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pays-bas - Page 25

  • Le Voyage de Hollande

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    La lumière de Delft est sur nous comme un linge dernier

     Aragon, Le Voyage de Hollande

     

     

    Poèmes d’Aragon*

     

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    Hollande et poésie : L’Invitation au voyage vient tout de suite à l’esprit. Mais ce pays, ses villes, ses paysages ou encore ses peintres – voire ses écrivains – ont inspiré bien d’autres poètes que Baudelaire au cours des derniers siècles. Dans un billet précédent, nous avons mentionné « Hollande » (1) du voyageur Xavier Marmier, vingt alexandrins plutôt mièvres répartis en cinq strophes. 
    Plus mièvre encore le poème carte postale portant le même titre de l’écrivain belge Marcel Loumaye (1889-1956) : « Hollande, avec ses grands moulins au bord de l’eau / Ses petites maisons et ses sombres bateaux ! » (Le Thyrse, avril 1909, p. 230). Un autre écrivain tombé dans l’oubli, Émille Dodillon (2), a pour sa part ramené d’un séjour aux Pays-Bas des vers composés dans une veine parnassienne. On pourrait énumérer des noms plus connus, poser nos lèvres sur celles de Rosemonde. Satisfaisons-nous pour cette fois d’un recueil de Louis Aragon, qui demeure dans l’ombre alors qu’ « il existe pourtant peu d’exemple » dans son œuvre « d’une aussi parfaite maîtrise de la langue et de la prosodie » (3). Le Voyage de Hollande a paru le 12 février 1964 chez Seghers, vingt-quatre ans exactement après que cet éditeur eut publié un premier texte de l’écrivain communiste. Cette édition de luxe tirée à 2025 exemplaires est ornée d’un dessin de Jongkind. À ce jour, ce recueil a été réédité à trois reprises (1965, 1981, 2005), mais à chaque fois dans une version augmentée (les « Autres Poèmes » dont le cycle « La messe d’Elsa ») qui dénature un peu, ou du moins modifie, sa portée initiale. Le Voyage de Hollande proprement dit s’ouvre sur un quatrain : « Il est interdit de blasphémer » puis se décompose en six parties : « Le départ », « L’août soixante-trois », « L’été pourri », « Le labyrinthe bleu et blanc », « Eierland » et « Chants perdus ». À l’exception des deux qui constituent ce dernier volet, les poèmes ont été semble-t-il été écrits au cours des semaines qu’ont passées Aragon et Elsa Triolet aux Pays-Bas du 29 juillet au 26 août 1963, alors qu’Aragon qui, à son habitude, avait emporté du travail, aurait dû se Aragon4.pngconsacrer à préparer la nouvelle édition de son Histoire de l’URSS. On découvre dans ces pages beaucoup d’octosyllabes, mais aussi des vers beaucoup plus longs. Certains laissent trans- paraître le souvenir de séjours antérieurs : près de quarante ans plus tôt, le poète s’était en effet rendu en Hollande avec sa maîtresse Nancy Cunard. Le Roman inachevé (1956), son « autobiographie » en vers, comprend d’ailleurs un poème amstellodamois : « Les martins-pêcheurs au ciel jaune et rose » :

     

    Les martins-pêcheurs au ciel jaune et rose

    Cousent le printemps au-dessus des toits

    Où leur vol léger en passant se pose

    Aux créneaux neigés que les vents nettoient

     

    La Tour des Harengs de l’hiver se lave

    Maisons à l’envers leur front mauve est pris

    Dans les lourdes eaux d’un rêve batave

    Que les bateaux gris lentement charrient

     

    Les bateliers blonds au bleu de leur pipe

    Ont les yeux noyés par l’Indonésie

    Tandis que les marchandes de tulipes

    Pour les étrangers déjà s’égosient

     

    Ce calme c’est le calme du commerce

    Ce silence est fait de soie et d’étain

    Les grands bassins de mât en mât y bercent

    Le soir safran qui sur les quais déteint

     

