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poÉsie - Page 18

  • Anthologie

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    Poètes néerlandais de la modernité

     

     

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     Éditions Le Temps des Cerises, novembre 2011, 338 p., 15 €

     

     

     

    Henri Deluy, entouré d’une équipe de traducteurs, présente aux éditions Le Temps des cerises, une anthologie de la poésie néerlandaise couvrant, à travers 27 poètes, les années 1880-2010. Il a rassemblé « des poètes qui, depuis ce qu’on a appelé le ‘‘Mouvement de 1880’’, ont chanté le beau et envisagé la poésie comme l’expression la plus haute de l’homme. Les Tachtigers (de ‘‘tachtig’’, quatre-vingt, soit ‘‘ceux des années quatre-vingt’’), ces hommes et rares femmes qui se sont manifestés à partir de 1880, ont provoqué une rupture avec la poésie des pasteurs protestants alors de mise. La génération montante avait à l’esprit une toute autre poésie, plus individualiste, plus passionnée. Ce n’est pas par les chefs de file de ce mouvement, Albert Verwey et Willem Kloos, que s’ouvre la présente anthologie, mais par quelqu’un qui fit ses débuts dans la revue qu’ils avaient fondée, De Nieuwe Gids (Le Nouveau Guide), Herman Gorter. Ce dernier, remarque Willem Kloos lorsqu’il fait sa connaissance, ne ressemble pas du tout à un poète, mais plutôt à un sportif. La prédiction qu’il émet va se révéler juste : ce que ce garçon écrit aura ‘‘une portée pour tous les pays et tous les temps’’. » Dans sa préface Erik Lindner, ajoute : « On aurait certes pu emprunter d’autres chemins dans la poésie néerlandaise, établir d’autres liens, mentionner d’autres noms, choisir d’autres poèmes. Quoi qu’il en soit, mieux vaut une anthologie qui résulte du choix d’un seul homme qu’un trop large éventail ou un catalogue d’ensemble. Observateur de la poésie néerlandaise depuis 1950 – époque où il a vécu aux Pays-Bas avec son épouse hollandaise –, pionnier et passeur, Henri Deluy propose au lecteur francophone une sélection qui témoigne d’un sens prononcé de la poésie moderne, une poésie qui marque les esprits. Il offre en même temps aux Néerlandais un regard sur leur propre pays, un instantané de leur poésie lancée vers d’autres imprévisibles. » 

     

     

     1 des 234 poèmes 

      

     

    Le soldat qui a cloué Jésus à la Croix

     

     

     

    Nous l’avons crucifié. Alors que je levais

     

    Le marteau, ses doigts se sont crispés sur le clou –

     

    Mais sa voix douce a dit mon nom puis : « Aimez-moi – »

     

    J’avais pénétré à jamais le grand mystère.

     

     

     

    J’ai expulsé un rire, mes dents ont même grincé,

     

    Suis devenu un fou en quête de sang d’amour :

     

    Je l’aimais – j’ai tapé et cogné sur le clou

     

    Qui a transpercé sa main, fait éclater le bois.

     

     

     

    Aujourd’hui, tel un dément, un clou dans la main,

     

    Je grave un poisson – son nom, son monogramme –

     

    Sur chaque mur, chaque poutre, chaque tronc d’arbre,

     

    Sur ma poitrine ou, accroupi, sur le sable,

     

     

     

    Et quand on me pose une question, je réponds :

     

    « Il a transpercé ma main d’un clou. »

     

     

    M. Nijhoff 

    (trad. Daniel Cunin)

     

     

     

    poésie, pays-bas, traduction, le temps des cerisesLes 27 poètes : Herman Gorter (1864-1927), Johan  Andreas dèr Mouw (1863-1919), J. H. Leopold (1865-1925), Adriaan  Roland Holst (1888-1976), Theo van Doesburg (1883-1931), Til Brugman (1888-1958), Jan Jacob Slauerhoff (1898-1936), Martinus Nijhoff (1894-1953), Hendrik Marsman (1899-1940), Gerrit Ach- terberg (1905-1962), Jan Hanlo (1912-1969), Bert Schierbeek (1918-1996), Jan G. Elburg (1919-1992), Hans Lodeizen (1924-1950), Lucebert (1924-1994), Gerrit Kouwenaar (né en 1923), Hans Faverey (1933-1990), H.H. ter Balkt (né en 1938), Eva Gerlach (née en 1948), Anneke Brassinga (née en 1948), Tonnus Oosterhoff (né en 1953), Jaap Blonk (né en 1953), Esther Jansma (née en 1958), Nachoem  M. Wijnberg (né en 1961), Rozalie Hirs (née en 1965), Erik Lindner (né en 1968), Saskia de Jong (née en 1973).


