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pays-bas - Page 29

  • Petit florilège sur W.F. Hermans (1)

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    Des traces de Willem Frederik Hermans

    dans diverses publications en langue française

     

    Parmi les jeunes c’est W. F. Hermans (né en 1921) qui est le romancier le plus significatif de la nouvelle génération. Après un premier roman Conserve, il attira l’attention par Les Larmes des Acacias où, sous une apparence volontairement cynique, il donne une image particulièrement sensible de son époque. Ce roman dont l’action se déroule en partie sous l’occupation, en partie après la Libération, déclencha une opposition violente contre l’auteur qui n’hésite pas dans presque tous ses livres à critiquer sévèrement la vie sociale aux Pays-Bas et le caractère de ses habitants. Son dernier livre toutefois, La Chambre noire de Damoclès, qui donne une vision apocalyptique et extrêmement pénétrante de notre monde, a tout de suite été reconnu comme un vrai chef-d’œuvre, le plus grand roman sans doute de l’après-guerre.

    Pierre-H. Dubois, « Pays-Bas », Les Littératures contemporaines à travers le monde, préface de Roger Caillois, Paris, Hachette, 1961, p. 118.

     

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    Photo : Emiel van Moerkerken (1951),

    Les Littératures contemporaines à travers le monde, p. 117

    (dans ce livre, la photo est attribuée à Evan Moerkeden).

     

    littérature,pays-bas,hollande,france,kunderaDans Sylvia Gerritsen & Tariq Ragi, Pour une sociologie de la réception : lecteurs et lectures de l’œuvre de A. Camus en Flandre et aux Pays-Bas, Paris, L’Harmattan, 1998, on peut lire un assez long compte rendu de la critique que W.F. Hermans a consacré au roman de Camus, La Peste, critique dans laquelle transparaissent certaines thématique que le Néerlandais développera dans La Chambre noire de Damoclès.  Voir à partir de la page 136.

     

     

    littérature,pays-bas,hollande,france,kundera[…] l’auteur qui déclencha dans ces années le plus grand tollé fut à coup sûr le jeune W.F. Hermans (1921-1995) dont nous avons évoqué l’esprit critique […]. C’est la guerre qui, pour lui, fut dans une grande mesure l’école de la vie. Mai 1940 avait été synonyme de tragédie : sa sœur s’était suicidée avec son amant, un homme marié. Un événement atroce qui avait renversé d’un coup la quiétude qui semblait régner dans son milieu petit-bourgeois d’origine. Le chaos s’était révélé au grand jour, un chaos que conventions et hypocrisie viennent toujours masquer en temps de paix. L’hiver de famine 1944-1945 vint parachever l’apprentissage : « Quand la guerre prit fin, j’avais vingt-trois ans. Pour ça oui, j’ai développé à cette époque un regard bien singulier sur l’âme humaine, un regard qui est toujours le mien. […] Je veux dire : dans une époque pareille, on ne peut pas faire un pas avec un croûton rassis en poche sans garder les deux mains dessus, sinon on vous le pique ! C’est étonnant de voir ce que les gens soi-disant comme il faut peuvent déployer comme desseins criminels dans des situations critiques comme celle-là. » Avis réitéré dans une autre interview de façon plus concise : « Morale, éthique et croyance rendent les armes devant la faim. Toute cette belle superstructure, l’homme la laisse tomber quand il a le ventre vide. »

    Ton Anbeek, « Les Auteurs modernes de 1880 à nos jours. La période 1940-1960 », Histoire de la littérature néerlandaise, Fayard, Paris, 1999, p. 697.

     

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    n° de la NRF comprenant Vers Magnitogorsk, nouvelle de W.F. Hermans

    (trad. Louis Gillet)

     

    Dans ce texte [« Achter borden Verboden Toegang » du recueil Het sadistisch universum] qui, tout comme « Preambule » (« Préambule »), prend la forme d’une confidence intime, on retrouve, dans les limites étroites d’une page et demie, tout Hermans : sa virtuosité stylistique, son symbolisme acerbe, et bien sûr sa vision cruelle du monde. […] Ce n’est que dans la science et la technologie basée sur la science que le chaos perd un peu de sa toute puissance. C’est pourquoi, selon moi, Hermans est si fasciné par la technique, qu’il qualifie de dissonance harmonique dans notre monde, de moment harmonique dans un univers disharmonique pour le reste. Hermans continue ainsi : « Il est possible que, dans ce cosmos, il y ait un principe régulateur et que ces quelques personnes qui plus tard deviendront des mathématiciens et des physiciens célèbres, soient partiellement sensibles à la suggestion silencieuse de ce principe régulateur (Cette idée explique aussi que parmi les mathématiciens et les physiciens, on rencontre parfois croyants, bien que tout religion soit une culture microbienne de chaos et de mythe.) » C’est une remarque étonnante de la part d’un auteur qui s’est toujours profilé emphatiquement comme antireligieux. Cette allusion à  « la suggestion silencieuse d’un principe régulateur » relativise beaucoup l’image stéréotypée que l’on a de Hermans : celle d’un auteur croyant à l’omniprésence du chaos. Dans la vision de Hermans, les scientifiques dont il parle sont en fait des élus qui reçoivent même le statut de prêtre. Ils sont le médium d’un principe supérieur. Aussi les produits de la technologie – appareils et machines – prennent-ils une valeur presque sacrale. Ce ne sont rien d’autre que les témoins silencieux et les révélations d’un ordre supérieur.

    Frans Ruiter, « Homo ludens / faber / sapiens : science et technologie chez trois  romanciers néerlandais de l’après-guerre », Histoire jeu science dans l’aire de la littérature, Mélanges offerts à Evert van der Starre, Amsterdam/Atlanta, Rodopi, 2000, p. 253 et 256.

     

     
    littérature,pays-bas,hollande,france,kunderaLe romancier W.F. Hermans (1921-1995) est peut-être celui qui incarne le mieux cet amour que les Hollandais portent à Bruxelles. Dès son premier séjour (1939), il en tombe amoureux. Jusqu’à la fin de sa vie, il prendra plaisir à en arpenter les quartiers petits-bourgeois du XIXe siècle. De tranen der acacia’s (Les Larmes des acacias, 1949), un des rares romans urbains à accorder une place de choix à Bruxelles, est en réalité une forme déguisée de déclaration d’amour à cette ville. Car en plus d’une évocation du néant moral de la Seconde Guerre mondiale et d’une mise en scène de la conception nihiliste du monde propre à l’auteur, ce roman met en opposition Amsterdam et Bruxelles, la première où le personnage principal, Arthur Muttah, étouffe, la seconde qui l’attire. La Babylone brabançonne revêt des traits fantasmagoriques, est source de rêveries et de désirs qui font d’elle un corps urbain érotisé. […] Les Larmes des acacias montrent une facette de Bruxelles, son côté sensuel, que les écrivains flamands ont rarement mis en valeur. Le moment de relire Hermans semble venu. De même que le moment de boire, à l’instar du romancier hollandais, au verre de la volupté bruxelloise.

