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poésie - Page 25

  • Hollande de Jean-Claude Pirotte

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    Hommage à Eddy du Perron (1899-1940)

      

      

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    Dans son recueil Hollande (Le Cherche-Midi, coll. Amor Fati, 2007) qui marie poèmes et peintures (de la fin de l’année 2004), le Wallon Jean-Claude Pirotte rend entre autres hommage à l’écrivain néerlandais Eddy du Perron (1899-1940), connu en France pour avoir été l’ami d'André Malraux. La peinture en regard s’intitule eergisteren (avant-hier). Le plaisir que l’on prend à lire Pirotte – écrivain bien plus talentueux qu’il n’ose lui-même le dire – est d’autant plus grand qu’il fait partie des rares auteurs d’expression française, avec Claude-Henri Roquet ou Xavier Hanotte, à pouvoir glisser dans sa prose des mots néerlandais sans les éborgner.

     

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    Dans Une adolescence en Gueldre, le romancier Pirotte évoque une période fondatrice de son existence. Un extrait :


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    C’est le paysage surpris de ma lucarne, dans Bezui- denhout, le premier matin, qui a peut-être décidé pour moi. Et ma première lecture aussi, dans cette chambre mansardée soudain deve- nue mienne, à l’heure où la lumière de sable et de vent s’est révélée à moi, la lu- mière de Gueldre, à l’aube, comme un air de clavecin.

    À cette lumière tremblée, à son poudroiement, à son cristal à la fois vaporeux et précis, à son rythme de danse ancienne et secrète, rien ne pourra jamais m’empêcher d’associer le mouvement inaugural de La chartreuse de Parme.

    « Fabrice montra son passeport qui le qualifiait marchand de baromètres portant sa marchan- dise. »

    Ces trois mots en italique ont soudain mobilisé ma mémoire et mon avenir, je devrais dire la mémoire de mon avenir, car c’est ce matin-là, en lisant et relisant cette phrase d’apparence anodine (mais elle ne l’est pas), que je me suis expliqué avec moi-même et ce que je dois bien appeler, tant pis si je m’exprime pompeusement, la reconnaissance obscure et aveuglante de mon destin.

    Jean-Claude Pirotte, Une adolescence en Gueldre, La Table Ronde, 2005.

     

    Prière aux poètes morts, Jean-Claude Pirotte
     

     

    carte imprimée à l’occasion d’une soirée E. du Perron-André Malraux à Paris, 15/11/2005 (photo coll° K. Snoek)

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    Sur l’amitié Eddy du Perron / André Malraux voir cette  bibliographie en langue française

     

     

    biographie d’Eddy du Perron par Kees Snoek, 2005, 1246 p.

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    le grand roman autobiographique d’Eddy du Perron

    Le Pays d’origine,

    traduction Philippe Noble,

    préface André Malraux,

    Gallimard, 1980

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  • Rêverie dans Amsterdam

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    La carte postale de Francis Carco

     

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    Le premier jour du printemps 1951, Florentin Mouret publie à Avignon les 150 exemplaires hors commerce de l’édition originale de Rêverie dans Amsterdam (avec une carte postale extraite de « La romance de Paris »). Il s’agit du troisième petit volume de la collection « Pour F.M. et ses copains » qui en comptera quatorze (1950-1961). Célèbre chansonnier, l’auteur de cette trentaine de pages, Francis Carco (Nouméa 1886 - Paris 1958), a aussi été un écrivain prolifique qui a connu un succès sans pareil durant l’entre-deux-guerres. Rêverie dans Amsterdam a été écrit à la suite d'un séjour qu'il a effectué dans la capitale néerlandaise au milieu des années 1930 ; la revue Les Marges en a donné le texte le 10 mai 1935. C'est à la même époque que Carco concevra Brumes - qu'il considérait lui-même comme son meilleur roman - , « qui a pour décor le quartier des marins et des prostituées d'Anvers » (1).


    amsterdam,anvers,littérature,poésie,francis carcoLe jour où il monte dans le train qui va le conduire à Amsterdam, il emporte la réédition de 1883 d’un guide voyage pour le moins singulier :
    Le Putanisme d’Amsterdam (1681), « certainement un des plus curieux livres écrits sur les mœurs des prostituées » précise l’éditeur. Mais une fois sur place, au début de la nuit, l’idée d’entrer dans des lieux de réjouissances n’effleure pas cet homme qui a vu de près les bas-fonds de bien des villes ; il préfère arpenter les rues désertes de la ville sous la pluie. « L’eau du port, elle aussi, luisait sous les feux des pylônes, d’une trouble phosphorescence et, par-dessus la ville, au milieu des vapeurs, le ciel apparaissait si rougeoyant qu’on en éprouvait à la fois une crainte et un plaisir. Heureusement, comme dans toute cité moderne, le timbre des tramways prolongeait ses rassurants appels. » Dans son récit un peu décousu, mais écrit dans une prose limpide, Francis Carco opère plusieurs comparaisons entre ce qu’il voit et les souvenirs qu’il garde de la Chine.

