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flandres-hollande - Page 90

  • Le Cheval ailé

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    Quelques regards sur Psyché de Louis Couperus

     

     

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    C’est en août 1897 que Louis Couperus s’est mis à écrire Psyche ; en novembre, le texte est terminé. Entre-temps, l’écrivain a suggéré à son éditeur de le faire illustrer par un des jeunes artistes symbolistes hollandais. Un peu plus tard, c’est lui-même qui avancera le nom de Toorop, lequel avouera beaucoup apprécier l’œuvre de Couperus : à son sens, elle se prête comme aucune autre à son talent de dessinateur. Psyche a d’abord paru dans la revue De Gids début 1898 avant de sortir en novembre en volume. Ce sera une des œuvres du Haguenois parmi les plus vendues de son vivant. En exergue, Couperus a placé deux phrases de Metamorfoze (1897), son autobiographie esthétique en même temps qu’un de ses livres les plus remarquables :

    « … Ne pleure plus, va dormir, et si tu ne peux dormir, je te dirai un conte, une jolie histoire de fleurs, de pierres précieuses et d’oiseaux, d’un jeune prince et d’une petite princesse… Car le monde n’a rien à offrir si ce n’est un simple conte… »

     

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    Ouvrage de H.T.M. van Vliet richement documenté

    sur les tournées effectuées par Couperus dans son pays

     

    Si le projet d’une édition illustrée a dû être abandonné en raison de coûts jugés trop élevés par L.J. Veen, le livre se distingue tout de même par la magnifique couverture dessinée par Jan Toorop (voir ci-dessus) ; Couperus ne la trouva toutefois pas à son goût. La seconde édition (1899) comprendra un dessin du peintre. L’épouse de Louis Couperus devait écrire une adaptation pour le théâtre (1916) à l’époque où Couperus, rentré dans son pays natal à cause de la guerre, lisait fréquemment des passages de Psyche devant des auditoires choisis de différentes villes néerlandaises. Ses « tournées » littéraires sont restées célèbres, en particulier du fait de sa voix et de sa diction singulières. (1)

    Dans la présentation du volume Psyché et Fidessa paru en traduction française en 2002, Gilbert Van de Louw évoque Couperus en ces termes : « Quand Louis Couperus publie Psyché (1897) et Fidessa (1898), c’est un auteur confirmé qui présente au public une œuvre litté­raire dans le sens moderne qu’a pris ce mot dans ces années-là. Il s’est fait connaître à travers Noodlot (Fatalité, 1891) traduit en anglais la même année et Eline Vere […] L’auteur n’a pas qualifié ses créations de “conte”. C’étaient pour lui des “récits”, mais on voit dans l’ensemble de son œuvre bon nombre de ces “variations sur un thème” inspirées par l’hu­meur du moment. Des “variations” comme en musique. Barbe bleue y défile ou encore les légendes des Indes. Ce qui importe dans tout cela, c’est le travail que l’auteur fait sur la source, comme on le faisait à l’époque classique pour le théâtre. Médée, Rodogune, Esther ou Andromaque, pour ne rien dire de Phèdre, doivent autant à leur source qu’à la présentation des auteurs qui ont consacré leur renommée et figé leur image dans un certain sens : on voit mal Phèdre sans le faix de son tourment, Andromaque sans le souci pour son fils, Médée sans un amour transforméCouvPsycheFidessa.jpgen haine destructrice. Mais on ne voit plus ces femmes sans les atours de Corneille ou de Racine, parce que ces auteurs leur ont donné une consistance psychologique et une densité littéraire à l’abri du temps. […] Couperus, dans un genre plus intime et merveilleux, fait revivre le personnage de Psyché ou la légende de la Licorne. Il introduit ses héroïnes dans le monde du merveilleux, montrant par là même que la modernité est un lien avec le passé, non pas une cassure. Le genre du conte est en vogue à l’époque, non seu­lement pour les enfants, mais pour un public adulte. Transporté dans un mode symbolique, un univers de rêve, l’auteur y projette son monde à lui. » (2)

    Ce « monde à lui », le lecteur français avait pu le découvrir quatre-vingts ans plus tôt. Une première traduction de Psyche avait en effet paru en français sous le titre Le Cheval ailé (trad. J. [= Félicia] Barbier, Paris, Éditions du Monde nouveau) l’année de la mort de Couperus, avec une préface de Julien Benda. Avant de reprendre certains points de vue publiés en français sur Psyche, disons, sans faire injure aux traducteurs, que la version de Félicia Barbier (3) simplifie en de nombreux endroits l’original et que celle de David Goldberg (4) tend à ajouter des fioritures. Il faudrait les fondre en une seule pour obtenir un juste équilibre.