    Le jour déclinant les digues cyclables

    Dans un Ruisdael sombre aux rouges falots

    Portent de la ville au loin par les sables

    Le pédalement de mille vélos

     

    Mais dans l’échoppe est assise une dame

    Comme un bijou qui dort en son écrin

    Car c’est ici le ghetto d’Amsterdam

    Où des bras blancs entourent les marins

     

    On dit amour pour nommer cette chose

    Qui peut durer juste le temps qu’il faut

    Petit palais de la métempsychose

    Pour avoir l’œil rond comme l’ont là-haut

     

    Les martins-pêcheurs au ciel jaune et rose

     

    Le Voyage de Hollande

    Compositeur : Edouard Senny, sur des textes de Louis Aragon

    Baryton : André Vandebosch - Piano : Colette Orloff

     

     

    Aragon6.pngL’amour ou du moins la question de l’amour se glisse une fois de plus dans le poème. L’impossibilité de l’exprimer (de le vivre ?), mariée à une anxiété pour ainsi dire innée, constitue d’ailleurs le thème essentiel  du Voyage de Hollande qui est tout autre chose qu’un voyage en Hollande. Il est vain de voyager annonce d’entrée une épigraphe de Maurice Scève. « L’été pourri » nous en dit sans doute plus sur le couple Louis-Elsa que sur le temps : en 1963, c’est l’hiver qui a été calamiteux, l’un des plus froids de l’histoire des Pays-Bas ; et si en été les températures étaient relativement fraîches, les deux écrivains n’ont pas dû voir, en un mois, beaucoup de pluie. C’est la grenouille batave qui le dit. Un été pourri sans pluie ? « Le Roi-Pluie » qui fait des siennes sur les toits d'Amsterdam est sorti de l’imagination du sexagénaire qui porte « une pierre au cou ». « Wassenaar » est à la fois une réécriture de l’Invitation au Voyage et, d’un bout à l’autre, un poème d’amour. Poème d’amour aussi « À quoi rêverais-tu si l’on », écrit le 14 août près d’Utrecht, à Hoge Vuursche. Peignant un décor typiquement batave, « Intérieurs » bascule à mi-parcours dans l’introspection et dans la vénération de l’aimée. Pareillement d’« Eierland », dont on jurerait la première strophe, tout entière dédiée à la nature de l’île de Texel, sortie du clavier d’un poète néerlandais.

    Si « Meinert Hobbema » échappe à l’obsession du fou d’Elsa – certes le poème se termine par : « Pour aimer d’amour » –, c’est sans doute parce que le poète y reprend la description du tableau Le Moulin à eau , qui figure dans les Entretiens sur le musée de Dresde (1957), ouvrage écrit avec Cocteau. Pour le reste, quand il s’écarte de sa thématique de prédilection, Aragon émet des critiques sur les Hollandais en général : « Et nous parmi ces êtres de laitage / Le genou gras la rousseur des oignons / À tous les pas à qui nous nous cognons » (dans « Reconnais-tu la vieille mélodie », poème ayant pour cadre Rotterdam) (4) ou sur les capitalistes qui Aragon1.pngvivent dans les « Petits palais de la banlieue ». Même dans les endroits les plus isolés d’ « Amsterdam », l’amoureux ne trouve ni calme ni paix – « Ainsi la ville avec ses toits / Ses yeux-fenêtres d’elle-même / Comme défaite pour qu’on l’aime / Tragiquement parle de toi » –, mais le reflet d’un suicide. Citons le poème (sans titre) le plus emblématique du recueil :

     

     

    Nous appellerons Hollande

    Ce pays de contrebande

    Entre la pluie et le vent

    Comme un moment de césure

    Dans la voix et la mesure

    Entre l’après et l’avant

     

    Ce royaume de semblances

    Qui fait égale balance

    Entre la terre et les eaux

    Entre le mourir et l’être

    Qui bat comme à la fenêtre

    Un volet troué d’oiseaux

     

    Voici l’heure et le voyage

    Où le jour n’est que langage

    Comme sont dés hasardeux

    Et le point qu’on y amène

    Toujours sonne être l’amen

    De cette vie à nous deux

     