    Les traductrices & traducteurs : Kim Andringa, Kiki Coumans, Daniel Cunin, Henri Deluy, Saskia Deluy, Liliane Giraudon, Saskia de Jong, Erik Lindner, Bert Schierbeek, Anna Maria van Soesbergen, Éric Suchère.

     

    L’anthologie sera présentée le 15 novembre à 19h00 à l’Institut néerlandais (Paris) et le 2 février 2012 à la Maison Descartes (Amsterdam)

     

      couverture : Bert Schierbeek, La Porte, trad. Henri Deluy, Fourbis, 1991


  • Un poème de Herman Gorter (1864-1927)

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    Du recueil L’École de la poésie

     

     

    HermanGorterParWillemWitsenVers1892.pngSurtout connu à l’étranger comme théoricien et homme politique, Herman Gorter demeure avant tout aux Pays-Bas l’un des poètes majeurs du renouveau littéraire de la fin du XIXe siècle. Dans son long poème épique Mei (Mai), « il a concrétisé de la manière la plus entière le programme poétique » du mouvement des Tachtigers et son recueil Verzen (Poèmes) lui a permis « d’aller aux confins d’une observation et d’une perception sentivistes de la nature »*.

    Le poème sans titre qui suit est extrait d’une œuvre datant de 1897 : De school der poëzie. On doit la traduction (La Revue de Hollande, 2ème année, T. 3, juillet-décembre 1916, p. 35-37) à un autre homme de lettres néerlandais, Dop Bles (1883-1940), qui a vécu à Paris où il s’est lié d’amitié avec, entre autres, André Germain, séjour qui lui a d’ailleurs inspiré ses Parijsche verzen (Poèmes parisiens, 1923).

     

     

    Ik zat eens heel alleen te spelen

    op een gedachteharp, de kelen

    van schemering en duisternis om mij

    fluisterden liedjes, het leek tooverij.

     

    Mijn vingers en mijn oogen teeder gleeden

    langs gele snaren, boven en beneden

    bleven ze langer, want ik wist niet wat

    ver achter in gedachtenvlakte zat.

     

    Een kinderbeeldje, dat is òpgerezen

    zwierig in haar gewaad, ze had te lezen

    gezeten in haar vreemd gedachtenboek,

    nu stond ze in een gelen rimpeldoek.

     

    Nu kwam ze dichter bij, we zijn gekomen

    midden ter vlakte onder heel wat boomen,

    we spraken niet, want boven zei de wind

    al mijn gedachten en die van het kind.

     

    Maar te dansen zijn we wel gegaan,

    heen en weer, op en neer, een lange baan

    van luchtige passen, voeten beurteling

    omhoog, omlaag, als rozenbuiteling.

     

    Te dansen zooals twee rozen gaan,

    rozeroode rozen tusschen groene blaan

    samen gesproten van uit ééne steel,

    twee windewiegelingen, geen geheel

    maar altijd twee, hoewel ze ongescheiden

    het leven doordansen met hun roode beiden.

     

    Zoo dansten wij, mijn vingers scholen in

    ’t geelglimmende fluweel, een diepen zin

    voelden ze daar van ’t levende dat edel

    in ’t gele woonde, en de windevedel

    blies uit een adem van een gele stof

    zooals een zonneschijn in bloemehof.

     

    Wij zeiden altijd niets maar sprongen om ons om -

    haar gouden oogen fonkelden, haar lippen bleven stom -

    de wind zei àl gedachten, en de dansemaat

    die fonkelde in diamant op haar gelaat.

     

    Maar eind’lijk zei ze goeien dag en is weer weggegaan,

    op hare lippen danste lach, haar kleed was als de maan

    zoo flikkerend om ’t dansend lijf, zoo sprong ze heel, heel ver,

    zooals de gouden maan eerst, toen zooals de gouden ster.