    La critique de langue française n’a en réalité pas attendu 1923 pour commenter le « roman féérique » de Couperus. Outre Louis Van Keymeulen et Léo J. Krijn, déjà mentionnés sur ce blog (partie IV de la notice « Louis Couperus par Louis Van Keymeulen »), un certain Pauw. nous disait dès la fin du XIXe siècle : « Parmi les plus belles choses nouvellement parues, citons en première ligne le délicieux conte Psyché, le dernier ouvrage de Louis Coupérus. […] Le talent de l’auteur s’y montre dans toute sa splendeur ; il y a trouvé un vaste champ à son extraordinaire fantaisie. Il y déploie pleinement sa belle faculté évocatrice de visions éblouissantes, qui enveloppent d’une douce atmosphère de rêve. Quoiqu’il emprunte plusieurs thèmes aux mythes et aux légendes qui sont de toute éternité, l’œuvre, dans son ensemble, n’en est pas moins originale. Louis Coupérus possède un style admirable, souple et vigoureux. Il trouve des expressions éminemment suggestives – et dans ses descriptions, il déploie une variété et une richesse incomparables. Ses phrases sont rythmées et harmonieuses. Ses mots sont choisis avec soin et groupés selon le goût musical le plus subtil. Il chante plutôt qu’il ne parle ! Tant pour la richesse extraordinaire de l’imagination et l’idée philosophique que pour la beauté supérieure de la forme, Psyche est un ouvrage qui peut être compté parmi les plus parfaits de toute la littérature contemporaine. » (5)

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    Page de titre différente de celle qui mentionne comme traductrice une certaine J. Barbier

     

    D’autres plumes vont s’exprimer un quart de siècle plus tard à l’occasion de la parution du Cheval ailé. (6) Parmi elles, la jeune Christiane Fournier (7) qui se fera connaître comme critique, reporter ou encore comme romancière, et qui, à l’époque, collaborait justement aux éditions du Monde Nouveau. C’est d’ailleurs dans la revue éponyme qu’elle publie cinq pages consacrées à l’œuvre du romancier hollandais : « Couperus, fils de Platon et de Perrault » (janv.-février 1924, p. 48-52). Alors que Couperus estimait qu’il fallait se laisser porter par la fraîcheur de l’histoire plutôt que d’en faire une lecture trop métaphysique, la jeune Française va tenter de concilier les deux approches :

    « Mythe platonicien de l’existence de l’âme et de sa chute, ce Cheval ailé ; mythe chrétien de sa rédemption dissimulé sous le voile transparent du plus beau des contes de fées, celui que petit nous rêvions dans l’émerveillement de nos imaginations neuves. Philosophie symbolique et mystique du temps au paresseux passé, au subtil avenir, au joyeux présent. Lacet de ces trois étapes curieusement solidaires dans l’impondérable limite morte, puis ressuscitée, du vertigineux devenir. Grave problème des essences, mais chanté gaiement par la voix des bacchantes. Grand geste de l’amour, mais pudiquement masqué derrière les ailes diaphanes de Psyché. Vision du péché, qu’ironise la flûte du Satyre. Expiation ; larmes versées ; descente aux enfers ; résurrection des morts : le tout est candeur et science à la fois ; transparence, mais d’un horizon ; naïveté attendrie de celui qui est las de douter.

    Pourquoi tant chercher ? Le secret n’est point si caché que chacun ne le puisse découvrir ; le poème ne veut point d’exégèse ; et ce serait pitié si ces quelques lignes, déchargeant la création de son symbole, venaient à crever la bulle de savon.

    CouperusPortraitJanVeth1892.jpgUn roi avait trois filles, raconte Apulée ; mais Couperus parfait la création. L’une, Emeralde, aux yeux de pierres précieuses, dont les courtisans chuchotaient que son cœur était de rubis ; Astra, la seconde, qui cherchait à surprendre la science sous le mouvement mystérieuse- ment ordonné des étoiles ; et Psyché, timide et nue, enfant couronnée de boucles blondes, parée de ses ailes versicolores, de ses ailes fragiles qui ne la soulevaient point et la laissaient, vaincue, attachée à la terre.