    Rokus Hofstede, « Willem Frederik Hermans et la putain de Bruxelles »,

    Septentrion, n° 1, 2006, p. 40 et 41.

     

     

    Je me plonge dans ce roman [La Chambre noire de Damoclès], d’abord intimidé par sa longueur, ensuite étonné de l’avoir lu d’un seul trait. Car ce roman est un thriller, un long enchaînement d’actions où le suspens ne fléchit pas. Les événements (qui se passent pendant la guerre et l’année suivante) sont décrits d’une façon exacte et sèche, détaillée mais rapide, ils sont terriblement réels et pourtant à la limite du vraisemblable.

    Cette esthétique m’a captivé ; un roman épris du réel et en même temps fasciné par l’improbable et l’étrange. Cela résulte-t-il de l’essence de la guerre qui nécessairement est riche en inattendu, en exorbitant, ou est-ce le signe de l’intention esthétique désirant sortir de l’ordinaire et toucher, pour reprendre le mot cher aux surréalistes, le merveilleux (« le réel merveilleux », comme aurait dit Alejo Carpentier) ? […] Les œuvres d’art sont talonnées par une meute agitée de commentaires, d’informations dont le tapage rend inaudible la propre voix d’un roman ou d’une poésie. J’ai refermé le livre d’Hermans avec un sentiment de gratitude envers mon ignorance ; elle m’a fait cadeau d’un silence grâce auquel j’ai écouté la voix de ce roman dans toute sa pureté, dans toute la beauté de l’inexpliqué, de l’inconnu.

    Milan Kundera, « La Poésie noire et l’ambiguïté »,

    Le Monde des Livres, 26 janvier 2007.

     

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    4ème d'une édition de Paranoia, G.A. van Oorschot

    photo de W.F. Hermans par lui-même

     

    On m’a demandé de faire un bref commentaire sur l’œuvre de Willem Frederik Hermans. Je préfère ne pas répondre directement à cette offre. Tout d’abord, parce que je ne veux pas prétendre être un spécialiste de l’œuvre de monsieur Hermans. Pour cela il faudrait l’avoir lu au moins deux fois en entier. Or, je n’ai pas lu son œuvre en entier, pas même une seule fois. Ensuite, parce qu’il serait absurde, pour ne pas dire désobligeant de vouloir résumer une œuvre de cette ampleur, ou pire de vouloir lui rendre hommage par un bref commentaire. Lire la suite sur le blog du romancier Arnon Grunberg (23 mars 2007) : www.arnongrunberg.com/blog/212-hermans

     

     

    littérature,pays-bas,hollande,france,kunderaIl y a un rôle qu’il n’a jamais joué. Celui d’écrivain. Marqué à la naissance de ce sceau, il prenait cela avec le plus grand sérieux. Un destin qu’il acceptait sans pathos mais avec grande intrépidité. Et personne, au fond, n’ignorait qu’il souffrait beaucoup de cette situation. Une souffrance différente de celle endurée par Multatuli, plus cruelle, son prédécesseur n’étant pas toujours pour sa part avare de théâtralité et d’hypocondrie. Et qui aurait pu se douter que son art se traduirait par une sanglante tentative de meurtre sur sa personne, à Paris, et un procès en diffamation (Rufmord) à Amsterdam ?

    Il était tout entier voué à la littérature – le « saint de l’horlogerie » [titre d’un roman de WFH]. Cela explique pourquoi, impuissant face à ceux qui l’agressaient dans sa dignité d’écrivain, il se mettait presque en rage. Cela explique pourquoi la duperie des politiciens, les honneurs rendus et les louanges adressées à des « malades de pseudologia fantastica » du genre Weinreb [économiste juif condamné pour son rôle pendant la guerre], à des fonctionnaires de l’Université, à des journalistes, des mandarins des belles lettres, etc., et retournées par ceux-ci, le faisaient tant souffrir. Cela générait en lui la rancœur la plus désespérée ; aussi a-t-il pu un jour, dans une de ses lettres, reprendre à son compte une phrase de Nietzsche : « Or, la morale a protégé l’existence contre le désespoir et le saut dans le néant chez les hommes et les classes qui étaient violentés et opprimés par d’autres hommes : car c’est l’impuissance en face des hommes et non pas l’impuissance en face de la nature qui produit l’amer désespoir de vivre. » Et Hermans de poursuivre : « Mais pourquoi en est-il ainsi ? Parce que, me semble-t-il, si Dieu est mort, les hommes sont la plus haute autorité de tout l’univers. »

    Raymond J. Benders, « Solitude, ma mère », Deshima, n° 3, 2009, p. 472-473.

     

     

    Au premier abord, le roman [Ne plus jamais dormir] raconte l’histoire d’un jeune étudiant en géologie hollandais qui veut faire sa thèse sur le sol du Grand Nord norvégien. Le narrateur a une bonne raison familiale de vouloir conforter une hypothèse. Il est très vite confronté au monde universitaire dans des pages très drôles. Ses compagnons d’expédition sont norvégiens et il ne parle pas leur langue. Le Grand Nord en été, ce sont des moustiques par flopées. On peut être géologue et maladroit. Mais le vrai thème du livre est ailleurs. « Chercher une chose que personne n’a encore trouvée, mais échouer comme les autres – peut-on appeler cela faire œuvre scientifique ou ne s’agit-il pas plutôt d’un simple manque de chance ? » Plus loin : « Mais crois-moi, partir en expédition avec une tente neuve et rentrer sans avoir fait une découverte fantastique, je ne crois pas que je le supporterais. »

    Mathieu Lindon, « Hermans sur sols mouvants », Libération, 29 octobre 2009.

