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belgique - Page 9

  • Clef des songes (1950)

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    Un roman gravé de Frans Masereel

    (Blankenberghe, 1889 - Avignon, 1972)

     

     

    Nous soufflons la cendre et les flammes,

    L’amour, le deuil, la peur, l’espoir ;

    Fermez vos cœurs, hommes et femmes,

    Nous parlons dans l’ombre à vos âmes !

     

    Victor Hugo, « Chant des Songes »

     

     

    Masereel0.png

    Clef des songes. Trente bois originaux suivis d’un répertoire de l’œuvre gravé de l’auteur, [Les Écrivains réunis], Lyon, Armand Henneuse, 1950, in-12, br., couv. rose impr. Tirage unique à 700 exemplaires numérotés (364/700) sur lana teinté après 15 sur chiffon d’Auvergne.

     

     

    « C’était une amusette, un jeu de l’imagination permettant d’illustrer le fait que les rêves ne sont pas forcément des mensonges. Je ne crois pas aux rêves. Le rêve est tromperie, dit-on à Gand, ce à quoi on ajoute quelque chose que je ne peux répéter ici*. Mais c’est probablement ça le plus beau de l’histoire ! » (Frans Masereel dans le cadre d’un entretien en néerlandais de 1961 avec Joos Florquin)

    frans masereel,gravure,joris van parys,victor hugo,armand henneuse,flandre,belgique« Quoique d’origine flamande, ce célèbre artiste a passé la plus grande partie de sa vie à Genève, Paris, Avignon et Nice. Très jeune, il s’est déjà fait un nom comme xylographe. Bien qu’il eût quitté son pays natal très tôt, Masereel est devenu la figure de proue du ‘‘groupe des cinq’’ qui a profondément rénové la gravure sur bois en Flandre. Le jeune artiste impressionnait en particulier par ses gravures d’inspiration expressionniste marquées par un profond engagement social. Le thème de la dénonciation de l’injustice et de l’oppression domine l'œuvre de Masereel. Parfois, une surprenante pointe de satire s’y ajoute. Le grand expressionniste a également joué un rôle prépondérant dans le domaine de la littérature. En effet, il a illustré certaines œuvres d’auteurs flamands et français importants comme É. Verhaeren, M. Maeterlinck, Ch. de Coster, V. Hugo et É. Zola. » (Hans Vanacker, « Commémoration de Frans Masereel à Anvers », Septentrion, n° 2,  1990) 

    frans masereel,gravure,joris van parys,victor hugo,armand henneuse,flandre,belgique« La personnalité la plus marquante du groupe des ‘’Cinq’’ est sans conteste Frans Masereel (1889-1972) : ‘’un gars joyeux, malgré l’amertume qu’on décèle dans plusieurs œuvres, un idéaliste sans cesse meurtri par l’injustice et la violence’’. Cette caractérisation par Roger Avermaete révèle l’influence fascinante que Masereel exerçait sur les jeunes de Lumière. À leurs yeux, il était la voix xylographique qui contribuerait à donner forme et force à leurs idées pacifistes, qui les consolerait, au besoin, de leurs déceptions. Masereel a été extrêmement productif. Pendant la Grande Guerre déjà, il accéda au style qui le marque. Son travail journalistique en Suisse, pour Les Tablettes entre 1916 et 1919 et pour La Feuille entre 1917 et 1920, se caractérisait par le ton agressif qui intéressait Lumière. Son ton lapidaire et direct se retrouve dans les publications ultérieures. Les éditions populaires bon marché de l’Allemand Kurt Wolff furent brûlées par les nazis, qui n’y voyaient que de l’art décadent. Dans les pays de l’Est et en Chine, l’œuvre de Masereel jouit d'une grande popularité, sans doute à cause de son engagement pour les petites gens. Comme d’autres confrères, Masereel a gravé régulièrement de vastes cycles dont le rythme fait songer aux premiers chefs-d’œuvre du cinéma muet. Les 167 gravures de Mon livre d'heures de 1919 constituent un exemple classique du genre. » (Gaby Gyselen, « La gravure sur bois et sur linoléum en Flandre à l’époque de la Grande Guerre », Septentrion, n° 1, 1984)