    Platon chargeait-il ses mythes des pensées comme les commentaires l’ont exigé ? Ce qui reste de plus précieux dans la promenade élyséenne des âmes que nous raconte le Phèdre ce doit être la grâce hellénique que la science n’a point déflorée plutôt que la démonstration possible de la préexistence ou de la survivance. La sensibilité se satisfait de la fable et, pour croire, elle ne calcule pas.

    Psyché habitait le royaume du Passé. Le roi son père avait bien cent ans. “Couronné de trois cents tours, le palais royal se dressait jusqu’aux nues.” Psyché errait le long des créneaux, contemplait l’horizon infini, et rêvait. Elle rêvait des choses qu’elle ne connaissait point. Bonheur et tristesse tout à la fois ; celle-ci est dans celui-là contenue, et qui se dit heureux sans avoir battu le chemin triste qui conduit au jardin enchanté du présent ?

    Du haut des tours du palais, l’Âme aperçut la Chimère et en devint amoureuse ; car elle brillait de tous les mirages des vertigineux avenirs et s’élevait à de troublants infinis. L’enfant timide et nue se suspendit au cou du Cheval aux puissantes ailes pour entreprendre l’éternel voyage. »

    Ce voyage, c’est l’histoire narrée par Couperus, dont Christiane Fournier retrace alors les grandes lignes avant de conclure :

    « Par quelle étrange audace marquons-nous de correspondance deux mondes qui n’ont point de commune mesure ? Psyché, dont l’infidélité vient de tuer Eros, rachètera-t-elle l’inéluctable ? Quel impossible et quel inefficace, dira-t-on. N’importe ! Il convient que le pécheur travaille dans la peine. Et voici remporté le triomphe du platonicien-chrétien. C’est justement le mystère de cette équivalence qui sert à justifier le dogme de la préexistence et de la survivance de l’âme. La conclusion prouve la majeure. Prouver ? Que prétentieux et docte est le mot appliqué à une œuvre où l’imagination candide d’un artiste défend à la raison l’accès. Au reste la logique se moquera : paradoxe ou conte de fée ? Ce peut n’être pas davantage ; mais s’il n’en faut pas plus pour que jaillisse la vérité profonde ! Il y a un enfer au moins : celui de Dante. Il y a certes un oiseau bleu et des forêts magiques et des fées très belles, très jeunes et très puissantes qui changent en carrosses les citrouilles et en princes les valets. Chacun de nous qui l’a cru, a suspendu à l’arbre enchanté du conte, une parcelle de vérité.

    Voilà bien pour défier les sceptiques, sectateurs insensibles d’une science qui n’entend pas la légende. Ils veulent raisonner le mythe et la croyance : c’est jouer au tennis avec des balles de plomb. Psyché existe, ardente et pure, déchue, souffrante, expiatoire ; rachetée enfin au Paradis des bienheureux.

    Mais qui disait que nous n’avions pas d’âme ? »

     

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    Renée d'Unan, La Pensée française, 11/10/1923

     

     

    NOTES

     

    CouvPsyche1992.jpg(1) Les éléments relatifs à l’édition hollandaise de Psyche sont empruntés à la postface du volume 14 des Œuvres complètes de Louis Couperus, volume que l’on doit à H.T.M. van Vliet, J.B. Robert et M. Boelhouwer (L.J. Veen, 1992).

    (2) Gilbert Van de Louw, « Introduction », Psyché / Fidessa, Contes et légendes littéraires, traduits du néerlandais par David Goldberg, Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve-d’Ascq, 2002, p. 7 et 9. Relevons que Couperus a tout de même à l’occasion employé le terme « conte » à propos de Psyche, par exemple dans des lettres à son éditeur et à son ami Ram. Voir aussi le passage mis en exergue.

    (3) On doit à Félicia Barbier d’autres traductions d’œuvres néerlandaises : Noto Souroto, « Orient et Occident », Le Monde nouveau, fév. 1926 ; Nico van Suchtelen, Le Sourire de l’âme (De stille lach, 1916), Paris, Éditions du Monde nouveau, 1930 ; Henri Borel, Wu-Wei. Fantaisie, inspirée par la philosophie de Lao-Tsz’, Paris, Éditions du Monde Nouveau, 1931, réédition sous le titre : Wu Wei. Étude inspirée par la philosophie de Lao-tseu, Paris, Éditions G. Trédaniel, 1987. Pour ce qui est de la préface de Julien Benda, voir la note 11 : ICI.