     

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    W.F. Hermans, Klaas kwam niet, De Bezige Bij, 1983

     

    Recueil d'essais et de chroniques comprenant entre autres (nous donnons les titres en français) : La Maison de Balzac ; Simone (sur Simone de Beauvoir) ; Le Centenaire de la mort de Flaubert ; Bubu de Montparnasse ; Fernand Khnopff ; La Souffrance des écrivains traduits ; Un martyr pour Vondel ; Le Pays d'origine ; La Nouvelle biographie de Nietzsche ; La Résurrection de Nietzsche ; Guy de Maupassant revit ; Henri Béraud ; Gobineau, comte vilipendé.

    Le volume propose d'autres textes sur Nietzsche, mais aussi des pages sur Karl Popper, Marie Bashkirtseff et Kafka.

     

      

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  • Nous n’irons plus au bois (2)

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    Hélène Swarth (1859-1941)

    par Louis Bresson

     

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    voir première partie Nous n'irons plus au bois (1)

     

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    Louis Bresson, « Un poète bilingue »,

    Bibliothèque universelle et Revue suisse, 1909, n° 157.

    source : http://gallica.bnf.fr/

     

     

  • Le Naturalisme en Hollande - Les Peintres

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    L'ECOLE HOLLANDAISE par PHILIP ZILCKEN (1885)


    Avant même la trentaine, le peintre-graveur Philip Zilcken se fixe comme tâche de mieux faire connaître en France un certain nombre de ses compatriotes, ainsi qu'en témoigne le texte reproduit ci-dessous, paru dans la Revue indépendante (01/05/1885). L'auteur évoque le naturalisme en peinture, soit l'école hollandaise du milieu du XIXe siècle, les Mesdag, Maris, Israëls, Mauve, Bosboom, Gabriël, Weissenbruch...


     

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    source : Gallica

     

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  • Pieter Boskma ou la poésie innée

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    Présentation du poète

    Pieter Boskma

     

    « Ce n'est pas l'inspiration extérieure qu'il faut attendre, c'est l'inspiration intérieure (…) La vie intérieure comporte aussi la vie éthique ou morale, les scrupules, les choix, la volonté raisonnée. Cette vie intérieure est l'état proprement poétique. »

    Max Jacob

     

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     P. Boskma par Tafil Musovic

     

     

    Frison de naissance et de cœur, Pieter Boskma s’est affirmé en trente ans comme le grand lyrique des Pays-Bas. Il n’a pas choisi la poésie, c’est elle qui l’a choisi. On retrouve chez lui des accents d’un Herman Gorter (1864-1927), l’auteur de Mai (1889), long poème qui reste le chef-d’œuvre de la génération des Tachtigers (poètes des années 1880). Lui aussi a pour sa part, un siècle plus tard, appartenu brièvement à un groupe de poètes qu’on a appelé les Maximaux : « Pour moi, Maximaal est essentiellement un plaidoyer pour le lyrisme qui vient tout droit du cœur ».

    Parmi les poèmes qui l’ont marqué dans sa jeunesse, mentionnons-en deux, de poètes à la fois novateurs et traditionnels, le Paul van Ostaijen (1896-1928) d’Avondgeluiden (Soir sonore) :

     

    Métairies claires derrière la lisière

    le long des champs bleus le long eux de la lune

    entends le soir sur les pavés au loin

    le fer des chevaux (...)

     

    et le Lucebert (1924-1994) de er is alles in de wereld het is alles :

     

    il y a tout dans le monde cela est tout

    le sourire canin et fou de la faim

    les peurs ensorcelées de la douleur et

    le grand vautour grand soupir les grands

    les vieux les lourds rossignols

    cela est tout dans le monde il y a tout (...)

     

    Pieter Boskma affirme que le genre poétique correspond à sa nature paresseuse. Il n’en a pas moins publié une dizaine de recueils dans lesquels il pratique son art avec gravité et humour, mariant thèmes et approches contrastés ; la langue parlée côtoie avec aisance le vers élégiaque, le sublime et le magique la réalité la plus crue. Il fait partie des rares poètes qui ne succombent pas à la doxa ra- tionalisante ; la poésie lui permet et de peindre, et de chanter, et de parler et de philosopher. Imprévisible, il publie en 2002 un poème épique de près 250 pages, La Comédie terrestre. Terrestre, il l’est en laissant parler l’être physique, érotique, organique, viscéral.

    Le titre de son dernier recueil, L’heure violette, est emprunté à un vers de T.S. Eliot. Comme dans certains poèmes antérieurs évoquant des figures de peintres, on retrouve dans ces pages une attention accrue pour la lumière ; Boskma ayant quitté Amsterdam, la nature semble devoir occuper do- rénavant une place de plus en plus grande dans son œuvre. À l’instar du romancier de tout premier plan Gerard Reve (1923-2006), il lui arrive de dédier ses œuvres à la Vierge (Notre-Dame de la Médaille miraculeuse, La Dame de tous les Peuples, Notre-Dame de Heiloo…).

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    L’auteur a aussi donné un court roman, Une photo de Dieu, et des nouvelles réunies sous le titre Occidentaux. Si François Nourissier a publié sous un pseudonyme féminin le roman Seize ans, Pieter Boskma a pour sa part donné sous celui de Laura van der Galiën (jeune fille présentée comme étant née en France) un recueil intitulé Zeventien (Dix-sept ans, 1996). Il a aussi publié des pastiches du poète Gerrit Achterberg (1905-1962) en les faisant passer pour des poèmes inédits de son grand prédécesseur ; tout le monde ou presque est tombé dans le panneau, y compris les plus grands spécialistes de cet auteur.

     

    Œuvres

    Virus virus (poèmes, avec Paul van der Steen, 1984)

    Quest (Quête, poèmes, 1987)

    De messiaanse kust (Le Rivage messianique, poèmes, 1989)

    Tiara (Tiare, poèmes, 1991)

    Een foto van God (Une photo de Dieu, roman, 1993)

    Simpel heelal (Simple cosmos, poèmes, 1995)

    In de naam (Au nom, poèmes, 1996)

    Te midden van de tijden (Entre les temps, poèmes, 1998)

    Het zingende doek & De geheime gedichten (Le Tableau qui chante & Les Poésies secrètes, poèmes, 1999)

    De aardse komedie (La Comédie terrestre, roman-poème, 2002)

    Puur (Pur, poèmes, 2004)

    Altijd weer dit leven (Cette vie, toujours, anthologie, postface Joost Zwagerman, 2006)

    Westerlingen (Occidentaux, nouvelles, 2006)

    Het violette uur (L’Heure violette, poèmes, 2008)

    Doodsbloei (Floraison de mort, poèmes , 2010)

     

     

    Boskma3.pngPieter Boskma a aussi donné plusieurs plaquettes illustrées par Pieter Bijwaard, un recueil des œuvres poétiques de l’un de ses amis, décédé en 1991, Paul van der Steen (avec qui il avait fondé et dirigé la revue Virus), une anthologie de poèmes de Herman Gorter… Il a fait partie de l’équipe fondatrice de la revue entièrement consacrée à la poésie Awater dont il est resté rédacteur jusqu’en 2003. La plupart des œuvres de Pieter Boskma sont publiées par In de Knipscheer et Prometheus/Bert Bakker.