     

    Ik ben zooals een oosterster, zij tintelt in het westen,

    wij tweeën vogels weten wel de takken onzer nesten,

    wij komen nog wel weer te saam, is het niet, is het niet,

    dansende liefste, liefste, liefste, op windelied?

     

    Maar onderwijl zit ik te spelen

    op een gedachteharp, de kelen

    van schemering en duisternis om mij

    fluisteren liedjes, het lijkt tooverij.

     

     

     

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    * Histoire de la littérature néerlandaise, Fayard, 1999, p. 568.

     

    Portrait de Herman Gorter par Willem Witsen, vers 1892.

     

     

     

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    H. de Liagre Böhl, Herman Gorter 1864-1927. Met al mijn bloed heb ik voor U geleefd, Olympus, 2000, 559 pages. (biographie)  

     

     

     

  • Le nu provençal

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    Un poème de Hedwig Speliers 

     

     

          photo : M.-H. C.

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    Poète, essayiste et biographe (de Stijn Streuvels et de Maurice de Guérin), Hedwig Speliers compose loin du brouhaha une importante œuvre dédiée à la poésie. Il écrit actuellement une pièce de théâtre consacrée à la figure de Lamennais. Certains de ses recueils sont disponibles en français dans une traduction de Willy Devos. 

    Dans la présente vidéo, l’Ostandais d’adoption lit lichtbad (littéralement : bain de lumière), poème dont on trouvera ci-dessous une transposition en français sous le titre Le nu provençal. 


     

     



     

     

    Le nu provençal

     

     

    Un rien suffit à lui redonner

    sa fraîcheur : le murmure de l’eau

    dans la cuvette de faïence, le vertige

    du clair matin sur tapis et dalles.

     

    Et bien entendu le parler

    des lignes délicates, son corps

    aussi vaporeux qu’un poème

    en un léger, un élégant équilibre.

     

    Alors qu’elle rêve et se penche,

    voir son image affluer dans l’eau !

    Épaule gracieuse, contour de la cuisse,

    vertèbres formant trait de lumière.

     

    trad. D. Cunin

     


    Bibliographie

     

    couvhedwigvillers.pngExotische diergedichten (poèmes, 1957)

    Ons bergt een cenotaaf (poèmes, 1961)

    Een bruggenhoofd (poèmes, 1963)

    Wij, galspuwers (polémiques, 1965)

    De astronaut (poèmes, 1968)

    Omtrent Streuvels. Het einde van een mythe (monographie, 1968)

    Afscheid van Streuvels (monographie, 1971)

    Horrible dictu (poèmes, 1972)

    Die verrekte gelijkhebber (polémiques, 1973)

    Gerard Cornelis van het Reve en De groene anjelier (monographie, 1973)

    Leven met Lorenz (poèmes, 1973)

    Ten zuiden van (poèmes, 1973)

    De ongeleefde lijnen van ons lichaam, of Het metaforische denken (essais, 1975-1976)

    poésie, flandre, hedwig speliers, willy devos, traduction, belgiqueDe mens van Paracelsus (poèmes, 1977)

    Van het wolkje af (poèmes, 1980)

    De pool van de droom. Van en over Johan Daisne (monographie, 1983)

    Het heraldieke dier (poèmes, 1983)

    Met verpauperde pen (essais, 1984)

    Album Stijn Streuvels (1984)

    Alpestre (poèmes, 1986)

    Tiaar van mijn taal. Poets poet Jan van der Hoeven (monographie, 1986)

    Villers-la-Ville (poèmes, 1988)

    Villers-la-Ville, traduit du néerlandais par Willy Devos (1994)

    Bel-etage (poèmes, 1992)

    De tong van de dichter (essais, 1992)

    poésie,flandre,hedwig speliers,willy devos,traduction,belgiqueDag Streuvels. ‘Ik ken den weg alleen’ (biographie, 1994)

    Het oog van Hölderlin (poèmes, 1994)

    Ongehoord. Een keuze uit de gedichten 1957-1997 (anthologie, 1997)

    Als een oude Germaanse eik (biographie, 1999) 

    Suites françaises (poèmes, 2001)

    Met politiek bemoei ik mij niet (essais, 2003)

    Heen (poèmes, 2004)

    Engelengeduld (poèmes, 2006)

    De Eliassonnetten (poèmes, 2007)

    Len de l’El. Een poëtische tocht in de Midi / Un séjour poétique dans le Midi (recueil bilingue, 2009)

    Dichter naast God. Biografie van Maurice de Guérin (biographie, 2009)

    Het land Gods (poèmes, 2011)

     

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  • Splash !