    (4) Né en 1969, David Goldberg a pour sa part donné une très belle traduction d’un roman de Tommy Wieringa, Joe Speedboot, Actes Sud, 2008. Autres titres traduits : Bert Keizer, Danse avec la mort. Journal d’une liaison fatale, La Découverte, 2003 ; Connie Palmen, Tout à vous, Actes Sud, 2005 ; Rob Riemen, La Noblesse de l’esprit : un idéal oublié, préface de George Steiner, NiL, 2009…

    (5) « Lettres néerlandaises : Psyche par Louis Coupérus, Amsterdam, L.J. Veen », Mercure de France, III, 1899, p. 837 et 839.

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    Revue des Lectures, 15 octobre 1923
     

    (6) L’existence de cette traduction s’explique peut-être par le rôle joué par Adrienne Lautère (née Heineken), une femme d’origine hollandaise (des critiques ont pu souligner « sa connaissance imparfaite du génie de notre langue »), auteur des Lettres de la Hollande neutre (1920) ou encore de L’Âme latine de M. Louis Couperus, romancier hollandais, cette dernière étude justement aux Éditions du Monde nouveau, également en 1923. (voir à propos d’Adrienne Lautère sur ce blog la notice « La Saint-Nicolas », catégorie : « Contes Légendes Traditions »)

    (7) Voir sur cette femme aujourd’hui bien oubliée « Christiane Fournier et son œuvre », Marie-Paule Ha, dans l’introduction à la réédition du roman Homme jaune et femme blanche, L’Harmattan, 2008, p. VII-IX). Christiane Fournier à la télévision française en 1959 : ICI.

     

    Le portrait de Louis Couperus a été réalisé en 1892

    par l'artiste hollandais Jan Veth (1864-1925)

     

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    La couverture de la revue La Plume

    contemporaine de la couverture ci-dessus dessinée par Jan Toorop

     

     

     

  • Morceaux choisis - Édouard Rod

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    Quelques pages traduites

    de Hooft, Vondel & Cats

     

     


    littérature,hollande,traduction,edouard rod,hooft,cats,vondelHomme de lettres suisse, ami de Zola et de Ramuz, rédacteur en chef de
     la Revue contemporaine, professeur de littérature comparée, Édouard Rod (1857-1910), qui a renoncé à un siège à l’Académie française pour garder la nationalité helvète, a donné, à côté de nombreux romans, recensions et essais, un volume de près de 1000 pages intitulé Morceaux choisis des Littératures étran- gères (1899). Comme le sous-titre de l'édition revue (1901) le laisse présager – Angleterre et Amérique, Allemagne, Italie, Espagne et Portugal, Russie, Scandinavie. Publiés avec un essai sur le développement des littératures modernes, des notices et des notes –, la littérature néerlandaise ne semble guère avoir retenu l’attention du critique. Seules sept pages sont consacrées à la « Hollande » (dans la troisième partie qui porte sur la Période classique). Aucune à la Flandre.

    littérature,hollande,traduction,edouard rod,hooft,cats,vondelAlors qu’une place est accordée à Maître Eckart ou encore à Tauler, on peut s’étonner de l’absence de Ruusbroec, pourtant traduit du moyen néerlandais par Maeterlinck peu avant (les œuvres de Hadewijch avaient alors été à peine redécouvertes), une traduction que le Suisse connaissait. Érasme, Spinoza sont eux aussi passés à la trappe (écrivains hollandais même si la plus grande partie de leur œuvre n’est pas écrite dans la langue vernaculaire). Pas un mot sur l’auteur dramatique dunkerquois Michiel de Swaen (1654-1707), il est vrai à peine tiré de l’oubli. De même, dans la dernière partie du volume (Période contemporaine), on aurait pu s’attendre à trouver quelques pages du Flamand Henri Conscience (1812-1883) dont de nombreuses œuvres étaient alors transposées en français aux éditions Michel Lévy frères, de certains poètes traduits par Auguste Clavareau ou encore de Multatuli (1820-1887) dont une première version du Max Havelaar ainsi qu'un choix de textes était disponibles dès avant la parution en volume des traductions d’Alexandre Cohen (en 1901). Et si Édouard Rod évoque dans son essai introductif, original sur certains points mais marqué par l’époque, L’Énéide de Henri de Veldeke, c’est sans doute parce que l’œuvre de cet auteur, qui écrivait en ancien limbourgeois, est en partie conservée dans une version moyen-haut allemand. Peut-être le choix de Rod est-il en partie dû à la lecture de la Philosophie de l’art de Taine, auteur que le grand érudit suisse pratiquait bien entendu (il renvoie par exemple son lecteur aux Origines de la France contemporaine).