    Voici deux poèmes de Pieter Boskma, tels qu’ils ont paru dans l’anthologie Le Verre est un liquide lent. 33 poètes néerlandais, Farrago, 2003 :

     

    Muette toute et douce tu es

    toute muette que toute douce je

    tu es comme tout à coup moi parfois

    toi des couleurs une nuit entière

    toi et encore un je plus doux

    que toi tout à coup toi qui rit en toi

    car tu es silence doux tout

    en toi et rire et que tu

    qu’en plus tu et au surplus

    peux t’ouvrir et au surplus

    te refermer un peu même un peu

    plus que moi un peu comme

    un peu comme moi.

     

                                        (In de naam)

     

     

    La lumière jaune de Van Goyen

    darde en effleurant les dunes,

    de la résurrection des morts

    au commencement des temps.

     

    La gerçure des bouleaux nus

    luit à croire l’écorce couverte d’or,

    et, sur les dalles funéraires, les noms

    trouvent un second souffle.

     

    D’une vitre éclabousse un soleil

    cru qui chute à travers les nuages.

     

    Une flamme près des hauts fourneaux

    se propage dans l’épaisseur du cœur.

     

    C’est alors que, de l’asile d’aliénés de la nuit,

    Malevitch crache son Carré Noir.

     

            (Het zingende doek & De geheime gedichten)

                                                  (trad. D.C.)

     

    Boskma2.jpgEn septembre 2010, Pieter Boskma a publié Doodsbloei, « journal de deuil » sous forme poétique – une suite de plus de 250 poèmes proches du sonnet, hommage impres- sionnant à sa compagne disparue. Le premier tirage de cette « épopée » a été vendu en une semaine.

     

     

    portrait de Pieter Boskma

    (vidéo, 2006, Omrop Fryslân, néerlandais/frison)

    ici

     

    Pieter Boskma lit lors de la Nuit de la Poésie

    Utrecht 19 septembre 2015 

     

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  • La Hollande amie

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    Estime et propagande :

    les relations franco-hollandaises

    durant la guerre 1914-1918

    à travers quelques témoignages

     

     

    La neutralité des Pays-Bas durant la Grande Guerre n’a pas laissé les Français indifférents. Une partie de la presse a critiqué l’attitude de ce pays, a pu l’accuser de fournir de l’aide à l’Allemagne et même d’avoir autorisé des troupes ennemies à passer sur son territoire. On s’en est également pris en France à la presse batave jugée bien trop proteutonne. Toutefois, la neutralité – ou plutôt le neutralisme – de la Hollande ne signifiait pas que ce pays ne se sentait aucunement menacé : « Les Pays-Bas, qui ne veulent pas aller à la guerre, voient chaque jour la guerre venir à eux », écrit Maurice Gandolphe dans son étude « Chez les Neutres. Enquête en Hollande » publié en septembre 1916 dans la Revue des Deux Mondes. Cet auteur tente d’exposer la complexité de la situation dans laquelle se trouve la Hollande prise comme dans un étau par les belligérants. Sans doute est-il difficile pour les Français et les Belges en guerre de comprendre l’attitude peu héroïque de leur voisin. Mais, ainsi que rétorquent certains Néerlandais, si leur pays a pu accueillir des dizaines de milliers de réfugiés fuyant la progression de l’armée prussienne, où pourraient ils eux-mêmes se réfugier si l’Allemagne venait à les envahir ? Qui plus est, pour les Pays-Bas, s’engager dans le conflit serait une sorte de suicide. Malgré la mobilisation de plusieurs centaines de milliers de jeunes hommes, la Hollande ne peut en effet cacher une réelle faiblesse militaire : devant les forces armées de l’Empire voisin, le petit royaume ne pèserait sans doute pas lourd.

     

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    Au sein du gouvernement français, il existe manifestement une volonté d’atténuer le mécontentement de l’opinion publique française tout en cherchant à s’assurer la sympathie des nations réformées septentrionales. Début 1917, le Comité protestant de propagande à l’étranger, en accord avec le ministère des Affaires étrangères français, désigne deux délégués pour rendre une « visite amicale » aux neutres protestants du Nord : Édouard Soulier (1870-1938), et l’universitaire Samuel Rocheblave (1854-1944). Les deux érudits séjournent en Hollande du 17 février au 4 avril 1917 puis en Norvège, en Suède et à Copenhague, pays où ils tiennent plusieurs dizaines de conférences sur des sujets à la fois culturels et patriotiques (« Le réalisme français », « La France d’après Michelet », « Jean Lahor »…) ; ils sont reçus par différentes personnalités dont les têtes couronnées (par exemple par la reine des Pays-Bas, Wilhelmine, puis par la reine mère Emma). Leur départ, leur séjour et leur retour en France plus de quatre mois plus tard sont suivis d’assez près par certains journaux. Il s’agissait pour la France de s’assurer la sympathie de ces pays que certains intérêts économiques, la religion, la culture, pouvaient rendre plus proches de l’Allemagne que de la France.