    Le Hollandais qui lui sert de guide préfère évoquer les tulipes que les « coupables divertissements » ; cet homme sur lequel on apprend peu de choses l’amène à dire : « Les Hollandais ont ceci d’excellent qu’ils ne vous promettent jamais rien de rare au cours d’une randonnée nocturne. Ils sont trop avisés pour compter sur la chance. Mais quand l’occasion se présente, ils savent mieux que personne en tirer parti. » Vont-ils tous deux tirer parti de cette promenade qui finit, malgré la résolution prise, à l'ombre de l’Oude Kerk ? « La rue tourne autour de l’église et, dans de petites loges qui se succèdent jusqu’à ne plus presque former qu’une succession ininterrompue de maisons de plaisir, des filles guettent les passants de derrière les carreaux. (…) Quelques-unes de “ces dames” vidaient des chopes de bière ou tricotaient, les yeux baissés. On les eût prises, à leur réserve, pour de dignes ménagères attendant, sous la lampe, le moment de gagner leur lit. Sans la musique des bars et sans l’étrange exhibition, derrière les vitrines, de toutes ces créatures qui ne semblaient en rien participer aux complicités du dehors, j’aurais pu me tromper. Jamais encore, nulle part, je n’avais constaté pareille hypocrisie. Et, pensant à l’auteur du petit livre sur Amsterdam, je me disais qu’avec lui, j’aurais eu, à n’en pas douter, la clef de ce mystère. Mais peut-être n’y avait-il pas de mystère. Il suffisait d’entrer dans l’une de ces boutiques pour que la femme, tirant le verrou et laissant retomber le rideau, changeât subitement de visage et se comportât comme partout.

    biographie de Carco par J.-J Bedu, éd. du Rocher, 2001

    CouvCarco.jpgOr, je n’éprouvais guère l’envie de tenter l’aventure. Grasses ou maigres, blondes ou brunes, aucune de ces marchandes n’arrivait à me décider. Elles faisaient partie d’un décor au même titre que leurs lumières tamisées de soie rouge, leurs coussins de couleur et la musique violente des bars. Plus je les observais, plus je concluais qu’il fallait accourir de loin vers elles et les voir au travers de sa propre imagination pour les parer de quelque attrait. Le vieux proverbe qui prétend que “l’amour est comme les auberges espagnoles : on y trouve ce qu’on y apporte”, prenait ici sa pleine signification. Près de ces femmes, dans l’étroit univers confortable dont elles étaient la fleur, on devait percevoir la sourde rumeur de fête foraine qui emplissait le quartier. On devait également savourer la tiédeur de leur gîte et, en même temps qu’on entendait la pluie crépiter aux carreaux, songer à la rue froide, glissante, dont les pavés et les trottoirs, les maisons grises, les courants d’air et l’inexprimable atmosphère de solitude n’étaient, à la fois, si lointains et si proches, que les sombres éléments d’un drame auquel, pour un moment et par miracle, on venait d’échapper. »

    Citons encore une strophe du poème « Carte postale » qui ferme cette Rêverie dans Amsterdam :

     

    Rappelle-toi, dans Amsterdam,

    La dernière nuit de l’année,

    Toute la ville illuminée

    Et le long raclement des trams.

     

    (1) Cf. Francis Carco, Romans, édition Jean-Jacques Bedu et Gilles Freyssinet, coll° Bouquins, Robert Laffont, 2004.

     

     

    Qui es-tu Francis Carco ?



     

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  • Instantanés aux Pays-Bas (1906)

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    Le voyage d’Alphonse de Châteaubriant (1877-1951)

    dans la langue néerlandaise

     

     

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    Les Instantanés aux Pays-Bas proposent le compte rendu d’un séjour effectué par Alphonse de Châteaubriant en Hollande du 1er au 28 août 1905, et publié sous le pseudonyme Chateaubriand-Chanzé dans la Revue de Paris du 1er octobre 1906. Il s’agit de l’une des toutes premières publications  de ce descendant d’une branche de la famille néerlandaise Van Bredenbecq (orthographe ultérieure : de Brédenbeck) qui a acquis les droits féodaux de la seigneurie de Châteaubriant en 1690 ; ces pages seront reprises en volume fin décembre 1927. Avant de devenir un romancier très en vogue (Monsieur des Lourdines recevra le Goncourt en 1911, La Brière le Grand Prix du Roman en 1923), avant d’être condamné à mort par contumace en 1945 pour ses activités collaborationnistes, le Breton – qui travaille alors d’arrache-pied pour se faire un nom dans les lettres – est accueilli par la famille Schleef d’Egmond aan Zee, localité de 3000 âmes encore pittoresque avec des mamans aux « mentons roses arrondis sur des rabats de dentelles », des vieilles à « la tête hochante sous la capuche de dentelle » ; on vient d’inaugurer le tramway. La fenêtre de sa chambre sonne sur la mer et les dunes qu’il a appris « à aimer sur les toiles de Ruisdael et de Wynants ». Pas loin de là s’élève « la partie des dunes jadis occupée par les “Kaninefaten” (1) ». On est en présence d’un texte intime, plein de retenue, morcelé comme le titre l’indique, rédigé en réalité après coup, à partir de septembre 1905, face à la mer, dans une mansarde de la maison familiale de Piriac, près de Saint-Nazaire. On peut lire « instantanés » au sens de « description d’un instant précis », antérieur à l’acception photographique, sans oublier que le jeune père de famille se qualifiait lui-même de « chasseur de paysage ». On relève une attention quasi picturale, l’écrivain aimant sans doute les œuvres de Jozef Israëls et celles des frères  Maris. Il allait d’ailleurs souvent à l’époque faire ses gammes au Louvre, assis devant les paysagistes hollandais : « le porte-plume lui-même est dans la main comme un pinceau divisant et mélangeant », écrira-t-il (2).