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    Selon Taine, les Hollandais et les Flamand ont dû tellement lutter contre les éléments et les conditions climatiques qu’ils n’ont pas eu loisir de tourner leur intelligence vers d’autres objets : « La grande philosophie si naturelle en Allemagne, la grande poésie si florissante en Angleterre, leur ont manqué. […] Chez eux, nul philosophe de la grande espèce ; leur Spinoza est un Juif, élève de Descartes et des rabbins, solitaire isolé, d’un autre génie et d’une autre race. Aucun de leurs livres n’est devenu européen, comme ceux de Burns, du Camoens, qui pourtant sont nés parmi des nations aussi petites. Un seul de leurs écrivains a été lu par tous les hommes de son siècle, Érasme, lettré délicat, mais qui écrivit en latin, et qui, par son éducation, ses goûts, son style, ses idées, se rattache à la famille des humanistes et des érudits de l’Italie. Les anciens poètes hollandais, par exemple Jacob Cats, sont des moralistes graves, sensés, un peu longs, qui louent les joies d’intérieur et la vie de famille. Les poètes flamands du XIIIe et du XIVe siècle annoncent à leurs auditeurs qu’ils ne leur racontent pas des fables chevaleresques, mais des histoires vraies, et ils mettent en vers des sentences pratiques ou des événements contemporains. Leurs chambres de rhétorique ont eu beau cultiver et mettre en scène la poésie, aucun talent n’a tiré de cette matière une grande et belle œuvre. Il leur vient un chroniqueur comme Chastellain, un pamphlétaire comme Marnix de Sainte-Aldegonde ; mais leur narration pâteuse est enflée ; leur éloquence surchargée, brutale et crue, rappelle, sans l’égaler, la grosse couleur et la lourdeur énergique de leur peinture nationale. Aujourd’hui, leur littérature est presque nulle. Leur seul romancier, Conscience, quoique assez bon observateur, nous paraît bien pesant et bien vulgaire. Quand on va dans leur pays et qu’on lit les journaux, du moins ceux qui ne se fabriquent pas à Paris, il semble qu’on tombe en province et même plus bas. »

    littérature,hollande,traduction,edouard rod,hooft,cats,vondelCertes, on retrouve dans ces propos un écho de l’opinion émise par Xavier Marmier à propos des lettres bataves : « Il ne faut y chercher ni la hardiesse de la pensée, ni l’originalité. Ce sont des œuvres étudiées et laborieuses. La poésie de la Hollande accuse toujours le travail et l’érudition. […] Cette littérature commence par des œuvres d’imitation et des traductions. » (Poésie populaire de la Hollande, 1836) Mais ce dernier n’affirmait-il pas la même chose de la peinture ? On répondra à ces auteurs que « celui qui croirait pouvoir conclure […] que le Hollandais est un imitateur servile et s’imaginerait trouver dans sa littérature une série d’adaptations et d’imitations de modèles étrangers, se tromperait du tout au tout » (A. Romain-Verschoor, Alluvions et Nuages. Courants et figures de la littérature hollandaise contemporaine, trad. W.F.C. Timmermans, Querido, 1947, p. 7). À la décharge de Taine, de Marmier et d’autres critiques du passé, il convient de relever que l’étude et la mise en valeur de la littérature néerlandaise médiévale est un phénomène relativement récent et que rares ont été les époques où les lecteurs français ont pu accéder aux écrits des hommes de lettres d’expression néerlandaise. Les pages qui suivent ne permettent guère de se faire une idée de la qualité des œuvres des trois grands noms retenus, mais, ainsi que l’écrit encore Xavier Marmier, laissons tout de même « venir Hooft, formé à l’école des auteurs anciens et des écrivains italiens; Hooft, poète et prosateur, qui créa la tragédie hollandaise et écrivit avec un rare talent une histoire de son pays; Vondel, que les Hollandais appellent leur Shakespeare ; Jacob Cats, poète moral et didactique dont les pauvres se trouvent encore aujourd’hui à côté de la Bible dans toutes les familles… »