    Édouard Soulier, pasteur et homme politique français (il sera député pendant de longue années, spécialiste des questions extérieures), qui avait publié peu avant une étude intitulée « Propagande française dans les pays neutres protestants », a tiré de son séjour un petit livre sur la Hollande – La Hollande amie –, rédigé peu avant la fin des hostilités, dont l’objectif essentiel était de restaurer une image positive du petit pays septentrional auprès de l’opinion publique française : « L’examen, délicat et indispensable, des liens présents et des liens d’autrefois entre la France et ses amis, alliés ou neutres, il y a été procédé pour nos alliés, nos voisins, nos frères de race. Il n’avait pas encore été fait pour les Pays-Bas. Le voici, minutieux. »

    Son confrère a lui aussi donné un petit volume : Chez les neutres du Nord. Hollande et Scandinavie (Paris, Bloud et Gay, 1918 ; voir aussi la prépublication dans La Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1917). À la différence de Soulier, il est plus précis sur le déroulement de leur séjour, sur les personnes qu’ils rencontrent (Gustave Cohen, Charles Boissevain, Walch, K.R. Gallas, P. Valkhoff, Salverda de Grave) ; il emploie un ton plus léger. Grand érudit qui découvre des artistes néerlandais, il se sent coupable de savoir si peu de choses sur les belles lettres et la musique néerlandaise : « Ne serait-il pas temps de “reconnaitre” par une juste réciprocité ce don gratuit de l’élite intellectuelle d’une noble nation ? Nous qui n’avons pas eu assez de trompettes pour célébrer les gloires artistiques ou littéraires de Scandinavie, de Russie ou d’Allemagne, avons-nous eu seulement une flûte pour moduler l’éloge de Johan de Meester, qui est pourtant de la lignée directe de nos Goncourt et de nos Maupassant ? (…) La Hollande musicale ne mérite pas moins d’être connue que la Hollande littéraire, certes ! et tant d’autres Hollandes de nous Français trop peu connues… ». Alors que le pasteur s’en tient à des considérations historiques, économiques et politico-sociales, le professeur d’université consacre quelques lignes ou paragraphes à la description des lieux visités, par exemple Amsterdam : « Après la Haye, capitale du monde officiel et de la Cour, me voici à Amsterdam, capitale de la vie hollandaise et de l’opinion. Journaux, affaires, mouvement intellectuel, tous les courants sont ici plus larges, plus forts ; c’est l’Amstel. Une ville toute en ponts, en quais, en canaux concentriques, d’un pittoresque achevé, que j’admirerais beaucoup si j’en avais le loisir et si, par un fâcheux inconvénient de la saison, les brumes plus collantes ici qu’ailleurs, et la malaria qui flotte en permanence sur cet écheveau de canaux stagnants, ne rendaient trop fébrile la première acclimatation. » Pour le reste, son récit présente un contenu assez similaire à La Hollande amie : on souligne l’accueil empressé qu’on a reçu, les sympathies qui existent dans le pays visité pour la cause des Alliés, l’hospitalité que les Pays-Bas donnent aux réfugiés de la Belgique et aux enfants évacués de la France du Nord ; enfin, on précise ce que la France devrait et devra faire pour développer ses relations avec les commerçants et industriels locaux. On prépare donc le terrain pour l’après-guerre, en particulier pour ce qui à trait au relèvement économique.

    Samuel Rocheblave met d’entrée dans la bouche de l’un de ses interlocuteurs bataves des paroles faites pour éliminer tout doute sur l’attitude des Hollandais : « On nous connaît mal chez vous. On y est enclin au soupçon envers le vrai sentiment de la Hollande. Un article injuste, une critique imméritée nous a plus nui dans votre esprit que ne nous ont servis une conduite loyale et un attachement obstiné à des principes qui sont les vôtres. Il y a eu méprise sur notre compte. Et c’est votre faute. Pourquoi ne venez-vous jamais chez nous ? Vous ne nous méconnaitriez pas, si vous vouliez vous donner la peine de nous connaitre. Mais vous vous êtes peu à peu retirés de nous. Vous vous êtes désintéressés de la petite Hollande, quitte à accueillir avec un peu trop de légèreté le moindre bruit défavorable. Ne tenez-vous aucun compte de notre situation, de nos difficultés ? Pourquoi n’avez-vous pas une presse plus juste, mieux informée, celle que vous mériteriez d’avoir ? Pourtant, malgré la méconnaissance dont nous sommes l’objet, nos sentiments sont pour la France. Vous vous en serez bientôt convaincus. » 

    hollandeamiejournal.png

    article de presse rendant compte de l'arrivée des deux Français en Hollande

     

    Selon Édouard Soulier, tout au plus 20% (et peut-être même seulement 8%) des Hollandais ont pu montrer des sympathies germaniques, la grande majorité de la population est pour sa part toujours restée francophile, liée à la culture française. Comme le précise une recension de La Hollande amie : « De par son histoire même, qui a été pendant plusieurs siècles une lutte pour la liberté religieuse et politique, le peuple hollandais ne pouvait être, devant la guerre de 1914, qu’un convaincu d’avance de la justice de la cause des Alliés. Comment il l’a prouvé par sa générosité inlassable vis-à-vis des réfugiés belges, français, par la fondation d’hôpitaux pour les blessés en France et dans les Balkans, par le nombre de ses fils qui se sont enrôlés au service de la France, par les diverses manifestations de l’opinion publique au cours de ces dernières années, M. Soulier le détaille en une série de chapitres fort bien documentés, qu’on lit avec un intérêt soutenu. Il termine en adjurant ses compatriotes de mettre à profit cette sympathie hollandaise, sincère et profonde, pour l’établissement de relations plus intimes commerciales. » Ces phrases résument plus ou moins le contenu de l’ouvrage dont la structure laisse toutefois un peu à désirer (voir ci-dessous la table des matière). La seule note critique à l’égard de la Hollande porte en réalité sur la presse : « Les journaux, en nombre, et des grands, ont ou bien présenté et soutenu la thèse allemande, inattentifs à son immoralité, insensibles aux crimes qu’elle engendrait logiquement, – ou bien, comme cela s’est vu ailleurs en d’autres temps, ont eu deux équipes de rédacteurs, qui, dans des articles qui se balançaient savamment, donnaient satisfaction tantôt à l’Entente, tantôt aux Centraux, – ou bien se sont abstenus de tout jugement, dans un silence qu’ils voulaient neutre et digne et qui n’était que renfrogné, inintelligent et antipathique » (1). Pour le reste, le pasteur évoque au fil des pages les nombreux organismes et organes qui ont joué un rôle dans l’aide apportée par les Pays-Bas – même fortement touchés par la récession économique – à la France en guerre (Comité France-Hollande ; Comité Hollande-France – lequel organisa aux Pays-Bas une exposition d’art moderne français itinérante en 1916 – ; Comité Néerlandais d’Assistance en faveur des Enfants français des Régions envahies hospitalisés en Hollande ; Union des Colonies étrangères de France en faveur des Victimes de la Guerre ; Comité du Commerce franco-hollandais ; Œuvre du soldat aveugle, à Amsterdam ; le Nederlandsche Overzee Trust ou N.O.T. ; La Gazette de Hollande ; L’Écho belge, établi en Hollande; Les Nouvelles, à Maastricht ; Le Foyer wallon ; le mensuel France-Hollande, La Revue de Hollande…) ; il souligne le rôle joué par des bienfaiteurs, des médecins, des infirmières, par les Hollandais qui se sont engagés dans la Légion étrangère pour soutenir la France (« 1.400 Hollandais se sont engagés dans les rangs de l’armée française ; 300 survivants »), étaye parfois son propos sur des statistiques… À de nombreuses reprises, il revient sur les liens historiques et culturels entre les deux pays : à le lire, on a l’impression qu’il n’a pratiquement jamais été question, entre l’un et l’autre, que d’une lune de miel agrémentée de temps en temps d’une petite « bourrade ». Les deux peuples ne sont-ils pas historiquement frères ? « Ces deux actions interminables [la guerre de Quatre-vingts ans et la guerre de Cent ans] rendent le peuple hollandais et le peuple français historiquement frères, car ces guerres sont des guerres pareilles dans leur motif et leur inspiration, par leur puissance irréductible, leur longue patience et la vertu spirituelle, surnaturelle pourrait-on dire, qui les anime. » Pour le républicain Soulier, Louis XIV fait bien pâle figure par rapport au stadhouder Guillaume III qui, par ses conceptions pacifiques et démocratiques « devançait son temps ». Plus près de nous, « les Hollandais ont accueilli la Révolution française avec enthousiasme ; au fond, ils aiment les armées de Pichegru de les avoir, en janvier 1795, délivrés des étrangers et précipités dans la liberté par une bourrade » (2). Ils sont restés attachés à « notre XVIIIe siècle », sans compter que « la Hollande a le culte de Napoléon » (3) et que la reine Wilhelmine a des origines qui la lient doublement à la France (Orange et l’amiral Gaspard de Coligny). Et puis ne vient-on pas de chanter de façon spontanée La Marseillaise à la Bourse d’Amsterdam ?