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    La poésie de Dirk van Bastelaere

     

     

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    Splash !, éd. Les Petits Matins, 193 p.

     

    LE MOT DE L’ÉDITEUR

     

    Le livre Dirk van Bastelaere propose ici une lecture/relecture de son œuvre au cœur de la postmodernité poétique européenne. Regroupés en séries, ses poèmes se réfèrent au cinéma hollywoodien, à la peinture contemporaine, aux standards du rock, mais aussi, ce qui est plus inattendu, aux figures de la piété christique.

    Un essai complète cet ensemble, où Dirk van Bastelaere donne un aperçu de ses talents de prosateur. Usant notamment des écrits et des concepts de Lacan, Barthes, Slavoj Žižek et Julia Kristeva, il définit sa poétique.

    Splash !, comme le laisse entendre son titre, est aussi une manière innovante, parfois provocante, de pratiquer la poésie comme une pensée en mouvement, une recomposition et un plaisir à expérimenter.

     

    « Tout comme l’atoll, la poésie historique est une structure toujours plus complexe et plus décentrée qui se construit autour du vide de la Poésie réelle, figurée par la lagune, mais présente de façon immanente, une absence structurellement nécessaire autour de laquelle s’est édifié le récif : telle était plus ou moins ma thèse. »

     

    Né en 1960, Dirk van Bastelaere est l’auteur d’une œuvre importante qui fait débat en Belgique et en Hollande, pays où la poésie a un impact collectif. 

     

     

     

    splash !

      

     

    D’une autre façon que du haut

    des gratte-ciel le plané

    au-dessus du bleu cobalt

     

    des piscines absorbe

     

    une fille en lui qui

    s’en revient comme cette même fille huilée.

     

    Pas tout à fait une seconde avant celle

    du

    splash ! assises petitement sur les corps osseux des autres

    et comme l’obscurité qui traîne, les ombres

    sous le soleil d’arums

    des bras des jambes

    des cyprès

    voués au déracinement.

     

    (trad. D.C.)

     

     

     

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    Recueils de Dirk van Bastelaere

    (Splash ! présente un large choix des trois derniers titres)

     

     Vijf jaar (1984)

    Pornschlegel en andere gedichten (1988)

    Diep in Amerika. Gedichten 1989-1991 (1994)

    Hartswedervaren (2000)

    De voorbode van iets groots (2006)

     

    Wwwhhooosshhh - Over poëzie en haar wereldse inbedding (2001) rassemble des essais de l’auteur dont « Stay back, please. Sur le réel de la Poésie comme traumatisme du poème » repris dans Splash !.

     

    Dans Hotel New Flanders (2008), Van Bastelaere propose, avec Erwin Jans et Patrick Peeters, une anthologie de 60 ans de poésie flamande (1945-2005).

     

     

  • Épître à Storge

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    Quand La Revue de Hollande

    accueillait

    O.V. de Lubicz Milosz

     

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    En janvier 1917, soit un an environ après avoir publié les premiers poèmes d’Antonin Artaud, La Revue de Hollande offre (p. 659-671) à ses lecteurs un très grand texte, signé

    Oscar Vladislav de Lubicz Milosz. Dans Ars Magna, ce dernier dira à propos de ces pages : « Étranger aux mathématiques, en publiant dès janvier 1917 mon Épître à Storge, je n’étais donc qu’un annonciateur métaphysique de la théorie de la Relativité généralisée, dont j’ignorais à cette époque le premier mot et en qui je saluai, quelques années plus tard, moins une confirmation du résultat de ma méditation de vingt années sur la matière, l’espace et le temps, que l’aube d’une ère nouvelle et merveilleuse de l’esprit. »