     

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    L'auteur ne précise pas l'origine des traductions

     

     

  • La littérature hollandaise de 1815 à 1900

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    Panorama des lettres néerlandaises

    du XIXe siècle

     

     

    Venant à la suite de l’exposé de Louis Bresson, le tableau proposé par l’érudit Jan ten Brink (1834-1901) s’intéresse à la littérature néerlandaise de 1815 à la fin du XIXe siècle. Le texte ci-dessous reproduit la version publiée dans La Hollande, Larousse, 1900, p. 168-182 (après une première parution dans la Revue Encyclopédique du 13 novembre 1897).


    littérature,hollande,bilderdijk,tollens,da costa,van lennep,potgieter,beets,vosmaer,zola,flaubert,paris,révolutionJan ten Brink a fait une carrière dans l’enseigne- ment, couronnée par un professorat à l’université de Leyde. Il a compté parmi ses élèves quelques-uns des futurs écrivains les plus réputés de la fin de siècle : Marcellus Emants (1848-1923), Louis Couperus (1863-1923) et Frans Net- scher (1864-1923). On doit à ce défenseur du natu- ralisme une étude sur Émile Zola (1879), mais aussi un Gustave Flaubert (1901), un essai de littérature comparée sur le roman épistolaire (1889), un De La Haye à Paris. Souvenirs de voyage (1879) ou encore quelques ouvrages sur diverses révolutions dont Victimes et héros de la Révolution française (Slachtoffers en helden der Fransche revolutie, 1875), La Révolte des prolétaires. Histoire de la révolution du 18 mars 1871 (De Opstand der proletariërs, geschiedenis der omwenteling van 18 maart 1871, 1876) et Paris pendant la terreur rouge (Parijs tijdens de roode terreur, 1895). Son nom reste attaché à une Histoire de la littérature néerlandaise du XIXe siècle en trois volumes (1888-1889) ainsi qu'à une Histoire de la littérature néerlandaise (1897). De son séjour aux Indes néerlandaises, il a ramené des nouvelles, plutôt populaires à l’époque ; il sera d’ailleurs l'un des premiers à accorder une certaine attention à la littérature dite coloniale.

     

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  • La Littérature hollandaise par Louis Bresson

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    Panorama de la littérature hollandaise

    des origines à 1815

     

     

    Suite de la série de documents anciens en langue française proposant un aperçu de la littérature hollandaise. Cette fois un texte du pasteur Louis Bresson dont il a déjà été question à propos de Multatuli. En 1897, la Revue encyclopédique donne son étude intitulée « Le Mouvement littéraire en Hollande. Des origines à 1815 », texte repris dans La Hollande géographie, ethnologie, politique et administrative, religieuse, économique, littéraire, artistique, scientifique, historique, coloniale, etc. (Librairie Larousse, 1900). C'est cette dernière version que nous proposons ci-dessous.

     

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  • Aperçu des lettres hollandaises (1879)

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    La littérature hollandaise,

    appendice de la littérature allemande

     

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    Voici le premier texte d’une série de publications anciennes en langue française donnant un aperçu historique de la littérature néerlandaise. Relevons que son auteur, L.-E. Hallberg, aurait pu éviter certaines erreurs en choisissant des sources plus sûres déjà disponibles à l’époque, par exemple les contributions publiées en français par J.A. Alberdingk Thijm ou Alphonse Esquiros. De même, on aurait pu attendre un jugement un peu plus nuancé ; d’autres auteurs n’avaient-ils pas émis avant lui un jugement moins timoré : « Fort étendue en comparaison de la grandeur du pays, la littérature hollandaise représente dignement la vie morale et le développement intellectuel d’un peuple riche de souvenirs, de savoir et de fidélité à son propre caractère. Sa langue est un dialecte de bas-allemand, épuré par une longue culture et fixé enfin par les travaux de grammairiens savants, à la tête desquels il faut nommer Sigenbeeck. Elle possède l’avantage d’une grande facilité d’expression, due à l’emploi des mots racines dont elle fait un grand usage, mais qui tend peut-être aujourd’hui à s’exagérer. Dans ses formes littéraires on pourrait remarquer une phraséologie un peu solennelle, produite peut être par l’influence du latin, et qui conduirait à l’enflure quand le sujet manquerait d’élévation. En revanche elle possède une foule de tournures naïves et gracieuses, tirées de son propre fonds, et qui permettent à l’écrivain d’être familier sans bassesse.