    Où toute chose suppose

    Obscurément faire pause

    Avant cette nuit de nous

    Une halte du calvaire

    Cette indulgence à genoux

    Aux condamnés à genoux

     

    Ô merveille d’amertume

    Et se perd et se parfume

    La vie où elle est brisée

    Comme l’une l’autre tremblent

    Au miracle d’être ensemble

    Les lèvres sur le baiser

     

    Le grand reproche que l’on peut faire à Aragon – qui est dans la droite ligne de Hugo dont il partage les qualités et les défauts – tient à la teneur de bien des poèmes : elle est sensiblement inférieure à la virtuosité de l’écriture. Une espèce de naïveté - de juvénilité ? - omniprésente finit par lasser le lecteur. Aragon égrène un peu trop ses vers de vieil amoureux anxieux comme une bondieusarde son chapelet. Mais relire quelques pages de ce Voyage émerveille.

     

    Daniel C.

     

    Aragon7.png* Une partie des éléments de ce billet est empruntée à Michel Besnier, « Postface » au Voyage de Hollande, Paris, Seghers, 2005 ainsi qu’au tome 2 des Œuvres poétiques complètes, publié en Pléiade sous la direction d’Olivier Barbarant (2007).

    (1) Poème qu’on peut lire par exemple dans les Proses et Vers (1836-1886), Paris, A. Lahure, 1890, p. 245-246. Contentons-nous d’en citer la première strophe.

    Dans les près de Hollande, au haut de la charmille,

    J’ai souvent remarqué, le long de mon sentier,

    Le chêne où la cigogne, hôte de la famille,

    Construit son nid de chaume à côté du fermier. 

    (2) On doit à cet auteur une version (la première ?) de Fais dodo Colas mon petit frère intitulée Enfantine (publiée dans le recueil Les Écolières, 1874).

    (3) Michel Besnier, « Postface », op. cit. Cet auteur ajoute : « S’il existait des écoles de poésie, Le Voyage de Hollande permettrait de montrer, surtout de faire entendre, toutes les ressources de la poésie écrite en langue française. Quelle étonnante variété de vers, de rythmes, de rimes ! C’est qu’Aragon a lu et assimilé dans son oreille interne tous les poètes, de ceux du Moyen Âge jusqu’à ses contem- porains. » (p. 156).

    (4) Les mêmes clichés sont présents dans la correspondance d’Elsa de l’époque.

     

    les deux mots en gras dans les poèmes

    figurent en italiques dans les versions originales.

     

     

  • Le rêve de Berlage

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    La Maison de Beethoven

     

     

    Berlage1.png

     

     

    Berlage6.pngDans sa « Lettre de Hollande » publiée en février 1909 (p. 189-192), le chroniqueur du Thyrse Fernand Vellut évoque l’architecture des Pays-Bas. Comme dans celle qu’il a consacrée à l’écrivain Herman Heyermans (1864-1924) deux mois plus tôt (déc. 1908, p. 125-126), il émet bien des critiques sur les artistes néerlandais (cette fois sur les bâtisseurs et non plus sur les dramaturges et les comédiens) tout en leur reconnaissant certaines qualités qui peuvent être goûtées par les seuls autochtones ou par l’étranger qui a une connaissance approfondie de la culture batave : « Il faut visiter le pays à fond, et surtout connaître les besoins matériels et moraux du paysan néerlandais, pour apprécier la valeur d’un art [l’architecture rurale] aussi complet et aussi équilibré. Il y a là un démenti à ceux qui prétendent ennemis (en architecture) le Beau et l’Utile. » Puis il en vient à s’intéresser aux architectes modernes dont certains font preuve d’« une savoureuse originalité », en particulier Hendrik Petrus Berlage (1856-1934) :

     

    JanTooropBeursvanBerlageHetVerleden.jpg

    Jan Toorop, Het Verleden (Le Passé), Bourse de Berlage 

     

     