    frans masereel,gravure,joris van parys,victor hugo,armand henneuse,flandre,belgique« Il y a tout juste cinquante ans que paraissait à Amsterdam, chez L.J. Veen, une belle édition de Kerstwake (Veillée de Noël) de Stijn Streuvels, agrémentée de bois de Frans Masereel. J’y pensais en feuilletant aujourd’hui la Clef des songes, un joli recueil de trente bois originaux du graveur flamand, publié en 1950 à Lyon par le regretté maître-imprimeur Armand Henneuse. Celui-ci venait de temps en temps me rendre visite à Paris pour me parler de ses auteurs favoris, Couperus, Gezelle, Boutens, ce francophone étant un lecteur fervent de poètes et de romanciers néerlandais qu’il apprit à aimer à La Haye où il avait vécu pendant sa jeunesse studieuse. Il me récitait des vers des Carmina, car ce recueil de Boutens, mon cher Ami, a vu le jour l'année de ta naissance, ou des strophes de Mei de Gorter, pour donner un air de fête à ton involontaire parenté avec ce géant, et il disparaissait pendant un an ou deux non sans m’avoir comblé d’exemplaires de ses éditions rares : un Francis Ponge, un Eluard, un Norge, un Aragon, ou cette Clef des songes. Les bois de Masereel ont d’ailleurs accompagné ma jeunesse. J’avais lu, au sortir de l'enfance, les Jean-Christophe de Romain Rolland dans l’édition d’Albin Michel illustrée de près de 700 planches de notre xylographe. Il me semble que je connais de la main de Masereel plusieurs milliers de bois. De nos jours, sa forme de clair-obscur est délaissée mais je reste imprégné de son œuvre, comme de l’œuvre de tant d’autres marginaux : les vitraux de Joep Nicolaas, les céramiques de Johan van Loon, les typographies de Werkman, les décors de théâtre de Nicolaas Wijnberg, les objets-tableaux de Domela, la chaise de Rietveld, les ornements sculpturaux de Hildo Krop, les affiches de Dick Elffers, les stylisations géométriques d’Oscar Jespers. » (Sadi de Gorter, « Chroniques néerlandaises », Septentrion, n° 4, 1978).

     

    frans masereel,gravure,joris van parys,victor hugo,armand henneuse,flandre,belgique* « Dat was een Spielerei, een fantazie waarin geïllustreerd wordt dat dromen niet altijd bedrog zijn. Ik geloof niet aan dromen. Dromen is bedrog, zeggen ze in Gent, en ze voegen er nog iets bij dat ik hier niet kan vertellen. Dat is het mooiste waarschijn- lijk! » F. Masereel fait allusion à l’expression Dromen zijn bedrog, maar schijt g’in ’t bed dan vindt ge ’t nog. Mot à mot : Les rêves sont des mensonges, mais si jamais on fait caca au lit, il en reste quelque chose. Autrement dit : Même quand on dort, il y a des choses qui ne sont pas de l’ordre du rêve et celles-là ne trompent pas.

      

     

     

     

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    Ouvrage de référence sur le graveur : Joris Van Parys, Frans Masereel. Une biographie, édition française établie en collaboration avec Lydia Beutin & Thérèse Basyn, préface de Jacques De Decker, Bruxelles, Luc Pire/AML, collection Archives du Futur, 2008.

     

     

     

     

     

    Frans Masereel, gravures sur bois des années vingt

     


    Frans Masereel, L’œuvre, 1928, 60 gravures sur bois

     


    Le film L’Idée (1930-1932) de Berthold Bartosch, d’après le livre éponyme de Frans Masereel, musique d’Arthur Honegger

     

     

  • James Ensor et les Japonais sur la Lune

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    Coupure de presse qui jaunissait dans un volume consacré à J.K. Huysmans

     

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    René Huyghe (1906-1997), auteur d’un James Ensor (Liège, Dynamo, 1973, 18 p.), a pris la parole à Bruxelles, sans doute à la fin des années soixante, dans le cadre des Grande Conférences catholiques qui existent depuis 1931.

     

    René Huyghe parle de son livre Formes et forces

     

     

    À propos d’Ensor, mentionnons l’existence d’une biographie d’une très grande richesse en langue néerlandaise : Eric Min, James Ensor, Een biografie, Amsterdam/Antwerpen, Meulenhoff/Manteau, 2008. Eric Min est également l'auteur de la biographie de référence sur le peintre et sculpteur Rik Wouters (2011) ainsi que d'une biographie culturelle de Bruxelles à travers la figure des grands artistes et autres personnalités qui ont vécu dans cette capitale entre 1850 et 1914 : De eeuw van Brussel (Le siècle de Bruxelles, 2013).