    C’est l’histoire qui a donné à la Hollande ses prosateurs classiques, Hooft qui s’est modelé sur Tacite, et Simon Styl qu’on peut comparer à Salluste. Un ouvrage plus volumineux, l’histoire de la patrie par Wagenaar, doit plutôt sa célébrité à l’étendue des recherches et à l’exactitude de la narration qu’à un grand mérite littéraire. La science et la critique historique caractérisent également, une foule d’autres écrits consacrés à l’éclaircissement des souvenirs nationaux, et ç’a été là pour les savants hollandais une source d’études inépuisables.

    Parmi les poètes, il faut d’abord citer Cats, conteur, qui tient de la finesse de Marot et de la bonhomie de La Fontaine. Son vieux style offre la langue du peuple dans sa grâce familière, tandis que Vondel, son contemporain, fait parler un langage noble et lyrique à la tragédie encore au berceau (1630). C’est à ce dernier que l’admiration publique assigne la supériorité de génie sur tous ses successeurs : cependant le talent d’écrivain semble porté à une perfection plus savante et plus soutenue chez Tollens, dont le chef-d’œuvre est un poème sur l’hivernement des Hollandais, la Nouvelle-Zemble. Au-dessous de lui par l’élégance et la correction, mais non par la chaleur, Helmers chante aussi sa patrie avec un noble enthousiasme.

    Une nouvelle série de poètes s’ouvre dans les temps modernes avec Feith dont le talent lyrique est d’un ordre élevé. Nous ne pouvons pas indiquer ici plusieurs autres noms qui viennent à la suite du sien mais le plus justement célèbre est celui de Bilderdyck, dont la fécondité rappelle celle de Voltaire et à qui l’esprit et l’imagination ne font jamais défaut dans cette longue suite de productions diverses. Son ouvrage est une histoire du pays, compilation assez curieuse par la nouveauté des opinions qu’il y soutient, mais où règne l’esprit de paradoxe.

    À côté de ces littérateurs qui emploient l’idiome national, la Hollande compte aussi une foule de poètes et de prosateurs latins trop remarquables pour être passés sous silence. Elle avait eu autrefois le moine Thomas à Kempis, auteur aujourd’hui bien avéré de l’Imitation du Christ. Erasme, Janus Donsa, Grotius (qui excellait aussi à manier la langue nationale), tiennent la première place parmi ces adorateurs de l’Antiquité qui en firent renaître les grâces et le génie au moment où les littératures modernes sortaient peine de l’enfance » (Encyclopédie du dix-neuvième siècle : répertoire universel des sciences, des lettres et des arts, avec la biographie de tous les hommes célèbres, T. 14, 1852, p. 108-109).

    CouvHallberg1.jpgNé dans le grand duché de Bade, Louis-Eugène Hallberg (1839-1921) était issu d’une famille protestante d’origine suédoise ; il sera baptisé catholique à sa naissance. Fils d’un universitaire ayant émigré en France, il deviendra lui-même professeur de littérature étrangère à la Faculté des Lettres de Dijon avant d’aller enseigner à Toulouse. Grand connaisseur de la littérature allemande, sur laquelle il a écrit nombre d’études, il publia, sous le nom de H. Grimm, une collection d’auteurs allemands classiques, et traduisit le Laocoon de Lessing (ainsi que des Morceaux choisis de Platon, 1871).

    Son Histoire des littératures étrangères, nous dit un de ses confrères de l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse, est un « manuel, très plein d’idées et de faits, de biographies, d’analyses, de chronologies, utile à posséder et à lire et à consulter, plus maniable et plus dense sous sa forme scolaire que celui d’Heinrich, antérieur à celui de Bossert ». Malheureusement, il « n’a pas été répandu comme il devait l’être. Deux volumes, entièrement composés, de littérature italienne et espagnole, sont restés inédits ».

    À la fin de son premier volume, l’auteur consacre un peu plus d’une vingtaine de pages à la littérature hollandaise. Les voici.

     

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