    Alphons Diepenbrock

    diepenbrockphoto.pngParmi les « personnalités intéressantes ou supérieures » imprégnées de ce passé, et qui abondent dans ce « pays qui nage sur les eau » (l’expression est inspirée du Télémaque de Fénelon), Édouard Soulier relève à son tour « le romancier et critique littéraire Johan de Meester (4), qui est pour le roman hollandais ce qu’ont été les peintres de genre du XVIIe siècle dans l’art ; naturaliste et coloriste comme eux, il voit précis, il regarde partout et dit vrai ». Comme beaucoup de voyageurs français qui ne connaissent guère la littérature hollandaise, le pasteur ne peut s’empêcher de rapprocher l’écrivain dont il parle de la peinture du plat pays. Il nomme aussi Fredrik van Eeden, « poète et romancier, dont l’œuvre a rayonné bien au-delà des frontières de son pays » (5), ou encore Philippe Zilcken, « peintre, graveur, historien de l’art qui a beaucoup travaillé à Paris » (6) ainsi qu’Alphons Diepenbrock, « le plus grand compositeur de musique hollandais actuellement vivant, qui s’est inspiré notamment de poèmes de Baudelaire ; il a mis en musique de nos poésies de guerre et a chanté, ainsi, nos armées et leur gloire » (7). À propos de la guerre de libération menée contre l’Espagne, le poète Onno Zwier van Haren (1713-1779) est mentionné comme auteur du poème national Les Gueux (8). Le guerre des Gueux « a inspiré à Victorien Sardou sa pièce, si souvent représentée à Paris depuis la guerre, sous ses deux formes de drame et d’opéra : Patrie ».

    Dans le chapitre 7, avant de consacrer quelques pages à l’importance de l’enseignement du français aux Pays-Bas, Édouard Soulier propose un petit cours de linguistique. Son tact semble l’empêcher de recourir au terme Alboche (ou Boche) pour traduire mof : « Couramment, dès longtemps, presque : dès toujours, s’il est un toujours dans les choses humaines, et dans les milieux les plus divers, le milieu universitaire, le milieu politique, le milieu financier, tout comme le milieu populaire, l’Allemand est désigné par le nom de mof. Ce terme qui rappelle l’anglais muff a un sens propre et un sens figuré. Il signifie fourrure [en réalité : manchon] et il est un terme de mépris. Nous pourrions, dans cette acception, le traduire par quelque chose comme vile canaille. Il est tellement établi que le mof c’est l’Allemand, que le Deutschland est même devenu la Mofrika. »

    La Hollande amie à peine terminé (en juillet 1918), E. Soulier reprit le chemin des pays scandinaves, cette fois en compagnie de l’officier alsacien Alfred Dolfus, pour une nouvelle mission « purement amicale » et littéraire (alors que son livre était en librairie, le pasteur perdait son fils Albert, des suites d’une maladie contractée au front). Le travail était en réalité loin d’être terminé ; il se prolongea même quelques années après l’armistice. Les sceptiques ne semblèrent pas convaincus par la vision strabique avancée dans La Hollande amie et des publications similaires. Des voix continuèrent de s’élever « pour critiquer l’attitude des Pays-Bas durant le premier conflit mondial. Leur point de mire : la neutralité néerlandaise qui n’aurait été qu’une façade destinée à masquer des appétits mercantiles et une germanophilie notoire. Et ces détracteurs d’argumenter. Pourquoi avait-on laissé les troupes allemandes, à présent désarmées, traverser tranquillement le Limbourg pour retourner chez elles ? Que dire ensuite de l’asile accordé à l’empereur Guillaume II, hébergé, désormais, au château d’Amerongen près d’Amersfoot. En outre, les établissements bancaires à vocation internationale n’avaient-ils pas prospéré pendant les combats ? L’exploitation des colonies n'avait-elle pas battu son plein ? Devant l'insistance et la véhémence de ces protestations, des milieux autorisés éprouvèrent le besoin de publier une brochure, intitulée Opinions erronées sur les Pays-Bas (1914-1918), qui s’efforçait de reprendre, parfois, il est vrai, de manière évasive, les reproches adressés à leur patrie » (9). Le malaise et les malentendus en question s’expliquent en partie, comme le relevait une autre recension du livre du pasteur Soulier, par « la situation délicate de la Hollande en face d’une Allemagne dont ses besoins la rendaient étroitement tributaire ». Les assez nombreuses publications portant sur la neutralité des Pays-Bas publiées en français, tant en France et en Belgique qu’en Hollande même, entre 1915 et 1925, montre à quel point le sujet était épineux.

