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  • Discours de réception

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    Discours de réception de Daniel Cunin

    à l’Académie Royale de Langue

    et de Littérature néerlandaises (KANTL),

    prononcé par Frank Willaert à Gand le 15 mai 2024

     

    KANTL - PIET VERDONK.png

    KANTL, Gand, 15 mai 2024 (photo : Piet Verdonk) 

     

     

    Chers consœurs et confrères,

    Mesdames et messieurs,

    Chers amis et parents de Daniel,

    chère Anna,

    bien cher Daniel,

     

     

    Depuis 2018 et l’entrée en vigueur d’un nouveau décret, notre Académie (la KANTL) se trouve dans l’heureuse situation de pouvoir désormais nommer en son sein, comme membres « à plein titre » et non plus seulement comme membres « étrangers », des universitaires et des auteurs de nationalité étrangère, pour autant qu’ils sont – je cite l’article 8 du texte en question – « actifs en Belgique dans le domaine de la langue et de la littérature néerlandaises, par leur fonction ou leur présence dans le débat public ».

    Frank Willaert

    FRANK WILLAERT - PHOTO.jpegNous pouvons sincèrement nous réjouir de cette généreuse ouverture : en plus de mettre fin à un manque d’égards vis-à-vis de littérateurs et de chercheurs non moins méritants que leurs homologues belges, elle signifie un enrichissement pour l’Académie elle-même. En effet, les membres d’origine étrangère sont particulièrement bien placés pour attirer notre attention sur des évidences trompeuses ou des choses qui finissent par nous échapper, à nous Flamands de souche, dès lors que nous abordons notre langue et notre littérature.

    Hadewijch, Liederen, edition V. Fraeters, F. Willaert & L.P. Grijp

    LIEDEREN - HADEWIJCH - COUV NL.pngEt si quelqu’un possède les qualités en question, c’est bien toi, Daniel. En tant que traducteur français d’œuvres néerlandaises, tu poses manifestement un œil aiguisé sur des phénomènes qu’un néerlandophone ne perçoit plus parce que ceux-ci lui paraissent aller de soi. Il peut s’agir de choses en apparence banales, comme – pour reprendre un exemple que tu mentionnes dans un entretien – ces mots courts qui fourmillent dans notre langue : nog, wel, even, dan, al, ook ou maar, et qui, en français, ne peuvent, dans bien des cas, être restitués correctement que par un usage créatif de la syntaxe. Cela donne parfois un texte plus littéraire, plus élégant peut-être, mais aussi plus précieux et sans doute moins direct que l’original néerlandais. Ce n’est probablement pas un hasard si le français connaît l’expression : « C’est de la littérature » quand on cherche à qualifier un discours un peu trop nébuleux ou artificiel. Prenons encore – pour retenir cette fois un problème que nous avons rencontré alors que tu traduisais notre édition des Liederen (Chants) de Hadewijch – le simple fait que le désuet minne ainsi que liefde sont tous les deux féminins alors que le mot « amour », leur équivalent français, est un masculin. Comment dès lors traduire un vers comme Die minne es joncfrouwe ende coninghinne (L’Amour est damoiselle et reine) ? Mais, bien entendu, les défis que j’évoque ici dépassent la langue et la littérature ; ils couvrent la culture dans son ensemble. Les Pays-Bas, raconte-tu dans une interview, sont pour toi, comme pour Baudelaire dans son « Invitation au Voyage », la Chine de l’Europe. « Tout y est différent de ce que je connaissais. La langue, la culture, la mentalité, les paysages… » Cette affirmation m’amène à poser la question suivante : quelle est ta perception de la Flandre, de la Belgique, celles-ci si différentes des Pays-Bas ? Sans doute t’entendrons-nous un jour évoquer cela, et tu me vois curieux de savoir à quel pays exotique tu nous compareras.

    Hadewijch, Les Chants, (Albin Michel, 2022)

    CHANTS - HADEWIJCH - COUV.pngC’est précisément dans la fascination qu’entraîne la rencontre de l’Autre que peut naître l’amour, qui est toujours, après tout et en même temps, un désir de connaître cet Autre. Significatif à ce sujet est ce que tu m’as rapporté un jour à propos des prémices de ton amour pour le néerlandais : c’est la rencontre, pendant tes études à Aix-en-Provence, de deux ravissantes Hollandaises qui les ont déclenchés. De peur de paraître trop curieux, je n’ai pas osé te demander si ton engouement valait aussi pour ces jeunes filles, ou uniquement pour les Pays-Bas et pour le néerlandais. Je me plais à imaginer que c’était et pour ces derniers et pour elles deux. Après tout, quand on tombe amoureux, tout ce qui a trait à l’être aimé ne devient-il pas beau ? Certes, les amourettes passent, mais le véritable amour demeure. On ne peut l’étouffer ni le taire, il déborde sur les autres. Ainsi en est-il allé dans ton cas. Ton amour pour le nouveau monde que tu découvrais, tu n’as pu le garder pour toi, tu as brûlé de le communiquer à des proches et à des amis français. En conséquence, tes travaux de traduction sont – bien plus qu’un simple moyen de subsistance –, une œuvre d’amour, au sens propre du terme.

    Aix - place 4 dauphins.jpg

    Aix-en-Provence, place des Quatre-Dauphins

    Or, pareil amour ne se laisse pas apprivoiser. Quiconque consulte ton blog pour passer en revue les travaux en question ne peut qu’être épaté par leur abondance et leur variété. Le nombre d’auteurs que tu as transposés est pour ainsi dire illimité ; maints d’entre eux sont d’ailleurs membres de la KANTL. Pour ne pas tomber dans une trop longue énumération, je me contente de citer les romanciers et les poètes parmi nous : Annelies Verbeke, Stefan Hertmans, Anne Provoost, Koen Peeters, Willy Spillebeen, Patrick Lateur, Geert Buelens et Luc Devoldere. Mais tu ne te limites pas aux contemporains. Traducteur des Chants de Hadewijch (XIIIe siècle), que tu admires tant, tu es devenu un véritable ambassadeur en France de cette poétesse mystique. « Rares sont les pages, écris-tu, d’une telle perfection où l’écrit, le dit, le chant, le vécu intérieur sont en parfaite osmose. » Mais tu as également transposé des œuvres de classiques plus récents – cette fois, je ne cite que des écrivains qui figurent dans le « Canon de la littérature » établi par notre Académie : Louis Couperus, Cyriel Buysse, Martinus Nijhoff, M. Vasalis, Gerrit Achterberg, Lucebert, Willem Frederik Hermans, Gerard Reve et Harry Mulisch.