    « Le plus saillant de ces novateurs, M. Berlage, est l’auteur de la Bourse d’Amsterdam, monument sobre, en matériaux du pays, avec l’aspect sérieux qui convient aux affaires.  – (Pourquoi toujours ces temples grecs pour le Veau d’or ?) - La tour-horloge, massive, est surmontée d’un campanile ne manquant pas de grâce, et la décoration discrète obtient tous les effets voulus. Le sol marécageux de la ville a causé, il est vrai, quelques déboires aux bâtisseurs, la Bourse s’est lézardée à la joie du “bourgeois” hostile aux innovations. Il n’en reste pas moins établi que l’école hollandaise nouvelle a prouvé là sa vitalité et donné l’espoir d’une renaissance. »

     aperçu de l’extérieur de l’édifice (vidéo en anglais sauce batave) 

     

    Après ce rappel au sujet de cette œuvre d’art total terminée en 1903 - Berlage a reçu l’aide de plusieurs artistes dont le poète Albert Verwey, les peintres Jan Toorop, Richard Roland Holst et Antoon Derkinderen ainsi que les sculpteurs Lambertus Zijl et Joseph Mendes da Costa -, F. Vellut termine sa chronique, non sans une note d’humour, en abordant un projet que H.P. Berlage ne réalisera jamais :

    « Le nom de M. Berlage s’attache à une tentative curieuse que je ne puis taire. Un enthousiaste de musique, M. Hutschenmuyter*, a conçu le projet d’élever un local destiné exclusivement à l’audition des symphonies de Beethoven et dont M. Berlage a établi les plans. Le temple à la gloire du génial musicien se dresserait loin de toute agglomération, en pleine nature, dans les dunes voisines de Haarlem, et la salle de concerts - le sanctuaire - serait disposée de façon à ce que l’auditeur, par dessus l’orchestre invisible, aperçoive, par de larges baies ouvertes devant lui, l’immensité de la mer. Négligeons les détails : cette maison de Beethoven comprendrait une bibliothèque, une chambre pour quatuors, etc. Il s’agit de placer le fidèle de ce culte dans une disposition d’esprit et de sentiment que ne peut éveiller la salle de concert profane.

     

    Berlage2.png

    Coupole de la Maison Beethoven, intérieur, 1908 (source : ici)

     

     

    « Et c’est en ceci que ce beau rêve me paraît pécher. Jusqu’où ira ce souci du milieu, du décor ? Ne devra-t-on point tenir compte, par exemple, des conditions atmosphériques et se garder de jouer la symphonie pastorale un jour de tempête et “l’Héroïque” par un de ces après-midi de printemps où la mer du Nord sait se faire souriante et charmeuse comme la Méditerranée la plus amène ?

    Berlage4.png« Quoi qu’il en soit, il est toujours beau, parmi les laideurs quotidiennes, de voir des hommes épris d’idéal tendre à réaliser la perfection qui les hantes et il ne faut jamais laisser passer leur effort sans le saluer d’un applaudissement, ni sans l’encourager d’un souhait… » Au final, un bel hommage à une époque où beaucoup s’opposaient aux idées de l’architecte amstellodamois, idées qu’il a d’ailleurs formulées dans nombre d’essais.

     

     * Il s’agit en réalité du corniste Willem Hutschenruyter (1863-1950).

     

    Les deux couvertures  

    Sergio Polano & Vincent Van Rossem, Hendrik Petrus Berlage. Complete Works, Phaidon Press, 2002. 

    Kees Broos, Pieter Singelenberg & Manfred Bock, Berlage 1856-1934, La Haye, Haags Gemeentemuseum, 1975.

