 [Le Masque, n° 290].
(2) Autres titres de cet auteur : De vredesmensch in het Jaar 3000 (roman futuriste, 1933), Het komplot der flamingranten (1935) qui met également en scène le détective James Pemberton, De bende van de gouden narcisten(1935), Het mysterie van de roode ballons(1935), De blauwe terreur (1940), In de klauwen van de opiumduivel (1946-1947).
(3) La version longue de Robert en Bertrand, dont certaines pages sont dues à Jan Bruylants, a été traduite en français dès 1894 : Robert et Bertrand ou les joyeux vagabonds.
(4) Maxim Kröjer, De verdwenen kindermoord(1944, après une parution en feuilletons dès 1941 ; traduit en français). Cet auteur dramatique, de son vrai nom Paul Collet (1901-1979), n’écrira aucun autre roman policier. De même, De noodlottige N, paru à la même époque, sera la seule tentative de Luc Prins.
(5) Autres titres traduits en français : Le Rat, 1949 ; Le Révolté, 1953.
(6) Probleem met drie onbekenden (1957), De volmaakte moord (1957), Vallende stenen (1958), De moordenaar was blond (1958) Beretta, kaliber 6.35 (1964).
(7) Suivra le roman psychologique Une mousson d’espoir, trad. Cecile Seresia, Casterman, 1965 (titre original : Dood van een missionaris).
(8) De cet auteur, disponible en français, un roman de 1994 :Les Nuits d’Andreas Richter, trad. Louise de Gursé, Éditions Talus d’approche, 1997.
la romancière néerlandaise Willy Corsari
BIBLIOGRAPHIE
Ab Visser, Kaïn sloeg Abel. Een handleiding voor de Detective-lezer, Utrecht, Bruna, 1963 [Zwarte Beertjes, n° 687].
Ab Visser, Wie is de dader? De Misdaadliteratuur van Edgar Allan Poe tot Heden, Leyde, Sijthoff, 1971.
Danny De Laet, Les Anarchistes de l’Ordre, étude anthropologique sur la littérature policière belge (1908-1980), Bruxelles, Recto-Verso, 1980.
Zefier, n° 9, 1988, numéro thématique « De Vlaamse misdaadroman ».
Kreatief, n° 3/4, 1991, numéro thématique : « Vlaanderen moordt… Misdaadliteratuur in Vlaanderen ».
Cor Doctor, Grossiers in Moord en Doodslag: veelschrijvers in Nederland en Vlaanderen, Amsterdam, Meulenhoff, 1997.
Jan C. Roosendaal, Bert Vuijsje en Chris Rippen, Moorden met woorden: honderd jaar Nederlandstalige misdaadliteratuur, La Haye, Biblion, 2000 (voir : Chris Vandenbroucke, « Vlaanderen moordt ook » p. 47-56)
Sabine Vanacker, « A History of Crime Fiction in Flanders and the Netherlands », History of Dutch Studies, University Press of America, 2003.
Lukas De Vos, Schrillers. De stille, de stoere en de schoft. Aanzet tot een beknopte geschiedenis van het Vlaamse misdaadverhaal (1898-2003), Gand, Academia Press, 2003. [Studia Germanica Gandensia].
Jos Van Cann, Moordgids: het spannende boek in de lage landen, Utrecht, Signature, 2004.
Danny De Laet, Daar is de dader! Vlaamse krimi-bibliografie 19de en 20ste eeuw, Bruxelles, 2004 (des mises à jour ont paru depuis).
Vlaanderen, numéro thématique : Moord & doodslag: over misdaadliteratuur, n° 302, sept. 2004, p. 201-245 (en particulier : Danny De Laet, « Misdaadliteratuur in Vlaanderen: de eerste stappen » et « Vlaamse misdaadliteratuur tijdens de jaren veertig: waarover men niet spreekt… » ; Staf Schoeters, « Thriller- en misdaadliteratuur in Vlaanderen na de Tweede Wereldoorlog »).
Danny De Laet, Misdaad loont: 29 Vlaamse misdaadauteurs infiltreren in de openbare bibliotheken Antwerpen (mei 2004-april 2005), Anvers, ABC, 2004.
Henri-Floris Jespers & Jos Van Cann, De Diamanten Kogel 2002-2006, Anvers, VZW De Diamanten Kogel, 2006.
Jos van Cann & Henri-Floris Jespers, Thriller versus roman, Anvers, Garant Uitgevers, 2006 (contient des contributions de René Appel, Jos van Cann, Jim Madison Davis, Jooris van Hulle, Henri-Floris Jespers, Jan Lampo, Mieke de Loof, Elvin Post, Matthijs de Ridder, Charles den Tex en Felix Thijssen).
Chris Vandenbroucke, Papieren moorden: een encyclopedisch lexicon van de Vlaamse Misdaadliteratuur, Courtrai, 2007 (Encyclopédie du roman policier flamand qui recense plus de 720 titres).
Depuis 1980, l’hebdomadaire néerlandais Vrij Nederland propose chaque été un guide sur le roman policier et le thriller. Autres sources : voir les liens.