    chateaubriant,hollande,poésie,kloos,gezellig,egmondAlphonse de Châteaubriant ne nous dit rien du motif de son séjour. Il s’agissait probablement d’un pèlerinage aux sources – en chemin, il ne s’arrêtera que brièvement en Belgique pour visiter Bruges. Dans son texte, il n’évoque guère l’Histoire des Pays-Bas, se contente de parler de quelques voisins et jeunes voisines de ses hôtes, de quelques promenades dans la campagne et dans certaines localités. Son biographe précise que l’enchantement qu’il éprouve devant ces nouveaux paysages le conduit à renoncer à écrire de la poésie : « En Hollande son cœur chavire et n’a plus le goût à rimer. C’est l’éblouissement, une kermesse de joyeuses couleurs, dans le cri des mouettes et le murmure éternel de la “mer vineuse” en tout semblable à celle qu’Ulysse décrivait à Nausicaa près de la plage des Phéaciens. Sous le ciel bas, dans les polders diaprés, les moulins couverts de chaume et les vaches semblaient des jeux d’enfants. Dans les villes closes mais vivant de l’eau, les églises, les musées, les auberges, étaient ses haltes sous la canicule. Lui “l’hyperboréen”, il se rassasiait de nuages gris et tourmentés qu’il avait déjà vus dans une vie antérieure, il reconnaissait les intérieurs et les meubles qui teintaient les fenêtres belles comme des vitraux. »

    Se rendant à Egmond-Binnen, Alphonse de Châteaubriant relève la rupture dans le climat entre la région des dunes et celle des polders. Il brosse un beau tableau de la nature dont les vaches font partie intégrante : « Ici, dans des verdures clôturées par un canal, paissent des vaches blanches, marquées de gris-fer aux mamelles. Ce sont, dans la langue populaire, des vaches “bleues”. Puissamment campées, immobiles, tête lourde, les cuisses bourrelées d’une chair sans poils, que mouille la rosée du matin, elles clignent des yeux aux mouches et mâchent : “La Hollande est à nous ; – semblent-elles ruminer dans les vapeurs de leur bien-être, – et ce sont les bons Hollandais qui ont pris la terre à la mer pour nous donner de l’herbe.” » Au cimetière de cette même localité, où « les ruines de l’abbaye (…) ne subsistent que sous les espèces d’une petite église neuve » (3), M. Schleef lui raconte qu’ « on a déterré récemment un squelette gigantesque, celui d’un des premiers seigneurs d’Egmond ; les os de ses jambes étaient gros comme “des cuisses de vache” ».

    J. van Ruysdael, Vue d'Haarlem

    RuysdaelHaarlem.jpgAlphonse de Châteaubriant s’attarde aussi sur les infimes variations de lumière sur le paysage et la peau du promeneur. Le 8 août, les deux hommes se rendent une première fois à Alkmaaar, puis le 17 à Amsterdam. L’écrivain évoque en particulier la Kalverstraat, artère commerçante, ainsi que le quartier juif. À Haarlem, il contemple la Kermesse de Jan Steen, mais le même soir, la kermesse organisée à Egmond le déçoit.

    Après cinquante pages de descriptions essentiellement rurales, botaniques, atmosphériques, l’écrivain, qui a épousé civilement une protestante en 1903 – le mariage religieux n’étant célébré qu’un an plus tard –, s’intéresse à la religion : « En Hollande, le Jansénisme baptise, sonne, officie et retient les deux tiers de la population catholique. » (p. 59) Il parle de Racine et de jansénisme avec un partisan de Jansénius. Le séjour se termine, le temps se gâte, les villageois restent enfermés chez eux tout en demeurant une part de la nature : « Et les Hollandais jouissent de cet isolement harmonieux sous la triple enveloppe de leur ciel, de leur maison et de leur corps. Car le corps du Hollandais est une maison, qu’il porte avec lui comme le colimaçon. Lui, est à l’intérieur. C’est là qu’il pense, qu’il jouit, qu’il souffre, derrière les vitres de ses yeux de Delft, et les stores baissés de son flegme. La seule vue d’un Hollandais devrait appeler à l’esprit la représentation d’une maison, comme au nom du castor s’associe l’image de ses constructions lacustres. »

    L’attention qu’Alphonse de Châteaubriant accorde à la langue néerlandaise transparaît – même s’il n’énumère en l’occurrence que des termes français – dans la fréquente évocation des plantes qui poussent dans les dunes, dont « la plupart portent des noms populaires charmants : la torche, (…) le millefeuilles, (…) l’astre-de-sable, (…) le bec-de-héron, (…) la queue-de-cheval, la raquette-de-la-mer… ». Le jeune français ne manque pas non plus d’évoquer un des vocables néerlandais les plus caractéristiques : son hôte tente en effet de lui expliquer la singularité de l’insaisissable gezellig, « sans équivalent » dans la langue française : ce serait, « – moins une nuance encore intraduite – le confortable dans l’intimité et l’intimité dans le confortable ». Le terme backvischje l’amuse (bakvis signifie à la fois « petit poisson pour la friture » et « adolescente (qui ricane pour un rien) »). Il grappille aussi les expressions het geheim van de smid (=le secret du forgeron), autrement dit : le secret réservé aux initiés (tournure employé surtout dans des jeux et des chansonnettes), et jongens van Jan de Witt (=des garçons de Jean de Witt), c’est-à-dire des lurons.