     

    Berlage a dessiné des couverture de livres, par exemple celle

    de Hooge Troeven, un court roman de Louis Couperus (1896) 

    Berlage8.png

     

     

    autre réalisation de H.P. Berlage, le superbe « pavillon » de chasse

    Saint-Hubert édifié entre 1915 et 1920 dans le parc De Hoge-Veluwe 

     

     

     

    Berlage0.png

    Portrait de Berlage figurant dans un ouvrage collectif intitulé

    H.P. Berlage en zijn werk (1916)

     

  • Septentrion, automne 2010

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    Littérature au menu

     

    Septentrion1.jpg

     

     

    La dernière livraison de Septentrion (n° 3, 2010), revue trimestrielle en langue française consacrée aux arts, aux lettres et à la culture de Flandre et des Pays-Bas offre, comme chaque numéro, une place de choix à la littérature. Caroline Lamarche consacre un petit article aux Lettres du Plat Pays (La Différence), échange épistolaire entre deux Bruxellois : l’un d’expression française : Jean-Luc Outers, l’autre d’expression néerlandaise : Kristien Hemmerechts (pages traduites par Alain Van Crugten) : « C’est dans une forme élégante et légère, d’un ton rieur et grave, dont la mélancolie jamais ne tourne au drame, dont l’irritation reste en deçà de l’anathème, que ce livre nous parvient, publié à Paris. Septentrion2.pngLimpides, souvent drôles, ces lettres rendent hommage à l’art de vivre au quotidien dans un pays malade, réussissant le tour de force de parler des Belges en les décomplexant […]. Rien de crispé, rien de cette paranoïa qui, aujourd’hui, nous plombe dès qu’on ouvre le journal. »

    Il est aussi question de lettres dans la recension de Nils C. Ahl : « Un mélange d’amertume et de joie : Gerard Reve ». Six lettres virtuoses pleines d’ironie et de « déconnation », réunies sous le titre En route vers la fin, une des œuvres majeures – son « sésame » selon le critique – du romancier et poète Gerard Reve, un livre unique en son genre publié à Amsterdam en 1963. Pour la première fois sans doute, la prose de cet écrivain sulfureux d’une rare ingéniosité est transposée de manière remarquable. Dans la préface qu’on peut lire ICI, Betrand Abraham, le traducteur, replace l’ouvrage dans le contexte de sa parution et énumère en sept points les défis qu’il a dû relever pour restituer cette « langue dans la langue », ce « quasi-idiolecte » qui fait de la phrase de Reve une phrase reconnaissable entre toutes. Dans la première lettre, « un petit roman », nous dit Nils C. Ahl, l’écrivain relate son séjour à Edimbourg où il assiste à un congrès d’écrivains. Nombre de ses confrères (des Américains, des Français et d’autres) passent un sale quart d’heure sous sa plume. On Septentrion3.pngattend la traduction du volume qui fait suite à En route vers la fin : Nader tot U (Plus près de Vous, 1966), autre livre culte aux Pays-Bas de ce Néer- landais qui a passé une partie de sa vie dans le magnifique village drômois du Poët Laval. (une émission de radio Paludes consacrée à En route vers la fin : ICI et un entretien savoureux de 1969 en anglais entre Gerard Reve et le critique H.A. Gomperts : ICI).

    Toujours dans la rubrique des critiques, Jean-Luc Léonad consacre un papier à l’auteur de polars Pieter Aspe (lire ICI) et Ingrid Wasiak au premier roman de Labia Fàbregas (La Fille aux neuf doigts, traduit du néerlandais par Arlette Ounanian, Actes Sud). Quant à Vic Nachtergaele, il s’arrête sur le tome 9 de la Correspondance de Michel de Ghelderode. Dans sa rubrique « Actuelles », Hans Vanacker passe pour sa part en revue Marcel Proust, esthétique et mystique du spécialiste de la mystique brabançonne Paul Mommaers ; Pays-Bas : la tentation populiste de l’historien Christophe de Voogd ; Les Peintres belges actifs à Paris au XVIIIeSeptentrion4.png siècle à l’exemple de Jacques François Delyen, peintre ordinaire du roi de Gérard De Wallens ; et pour finir le recueil bilingue du poète flamand Stefaan Van Den Bremt Vogeltekens - Augures, d’après des miniatures de Solange Abbiati.