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     « Au début de cette année, j’ai lu la biographie de James Ensor écrite par Eric Min. Un livre formidable. » Arno

     

     

  • La Gloire d’Anvers

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    (Re)découvrir Jordaens

    Première rétrospective en France

     

    « Nom familier pour qui arpente les musées français où les œuvres de l’artiste sont nombreuses – à commencer par le Petit Palais –, Jordaens n’a bénéficié d’aucune grande rétrospective à Paris ni ailleurs en France. Certes, contrairement à Rubens, il ne vint jamais dans la capitale mais sa réputation y est bien établie dès le début du XVIIIe siècle, portée par le triomphe des coloristes. Il était donc temps de lui donner l’occasion de défendre sa cause, de présenter pleinement le développement de son art au-delà du seul parallèle avec les toiles de l’autre gloire d’Anvers, Rubens (1577-1640), dont Jordaens (1593-1678) reprit à sa manière le flambeau durant les décennies suivantes.

    JordaensCouple.pngOn ne saurait réduire Jordaens au rôle de l’oncle bon-vivant dont l’existence se confond dans nos souvenirs avec celle des banquets de famille. Oui, Jordaens sait mieux qu’aucun autre rendre compte d’un esprit flamand truculent, poussant parfois à l’excès - pour notre œil moderne - la grâce plantureuse de ses modèles. Mise en avant par une historiographie qui en a fait le porte-drapeau d’une identité traditionnelle que la carrière trop internationale de Rubens et de Van Dyck ne pouvaient porter, cette verve sans égale n’exclut pas toute recherche esthétique complexe ni toute culture. L’exposition « Jordaens et l’Antique » qui vient de s’achever à Cassel après Bruxelles a su tordre le cou à ce cliché en brossant le portrait inattendu d’un grand bourgeois anversois, épris d’histoire ancienne et de mythologie.

    Le propos est plus général à Paris où l’on ne se privera pas du plaisir d’admirer les proverbes de Jordaens, ni même de comparer les versions du Roi boit ! ou de « Comme les vieux ont chanté, ainsi les jeunes jouent de la flûte ». Mais les autres facettes de son art brillent ici tout autant, du portraitiste au décorateur de fêtes, du grand peintre religieux des églises de la Contre-Réforme au cartonnier pour les manufactures de tapisseries de Bruxelles, sans oublier son rôle de chef d’atelier quand, pour répondre aux commandes qui affluent, il doit s’entourer de colla- borateurs. » 

    Christophe Leribault, directeur du Petit Palais 




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    La couverture du catalogue

    Autoportrait de l’artiste avec sa femme Catharina van Noort, leur fille Elisabeth et une servante dans un jardin (1621-1622), huile sur toile, 181 x 187 cm, Madrid, Musée national du Prado


    Le tableau de Madrid, au-delà de sa qualité de chef-d’œuvre, constitue un témoignage fascinant de la haute idée que pouvait se faire Jordaens de sa dignité, au seuil de la trentaine. Par le faste du dispositif, l’accumulation de motifs signifiants, Jordaens transgresse, en effet, les codes du portrait bourgeois qui prescrivaient pour les roturiers, même fortunés, une forme de modestie austère et, en particulier, une représentation à mi-corps plutôt qu’en pied. Alors que sa carrière prenait son essor et qu’il venait, à son corps défendant, d’être désigné doyen de la guilde de Saint-Luc (1621), il dédaigna de se représenter comme un peintre, accaparant les signes caractéristiques du portrait noble : portrait en pied, utilisation d’un domestique « faire-valoir », cadre architecturé, etc.

    S’il est entendu que le luth que Jordaens place entre ses mains ici comme dans les deux autres portraits familiaux qu’il exécuta vers 1615-16 (Saint-Pétersbourg, Ermitage et Cassel, Staatliche Museen) souligne le climat d’harmonie familiale, il renvoie aussi à l’homme parfaitement accompli qu’est le virtuoso. Or nul n’illustrait mieux cet idéal alors à Anvers que Rubens dont l’ombre plane sur ce tableau.