    Page de titre avec mention d'un autre éditeur

    TitreChateaubriant.jpgDès les premières pages, Alphonse de Châteaubriant révèle une certaine curiosité pour la langue néerlandaise qu’il ne parle pas (il commet des petites erreurs en retranscrivant certains mots). Le premier matin, il tire en effet de sa poche, nous dit-il, « un recueil de Kloos, le grand poète néerlandais » (4), qu’il ouvre au hasard, lisant et nous donnant à lire le poème « La Mer ». Or, il n’existe pas à notre connaissance de recueil de Kloos en langue française ni d’ailleurs à l’époque dans les langues européennes majeures ; le Breton aurait tout au plus pu lire le poème « Homo sum » traduit par le folkloriste Achille Millien dans son anthologie Poètes Néerlandais datant de 1904 (5). Dédié à Frederik van Eeden, « Van de Zee » (De la mer) a été publié en 1889 dans la revue De Nieuwe Gids (Le Nouveau Guide) avant de trouver sa place – sans titre et sans dédicace – dans le recueil Verzen (Poèmes) de 1894. Il est donc plus que probable que Châteaubriant a eu en main un exemplaire de ces Verzen et qu’il aura essayé, avec l’aide de son hôte, d’en déchiffrer et d’en lire certains passages.

    Se réclamant de Shelley, de Keats ou encore de Wordswoth, Willem Kloos (1859-1938) a été le fondateur et l’une des chevilles ouvrières de la revue De Nieuwe Gids (1885-1894), organe des Tachtigers. Il a aussi traduit quelques œuvres majeures dont, en 1898, Cyrano de Bergerac. Pierre Brachin nous dit de ses poèmes réunis dans Verzen : « On y perçoit le frémissement d’un cœur avide de Beauté, mais rempli aussi du sentiment “moderne” de la solitude. Tantôt Kloos déclare : “Je suis un Dieu au plus profond de mes pensées”, tantôt il souhaite se laisser aller tout entier. Or, soit justement à cause de cet orgueil, soit par timidité ou apathie, ses efforts restent vains, et il se réfugie dans le rêve. En tout cas, certains de ses sonnets chanteront toujours dans la mémoire du Hollandais lettré. » (6) Considéré comme un des plus grands poètes de son temps, son talent s’est, de l’avis de beaucoup, fané très vite (7). Voici, suivie du texte original, la version française du poème « Van de zee » (8) que nous propose l’auteur des Instantanés aux Pays-Bas :

     

    LA MER

    La mer, la mer continue de frapper dans une ondulation sans fin,

    La mer, dans laquelle mon âme se voit reflétée.

    Et la mer est comme mon âme en son être et en ses apparences,

    Elle est le Beau vivant et ne se connaît pas elle-même.

     

    Elle se lave elle-même dans une éternelle purification ;

    Elle se tourne elle-même et revient là d’où elle s’est enfuie ;

    Elle s’exprime elle-même par mille sortes de signes,

    Et compose une chanson éternellement gaie, éternellement plaintive.

     

    O mer, si j’étais comme toi dans toute ton ignorance,

    Alors je serais complètement heureux,

     

    Alors je ne désirerais plus ce que les hommes envient :

    La joie et la souffrance.

     

    Alors, mon âme serait une mer, et sa tranquillité,

    Puisque mon âme est plus grande que la mer, serait plus grande encore.

     

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    portrait de W. Kloos par W. Witsen (www.dbnl.org)

     

    De Zee, de Zee klotst voort in eindelooze deining,

    De Zee, waarin mijn Ziel zich-zelf weerspiegeld ziet;

    De Zee is als mijn Ziel in wezen en verschijning,

    Zij is een levend Schoon en kent zich-zelve niet.

     

    Zij wischt zich-zelven af in eeuwige verreining,

    En wendt zich altijd òm en keert weer waar zij vliedt,

    Zij drukt zich-zelven uit in duizenderlei lijning

    En zingt een eeuwig-blij en eeuwig-klagend lied.

     

    O, Zee was Ik als Gij in àl uw onbewustheid,

    Dan zou ik eerst gehéél en gróót gelukkig zijn;

     

    Dan had ik eerst geen lust naar menschlijke belustheid

    Op menschelijke vreugd en menschelijke pijn;

     

    Dan wás mijn Ziel een Zee, en hare zelfgerustheid,

    Zou, wijl Zij grooter is dan Gij, nóg grooter zijn.

     

     

    (1) Les Cananefates, tribu germanique qui vivait vers le début de l’ère chrétienne sur le territoire actuel de la Hollande.

    (2) Cette citation comme quelques autres et comme certains éléments biographiques sont empruntés à Louis-Alphonse Maugendre, Alphonse de Châteaubriant (1877-1951), A. Bonne, 1977.

    (3) C’est à propos de ce même lieu que l’érudit autodidacte néerlandais J.A. Alberdingk Thijm (1820-1889), père d’un autre Tachtiger, l’écrivain Lodewijk van Deyssel (1864-1952), écrivait : « La célèbre abbaye d’Egmont, tombée en ruines (avec tout ce qu’elle renfermait encore dans son sein), est devenue l’achoppement du laboureur, le jouet de l’enfance, la pâture de la bête de somme, l’objet de la négligence des archéologues. » (« L’art et l’archéologie en Hollande », Annales archéologiques, T. 14, 1854, p. 48.)