    G. Achterberg, L'Ovaire noir de la poésie

    GA-COUV1.pngEn même temps, tu te révèles un omnivore : tes traductions couvrent à peu près tous les genres : roman, nouvelle, journal intime, album pour enfants, livre jeunesse, théâtre, essai, B.D., roman graphique, ouvrage et article universitaires ou de vulgarisation, sans oublier, et c’est là sans doute que réside le plus grand défi : la poésie. Tout cela avec la plus grande qualité qui se puisse imaginer. Rien d’étonnant donc à ce que des prix viennent récompenser tes publications, certains décernés par des lecteurs reconnaissants : le Prix des Lecteurs de Cognac et le Prix littéraire des Lycéens de l’Euregio pour Le Faiseur d’anges de Stefan Brijs, un deuxième Prix Littéraire des Lycéens de l’Euregio, cette fois pour le roman autobiographique Je vais vivre de Lale Gül, ou encore le prestigieux prix biennal James Brockway (2018) pour tes traductions de poésie…

    Rimbaud, «Le Dormeur du Val » (autographe)

    rimbaud dormeur.pngMais d’où vient cette passion effrénée pour la littérature ? Parce que rien dans ton enfance et ton adolescence ne laissait présager que tu deviendrais un jour pensionnaire de la République des lettres et encore moins d’une Académie royale. En 1963, ton berceau se trouvait à Champdray, un minuscule village des Hautes-Vosges d’un peu plus de 200 habitants à l’époque et d’un peu moins de 200 aujourd’hui. Tes parents sont issus de deux familles de modestes agriculteurs qui habitaient, chacun, à l’une des extrémités de ce même village. Ils ne sont pas riches, chaque franc compte. Comme d’autres enfants du coin, tu gagnes un peu d’argent, par exemple en cueillant et vendant des myrtilles. En économisant, tu parviens ainsi à t’acheter, vers l’âge de dix ans, un vélo de course 10 vitesses ! Le monde agricole des parents et grands-parents est à des années-lumière du monde de la littérature, de l’art, de la musique classique, de la culture au sens général du terme. Et pourtant… Dans la petite école communale où les enfants de cinq à onze ans sont tous assis dans une même salle de classe, près du poêle, devant une institutrice qui semble tout droit sortie de la Troisième République, la graine originelle est semée : « Le dormeur du val », poème d’Arthur Rimbaud, éveille en toi la vague idée de l’existence d’un autre univers, en apparence inaccessible tant il est éloigné de cette campagne rude et pauvre.

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    Le Ventoux, vu depuis Beaumes-de-Venise (photo : Anna Veldhoven)

    Quelques années plus tard, tes parents ont fait ce que beaucoup de villageois étaient contraints de faire : partir pour trouver du travail. Ils ont déménagé, d’abord à Arbois, dans le Jura, et deux ans plus tard, beaucoup plus au sud, dans une autre commune vinicole, à savoir Beaumes-de-Venise, que beaucoup de Flamands connaissent parce qu’elle se trouve à l’ombre du Mont Ventoux, non loin de Carpentras, d’Orange, de Vaison-la-Romaine et d’Avignon. Ils sont alors gérants d’une petite épicerie pendant que tu poursuis et termine non sans mal tes études secondaires. Tu es loin d’être un élève brillant, aucun professeur ne parvient à briser ton indifférence, pas même les professeurs d’anglais et d’allemand. Pourtant, comme pour plus d’un collégien ou d’un lycéen, deux d’entre eux font la différence. Ta prof de français à Arbois qui t’incite à lire, car ta maîtrise de l’orthographe et de la grammaire françaises laisse énormément à désirer. La bibliothèque municipale offre une solution : pour quelques francs par an, tu peux emprunter quantité de livres. De même, à Carpentras, un autre professeur de français va parvenir à te captiver. Avec l’argent que tu gagnes en exerçant toutes sortes de petits boulots pendant les vacances, tu t’achètes un premier carton de livres, des classiques européens. Tes parents ne comprennent guère ce qui t’habite. « Tu vas finir aveugle à force de lire », relève ta mère. Et entre le père et le fils, un long silence s’instaure.

    F. Vanderpyl, par Lodewijk Schelfhout (vers 1910)

    PORTRAIT VANDERPYL PAR SCHELFHOUT - VERS 1910.pngQuiconque vit et lit dans de telles circonstances est à la fois gagnant et perdant. Il perd le contact simple avec son milieu d’origine et s’aventure dans un monde qui n’a, lui, absolument rien de naturel. Ce défi, tu l’as relevé avec une surprenante bravoure et avec une belle réussite. En témoignent non seulement le large éventail et la qualité des traductions que je viens de mentionner, mais aussi l’incroyable réseau d’écrivains, de poètes, d’éditeurs, de rédacteurs en chef, de consœurs et confrères francophones et néerlandophones – pour certains devenus des amis – que tu es parvenu à rassembler autour de toi au fil des ans. En témoignent également les innombrables articles et entretiens qui accompagnent ton travail, par lesquels tu places les auteurs que tu traduis et la littérature néerlandaise en général sous les feux de la rampe, non seulement dans le monde francophone, mais aussi chez nous. Nous attendons déjà avec impatience la biographie que tu prépares sur le fascinant Fritz Vanderpyl (1876-1965), cet écrivain haguenois totalement oublié, mais qui, dans la France de l’entre-deux-guerres a été « un grand seigneur » en contact étroit avec les avant-gardes littéraires et artistiques de son temps.

    D. Cunin devant la KANTL

    frank willaert,kantl,gand,académie,daniel cunin,hadewijch,vosges,rimbaudCher Daniel, la qualité et la diversité de tes traductions, ton engouement et ton amour sans faille pour le néerlandais et la littérature néerlandaise font que tu as, à juste titre, ta place au sein de notre compagnie. Au fond, l’Académie peut être reconnaissante aux deux jeunes anonymes beautés dont tu as fait la connaissance à Aix-en-Provence, car, sans elles, nous n’aurions probablement jamais pu saluer ta présence parmi nous. Et nos remerciements s’étendent à ton institutrice « vieille école » de Champdray, à tes profs de français d’Arbois et de Carpentras, et surtout à toutes celles et tous ceux qui t’ont aidé à découvrir le néerlandais de plus près – à ce sujet, je suis heureux de mentionner notre membre étranger Philippe Noble –, à la Taalunie (Union de la langue néerlandaise) qui t’a permis d’enseigner pendant dix ans la traduction littéraire à la Sorbonne ainsi qu’aux Fonds flamand et néerlandais pour la littérature qui, en donnant des aides aux éditeurs français, ont rendu et rendent encore possible l’accomplissement de ta vocation.

    Bienvenue donc en notre sein où nous attendons beaucoup de ton expertise, de tes vastes connaissances et, surtout, de ton engagement indéfectible en faveur de la langue et des lettres néerlandaises.

     

    Frank Willaert

    (version française de D. C.)

     

     

     

  • Verwelkoming

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    Verwelkoming Daniel Cunin door Frank Willaert

    Toespraak uitgeproken bij de Koninklijke Academie voor Nederlandse Taal en Letteren (KANTL), Gent, 15 mei 2024

     

     

    Geachte aanwezigen,

    chers amis et parents de Daniel,

    beste Anna,

    dierbare Daniel,

     

    Sinds in 2018 een nieuw decreet in voege trad, verkeert deze Academie in de gelukkige situatie dat ze nu ook academici en auteurs met een buitenlands paspoort tot haar gewone leden kan benoemen, zolang zij maar – ik citeer nu uit artikel 8 – “in België actief zijn in het domein van de Nederlandse taal en letteren, door hun functie of door aanwezigheid in het publieke debat.” We mogen oprecht verheugd zijn met dit ruimhartiger toegangsbeleid, niet alleen omdat ze een einde maakt aan de achterstelling van verdienstelijke auteurs en academici die in het bezit zijn van een andere identiteitskaart, maar ook omdat ze een verrijking betekent voor de Academie zelf. Juist leden met een buitenlandse achtergrond zijn bijzonder goed geplaatst om ons te attenderen op de blinde vlekken en de bedrieglijke vanzelfsprekendheden waarmee wij – als ‘Flamands de souche’ – onze taal en literatuur benaderen.