     

    Jordaens (1593-1678), la gloire d'Anvers par paris_musees


    Jordaens au Petit Palais par Blanche_Jade

     


     

    Sommaire du catalogue

     

    - Jordaens et la France. Essor et cristallisation de la réputation d’un maître (XVII-XIXe siècle) par Alexis Merle du Bourg

     

    - Jordaens, un artiste mal compris. Etat actuel de la recherche par Joost Vander Auwera

     

    JordaensNu.png- Jordaens, le bourgeois absolu ? par Irene Schaudies

     

    - Jacques Jordaens Pictor Antverpiae : l’artiste et sa famille - Le milieu des peintres à Anvers

     

    - La Bible et la vie des saints

     

    - Histoire profane et Mythologie

     

    - «Quotidien» et Proverbes

     

    - L’Atelier ; Portraits et figures

     

    - Modèles, cartons de tapisserie et tentures 

     



  • Bart Moeyaert sur les planches

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    Le Théâtre des Trois Clous met en scène Oreille d'homme

     

     

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    spectacle tout public à partir de 9 ans

     

     

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    Oreille d’homme ou comment on a failli tuer Stina est un spectacle adapté du roman éponyme de l’auteur flamand Bart Moeyaert (trad. D. Cunin, Le Rouergue, 2006). Dans l’ambiance plombée d’un repas de famille, trois enfants se retrouvent ensemble : la narratrice, son cousin Nisse et leur cousine Stina « la pâlotte ». Il se passe des choses autour d’eux, ils entendent des paroles d’adultes dont le sens leur échappe. Ils entendent des mots qui claquent, des silences qu’ils ne comprennent pas. Les parents n’ont pas toujours les mots pour expliquer les choses aux enfants « et puis de toute façon ils sont trop jeunes ».

    couvoreilled'homme.pngBart Moeyaert raconte comment des enfants, dans leur jeu de papa et maman, mettent en scène des violences et humiliations liées à leurs expériences, leur héritage familial et leur vision du monde adulte en allant jusqu’à franchir les limites du jeu. Ses romans proposent de partager un univers autour de la famille, et mettent des jeunes en interaction avec le monde des adultes. L’auteur a voulu que son récit Oreille d’homme soit « miroir du monde des jeunes, et miroir du monde des adultes […] Je suis resté à l’époque où je trouvais que tout était difficile, quand j’avais douze ans, et encore vingt ans, trente ans […] même si la jeunesse est en même temps le plus beau temps de la vie, où tout est possible, où on peut choisir ce qu’on veut. À vingt ans, on est tourné vers le futur, alors que dans l’enfance, on est plus tourné vers la découverte, ce qui inclut douleur et tristesse ».


    Création le 30 avril 2013 à l’Espace Malraux / Scène Régionale de Touraine 
- Joué-lès-Tours

    Mise en scène : Geneviève Thomas

    Jeu : Steve Brohon, Lucie Thomas

    Musique et Jeu : Olivier Bosseron [égü]

    Voix d’enfants : Louise Gonin-Neveu, Arthur Latapie

    Création et régie lumière : Jean-Raphaël Schmitt

    Décorateur : Luc Boissinot

    Costumes : Pauline Legros

    Affiche : Dorothy-Shoes

    Communication et Diffusion : Elsa Maupeu

     

    Théâtre des Trois Clous

    44 rue Louis Blanc

    37000 Tours

     

     

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     Introspection as a state of motion

     Bart Moeyaert sur les planches (en anglais)



  • Un poème, un livre – Benno Barnard

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    LANGUE MATERNELLE

     

     

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    Benno Barnard, Le Naufragé,

    traduit du néerlandais par Marnix Vincent,

    Bordeaux, Le Castor astral, 2003

    (couverture : dessin de Philippe Roux).

     

     

    De langue néerlandaise, originaire des Pays-Bas mais vivant en Belgique, Benno Barnard a appris l'hébreu avec son père, parle anglais avec son épouse américaine et s’exprime couramment en français. Ce contexte culturel et historique paradoxal confère à son œuvre une tension particulière. Remarquables par leur musicalité et leur impressionnante virtuosité technique, ses poèmes, souvent longs et réunis en cycles, posent essen- tiellement la question de l’identité de l’Européen après la Seconde Guerre mondiale. Écrit à Anvers, « Langue maternelle » est à la fois un hommage à la mère disparue et à la langue maternelle.