    (4) Sur Willem Kloos, voir sur ce même blog la page qui lui est consacrée dans la Catégorie « Poètes & Poèmes ».

    (5) Il existait aussi à l’époque une anthologie allemande de 1901 et une anglaise de 1902 comprenant quelques poèmes de Willem Kloos.

    (6) Pierre Brachin, La Littérature néerlandaise, Armand Colin, 1962, p. 114.
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    (7) C’est l’avis de P. Brachin, mais aussi celui de H. Messet, « La littérature néerlandaise », Mercure de France, 15 novembre 1905, p. 222 (voir note 4), ou encore celui de J.-L. Walch qui, à l’occasion de la parution d’un troisième volume de Verzen (1913) écrit dans sa chronique « Lettres néerlandaises » du Mercure de France (1er juin 1914) qu’ « on ne peut envisager cette œuvre sans se rappeler des émotions passées. Le premier recueil de la série a fait époque dans notre littérature. C’était chez nous la révélation, en poésie, du mouvement littéraire de 1880. Ce mouvement aujourd’hui a fait son temps ; de nouvelles écoles en sont issues ou ont réagi contre leur devancière. Willem Kloos malheureusement n’a, depuis l’époque de ses débuts, pas évolué et, ce qui pire est, sa verve est entièrement morte. »

    (8) Henry Fagne en propose une autre, sous le titre « De la mer », dans son Anthologie de la poésie néerlandaise de 1850 à 1945, Éditions universitaires, 1975, p. 99.

    D. Cunin

     

    Il existe une « adaptation » en néerlandais, signée Jaak Boonen, du roman La Brière parue sous le titre Het veenland, Luyckx-Pax, Bruxelles/La Haye, 1943 (voir photo)

     

     

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  • Mouvement des années 1880

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    Willem Kloos (1859-1938)

     

     

    En guise de présentation d’un poète qui a joué un rôle considérable dans la littérature néerlandaise à la charnière des XIXe et XXe siècles, voici un texte de 1905 rédigé en français qui évoque son œuvre. Si son auteur nous dit que Willem Kloos « fit la guerre à tous les dogmes littéraires », il convient de préciser qu’il fut en quelque sorte le grand prêtre d’un nouveau culte, celui de la Beauté divinisée à travers « l’écriture artiste » (woordkunst) et qu’il élimina les dogmes du passé pour en introduire d’autres. On peut par ailleurs ajouter que « le mouvement de 1880 fut plus qu’un courant littéraire, ce fut une renaissance qui marchait de pair avec une rénovation sur tout le front de la vie économique, sociale et intellectuelle en Hollande. Voilà pourquoi les discussions dans le Nieuwe Gids avaient pour sujets des problèmes économiques et sociaux aussi bien que littéraires et particulièrement la question de savoir si l’art et le socialisme sont compatibles. » (1)

    W. Kloos par W. Witsen

    KloosParWWitsen.gifWillem Kloos – né en 1869 – a été appelé fondateur du Nieuwe Gids ; et lui-même, dans ses « sonnets injurieux », s’est attribué la gloire d’avoir fondé tout le groupe littéraire qui a pris le nom du périodique. Dans la littérature des vingt dernières années je ne connais pas de talent poétique qui ait fleuri si rapidement et se soit fané si tôt.

    Dès son premier recueil de vers il se révéla un des plus fiers, des plus fervents et des plus grands poètes de son temps ; et tel on le voit encore dans le gros volume de sonnets paru en 1894. Jamais on n’avait entendu en Hollande des chants en vers si sonores, d’un rythme si éclatant, d’une si mélodieuse et large ondulation. Sous tous les rapports, Kloos se montra supérieur à ce pauvre Jacques Perk (2), tant admiré par lui pour la délicatesse et la profondeur du sentiment, pour la musique de ses vers et le charme poétique de sa courte existence. Ajoutons aussitôt que Kloos, malgré son beau fragment épique Okeanos et deux fragments dramatiques (3), fut grand seulement comme lyrique : sorte de Verlaine, à la voix plus ample que le poète de Sagesse*. Jamais il n’a pu, comme Shelley, faire un grand drame lyrique, et le puissant talent objectif qui crée des hommes vivants et dramatise la vie lui a fait défaut.

    Bientôt, dans ses magistrales chroniques du Nieuwe Gids, puis dans ses Quatorze ans d’histoire littéraire (4) il se montra grand prosateur aussi. Dans une prose très ample et belle, comme personne n’en avait écrit avant 1880, il analysa d’une façon superbe et hardie, et avec une extrême perspicacité souvent, la redondance et la creuse rhétorique des versificateurs antérieurs au Nieuwe Gids. Il bannit au loin la poésie didactique et scolastique et fit la guerre à tous les dogmes littéraires. Il prouva clairement que l’art cérébral est un art faux et mort-né, que pour être poète il ne suffit pas de savoir à peu près son métier, mais qu’il faut avant tout que l’âme vibre et tressaille dans les mots. « La Beauté, disait-il, dort sur le fond de la Vie, mais elle ne se donne qu’à celui qui porte l’ardeur dans son âme et la volonté dans sa main et le baiser sur son front. » Il communiqua aux jeunes poètes une toute nouvelle théorie du son, si je puis dire ; il leur apprit les secrets murmures de la langue et la vie mystérieuse du rythme ; il leur dit que le vrai poète se reconnaît à la beauté du son et de l’expression, à la faculté de traduire jusqu’aux plus délicates nuances de l’émotion, à l’harmonie parfaite entre la perception et l’image. Et c’est ainsi que Kloos, poète et critique, exerça une forte et salutaire influence.