    Frank Willaert

    kantl,frank willaert,daniel cunin,toespraakAls iemand daartoe in staat is, dan zeker jij, Daniel. Als Franse vertaler van Nederlandse teksten heb je uiteraard een scherp oog voor die fenomenen die een Nederlandstalige ontgaan, omdat ze hem evident lijken. Dat kan gaan om ogenschijnlijke trivialiteiten, zoals – om een van je eigen voorbeelden aan te halen – de alomaanwezige woordjes ‘nog’, ‘wel’, ‘even’, ‘dan’ of ‘maar’, die in het Frans vaak alleen goed te vertalen zijn door een creatief gebruik van de syntaxis, dat de tekst echter meteen literairder, misschien verfijnder maar ook precieuzer en minder direct maakt dan het Nederlands. Allicht niet toevallig heeft het Frans de uitdrukking “C’est de la littérature”, voor een discours dat al te wollig of te kunstmatig is. Of neem – ik geef nu een voorbeeld van een probleem waar we bij je vertaling van onze editie van Hadewijchs liederen op botsten – het simpele feit dat de woorden ‘minne’ of ‘liefde’ vrouwelijk zijn, maar ‘amour’ in het moderne Frans mannelijk. Hoe vertaal je dan een vers als “Die minne es joncfrouwe ende coninghinne”? Maar de uitdagingen gaan natuurlijk veel verder dan taal en literatuur alleen, en bestrijken de hele cultuur. ‘Nederland,’ zei je ooit in een interview, “was voor mij, zoals Baudelaire in zijn Invitation au Voyage, het China van Europa. Alles was anders. De taal, de cultuur, de mentaliteit, het landschap.’ Deze uitspraak geeft mij de vraag in: en hoe ervaar je dan Vlaanderen, of België, dat weer helemaal anders is dan Nederland? Wellicht zullen we je daar ooit over horen en ik ben nu al benieuwd naar het exotische land waar je ons mee zal vergelijken.

     

    kantl,frank willaert,daniel cunin,toespraak

    Hadewijch, Liederen, editie V. Fraeters, F. Willaert & L.P. Grijp

    Maar juist in de fascinatie die de ontmoeting met de Andere met zich meebrengt, kan liefde ontstaan, die immers ook altijd een verlangen is om de Andere te kennen. Veelbetekenend is wat je me ooit vertelde over het allereerste begin van je liefde voor het Nederlands: dat het de ontmoeting tijdens je studententijd in Aix-en-Provence met twee mooie Nederlandse meisjes was, die in jou de liefde deden ontbranden. Uit vrees om al te nieuwsgierig te lijken, heb ik jou toen niet durven vragen of je verliefdheid de meisjes gold, dan wel Nederland en het Nederlands. Ik fantaseer maar dat het de beide zijn geweest. Want wordt voor wie verliefd is, niet alles mooi, wat met de geliefde te maken heeft? Maar verliefdheden gaan voorbij, echte liefde blijft. Ze kan niet verzwegen worden en vloeit over naar anderen. Zo ook in jouw geval. Je kon je liefde voor de nieuwe wereld die je ontdekte, niet voor jezelf houden, je moest ze meedelen aan je Franse vrienden. Je vertaalwerk is dan ook – veel meer dan alleen een middel van bestaan – liefdewerk, in de ware zin van het woord.

    kantl,frank willaert,daniel cunin,toespraakEn die liefde laat zich niet temmen. Wie op je website je verzamelde vertaalwerk overschouwt, kan niet anders dan verbluft zijn over de omvang en de verscheidenheid ervan. Het aantal auteurs van wie je werk hebt vertaald is schier eindeloos, en daar zitten heel wat KANTL-leden onder. Om de opsomming niet te lang te laten worden, noem ik hier slechts de creatieve auteurs onder ons: Annelies Verbeke, Stefan Hertmans, Anne Provoost, Koen Peeters, Willy Spillebeen, Patrick Lateur, Geert Buelens, Luc Devoldere. Ook  beperk je je niet tot contemporaine auteurs. Je vertaalde de liederen van Hadewijch, die je hogelijk bewondert en voor wie je je in Frankrijk als een ware ambassadeur hebt ontpopt. “Rares sont les pages”, schrijf je, “d’une telle perfection où l’écrit, le dit, le chant, le vécu intérieur sont en parfaite osmose.” Maar je vertaalde ook werk van recentere klassieken – ik noem slechts de namen van auteurs die in de KANTL-canon voorkomen: Couperus, Buysse, Nijhoff, Vasalis, Achterberg, Lucebert, Hermans, Reve, Mulisch. Ook ben je een omnivoor: je vertaalwerk bestrijkt zowat alle genres: romans, dagboeken, jeugdboeken, novellen, kortverhalen, theater, prentenboeken, essays, academische en vulgariserende boeken en artikelen, strips, en niet te vergeten en wellicht het meest uitdagend: poëzie. Dat alles steeds met de hoogst denkbare kwaliteit. Geen wonder dat je de prijzen van dankbare lezers aaneenrijgt: de Prix des Lecteurs de Cognac en de Prix littéraire des Lycéens de l’Eurégio voor je vertaling van De Engelenmaker van Stefan Brijs, nogmaals de Prix Littéraire des Lycéens de l’Eurégio voor je vertaling van Ik wil leven door Lale Gül, en de prestigieuze tweejaarlijkse James Brockway-prijs 2018 voor je vertalingen van poëzie uit het Nederlands.

     

    kantl,frank willaert,daniel cunin,toespraak

    Champdray (Vosges)