     

     

    MOEDERTAAL

    In memoriam Christina Van Malde (1919-1995)

     

     

    U hebt het witte gezicht van de melk

    die ik dronk in het huis aan de Amstel

    waar ik geboren ben. (Zeker paste Parijs u

    nog in de lente, maar de zomer barstte uit

    uw deux-pièces, het werd november; en nu

    vulden regen en schemering de ruit:

    een negentiende eeuw legde haar blanke hand

    op mijn leven.) Mama, ik weet het wel,

    ik was een boze bloem met een roze kelk

    en ik ben niet veranderd. Ik ben iemand, niemand,

    Nederland.

    En nog altijd zuigt mijn grote mond

    op de consonant die ik zo lekker vond,

    nog altijd is mijn oudste klinker een en al verbazing

    over mijn gulzigheid en mijn verzadiging.

    Ik zal mijn hele leven melk hebben gegeten.

     

    U herinnert mij aan dingen die ik nooit geweten heb.

    U maakt rijmpjes, zoals vroeger, en vangt mij in het web

    van Sebastiaan.

    Vandaag was u weer mijn gouvernante met het knotje:

    vandaag hebben we redelijkheid, zedelijkheid,

    de vlucht der vogels en een beetje God gedaan.

     

    Pas hier in Antwerpen ben ik van u gaan houden

    als een verloofde met blauw geslagen ogen

    en het hart van een leeuwin. Vaak zit u aan de bar

    te babbelen, maar zijn uw naakte benen in elkaar

    verstrengeld

    om het kleine roofdier te beschermen… Ik slik

    uw diftongen als ouwels en noem u Lieve,

    want iemand moet u zonder ironie zo noemen;

    ik neem u

    mee naar huis en hoor in mijn slaap uw onzekere hakken

    op de glanzende honingraat van de kasseien.

     

    U bent Katinka genoemd door mijn latere vader.

    U bent mijn moeder die niet naar mij luistert,

    maar praat dat het gedrukt staat op mijn muren.

    O dode moeder,

    morgen is er weer een nacht waarin ik opschrijf:

     

    ik ben niet alleen van mijzelf.

     


    podcast

     

     

    LANGUE MATERNELLE

    In memoriam Christina Van Malde (1919-1995)

     

     

    Vous avez le blanc visage du lait

    que j’ai bu dans la maison de l’Amstel

    où je suis né. (Oui, Paris vous allait encore

    au printemps, mais l’été débordait

    de votre deux-pièces, et ce fut novembre ;

    et la pluie et le crépuscule remplirent

    la vitre : un XIXe siècle posa sa pâle

    main sur ma vie.) Maman, je sais bien,

    j’étais une fleur rebelle au calice rose

    et je n’ai pas changé. Je suis quelqu’un, personne,

    homme du Bas-Pays.

    Grande gueule, toujours et encore je suce

    la consonne que je trouvais si délicieuse,

    toujours et encore ma plus ancienne voyelle s’émerveille

    de ma voracité, de ma satiété.

    Toute ma vie j’aurai mangé du lait.

     

    Vous me rappelez des choses que je n’ai jamais sues.

    Vous faites des vers, comme jadis, et m’attirez

    dans la toile de la chanson.

    Aujourd’hui vous étiez à nouveau ma gouvernante

    avec son chignon : aujourd’hui nous avons fait

    la rationalité, la moralité, le vol des oiseaux et Dieu, un peu.

     

    Je n’ai commencé à vous aimer qu’ici à Anvers

    comme une fiancée aux yeux meurtris, bleuis,

    et au cœur de lionne. Souvent, au bar,

    vous bavardez, mais vos jambes nues sont

    entrelacées

    afin de protéger le petit fauve… J’avale

    vos diphtongues comme des hosties et vous appelle Chérie,

    car quelqu’un doit vous appeler ainsi sans ironie ;

    je vous emmène

    à la maison et dans mon sommeil j’entends

    vos talons incertains sur les losanges luisants des pavés.

     

    Katinka, c’est le nom que vous donna mon nouveau père.