    Ses recueils de vers sont de valeur très inégale. Il y a des sonnets sublimes et d’autres tout à fait médiocres ; les extrêmes s’y touchent. La série de « sonnets injurieux » (5), parue en 1894 à la suite du volume nommé ci-dessus, porte déjà les germes visibles de sa dégénération artistique et intellectuelle. A quoi attribuer cette prompte décadence d’un si magnifique poète ? J’en vois deux causes principales : lui-même s’est énormément surfait – ne s’était-il pas écrié dans un accès d’immense orgueil : Je suis un dieu au fond de ma pensée ? et surtout : le sentiment lyrique s’était tellement individualisé chez lui que l’épuisement ne pouvait tarder. Aussi, huit ans à peine après la fondation du Nieuwe Gids, son principal fondateur en est déjà aux convulsions de l’agonie. La même année, par suite d’assez dégoûtantes querelles, la rédaction du périodique se dissout et ses membres se dispersent. Kloos s’était montré le plus âpre à la lutte ; c’était lui qui avait distribué le plus d’injures et de coups. Mais laissons là ces querelles peu édifiantes, et constatons seulement que dès lors le soleil du Nieuwe Gids penche vers son déclin et qu’aujourd’hui, malgré certains collaborateurs qui ne sont point à dédaigner, il n’exerce plus guère d’influence sur le mouvement littéraire (6).

    Et comme poète et comme critique, Kloos a cessé d’être le « Grand-maître de la langue de Hollande » ainsi qu’il s’intitulait fièrement (7). Autour de ses vers actuels le silence se fait de plus en plus complet. Et ses chroniques sont loin d’avoir la superbe ampleur et le large rythme de sa prose d’autrefois. On n’y retrouve plus cet esprit fin et cet infaillible coup d’œil ; il s’y répète à l’infini et s’attache indéfiniment à vouloir nous faire sentir l’essence de la poésie. Or, comme il a prouvé jadis par ses propres vers et expliqué dans de pénétrantes analyses ce qui distingue la vraie poésie, ces médiocres et fastidieuses redites ne peuvent qu’irriter le lecteur au lieu de l’instruire.

    Kloos – le Kloos des premières années – restera sans contredit un des plus grands poètes de la littérature néerlandaise. Il a eu et a encore de nombreux imitateurs, et bien des sonnets qui se fabriquent actuellement sont inspirés du maître. Les prédictions sont dangereuses ; mais tout semble indiquer que dans la vie littéraire de cet artiste il ne fleurira pas de second été. N’importe ! sa voix fût-elle éteinte à jamais son nom ne périra pas.

    * Dans ses vers français, imités ceux-là de Verlaine, il a complètement échoué (8).

     

    H. Messet, « La littérature néerlandaise », Mercure de France, 15 novembre 1905, p. 202-204.

     

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    couverture du premier numéro du Nouveau Guide

     

    (1) A. Romein-Verschoor, Alluvions et Nuages. Courants et figures de la littérature hollandaise contemporaine, trad. W.F.C. Timmermans, Querido, 1947, p. 17-18. On lira en français : Pierre Brachin, « Le Mouvement de 1880 aux Pays-Bas et la littérature française», in Un Hollandais au Chat noir. Souvenirs du Paris littéraire 1880-1883, textes de Frans Erens, choisis et traduits par Pierre Brachin avec la collaboration de P.-G. Castex pour les annotations, La Revue des Lettres modernes, n° 52-53, 1960, p. 3-27.

    (2) Jacques Perk (1859-1881), ami intime de Willem Kloos. Ce dernier publiera, avec l’aide de Carel Vosmaer, l’œuvre posthume de son ami. La substitution d’une religion individuelle au christianisme se trouve déjà formulée par Perk dans « Deinè Theos » : Beauté, ô toi dont le nom est sanctifié, / Que ta volonté soit faite, que vienne ton empire ; / Que la Terre n’adore point d’autre dieu que toi !

    (3) Okeanos, seule tentative de Kloos d’écrire de la poésie épique. Les deux « fragments » dramatiques s’intitulent Rhodopis et Sappho.

    (4) Quatorze ans d’histoire littéraire (1880-1893), étude publiée en 1896. À l’œuvre du Kloos critique il convient d’ajouter les nombreux volumes des Letterkundige inzichten en vergezichten.

    (5) Les « sonnets injurieux » (scheldsonnetten) ont sans doute été écrits en 1893-début 1894, alors que les tensions atteignaient leur paroxysme au sein du Nouveau Guide. Kloos s’en prend violemment à d’anciens amis (pas toujours identifiables), en particulier des collaborateurs de la revue, et à d’autres personnes dont J.-K. Huysmans dans le cinglant poème « Contre J.-K. Huysmans ». Notons que Theo van Doesburg a, sous le pseudonyme d’I.K. Bonset, injurié à son tour des poètes hollandais dont Willem Kloos, qualifié de «  pot de chambre de Pétrarque » (dans « Chronique scandaleuse des Pays-Plats »).