    Dans ce numéro de Septentrion, plusieurs pages reviennent sur l’itinéraire du poète, voyageur et homme de théâtre Ramsey Nasr qui mêle dans son œuvre veine romantique et souci d’engagment. Trois poèmes (en version originale et en traduction française) illustrent la singularité de cette œuvre qui repose pour une bonne part sur le talent déclamatoire de l’auteur. Un volet « poésie » propose par ailleurs, également dans les deux langues, « Le dernier cru » : six poèmes de six auteurs différents, choisis par Jozef Deleu (poète qui a fondé Septentrion* en 1972). Enfin, l’atelier que dirige Christian Marcipont offre la traduction d’un passage du roman Beleg du Flamand Tom Naegels.

    Septentrion5bis.pngA côté de toutes ces pages « littérature », on retiendra la contribution de l’éminent historien H.L. Wesseling, dont on a pu lire en français Le Partage de l’Afrique et Les Empires coloniaux européens (trad. Patrick Grilli, Gallimard, 2002 et 2009). Dans « Histoire et justice ou l’historien et la loi », le Néerlandais, signataire de l’Appel de Blois, s’interroge sur les normes plus qu’étranges qu’impose le législateur français aux historiens à travers les lois Gayssot-Fabius, Taubira, etc. Enfin, il convient de mentionner l’article que Dorien Kouijzer consacre à La Noblesse de l’Esprit. Un idéal oublié (trad. David Goldberg, préface de George Steiner, éditions NiL, 2009), un ouvrage de réflexion dans lequel il est beaucoup question de Thomas Mann.

    H. Vandekerckhove, An Early Morning Visist (détail), 2004

    septentrion7.pngMais dans Septentrion, les amoureux des arts plastiques trouvent en général eux aussi leur bonheur. Au menu cette fois : Annelies Planteijdt et ses colliers, le peintre Hans Vandekerckhove, ses prédécesseurs David et Pieter Oyens, l’exposition « De Van Eyck à Dürer » organisée à Bruges…


     

     retrouvez le blog de la revue Septentrion ICI

     

     

     

     

    *une revue culturelle s'intitulant également Septentrion (Revue des Marches du Nord) a existé à Lille fin années 1920 - début années 1930

     

  • Une page de Jean Lorrain

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    Monsieur de Bougrelon

    à Amsterdam

     

     

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    biographie de Jean Lorrain par  Thibaut d'Anthonay, 2005

     


     

     

    Célèbre auteur décadent, Jean Lorrain (1855-1906), dans son roman Monsieur de Bougrelon (1897), nous emmène en Hollande en faisant « débuter son récit à Amsterdam, au cours d’une tempête, avec une entrée en matière à la française : deux messieurs déambulent dans les rues, ignorant les musées et les lieux touristiques, car ils connaissent la ville. Ils sont intrigués par le nom d’un bar, Café Manchester, et se retrouvent ainsi dans un bordel dès la quatrième page. Les femmes y sont laides et gentilles, le “paisible et familial intérieur hollandais” s’y avère haut en couleur ; ces dames boivent bière et genièvre à un rythme accéléré. Mais cela n’est pas le thème du récit. C’est de monsieur de Bougrelon qu’il s’agit, qui rentre dans ce café et qui nous est décrit comme “ce cadavre peint, corseté, maquillé et cravaté”. Il propose à nos deux Français de leur servir de guide. On apprend qu’il était venu à La Haye dans le sillage d’un ami (qui avait été obligé de s’enfuir à cause d’un duel). Plus tard, monsieur Bougrelon s’est retrouvé à Amsterdam et y est resté.