    D. Cunin

     

    Louis Raemaekers, Dessins d'un Neutre

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    « Les Hollandais aiment à dire que pour eux la République a été un gouvernement aristocratique et que c’est la dynastie orangiste qui est le gouvernement démocratique. » (La Hollande amie, p. 47, d’après Ernest Lavisse)

    « Tout peuple est, pourrions-nous dire, solidaire de lui-même et tenu par son passé. Plus ce passé est long et fécond, plus il décide de possibilités et d’impossibilités. C’est “les morts qui parlent”, disait Melchior de Vogüé, chez ceux qui agissent aujourd’hui ; et ce que sont les Pays-Bas d’aujourd'hui est indiqué déjà à ceux qui savent qui ils ont été et ce qu’ils ont fait. Les Pays-Bas sont, solidement, un état démocratique : gueux obligent ; ils sont, à fond, les ennemis d’une hégémonie en Europe : Orange oblige ; ils agissent de leurs vœux et de leurs actions multiples pour l’indépendance et la liberté à disposer d’elle-même de chaque nationalité : histoire oblige. » (La Hollande amie, p. 50)

     

    (1) Le journaliste et publiciste Alexandre Cohen dont il est question sur plusieurs pages de ce blog a bien souvent fulminé contre la presse proteutonne de son pays d’origine. Cohen était le correspondant français du plus grand quotidien néerlandais de l’époque, De Telegraaf, journal pour lequel travaillait aussi l’illustrateur Louis Raemaekers. La Hollande amie, qui n’est pas une très belle édition – guerre oblige – présente toutefois en frontispice un dessin de ce dernier ; par ailleurs, Édouard Soulier lui consacre quelques lignes dans le chapitre VII : « Un dessin de Raemaekers, inconnu en France ». Cet artiste n’était, lui, pas inconnu : le gouvernement français venait de le décorer, il publiait dans Le Journal ; le 12 juin 1915, L’Illustration lui consacra un article tout en publiant une dizaine de ses dessins.

    Un article du Temps du 16 juin 1915, signé par le conservateur du Musée Grévin, s’enthousiasme à propos des dessins de cet artiste néerlandais publiés sous forme d’un recueil de cartes postales intitulé Dessins d’un Neutre. Ces carnets étaient vendus au profit des blessés de France et des orphelins de guerre. Le souci de montrer que la neutralité hollandaise n’était pas forcément synonyme de ralliement aux thèses allemandes était déjà présent moins d’un an après le début des hostilités.

    (2) Pour une plus juste perception des choses, voir au sujet de la place de la Révolution française en Hollande l’ouvrage récent d’Annie Jourdan, La Révolution batave. Entre la France et l’Amérique (1795-1806), Presses Universitaires de Rennes, 2008. Ou encore le numéro des Annales historiques de la Révolution française consacré à La Révolution batave. Péripéties d’une République-Sœur (1795-1813), n° 326,oct-déc. 2001.

    (3) On ne peut dénier un culte napoléonien chez un certain nombre de Néerlandais, et parmi eux nombre d’écrivains contemporains de l’Empereur mais aussi bien au-delà de sa mort.

    JohanDeMeester.gif(4) Johan de Meester (1860-1931) était journaliste. Il a été correspondant à Paris d’un grand journal hollandais de 1886 à 1891 ; de cette période, il a tiré un recueil d’esquisses sur la capitale française et ses habitants, Parijsche schimmen (Ombres parisiennes, 1892). Il a ensuite joué un rôle important dans la presse de son pays en accordant une grande attention aux mouvances artistiques ; comme critique, il a ainsi pris la défense des membres du Mouvement littéraire de 1880, qu’il avait côtoyés dans ses jeunes années. D’abord influencé par le naturalisme (il a écrit une courte étude intitulée L’Amour d’autrui dans les œuvres de Zola), De Meester a ensuite opté dans ses romans pour une vision plus stoïcienne de l’existence. Sa nouvelle Petite Reine, sur une gourgandine française qui fait chavirer bien des cœurs à Rotterdam, doit certainement beaucoup à Maupassant. Reconnu et fêté de son vivant (il était entre autres Chevalier de la Légion d’honneur, officier de l’Instruction Publique, chevalier de l’ordre du Cambodge), il est aujourd’hui tombé dans un certain oubli. Dans l’étude mentionnée plus haut, Maurice Gandolphe rapporte ces propos du romancier, « l’un des plus fins critiques de l’esprit européen » : « Nous sommes un très petit pays qui a de très grandes affaires : toutes nos difficultés viennent de cette disproportion. Dans la jungle des Puissances, nous nous démenons comme un pauvre écureuil qui balance sa grande queue pour rattraper la chute de son tout petit corps ; la queue de la Hollande, c’est sa marine, son commerce, ses colonies. Nous cherchons notre aplomb en remuant tout cela autour de notre étroite vie continentale : il faut beaucoup de souplesse, et c’est bien fatigant... »(photo DBNL)

    (5) Frederik van Eeden (1860-1932). Cofondateur de la revue De nieuwe Gids, l’organe du Mouvement de 1880, auteur prolifique, penseur influent, père de la significa, il demeure un classique des lettres néerlandaises. Il a été lié avec Romain Rolland. On peut lire en français le roman De kleine Johannes (Le Petit Johannes, dont il existe plusieurs traductions et éditions en France et en Belgique), Eucharistie. La parole de la réconciliation. Chant en style hébreux, œuvre qui témoigne de la conversion de l’auteur au catholicisme, et quelques extraits de son célèbre Journal. Si l’écrivain est mentionné par le pasteur Soulier, c’est sans doute du fait de la célébrité dont il jouissait alors dans son pays et au-delà et parce qu’il appartenait aux personnes constituant le noyau dur des Comités Hollande-France, au même titre d’ailleurs que d’autres grands noms des milieux artistiques bataves : A. Diepenbrock, Johan de Meester, Jan Toorop, l’incontournable Byvank, Ph. Zilcken, ou encore le romancier Henri Borel (dont l’un des livres, Wu-Wei, traduit en français en 1912, est toujours réédité de nos jours alors que L’Esprit de la Chine a paru pour la première dans notre langue en 2007).