    Maar vanwaar komt deze tomeloze passie voor de literatuur? Want niets in je jeugd- en kindertijd wees erop dat je ooit een inwoner zou worden van ‘la république des lettres’, en zeker niet van een Kóninklijke Academie. In 1963 stond je wieg in Champdray, een piepklein dorpje in de Vogezen van destijds 260, nu slechts 190 inwoners. Je ouders komen uit twee boerenfamilies die woonden aan twee uiteinden van hetzelfde dorp. Welstellend zijn ze niet, elke franc telt. Vanaf je 5 à 6 jaar probeer je je eigen centjes te verdienen, b.v. door bosbessen te plukken. Met wat het opbrengt, koop je je eerste fiets. Die agrarische wereld van je ouders en grootouders stond lichtjaren ver van de wereld van de literatuur, de kunst, de muziek, de cultuur. En toch. In het dorpsschooltje waar de kinderen van tussen 5 en 11 jaar rond de kachel zitten bij een onderwijzeres die zo uit de Troisième République lijkt te komen, wordt de allereerste kiem gezaaid: het gedicht Le dormeur du val van Arthur Rimbaud roept het vage besef in je wakker dat er een andere wereld is, schijnbaar onbereikbaar ver van de culturele leegte waarin je je bevindt. Enkele jaren later doen je ouders wat veel dorpelingen noodgedwongen moeten doen: ze verlaten het dorp, ze verhuizen, eerst naar Arbois, in het Juragebergte, twee jaar later veel verder zuidwaarts, naar het wijndorp Beaumes-de-Venise, dat veel Vlamingen goed kennen, want het ligt in de schaduw van de mythische Mont Ventoux, niet ver van Carpentras, Orange, Vaison-la-Romaine en Avignon. Als gérants baten ze er een kruidenierswinkeltje uit, en jij doet ondertussen je middelbare studies. Je doet het ver van schitterend, geen enkele leerkracht is in staat door je onverschilligheid heen te breken, ook niet de leraren Engels en Duits. En toch, als zo vaak maken twee van hen het verschil. Je lerares Frans in Arbois spoort je aan om meer te lezen, want je spelling van het Frans is schabouwelijk. De bibliothèque municipale biedt uitkomst: voor een paar luttele francs kan je er een jaar lang boeken ontlenen. En ook in Carpentras weet een leraar Frans je te boeien. Met de spaarcenten die je in de zomer bijverdient, koop je je een eerste kartonnen doos vol met boeken. Je ouders begrijpen niet wat je bezielt. ‘Je gaat je blind lezen’, zegt je moeder. En tussen vader en zoon wordt het stil.

    F. Vanderpyl, portrait par F. Desnos

    kantl,frank willaert,daniel cunin,toespraakWie in zulke omstandigheden leeft en leest, wint en verliest tegelijkertijd. Hij verliest het ongedwongen contact met zijn milieu van herkomst, en waagt zich in een wereld, die niet de vanzelfsprekendheid heeft voor wie er is grootgebracht. Die uitdaging ben jij aangegaan met een buitengewone bravoure en met veel succes.  Niet alleen blijkt dat uit de zo-even gememoreerde reikwijdte en kwaliteit van je vertalingen, maar ook uit het ongelooflijk uitgebreide netwerk van zowel Frans- als Nederlandstalige schrijvers, dichters, uitgevers, redacteurs, collega’s, vaak vrienden, dat je in de loop der jaren om je heen verzameld hebt. Het blijkt ook uit de talloze artikelen en interviews die je werk flankeren en waarmee je de door jou vertaalde auteurs en de Nederlandse literatuur als geheel niet alleen in de Franstalige wereld, maar ook bij ons voor het voetlicht brengt. En we kijken nu al met spanning uit naar je biografie van de fascinerende Fritz Vanderpyl, die je in voorbereiding hebt, hier totaal onbekend, maar in het Frankrijk van het interbellum ‘un grand seigneur’, die in nauw contact stond met de absolute literaire en artistieke avant-garde van zijn tijd.

    Beste Daniel, de kwaliteit en de omvang van je vertaalwerk, je onverdroten inzet en liefde voor het Nederlands en de Nederlandse literatuur maken dat je zeer terecht een plaats in ons gezelschap inneemt. In feite mag de Academie de twee anonieme Nederlandse meisjes die je in Aix-en-Provence hebt ontmoet, dankbaar zijn, want zonder hen hadden we je vermoedelijk nooit in ons gezelschap kunnen begroeten. En onze dank breidt zich uit naar je oude en ouderwetse onderwijzeres in Champdray, naar je leraren Frans in Arbois en Carpentras, en vooral naar al diegenen die je nader met het Nederlands hebben doen kennismaken – en ik ben blij dat ik hier expliciet ons erelid Philippe Noble kan noemen –, ook naar de Nederlandse Taalunie die je in staat stelde om gedurende tien jaren literair vertalen in de vakgroep Nederlands te doceren aan de Sorbonne, en naar de fondsen, in het bijzonder Literatuur Vlaanderen en het Nederlands Letterenfonds, die de vervulling van je roeping als vertaler mede mogelijk hebben gemaakt en maken. Wees welkom in ons midden, waar we veel verwachten van je deskundigheid, je brede kennis en vooral van je tomeloze inzet voor de Nederlandse taal en literatuur.

     

    Frank Willaert

     

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  • Hadewijch - Lettre rimée 16

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    Les sept noms de l’amour

      

     

     éd. J. van Mierlo, 1912

    Mengeldichten-1912.jpgL’une des quatre œuvres de Hadewijch d’Anvers – les Mengeldichten ou Rijmbrieven, autrement dit les Lettres rimées – a été le plus souvent négligée par les commentateurs. Pourtant, d’une lecture plutôt accessible, elle invite le profane à faire ses premiers pas dans la pensée de la poète brabançonne. Cela vaut en particulier pour la dernière lettre du recueil qui propose une « analyse » des sept « noms » de la minne et éclaire de la sorte ce qui est probablement le thème central de l’ensemble du corpus. Pour approfondir cette question, on se reportera à l’essai du père Raymond Jahae paru dans le « Dossier Hadewijch d’Anvers » qu’a accueilli la revue Nunc (n° 40, octobre 2016). En attendant, nous reproduisons la version française de cette Lettre rimée 16 qui recèle un condensé de la doctrine hadewigienne. (1)

     

     

    Lettre rimée 16

     

     

    L’amour a sept noms

    qui tu le sais lui conviennent.

    Ce sont lien, lumière, charbon, feu.

    Tous quatre sont sa fierté.

    Les trois autres sont grands et forts,

    toujours courts et éternellement longs.

    Ce sont rosée, source vivante et enfer (2).

    Si je t’énumère ces noms,

    c’est parce qu’ils figurent dans les Écritures

    et pour satisfaire la nature

    qu’ils révèlent et ont montrée.

    Que je ne cherche pas à te tromper

    en disant que l’amour a toutes ces manières de faire,

    il le sait celui qui la vit entièrement,

    elle et tous les miracles qui y sont attachés

    dont je t’ai naguère parlé.

     

    Lien, elle l’est effectivement car elle lie

    et sait qu’elle a tout en son pouvoir.

    Son lien, tout le monde en fait cas,

    ainsi que le sait celui qui l’a éprouvé.

    Car bien que l’amour anéantisse la consolation au milieu de la consolation,

    elle apporte réconfort en toute affliction.

    Son lien fait qu’intérieurement

    j’agonise, selon moi, de douleur.

    Son lien fait tout se conjoindre

    dans une jouissance, dans une satisfaction ;

    c’est un lien qui lie tellement tout

    que l’un pénètre l’autre

    dans la douleur, dans la paix, dans la fureur d’amour,

    et mange sa chair et boit son sang,

    et le cœur de l’un consomme celui de l’autre,

    l’âme de l’un traverse celle de l’autre avec fougue

    ainsi que nous l’a montré celui qui est amour –

    et cela dépasse l’entendement humain –,

    lui qui s’est donné lui-même à nous en repas,

    nous permettant ainsi de comprendre

    que l’on touche à la plus intime amour

    en mangeant, en goûtant, en voyant intérieurement.