    jean lorrain,monsieur de bougrelon,amsterdam,littérature française,pays-bas,fin de siècleAprès le premier chapitre, Amsterdam passe rapidement au second plan. C’est le décor de promenades qui ont, en fait, lieu de manière imaginaire : sorte de Barbey d'Aurevilly et de Des Esseintes, Bougrelon raconte ses souvenirs de conquêtes féminines, de plaisirs et d’amitiés aristocratiques. Il passe sans s’arrêter devant les chefs-d’œuvre du Rijksmuseum, avant de descendre dans les caves où se trouvent les salles où sont conservés les costumes qu’il compare à des sarcophages : “ces spectres ont laissé là leurs linceuls de velours et de soie”, dit-il, mais ces derniers recèlent “des baisers, de la folie, de l’amour et des larmes”. Pour le déjeuner, il emmène ces messieurs manger des crustacés dans une taverne de marins : la cabine d’un paquebot situé derrière la Gare centrale. Il leur conte l’histoire de la chaste Barbara, qui fut assassinée, ou plus précisément mangée, par son domestique. Il reconnaît les pupilles de cette dernière dans les yeux d’un caniche à Monnickendam. Une “hypothétique luxure”, c’est là l’essentiel. On rend une brève visite au Musée Fodor, la rue Zeedijk est également mentionnée, tout comme les villes de Zaandam et de Haarlem, mais le récit revient rapidement aux souvenirs de Bougrelon dont l’imagination transforme manteaux de fourrures et pots à conserves en œuvres d’art. Il disparaît au coin d’une rue pluvieuse, tout aussi soudainement qu’il était apparu, mais les deux hommes le revoient une dernière fois, sur l’estrade d’une taverne de marins, un violon sous le menton. » (source) Il disparaît et ne reste que la nostalgie d'une époque que nous n'avons pas vécue, d'un Ness autrement affriolant. 

     

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    Le début du roman

     

    Amsterdam, c’est toujours de l’eau et des maisons peintes en blanc et noir, tout en vitres, avec pignon sculpté, et des rideaux de guipure ; du noir, du blanc se dédoublant dans l’eau. Donc c’est toujours de l’eau, de l’eau morte, de l’eau moirée et de l’eau grise, des allées d’eau qui n’en finissent plus, des canaux gardés par des logis pareils à des jeux de dominos énormes : ça pourrait être funèbre et pourtant ça n’est pas triste, mais c’est un peu monotone à la longue, surtout quand il gèle et que l’étain figé des canaux ne mire plus les belles petites maisons de poupée, perron en l’air et tête en bas.

    Il faisait donc grand vent, ce jour-là, sur l’Amstel, un vent à balayer les balayeurs eux-mêmes ; sur le Dam, c’était le spectacle déjà trop de fois vu de la station des tramways et de la foule autour ; bonnets de fourrure rabattus sur des oreilles violettes, conducteurs et cochers fleuris de couperose, engoncements de cache-nez ; et ces étranges petits vieux Bougrelon4.pngqui, une éternelle goutte de gel au bout d’un nez rouge, vous vendent plus cher qu’au bureau des correspondances d’omnibus : mais il faut bien que tout le monde vive, et l’étonnement de s’entendre dire dangüe pour merci, et celui de recueillir sur le revers de son gant leur grelottante roupie est un des plaisirs du touriste en Hollande...

    Oh ! ces peuples du Nord ! D’ailleurs, le Hollandais est plutôt laid, et la Hollandaise lui ressemble ; les vieilles dames à chapeaux de velours noir, sur bonnets de dentelle ornés à la tempe de plaques d’or ajourées, font évidemment mieux dans les vieux tableaux de maîtres que dans l’ambiance des rues ; le Seadeck (le Rydeck d’Amsterdam) ne s’éveille qu’à la nuit. Quant au Ness, où de braves et plantureux gaillards blonds, roses, gras et la figure épanouie raccrochent innocemment au seuil des bouges, boudinés dans de longues houppelandes de portier d’hôtel, il était pour nous sans mystère ; nous l’avions déjà aussi trop visité et c’est bien là l’ingratitude humaine, car ce Ness nous avait-il assez ravi le premier soir.

    Bougrelon2.pngAvions-nous assez aimé ces lourdes portes s’ouvrant brusquement pour laisser apparaître derrière une rangée de tables un entassement de chairs et de paillons, dressés comme un dessert sur une lointaine et lumineuse estrade. « Dames françaises, entrez, messieurs, on parle français », et c’était de la part des bons géants joufflus des révérences et des sourires à pleines lèvres, mais des bons sourires honnêtes, des sourires ignorés à Paris ; ils n’en lâchaient pas une minute le cordon qu’ils tenaient à la main, et c’était le long de cette rue du Ness, c’était à chaque seuil la même soudaine apparition de nudités et d’étoffes flamboyantes, la même offre patriotique, dames françaises, et le même salut.