    milosz,la revue de hollande,francis de miomandre,poésie,roman,willem frederik hermansD’abord intitulée « Lettre à Storge », cette Épître, tout comme le poème dialogué La Confession de Lemuel (1922), revient sur la nuit d’illumination que le poète a vécue en 1914 : « Le quatorze Décembre mil neuf cent quatorze, vers onze heures du soir, au milieu d’un état parfait de veille, ma prière dite et mon verset quotidien de la Bible médité, je sentis tout à coup, sans ombre d’étonnement, un changement des plus inattendus s’effectuer par tout mon corps. Je constatai tout d’abord qu’un pouvoir jusqu’à ce jour-là inconnu, de m’élever librement à travers l’espace m’était accordé ; et l’instant d’après, je me trouvais près du sommet d’une puissante montagne enveloppée de brumes bleuâtres, d’une ténuité et d’une douceur indicibles. » « Désormais l’écriture a[ura] pour Milosz une mission initiatique. »

    Dans la livraison de juin 1916, alors que l’Épître à Storge n’était pas encore écrite, La Revue de Hollande avait présenté Milosz à travers une trentaine de pages de Francis de Miomandre (1). Quelques généralités sur les origines et les pérégrinations du Slave, sur son choix d’écrire en français puis diverses considérations relatives aux étapes de son évolution :

    - L’adolescence : Le poème des décadences (1899) : « Nous avons ainsi chacun de notre prime jeunesse gardé quelque souvenir essentiel dont le regret, symbole de tous nos désirs irréalisables, finit par rester seul au milieu du désert de nos illusions. Mais jamais je n’ai vu comme chez M. Milosz ces images primordiales prendre une place aussi importante, au point de diriger toute une partie de sa vie, au point de devenir le leit-motiv le plus constant et le plus pathétique de son inspiration. » (p. 1415)

    - La jeunesse : Les Sept solitudes (1906) : « M. O.-W. Milosz n’a jamais rien dit qui ne fût arraché de lui-même par une irrésistible nécessité organique. C’est un des plus purs tempéraments de poète que je connaisse. » (p. 1418)

    milosz,la revue de hollande,francis de miomandre,poésie,roman,willem frederik hermans- L’éveil mystique : L’Amoureuse initiation (1910) : à propos de ce livre fascinant, F. de Miomandre écrit : « Le sujet du roman ? car c’est un roman. Oh ! peu de chose. Un homme, d’un certain âge, s’éprend d’une femme très indigne de lui quoique d’une beauté ravissante, très vile, et qui le trompe et le bafoue, et avec laquelle il descend en complice et même parfois en corrupteur jusqu’aux abîmes de la folie sensuelle. Voilà le sujet apparent, le prétexte pour ainsi dire. Mais le sens second est tout différent. Il est d’un autre ordre : et ce n’est rien moins que la théorie même de la mysticité. Le mot amour en effet y est pris dans le sens purement idéal où l’entendent les mystiques. Un homme aime une femme, fervemment, dans l’absolu, comme on aime une idée, comme on aime Dieu. D’ailleurs, il le confond avec une idée, – avec Dieu. » (p. 1422)

    - L’oasis panthéiste : Les Éléments (1911) : « … le panthéisme de M. Milosz n’a de rapport que verbal avec celui par exemple d’un Parnassien. Ce n’est pas une notion philosophique, c’est un sentiment, une communion passionnée, où la conscience individuelle, au lieu de se contracter, se propage. Et c’est d’une très émouvante beauté ». (p. 1427)

    - L’œuvre littéraire : Les traductions (poètes anglais, allemands, russes et polonais).

    - Le drame de l’ascétisme : Miguel Mañara (1913) : « Je me rappellerai longtemps la soirée où fut représenté le premier drame de M. de Lubisz-Milosz : Miguel Mañara. […] Cela se passait à Paris, chez Madame Adenkhoven (2), une dame de Hollande, passionnée d’art et de littérature qui prêtait généreusement son hôtel aux manifestations esthétiques tentées par une courageuse et fervente petite troupe d’acteurs : Le Théâtre Idéaliste, sous la direction d’un jeune poète plein d’ardeur : M. Carlos Larronde. […] le roman du désir de Dieu est devenu le drame de l’amour divin ».

    storge17.png- La trilogie de l’illumination : Méphiboseth et Saul de Tarse (1914) : deux pièces – dont la seconde, écrite en vers de quatorze pieds, est inédite – qui s’inscrivent dans le prolongement de la précédente : « […] plus encore que dans Miguel Mañara s’affirme l’acquiescement à l’ordre universel qui est la caractéristique la plus essentielle du vrai mysticisme. On n’avait je pense jamais projeté de lumière plus magistrale sur ce mystère du mal conditionné dans la fatalité du Bien. Au cri du moine espagnol répond la voix de l’initié hébreu. » (p. 1439).