    (6) Si la revue De Nieuwe Gids (Le Nouveau Guide) – lancée le 1er octobre 1885 par les jeunes auteurs W. Kloos, Frederik van Eeden, Frank van der Goes, Willem Paap et Albert Verwey – a connu une seconde vie (jusqu’en 1943) après le départ de nombreux collaborateurs et la rupture de 1894, l’historien de la littérature a tendance à ne retenir que ses neuf premières années d’existence.

    (7) Même si Kloos cesse d’être le « grand-maître », des auteurs en herbe continuent de lui demander son avis, par exemple le futur peintre Conrad Kickert (1882-1965) (www.conrad-kickert.org).

    (8) Citons à titre d’exemple le sonnet CLXI publié dans Verzen (1894) :

     

    Oh, le doux bonheur d’être une fois sage,

    Sage et puis d’une volonté suprême

    De régner, moi, Roi seul, dans un extrême

    Moment de vouloir et de pouvoir, Mage

     

    Inconscient, tout blanc, qui de lui-même

    Tire son sort superbe, quoique rage

    Autour de lui l’inéluctable orage....

    Inéluctable ? Oh non, sinon que blême

     

    Moi-même, je me perdrais dans la crainte

    Des hommes et des choses, de ce monde

    Terriblement infâme. Ô tas immonde

     

    En ce beau monde, qu’il veut perdre et puis

    Savoir ne voudra jamais que je suis,

    Pauvre moi, suis l’Universelle Plainte.

     

     

    Une poignée de poèmes de Willem Kloos ont été traduits en français (en allemand, on verra par exemple Stefan George : Zeitgonössische Dichter, 1929) : « Homo sum », dans Achile Millien, Poètes néerlandais, A. Lemerre, 1904 ; « Phébus et Apollon », « Je me tus », « Je suis un dieu », « Les feuilles tombes doucement », « De la mer », « Dieu n’est pas un roi », dans Henry Fagne, Anthologie de la poésie néerlandaise, Éditions Universitaires, 1975. On peut lire en français : Joseph Daoust, « Huysmans et Willem Kloos », Bulletin de la Société J.‑K. Huysmans, n° 25, 1953, p. 275‑280.

     

     

    Le poème néerlandais de W. Kloos

    Contre J.-K. Huysmans

     

    Tegen J.K. Huysmans

     

    O, gij uit uw kantoor-bediendes-kop

    Ziende u-zelfs klein in-innerlijkste smerig

    Bestaantje, trots-gaande als een vrij-wel heerig

    Looper langs ’t Volk van ’t groot Parijs, uws kops

     

    Afslaan niet waard zijnd, waard zijnd wel des strops

    Bloed-stremming onafwendbaar, op des tops

    Niet-Zijnds gruwbaarst, vuil voortknoeier op Rops.

    ’n Goed mensch is van elk slecht mensch diepst afkeerig.

     

    Gij zijt geen man: gij zijt een vies verkrachter

    Van ’s Werelds eeuw’ge schoonheid, die voortdurend

    Met staat’gen zwaai vermeestrend ’s werelds macht, er

     

    Een hoogre macht van maakt, o gij, die turend

    In ’s Levens mikroskoop, zoo idioot, vergeet

    Dat gij met uw slim turen nòg niets weet.

     

     

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    L'Humanité nouvelle, 1899, vol. 4, p. 509

     

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    André de Ridder, L'Humanité nouvelle, 1899, vol. 5, p. 398

     

     

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  • Pieter Boskma ou la poésie innée

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    Présentation du poète

    Pieter Boskma

     

    « Ce n'est pas l'inspiration extérieure qu'il faut attendre, c'est l'inspiration intérieure (…) La vie intérieure comporte aussi la vie éthique ou morale, les scrupules, les choix, la volonté raisonnée. Cette vie intérieure est l'état proprement poétique. »

    Max Jacob

     

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     P. Boskma par Tafil Musovic

     

     

    Frison de naissance et de cœur, Pieter Boskma s’est affirmé en trente ans comme le grand lyrique des Pays-Bas. Il n’a pas choisi la poésie, c’est elle qui l’a choisi. On retrouve chez lui des accents d’un Herman Gorter (1864-1927), l’auteur de Mai (1889), long poème qui reste le chef-d’œuvre de la génération des Tachtigers (poètes des années 1880). Lui aussi a pour sa part, un siècle plus tard, appartenu brièvement à un groupe de poètes qu’on a appelé les Maximaux : « Pour moi, Maximaal est essentiellement un plaidoyer pour le lyrisme qui vient tout droit du cœur ».

    Parmi les poèmes qui l’ont marqué dans sa jeunesse, mentionnons-en deux, de poètes à la fois novateurs et traditionnels, le Paul van Ostaijen (1896-1928) d’Avondgeluiden (Soir sonore) :

     

    Métairies claires derrière la lisière

    le long des champs bleus le long eux de la lune

    entends le soir sur les pavés au loin

    le fer des chevaux (...)

     

    et le Lucebert (1924-1994) de er is alles in de wereld het is alles :

     

    il y a tout dans le monde cela est tout

    le sourire canin et fou de la faim

    les peurs ensorcelées de la douleur et

    le grand vautour grand soupir les grands

    les vieux les lourds rossignols

    cela est tout dans le monde il y a tout (...)