    Il nous mange et nous croyons le manger,

    et effectivement nous le mangeons, qu’on le sache.

    Mais comme nous le consommons tellement peu,

    le touchons (3) tellement peu, le désirons tellement peu,

    chacun de nous reste non mangé,

    et loin et hors de l’autre.

    Celui que capture ce lien,

    mangera en revanche à sa faim

    s’il désire pénétrer en dieu ou en l’homme,

    [les] goûter au-delà de ses souhaits.

    Son lien (4) nous fait comprendre ce que c’est :

    « Je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi (5). »

     

    Lumière, ce nom nous permet de saisir

    les pires préjudices qui sont portés à l’aimé

    et ce qui agrée le plus à l’amour,

    et les choses que l’amour blâme le plus.

    Dans cette lumière, on apprend

    comment aimer le dieu-homme

    et l’homme-dieu et tous deux en un :

    c’est là une tenure extrêmement précieuse.

     

    Charbon (6), ce nom, relève-le,

    est un signe qui figure dans les Écritures.

    C’est un présent merveilleux

    que dieu envoie au dedans de l’âme,

    en tout ce qu’elle reçoit, en tout ce qu’il lui manque,

    dans la réconciliation, dans la menace, dans la vengeance,

    dans la consolation, dans la joie, dans le travail,

    en toutes ces contradictions que j’ai énumérées.

    Le charbon est un rapide messager

    qui sert au mieux l’amour.

    Son service ne cesse jamais,

    l’amour ne saurait s’en passer.

    Le charbon enflamme celui qui était froid,

    il rend craintif le courageux,

    met à pied le cavalier,

    emplit l’humble de fierté (7),

    met le pauvre en un royaume

    où il ne s’écarte plus devant personne.

    Tout cela, tomber et se relever,

    prendre, donner, recevoir à répétition,

    le charbon, ce nom, l’enflamme et l’éteint

    par fureur d’amour. Emploie-toi

    en personne à cela afin de découvrir

    les merveilles inouïes qu’il (8) opère

    avant de retourner dans le feu

    où il saccage, brûle,

    engloutit et consume

    ce qui a été refusé et désiré (9).

     

    Feu, ce nom, brûle tout :

    bonheur, heur et malheur

    car toute chose lui est égale.

    Celui qui est ainsi touché intimement par le feu,

    rien ne lui est trop vaste ni trop étroit.

    Quand le feu se fait phénoménal,

    il ne différencie rien de ce qu’il consume :

    haine, amour, refus, désir,

    gain, perte, agrément, désagrément,

    profit, dommage, honneur, honte,

    consolation auprès de dieu au ciel

    ou séjour dans les maux infernaux :

    tout cela est identique pour le feu.

    Il brûle tout ce qu’il touche –

    de damnation ou de bénédiction,

    il n’est point question, je l’avoue.

     

    Rosée, ce nom, assure un service :

    quand, par sa force, le feu a de la sorte tout calciné,

    la rosée vient tout humidifier,

    pareille à un souffle d’une douceur inouïe,

    et provoque le baiser des nobles natures,

    les rendant persévérantes dans l’inconstance.

    L’ardeur (10) engloutit leurs dons

    au point de ne savoir faire autrement.

    Toutes les tempêtes s’apaisent alors

    qui s’élevaient là ;

    là se fait alors un silence

    où l’aimée va recevoir de l’aimé

    le baiser qui sied à l’amour.

    Quand l’aimé prend l’aimée en tous ses sens,

    elle (11) les suce et goûte sans fin.

    Touchant ainsi l’aimée, l’amour

    mange sa chair, boit son sang.

    L’amour qui ainsi la réduit à rien

    conduit en douceur les deux aimés

    à un baiser sans séparation.

    Ce baiser unit bellement

    en un être les trois personnes.

    Ainsi la noble rosée adoucit l’incendie

    qui faisait rage au pays d’amour.

     

    Source vivante, ce sixième nom,

    suit la rosée de façon appropriée.

    Le flux et le reflux

    de l’un dans l’autre qui grandissent l’un dans l’autre,

    cela dépasse les sens et l’entendement,

    dépasse la capacité de connaître et de recevoir

    des créatures humaines.

    Pourtant nous l’avons en notre nature,

    le chemin caché que fait emprunter l’amour

    et qui nous permet de recevoir non sans coups le doux baiser.

    En lui on reçoit la douce vie vivante

    qui donne la vie vivante à notre vie.

    Ce nom de source vivante vient de ce qu’il nourrit

    et maintient l’âme vivante en l’homme,

    et qu’il jaillit de la vie avec vie,

    et, de la vie, apporte nouvelle vie à la vie.

    La source vivante flue en tout temps

    en d’anciennes habitudes, en zèle nouveau,

    pareille à la rivière qui donne

    et ne tarde pas à récupérer ce qu’elle a donné :

    ainsi l’amour engloutit-elle ce qu’elle donne.

    Voilà pourquoi son nom est source et vie.

     

    Son septième nom, c’est enfer,

    nom de l’amour qui me fait pâtir,

    car elle engloutit et damne (12) tout.

    Et en elle personne ne se remet :

    y succomber et être saisi par elle,

    c’est ne pouvoir compter sur aucune pitié.

    Pareille à l’enfer qui dévaste tout,

    elle ne nous accorde rien

    hormis dureté et terribles maux,

    inquiétude permanente,

    assaut permanent et nouvelle persécution,

    dévoré entièrement et englouti entièrement

    [que l’on est] dans sa nature sans fond

    sombrant à toute heure dans le chaud, dans le froid,

    dans la profonde et haute ténèbre de l’amour.

    Cela dépasse la mission de l’enfer.

    Celui qui connaît l’amour, ses allées, ses venues,

    sait et peut comprendre

    que l’enfer est le nom le plus élevé

    qui soit approprié à l’amour.

     

    Remarque à présent combien dans ces noms

    tous les modes de l’amour se trouvent bien.

    Il n’est de cœur si sage qu’il puisse saisir

    le millième du lien d’amour,

    laissât-il de côté les six autres [noms].

    Du lien nous vient la certitude

    que rien ne peut nous séparer de l’amour,

    ni le moindre miracle, ni la moindre force.

    Tel est le don de la puissance de la sagesse.

    Le cœur humain n’est pas à même de l’endurer ;

    il lui faut pourtant supporter d’être lié au lien.

    De la lumière nous apprenons les actions de l’amour,

    nous voulons la connaître sous toutes les manières,

    pourquoi nous devons aimer l’humanité

    pareillement à la divinité et les connaître.

    Par le charbon, elle les enflamme eux deux (13).

    Par le feu, elle les brûle en un seul ;

    pareillement dans le feu de la salamandre,

    le phénix brûle et devient un autre.

    Par la rosée, l’incendie est adouci

    et oint d’un souffle unitif.

    Cette béatitude et cette fureur d’amour

    les jette (14) dans le flot le plus abyssal,

    qui est sans fond et qui vit éternellement,

    et qui avec la vie donne aux trois unité,

    à dieu et à l’homme en une amour :

    c’est la trinité au-dessus de toute pensée.

    En provient le septième nom,

    le plus élevé et le plus approprié.