    Vous êtes ma mère qui ne m’écoutez pas

    mais qui parlez à en imprimer mes murs.

    Ô mère morte,

    demain viendra une autre nuit où je noterai :

     

    je n’appartiens pas qu’à moi.

     

    trad. M. Vincent 

     

     

    BennoSiècle.png« Ici, plus d’émotions restreintes jouées sur une portée parcimonieuse, mais une respiration plus large, une interrogation métaphysique plus audacieuse à travers un vers librement rythmé, gorgé d'assonances, cellule en expansion de poèmes plus longs (et parfois de cycles de poèmes...) où se mêlent des séquences narratives ainsi qu’une méditation en saccades qui ne reculera ni devant l’émotion forte, ni devant l’image chargée sinon ‘‘choquante’’. Surgissent ainsi, au cœur des poèmes du Naufragé, des personnages et des lieux précis, très belges à vrai dire : des poètes se rencontrent à Watou (en Flandre-Occidentale), un amour déchirant est vécu à Bruxelles, on capte conversations et gestes à Anvers. Tout y est contemporain mais habité d’une nostalgie, d’une mémoire – heureuse ou torturante – qui travaille ou bouleverse les protagonistes. À l’évidence, les grandes références du poète Benno Barnard sont anglo-saxonnes, Rimbaud et Apollinaire dussent-ils émettre, çà et là, benno barnard,poésie,traduction,jacques darras,belgique,pays-bas,marnix vincentquelques signes. On songe moins aux Cantos d’Ezra Pound qu’à une suite poétique qui campe la vie de toute une ville tel le Paterson de W.C. Williams (la ville dont l’atmosphère imprègne la plupart des poèmes-séquences du Naufragé s’appelle An- vers...) ou aux longues compositions élégiaques, avec reprises fuguées, de T.S. Eliot (Mercredi des cendres) ou de W.B. Yeats (La Tour).

     

    BennoBelgie.jpg« Le Naufragé, solide cycle de sept poèmes dramatiques et incantatoires qui donne son titre à l’ensemble du livre, met en scène les rencontres, les errances et les propos alternés d’un ‘‘je’’ englué dans une passion malheureuse et d’un marin originaire des Îles Canaries, échoué à Anvers, et appelé Garcia. À l’origine, ce long poème fut écrit en marge de tableaux du peintre Jan Vanriet qui se référaient à l’Évangile de saint Jean. De fait, les allusions à cet évangile du Verbe abondent dans le poème : le Jourdain y devient l’Escaut et Garcia se profile à la fois comme un Christ et comme un nouvel Ulysse errant dans une ville tout à la fois juive, chrétienne et païenne… Dans ce tourbillon, le lecteur se met peu à peu à habiter et à vivre les émotions et les rêveries des ‘‘personnages’’. C’est avec le ‘‘je’’ du poème qu'il s’adressera à Garcia et qu’il l’écoutera ; c’est avec le même ‘‘je’’ que le lecteur, après la mort du Christ-Ulysse, parlera directement à la femme aimée et bafouée, présente en filigrane dès le début du cycle. De cette BennoAntho.pngmanière, le ‘‘naufragé’’ du titre concerne au bout du compte tous les acteurs impliqués dans l’écriture (et dans la lecture) de ce long cycle de poèmes composé avec doigté et sur un ton vibrant qui ne faiblit pas… » (Frans De Haes, « Benno Barnard, une voie singulière », Septentrion, 2003, n° 2, p. 81).

     

     

     

    Les couvertures

     

    Benno Barnard, Fragments d’un siècle. Une autobiographie généalogique, traduit du néerlandais par Monique Nagielkopf, Bordeaux, Le Castor Astral, 2005. 

    Benno Barnard, La Créature : monologue (théâtre), traduit du néerlandais par Marnix Vincent, Bordeaux, Le Castor astral, 2007.

    Jacques Darras, Geef mij maar België ! Moi, j’aime la Belgique !, préface de Geert van Istendael, traduction de Benno Barnard, Louvain, P., 2012 (édition bilingue).

    Ceci n’est pas une poésie. Een Belgisch-Franstalige ANTHOLOGIE belge francophone, Amsterdam/ Antwerpen, Atlas, 2005 (Benno Barnard a collaboré à la traduction de cette anthologie qui couvre 150 ans de poésie belge francophone).