    Ah! que de dames françaises dans tous les Ness des brumeuses Belgiques ! des lointaines Hollandes et de tous les pays !

    Ah! qu’on est fier d’être Français quand on voyage à l’étranger.

     

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    Les illustrations (détails) sont de Marold et Mittis.

    Elles agrémentent la première édition.

     


     

    Monsieur de Bougrelon a été traduit en néerlandais par Jeanne Holierhoek

    sous le titre Denkbeeldige genietingen

    (sans doute une façon de reprendre celui de l'un des chapitres : Hypothétiques luxures),  Amsterdam, Meulenhoff, 1978. 

     

     

     

  • Découverte de Charley Toorop

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    Retour sur la rétrospective Charley Toorop

     

     

    C. Toorop, Autoportrait, 1929, © Ad Petersen

    TooropAdPetersen.jpgPour la première fois, on a pu voir en France un grand nombre de toiles de la Néerlandaise Charley Toorop. Le commissaire de l'exposition, Gérard Audinet - aujourd'hui directeur de la Maison Victor Hugo -, évoque cette création dans la vidéo ci-dessous. Le magnifique double catalogue publié par le Musée d'art moderne de la ville de Paris et Paris Musées présente un long texte biographique de Marja Bosma, une étude de Carel Blotkamp sur le Repas des amis, l'un des tableaux les plus ambitieux de la peintre, ainsi qu'une contribution de Catherine Gonnard (« Trois générations: construction d'une artiste ») et une autre de Gérard Audinet (« Alterportrait »). Parallè- lement, l'Institut néerlandais a organisé une expo- sition axée sur des documents privés de la fille de Jan Toorop (lettres, dessins, photos, ect.). On peut en retrouver l'essentiel dans le catalogue Charley Toorop privée dont le texte a lui aussi été écrit par la spécia- liste de l'oeuvre de la Hollandaise, Marja Bosma, conservateur au Centraal Museum Utrecht. Relevons que l'historienne de l'art Cartherine Jordy a consacré un article à Charley Toorop : « Charley, fille de Toorop ou l'amour du travail » dans le numéro 4 de la revue Deshima.

     

     

    Charley Toorop au Musée d'Art moderne

    voir aussi :

    Rétrospective Charley Toorop au Musée d'Art Moderne sur Culturebox ! 

     

    « Tu m’écris que je dois un peu me régler sur toi. Je le veux bien. Mais tu comprendras que me régler complètement sur toi, à l’instar d’une femme qui aime, qui ne travaille pas, qui n’a pas de vie à elle, pour ma part je ne le pourrai peut-être jamais. Mais je peux tout de même beaucoup. […] Et ce sera toujours comme ça, il me faudra être seule de temps en temps. Cela ne veut pas dire que je suis plus loin de toi, ce serait plutôt le contraire. Je pense peut-être plus à toi que lorsque que je suis à tes côtés, très fidèle et très unie à toi. C’est certes là une grande différence entre nous – toi, tu as tant de mal à être seul – tu ressens cela comme un abandon. Moi j’aspire parfois à être seule (toute seule, sans même les enfants) et ne me sens pas pour autant abandonnée, jamais, presque jamais…

    Ainsi, j’espère que tout ira entre nous, ça pourrait être tellement bien. Mais voilà, je n’ai qu’un seul seigneur et maître, là est le malheur, mon travail – ou plutôt cet impératif : m’isoler pour atteindre la concentration dont j’ai besoin quand je suis seule – bien que je sois capable de t’incorporer toi et le reste dans cette solitude. »

     

    Lettre de Charley Toorop à Arthur Lehning,

    été 1928, Ploumanac'h (trad. D. Cunin)

     

    une lecture d'extraits de cette correspondance amoureuse

    a été faite par Marie de Bailliencourt

    à l'Institut néerlandais le 8 avril 2010 

     

     

    L'oeuvre de Charley Toorop en images