    C’est l’enfer qui est l’essence de l’amour,

    car il dévaste l’âme et les sens

    au point qu’ils (15) ne se rétablissent plus

    et qu’ils n’endurent plus aucune chose

    si ce n’est se perdre dans la tempête (16) d’amour,

    corps et âme, cœur et sens,

    aimant sans discontinuer, perdus en cet enfer.

    Celui qui aspire à cela est prévenu,

    car devant amour, on ne se relève pas

    si ce n’est en recevant à toute heure consolation et coups.

    Qu’on cherche dans la moelle du cœur,

    qui recèle fidélité, l’offrande de la véritable amour.

    Agir ainsi, c’est gage de victoire,

    même s’il convient de reconnaître qu’on en est encore loin.

     

     

    Couv-Nunc-40.jpg

     

    (1) Traduction de Daniel Cunin (publiée initialement dans Nunc, n° 40, p. 67-73), réalisée à partir de l’édition des Mengeldichten (1952), disponible en ligne, que l’on doit à Jozef van Mierlo. Tout comme ce dernier, nous introduisons des signes de ponctuation. Et comme dans le cas de la traduction des Chants (Albin Michel, 2019), nous adoptons le féminin pour « amour » (minne) et privilégions une transposition assez « brute », qui restitue au plus près ce que « dit » l’original. Les lettres-poèmes du recueil se composent de vers à rimes plates, la simple assonance prenant par endroit le dessus sur la rime ; chaque vers comprend quatre syllabes accentuées, la plupart des vers comptant huit syllabes, mais certains beaucoup plus. Dans ces 16 Lettres rimées, seule la quinzième présente des vers plutôt resserrés. Que Rob Faesen soit remercié pour ses conseils et suggestions.

    (2) Les quatre premiers sont : bant, licht, cole, vier, les autres étant : dau, leuende borne et helle.

    (3) Le verbe gherinen (ici so ongherenen, soit mot à mot : « tellement non touché »), tout comme plus loin dans le texte, renvoie à la touche divine.

    (4) Le lien de la minne.

    (5) Cantique des cantiques, 4,2. Le texte moyen néerlandais : Jc minen lieue ende mijn lief mi, soit mot à mot : « Je mon aimé et mon aimé moi. »

    (6) Le père Van Mierlo renvoie au Chant 28 de Hadewijch en notant que le passage réunit tous les effets contradictoires que produit la fureur, l’ire d’amour (orewoet).

    (7) Dans l’original : hoghen moet.

    (8) Le charbon.

    (9) Sans doute faut-il lire : refusé par Dieu et désiré par toi

    (10) Sans doute le fort désir que manifeste la minne.

    (11) La minne. Dans l’original : si doresughetse ende doresmaket, soit : elle les suce/savoure et les goûte sans trêve, intégralement.

    (12) Le verbe verdoemen apparaît ailleurs dans le texte (vers 84). Il signifie damner, mais aussi saccager, détruire, anéantir.

    (13) La minne enflamme les deux amants.

    (14) Les amants.

    (15) Là aussi, les amants.

    (16) in storme van minnen, ce qui peut également se traduire par « dans les assauts d’amour ».

     

     

    Introduction en français aux textes de Hadewijch, par le père François Marxer



    Frank Willaert lit la « Lettre rimée 15 » centrée sur la fureur d’amour (orewoet)

     

    Mengeldichten1952.jpg

    édition J. Van Mierlo, 1952

     

     

  • Les Chants de Hadewijch d’Anvers

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    Les œuvres et l’univers de la grande mystique brabançonne

     

    A l’occasion de la parution de : Hadewijch d’Anvers, Les Chants, édition de Veerle Fraeters & Frank Willaert avec une reconstitution des mélodies par Louis Peter Grijp, préface de Jacques Darras, traduction du (moyen) néerlandais de Daniel Cunin, Paris, Albin Michel, 2019 (avec 1 CD de poèmes chantés en moyen néerlandais et un livret sur la reconstitution des mélodies).

     

    Hadewijch-LesChants-Couv.jpg

     

    « Ne devrions-nous pas nous étonner d’abord de ce que Dieu créa le ciel et la terre avec des mots : ‘‘Dieu dit : Que la lumière soit, et la lumière fut’’ (Genèse 1.2) ? » (1)

     

    « La fidélité au mystère incline la pensée vers le poème et le poème vers la sagesse. » (2)

     

     

    Jean de la Croix est « la pierre angulaire de toute la littérature espagnole » et il convient « de regarder Mathilde de Magdebourg, Maître Eckhart, Jakob Böhme, Tauler et Angelus Silesius comme les représentants les plus infrangibles de la littérature allemande », affirmait en 1925 le poète expressionniste anversois Paul van Ostaijen. Les littératures trouveraient-elles leur source, leur souche, leur semence dans les écrits mystiques ? Quant aux lettres néerlandaises, la réponse paraît tout aussi incontestable qu’inouïe : les œuvres en langue vernaculaire (3) de Hadewijch en constituent bien le berceau, nées en quelque sorte ex nihilo alors même que leur élégance et leur grande variété formelle pourraient laisser croire qu’elles puisent leurs racines dans une tradition locale ancestrale.

    couv-MA.jpgAu cours des derniers siècles du Moyen Âge, la Brabançonne a traversé les cieux septentrionaux à la manière d’un météore. Tombée dans l’oubli le plus total après avoir tout de même brillé au moins jusqu’au temps de Ruusbroec (1293-1381) et de Jan van Leeuwen († 1378), elle n’a resurgi progressivement qu’environ cinq cents ans plus tard ; il aura ainsi fallu attendre les travaux du jésuite Jozef van Mierlo pour enfin accéder, des années vingt aux années cinquante du siècle passé, aux quatre textes de la béguine (4) dans des éditions critiques de qualité (5) : les Brieven (Lettres), les Visioenen (Visions), les Strophische gedichten ou Liederen (Poèmes strophiques ou Chants) et enfin les Rijmbrieven ou Mengeldichten (Lettres rimées ou Mélanges poétiques).

    Le long oubli en question explique en partie la méconnaissance dont souffre encore cette œuvre. Répandue par quantité de manuscrits et des traductions latines dès le XIIIe siècle, elle aurait, à n’en pas douter, joui d’un prestige comparable à la Divine Comédie qui lui est postérieure d’une bonne cinquantaine d’années. La rapprocher du monument de Dante ne relève pas d’un caprice de laudateur. Dans ses 45 Chants, Hadewijch offre sans doute aucun un sommet de la littérature européenne, parachevant l’art des trouvères et des troubadours. Ces vers s’adressaient probablement à celles et ceux qui, à l’instar de leur auteure, se disposaient à mener une vie entièrement placée sous le signe de la minne. S’appropriant de manière singulière des motifs bibliques et des chansons courtoises françaises, la poète compare le parcours de l’âme du mystique encore novice, qui s’efforce de conquérir l’amour, à un chevalier qui cherche à gagner les faveurs d’une noble dame. Un subtil mélange des registres profanes et religieux de son temps.