     

    Pieter Boskma affirme que le genre poétique correspond à sa nature paresseuse. Il n’en a pas moins publié une dizaine de recueils dans lesquels il pratique son art avec gravité et humour, mariant thèmes et approches contrastés ; la langue parlée côtoie avec aisance le vers élégiaque, le sublime et le magique la réalité la plus crue. Il fait partie des rares poètes qui ne succombent pas à la doxa ra- tionalisante ; la poésie lui permet et de peindre, et de chanter, et de parler et de philosopher. Imprévisible, il publie en 2002 un poème épique de près 250 pages, La Comédie terrestre. Terrestre, il l’est en laissant parler l’être physique, érotique, organique, viscéral.

    Le titre de son dernier recueil, L’heure violette, est emprunté à un vers de T.S. Eliot. Comme dans certains poèmes antérieurs évoquant des figures de peintres, on retrouve dans ces pages une attention accrue pour la lumière ; Boskma ayant quitté Amsterdam, la nature semble devoir occuper do- rénavant une place de plus en plus grande dans son œuvre. À l’instar du romancier de tout premier plan Gerard Reve (1923-2006), il lui arrive de dédier ses œuvres à la Vierge (Notre-Dame de la Médaille miraculeuse, La Dame de tous les Peuples, Notre-Dame de Heiloo…).

    Boskma1.png

    L’auteur a aussi donné un court roman, Une photo de Dieu, et des nouvelles réunies sous le titre Occidentaux. Si François Nourissier a publié sous un pseudonyme féminin le roman Seize ans, Pieter Boskma a pour sa part donné sous celui de Laura van der Galiën (jeune fille présentée comme étant née en France) un recueil intitulé Zeventien (Dix-sept ans, 1996). Il a aussi publié des pastiches du poète Gerrit Achterberg (1905-1962) en les faisant passer pour des poèmes inédits de son grand prédécesseur ; tout le monde ou presque est tombé dans le panneau, y compris les plus grands spécialistes de cet auteur.

     

    Œuvres

    Virus virus (poèmes, avec Paul van der Steen, 1984)

    Quest (Quête, poèmes, 1987)

    De messiaanse kust (Le Rivage messianique, poèmes, 1989)

    Tiara (Tiare, poèmes, 1991)

    Een foto van God (Une photo de Dieu, roman, 1993)

    Simpel heelal (Simple cosmos, poèmes, 1995)

    In de naam (Au nom, poèmes, 1996)

    Te midden van de tijden (Entre les temps, poèmes, 1998)

    Het zingende doek & De geheime gedichten (Le Tableau qui chante & Les Poésies secrètes, poèmes, 1999)

    De aardse komedie (La Comédie terrestre, roman-poème, 2002)

    Puur (Pur, poèmes, 2004)

    Altijd weer dit leven (Cette vie, toujours, anthologie, postface Joost Zwagerman, 2006)

    Westerlingen (Occidentaux, nouvelles, 2006)

    Het violette uur (L’Heure violette, poèmes, 2008)

    Doodsbloei (Floraison de mort, poèmes , 2010)

     

     

    Boskma3.pngPieter Boskma a aussi donné plusieurs plaquettes illustrées par Pieter Bijwaard, un recueil des œuvres poétiques de l’un de ses amis, décédé en 1991, Paul van der Steen (avec qui il avait fondé et dirigé la revue Virus), une anthologie de poèmes de Herman Gorter… Il a fait partie de l’équipe fondatrice de la revue entièrement consacrée à la poésie Awater dont il est resté rédacteur jusqu’en 2003. La plupart des œuvres de Pieter Boskma sont publiées par In de Knipscheer et Prometheus/Bert Bakker.

    Voici deux poèmes de Pieter Boskma, tels qu’ils ont paru dans l’anthologie Le Verre est un liquide lent. 33 poètes néerlandais, Farrago, 2003 :

     

    Muette toute et douce tu es

    toute muette que toute douce je

    tu es comme tout à coup moi parfois

    toi des couleurs une nuit entière

    toi et encore un je plus doux

    que toi tout à coup toi qui rit en toi

    car tu es silence doux tout

    en toi et rire et que tu

    qu’en plus tu et au surplus

    peux t’ouvrir et au surplus

    te refermer un peu même un peu

    plus que moi un peu comme

    un peu comme moi.

     

                                        (In de naam)

     

     

    La lumière jaune de Van Goyen

    darde en effleurant les dunes,

    de la résurrection des morts

    au commencement des temps.

     

    La gerçure des bouleaux nus

    luit à croire l’écorce couverte d’or,

    et, sur les dalles funéraires, les noms

    trouvent un second souffle.

     

    D’une vitre éclabousse un soleil

    cru qui chute à travers les nuages.

     

    Une flamme près des hauts fourneaux

    se propage dans l’épaisseur du cœur.

     

    C’est alors que, de l’asile d’aliénés de la nuit,

    Malevitch crache son Carré Noir.

     

            (Het zingende doek & De geheime gedichten)

                                                  (trad. D.C.)

     

    Boskma2.jpgEn septembre 2010, Pieter Boskma a publié Doodsbloei, « journal de deuil » sous forme poétique – une suite de plus de 250 poèmes proches du sonnet, hommage impres- sionnant à sa compagne disparue. Le premier tirage de cette « épopée » a été vendu en une semaine.

     

     

    portrait de Pieter Boskma

    (vidéo, 2006, Omrop Fryslân, néerlandais/frison)

    ici

     

    Pieter Boskma lit lors de la Nuit de la Poésie

    Utrecht 19 septembre 2015 

     

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