    - Le regard en arrière : Symphonies (1915) : « cinq poèmes seulement mais tellement purs, tellement humains, tellement douloureux que les larmes en montent aux paupières. Je ne connais rien d’analogue dans la littérature contemporaine ». (p. 1439-1440)

    Terminant son étude agrémentée d’assez nombreux extraits de l’œuvre, Francis de Miomandre écrit : « J’ignore ce que fera désormais M. Milosz, ni quel cycle nouveau, celui-là fermé, il pourra parcourir. Mais d’ores et déjà son œuvre est assurée contre le temps. Elle ne peut que grandir dans l’admiration des hommes. Elle sera plus tard, dans l’harmonie de toutes ses parties, pour les amants de la poésie vraie, un monument magnifique, et pour les mystiques, dans la haute signification de tous ses aspects, une œuvre annonciatrice. » (p. 1441)

    Ce qu’a fait le futur représentant de la Lituanie à Paris juste après, on pourra le lire ci-dessous. Si O.V. de Lubicz Milosz a pu être découvert à l’époque par un certain nombre de Néerlandais grâce aux efforts de La Revue de Hollande, publiée rappelons-le à Leyde, s’il a été accueilli dans l’hôtel particulier d’une Hollandaise établie à Paris, il est resté jusqu’à aujourd’hui un quasi inconnu aux Pays-Bas, même s’il y a semble-t-il reçu un accueil enthousiaste de la part de quelques poètes lors d’un séjour antérieur à la Grande Guerre. En 1920, le journal De Nieuwe Arnhemsche Courant a reproduit un de ses articles politiques sur la Lituanie considérée comme un rempart contre le bolchévisme. Pour le reste, le romancier Willem Frederik Hermans est l’un des rares à s’être intéressé de près à son œuvre : il a traduit certains de ses poèmes, dont « La berline arrêtée dans la nuit » (3) et lui a consacré un essai (4). 

    D. Cunin


    storge0.png(1) Milosz a écrit en collaboration avec Francis de Miomandre Le Revenant Malgré Lui, comédie en trois actes (présentée par Yves-Alain Favre, Cahiers de l’association des amis de Milosz, n° 23-24, André Silvaire, Paris, 1985).

    (2) S’agit-il bien de l’orthographe exacte ?

    (3) Zeven Gedichten van O. V. de L. Milosz (Sept poèmes de O.V. de L. Milosz), Ams- terdam, Cornamona Pers, 1981. Dans un entretien publié en 1983, W.F. Hermans, alors qu’on lui pose une question sur Milosz, le prix Nobel, répond : « C’est moi qui ai découvert en Hollande l’oncle de Milosz. Un très grand poète : O. V. de L. Milosz, un oncle du prix Nobel. Un très grand homme. Complètement fou, mais très grand. Personne n’en avait entendu parler en Hollande. Je suis tombé par hasard sur une de ses plaquettes de vers et l’ai traduite dès 1944. C’est-à-dire que j’ai traduit quelques poèmes puis deux ou trois autres à une période ultérieure. Ce genre d’écrivains que personne ne connaît, c’est devenu un peu mon violon d’Ingres, mettre l’accent sur eux, par exemple sur ce Milosz. » À l’automne 1944, Hermans est rentré un jour chez lui avec le recueil Poëmes, préfacé par de P.-L. Flouquet (1939) ainsi qu’un numéro des Cahiers Blancs consacré à Milosz. 

    (4) « De tastbare metaforen van O.V. de L. Milosz » (Les métaphores tangibles de O.V. de L. Milosz) date de juillet 1977. Il a été écrit à l’occasion du centième anniversaire de la naissance du poète et de l’exposition organisée alors à la Bibliothèque nationale. On peut y lire cette phrase : « À mon sens, le cycle Symphonies (1915) pourrait certainement figurer un sommet de n’importe quelle littérature. »

     

     

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