    HoofseLiefdeManesseCodexUniversitätsbibliothek-Heidelberg-732x1024.jpgLa découverte assez récente par le regretté musicologue néerlandais Louis Peter Grijp de mélodies et de sources liturgiques qui ont présidé à l’écriture d’une partie de ces poésies n’a fait que confirmer la dextérité de Hadewijch (6). Cette virtuosité constitue l’autre explication majeure du manque de reconnaissance de l’œuvre au-delà de l’aire néerlandophone : s’attaquer à ces strophes place le traducteur devant un défi probablement plus épineux que celui que relève quiconque entreprend de transposer les Psaumes ou tout autre livre de la Bible.

    L’écrivain Claude Louis-Combet a pu lire ces 45 poèmes comme une approche de l’expérience vécue par tout homme et de celle vécue par la béguine : « Notre lecture des chants poétiques rejoint nos lointains intérieurs et nous rappelle que, nous aussi, nous fûmes liés et fondés et que, loin d’être une conquête, telle que l’entendent les Orientaux, le vide est une sanction. »

    Le volume qui a paru ce printemps chez Albin Michel est la version française de l’édition des Liederen parue en 2009 à Groningue (Historische Uitgeverij), que l’on doit à Veerle Fraeters, Louis Peter Grijp et Frank Willaert. Cette transposition cherche à restituer au mieux, non la versification de l’original, mais ce que « dit » le texte de Hadewijch, quitte à sacrifier par endroits la fluidité de la langue. Le poème adopte une ponctuation moderne ; le nombre de strophes et de vers par strophe correspond à celui du texte moyen néerlandais, chaque vers étant en principe placé dans le même ordre que dans l’original. Le mot clé Minne, féminin en moyen néerlandais, nous a conduit à adopter le genre féminin pour le substantif singulier « amour », ce qui n’est après tout qu’un retour au passé. Les limites de la traduction se trouvent en partie compensées par le commentaire.

    Hadewijch-Visions-.jpgLa dimension musicale, mélodique et orale de l’œuvre hadewigienne ne se cantonne pas aux Chants. Ainsi que l’a démontré la Hongroise Anikó Daróczi (7), dans les différents écrits de la Brabançonne, une voix qui chante s’adresse au lecteur/auditeur en cherchant à le toucher dans tout son être de manière à ce qu’il fasse siens les vers, siennes les proses en lectio et meditatio. Cela vaut donc pour certains passages des 31 Brieven ou Lettres, dont on ne saurait trop souligner la dimension mystérieuse. Tout comme les Chants, ces Lettres illustrent le rôle de maîtresse spirituelle qu’a assumé Hadewijch ainsi que la rencontre tout aussi paradoxale que fondamentale entre Dieu et l’homme.

    Quant au livre des Visions, deux traductions de qualité sont déjà disponibles en français (8). Il convient de resituer ce texte au sein du genre visionnaire médiéval en approfondissant quelques aspects majeurs de l’expérience extatique en lien étroit avec la vocation de guide spirituelle : « La petitesse humaine et le péché que le monde proclame disparaissent sous la conscience d’une ressemblance originaire de l’esprit humain à Dieu. Pareille prise de conscience s’accompagne de la capacité à vivre, à l’instar de Jésus au cours de sa vie terrestre, en tendant à la plus haute élévation spirituelle. À la suite de l’appel de Paul dans sa Lettre aux Corinthiens (1 Cor. 14,1-14), cette capacité ne se conçoit pas sans la responsabilité d’accompagner d’autres âmes sur le chemin de la maturité spirituelle, à l’exemple du Christ. » (9)

    Le quatrième volet de l’œuvre de la mystique brabançonne – les Mengeldichten ou Rijmbrieven, autrement dit les Lettres rimées – a été le plus souvent négligé par les commentateurs. On se reportera à l’essai du père Raymond Jahae sur la Lettre rimée 16, la dernière du recueil, celle qui recèle un condensé de la doctrine hadewigienne, essai accompagné d’une nouvelle traduction de ce texte de 212 vers. (10)

    Couv-Nunc-40.jpg

    Dossier « Hadewijch », in Nunc, n° 40, octobre 2016, p. 18-91.

     

    Si Hadewijch inspire certains poètes – Pascal Boulanger dans son cycle « L’Amour là » (11) ou encore Juan Gelman dans L’Opération d’amour (12) – elle n’a pas non plus laissé insensible le cinéaste français Bruno Dumont. Ce dernier met d’ailleurs des bribes des Chants et des Visions dans la bouche de la comédienne principale du film qu’il a réalisé en 2009. Autre artiste profondément marqué par la figure de la mystique : le peintre et poète Marc. Eemans, premier et dernier surréaliste belge qui, dans les années trente du siècle passé, a fait passer quelques-unes de ses pages en langue française dans la revue Hermès. Cet auteur qui, comme on dit à Bruxelles, était bilingue… dans les deux langues, a laissé une œuvre tant en français qu’en néerlandais. Dans Hadewijch, il a vu, aussi surprenant cela puisse-t-il paraître, « une précurseuse du surréalisme ». (13)

    En réalité, Eemans est loin d’être le premier à avoir fait sienne la grande Brabançonne, à avoir inventé une « autre Hadewijch ». L’histoire des études hadewigiennes, depuis la redécouverte des manuscrits au cours de la première moitié du XIXe siècle, révèle que plusieurs savants, hommes de lettres et universitaires ont cherché tour à tour à s’« approprier » cette béguine quand ils n’ont pas tenté de l’identifier à telle ou telle figure plus ou moins hérétique, plus ou moins orthodoxe.

    Jozef van Mierlo

    RRkl - Van Mierlo.JPGRappelons que, pendant des décennies, et ceci jusqu’aux avancées significatives accomplies par Jozef van Mierlo, la recherche s’est focalisée sur la question de l’identité de cette femme dont pratiquement aucune trace ne subsiste dans les manuscrits du Moyen Âge. Récemment encore, cinq auteurs ont tenté d’attribuer un « visage » à l’« inaperçue » : Wybren Scheepsma a cherché à relancer la vielle hypothèse d’une identification avec Bloemardinne (ou de membres de son entourage) ; Rob Faesen a cru voir en Hadewijch Aleydis, une abbesse cistercienne (14) ; Hans Wilbrink la recluse Hadewigis mentionnée dans la vita de Julienne de Cornillon ; Daniel Devreese la recluse Hadewid Greca et, enfin, Rudi Malfliet une domicella Hadewigis née en 1214, influencée par les écrits de Joachim de Flore (15). Autant d’hypothèses réfutées par Frank Willaert :

    […] there is no reason to abandon the traditional view, mainly formulated by Jozef van Mierlo, according to wich Hadewijch must have been a beguine, who lived in the duchy of Brabant in the middle of the thirteenth century. (16) 

    Parallèlement à cette tendance qui perdure se dégage, depuis le XIXe siècle, une volonté de ranger la Brabançonne dans une case idéologique. Si l’on peut certes reprocher à Van Mierlo d’avoir voulu la « canoniser » – après tout, Jan van Leeuwen, disciple de Ruusbroec, ne la qualifiait-il pas lui-même de heylich ende glorieus wijf (femme sainte et glorieuse) ? –, la vision qu’il a élaborée de Hadewijch s’est révélée bien plus perspicace, cohérente et fondée que toutes les tentatives de récupération auxquelles on a pu assister, tant celles des libres penseurs qui, dès avant 1900, ont voulu faire de cette femme hors norme une hérétique que celles, beaucoup plus récentes, de quelques chercheurs qui tiennent à tout prix à la hisser au rang de parangon du féminisme.