    (6) Philippe Zilcken (1857-1930), peintre, lithographe, graveur et homme de lettres qui a beaucoup écrit sur des artistes et des écrivains français. C’est lui qui a invité Verlaine à venir faire des conférences en Hollande et qui a édité les lettres que lui a adressées le poète à ce sujet. Il a laissé des œuvres rédigées en français : Peintres hollandais modernes (1893) ; Impressions d’Algérie (1910) ; Enquête sur l’art en Hollande (1912) ; Le Musée Mesdag à La Haye (1913) ; Au jardin du passé, un demi-siècle d’art et de littérature (1930) ou encore des « Impressions sur Nice » et un texte sur la Provence narrant entre autres la visite qu’il rendit à Frédéric Mistral… Édouard Soulier rapporte les propos de ce grand francophile (p. 107) : « Le contact avec Paris, avec la France tout entière, pour ceux qui en connaissent plus que quelques boulevards, rend meilleur, est rassérénant, élève l’esprit par les nombreux éléments de beauté qui s’y manifestent sans cesse, par la bienveillance, l’aménité, le charme de la population, résultats d’une civilisation millénaire et innée, d’un raffinement dont les sources sont grecques et latines, et dont nous ne pourrons jamais nous passer, sous peine de dégénérer. »

    (7) Le francophile Alphons Diepenbrock (1862-1921) est en effet l’un des plus grands compositeurs (autodidacte) néerlandais. Il a joué un rôle important dans le renouveau intellectuel catholique aux Pays-Bas, les catholiques étant restés jusqu’en 1853 des citoyens de deuxième catégorie. Diepenbrock a par ailleurs laissé une œuvre d’essayiste (« Rémy de Gourmont : Le latin mystique » ; « Enquête sur l’influence de l’esprit français en Hollande » ; « Boieldieu, Fauré, Debussy »…). Le pasteur Soulier le cite p. 106 : « Les Alliés représentent dans l’Europe non seulement la pensée, mais encore la liberté et le droit. Si j’avais à souhaiter quelque chose, ce serait d’abord l’influence purifiante de la musique française, laquelle, quoique parfois un peu mièvre, manque absolument de l’hypocrisie et de la brutalité allemande, – art vraiment latin, qui veut conquérir lui aussi, mais par “la grâce et le sourire” et non pas par la force brutale, c’est-à-dire par l’esprit et non par la matière... Enfin, je souhaiterais une orientation vers la France par l’enseignement universitaire, tout à fait imprégné depuis 1870 par le matérialisme germanique, qui substitue aux idées et à l’intention une stupide méthode soi-disant scientifique où la mémoire et le mécanisme remplacent la pensée et le goût. » Quant à Samuel Rocheblave, il écrit : « Dirai-je ma confusion d’avoir eu à “découvrir”, à Amsterdam, l’admirable compositeur, et combien passionné de la France et de sa musique, qu’est M. Diepenbrock ? Faut-il ajouter que ce grand artiste, concentré, tendre et savant comme un César Franck néerlandais, a mis en musique des poésies de guerre de nos soldats [Le Vin de la Revanche ; Les Poilus de l’Argonne ; Debout, les Belges…], et que c’est en France seulement que cette musique antiallemande en tout sens est inconnue ? »

    PortraitOZHaren.gif(8) Onno Zwier van Haren (1713-1779). Noble frison, il vit sa brillante carrière politique brisée après avoir été accusé d’inceste, une affaire qui mit en branle toutes les plumes des Provinces-Unies. Condamné à passer le restant de ses jours retiré en Frise, il consacra les vingt dernières années de sa vie à l’écriture, commençant une œuvre qui devait compter des pièces de théâtre comme la tragédie Agon, sultan de Bantam (1769, traduite en français) sur les Indes néerlandaise. Son œuvre majeure reste le cycle de 24 chants historico-patriotiques De Geusen (Les Gueux, 1776). On peut aussi lire en traduction française ses Recherches historiques sur l’état de la religion chrétienne au Japon relativement à la nation hollandoise (1778). (photo DBNL)

    (9) Frank Tison, « Une neutralité bienveillante : les Pays-Bas au chevet des enfants du nord de la France (1916-1919) », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2004/4, n° 216, p. 31.

     

     

    TABLE DES  MATIÈRES

    de La Hollande amie

     

     

    CHAPITRE PREMIER

    Amitiés de guerre. - Les Pays-Bas. - La colonie hollandaise de Paris. - Deux hôpitaux hollandais pour nos blessés. - Un trait de caractère. - La civilisation latine. - France-Hollande. - Français fils de Hollandais. - Morts pour la France.

    CHAPITRE II

    La Hollande et les Hollandais. - Traditions et relations hollandaises. - Les langues d'Ya. - Civilis et Rembrandt. - Un Finistère. - Le pays qui nage sur les eaux. - Peuple maritime. Les Hollandais et Napoléon ler. - Le Code civil et la liberté. La capitale de la paix. - Grandes figures contemporaines.

    CHAPITRE III

    La maison d’Orange. - Guillaume le Taciturne. - La guerre de Quatre-vingts ans. - La constitution et la libération de la République des Provinces-Unies. - Les alliances avec la France. - Le danger de l’hégémonie en Europe et dans le monde. Guillaume III. - Les Provinces-Unies et l’hégémonie. - Les Provinces-Unies et l’indépendance des nationalités. – L’expérience de ce qu’est une paix branlante. - La reine Wilhelmine ; son double lien avec la France.

    CHAPITRE IV

    Les Pays-Bas et la guerre défensive et décisive contre le militarisme. - Des faux bruits - Il est des Hollandais auxquels la guerre a fait gagner de l’argent. - Les Allemands s’entendent à compromettre les gens. - Les restrictions. - Les inondations.

    CHAPITRE V

    La commisération profonde. - Un discours du trône. - Un dessin de Raemaekers, inconnu en France. - Toujours la terre d’asile. - Pour les Belges. - Pour les petits Français.

    CHAPITRE VI

    Pour ceux de loin. - Les Balkaniques. - Les prisonniers belges. - Mutilés, aveugles et orphelins. - Les prisonniers français. - Les territoires libérés. - Des infirmières.

    CHAPITRE VII

    L’opinion hollandaise. - Ses manifestations anciennes. Mof et Mofrika. - Ses manifestations actuelles. - Les artistes français du XIXe siècle. - La langue française aux Pays-Bas. Ce que disent de la France les penseurs de Hollande. - Les traits de ses humoristes. - Monsieur Tout-le-Monde. - Le sentiment des Français sur l’amitié hollandaise.

    CHAPITRE VIII

    Sur le terrain pratique. - Temps de guerre. - Le N.O.T. - Temps de paix. – L’Office Français des Pays-Bas.