    Unknown.jpegHadewijch échappe à toute idéologie, à toute idée préconçue. Plus on se tient loin de sa quête de l’indicible, plus on tend à faire sienne cette insaisissable poète. Aborder son œuvre, s’en pénétrer réclame sans doute de saisir qu’il convient au préalable de s’en dessaisir. Pourquoi l’assertion de Fabrice Hadjajd à propos de la Bible ne vaudrait-elle pas pour les écrits de la béguine : « Les Écritures et la Tradition ne sont pas que des paroles à déchiffrer. Ce sont d’abord des paroles qui nous déchiffrent » (17) ? Ou, en d’autres termes : « Au lieu d’extraire de la Bible une idée de Dieu, à propos de laquelle on pose des questions de philosophie théologique, en déployant un discours qui nous écarte (Pascal le disait déjà) du ‘‘Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob’’, ne devrions-nous pas accepter les façons de parler de Dieu qui nous viennent d’une civilisation très différente de la nôtre ? » (18) Hadewijch vient d’une civilisation différente de la nôtre : l’intensif travail de la mémoire jumelé à la liturgie et à la musique, par exemple, correspondait à une toute autre réalité que celle qu’elle peut revêtir pour nous et la plupart de nos contemporains. Quant à sa façon de nous parler : comment l’adéquation entre ce qu’elle nous dit et la virtuosité avec laquelle elle l’exprime dans ses plus belles pages ne nous rendrait-elle pas sensibles à la nature corporelle des mots, à la poésie, non seulement forme de louange, mais aussi émerveillement, mais aussi mode de transformation intérieure, tant physique que spirituelle ? « La poésie n’est révélation que dans la mesure où le poète révèle par où il est passé, ce qu’il a vu, et l’étrangeté de ce qu’il lui a été donné de découvrir. Si notre corps change pour le mieux dans la respiration et le mouvement parfait du poème, nos émotions, nos perceptions, nos idées, toute notre vie intérieure, indissociable de notre vie extérieure, sont transformées dans l’autre part du poème. » (19)

    Les écrits de Hadewijch, vers comme proses (poétiques), sont une invitation à aller plus avant, plus haut, dans la rencontre paradoxale de ce qui nous dépasse, « à goûter la véritable amour » :

     

    Quand l’aimée sera élevée en l’aimé,

    quel ne sera pas son contentement ! (20)

     

    Daniel Cunin

     

    Le lied 45 chanté en moyen néerlandais


      

    (1) Michael Edwards, Bible et poésie, Paris, Éditions de Fallois, 2016, p. 67.

    (2) Bernard Grasset, « Poésie, philosophie et mystique », Laval théologique et philosophique, vol. 61, n° 3, 2005, p. 553.

    (3) Le moyen néerlandais, et plus précisément le brabançon, langue parlée à l’époque dans le duché de Brabant qui englobait alors la région d’Anvers.

    (4) C’est Jozef van Mierlo qui a émis l’hypothèse d’une Hadewijch évoluant dans le milieu des béguines. Paul Mommaers a approfondi la question, en particulier dans un ouvrage transposé dans un français malheureusement peu convaincant : Paul Mommaers, Hadewijch d’Anvers, adapté du néerlandais par Camille Jordens, Paris, Le Cerf, 1994.

    (5) On peut les consulter en ligne (ainsi que quelques autres plus anciennes).

    (6) Albin Michel met à la disposition du lecteur la version française des travaux de Louis Peter Grijp dans un livret qui vient accompagner le volume des Chants : ici. En néerlandais : Louis Peter Grijp, Het Nederlandse lied in de Gouden Eeuw. Het mechanisme van de contrafactuur, Amsterdam, P.J. Meertens Instituut, 1991 ; ibid., « De zingende Hadewijch. Op zoek naar de melodieën van haar Strofische gedichten », in Frank Willaert (e.a., Een zoet akkoord. Middeleeuwse lyriek in de Lage Landen (Nederlandse literatuur en cultuur in de middeleeuwen 7), Amsterdam, Prometheus, 1992, pp. 72-92 et 340-343 ; Louis Peter Grijp & Frank Willaert (réd.), De fiere nachtegaal. Het Nederlandse lied in de middeleeuwen, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2008.

    (7) Voir en particulier : Anikó Daróczi, Groet gheruchte van dien wondere. Spreken, zwijgen en zingen bij Hadewijch, Louvain, Peeters, 2007.

    (8) Les Visions, traduction, présentation et notes de Georgette Épinay-Burgard, Genève, Ad Solem, 2000. Visions, présentation, traduction du moyen-néerlandais et notes par Fr. J.-B. M.Porion, Paris, O.E.I.L., 1987.

    (9) Veerle Fraeters, « ‘‘Vois qui Je suis !’’ Les Visions de Hadewijch », in Nunc, n° 40, octobre 2016, p. 53.

    (10) Raymond Jahae, « La lettre rimée 16 : une première approche de la mystique de Hadewijch à travers son œuvre la moins connue », in Nunc, n° 40, octobre 2016.

    (11) Pascal Boulanger, in Nunc, n° 40, octobre 2016, p. 43-48. Notons que nombre d’écrivains et d’artistes des plats pays ont pu s’inspirer de l’un des textes de Hadewijch, par exemple le compositeur Louis Andriessen dans la deuxième partie de Materie.

    JuanGelman.jpg(12) Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet, postface de Julio Cortázar, présentation du traducteur, Paris, Gallimard, 2006, « Du monde entier ».

    (13) Veerle Fraeters & David Vermeiren, « ‘‘Une précurseuse du surréalisme.’’ La Hadewijch du peintre et poète Marc. Eemans dans le cadre de la revue Hermès (1933-1939) », in Nunc, n° 40, octobre 2016.

    (14) Hypothèse exposée entre autres en anglais : Rob Faesen, « Was Hadewijch a Beguine or a Cistercian ? An Annotated Hypothesis », Cîtaux. Commentarii Cistercienses, 2004, p. 47-63.

    (15) De fait, le titre retenu par Rudi Malfliet pour son ouvrage revêt pour ainsi dire un aspect caricatural : De andere Hadewijch (L’autre Hadewijch), Anvers, Garant Uitgevers, 2013.

    (16) Frank Willaert, « Dwaalwegen. Recente hypotheses over Hadewijchs biografie », Ons Geestelijk Erf, 2013, p. 194.

    (17) Fabrice Hadjadj, L’Aubaine d’être en ce temps. Pour un apostolat de l’apocalypse, Paris, Éditions de l’Emmanuel, 2015, p. 29.

    (18) Michael Edwards, op. cit., p. 36.

    (19) Michael Edwards, op. cit., p. 72.

    (20) Hadewijch, derniers vers du Chant 4.

     


     le lied 17 chanté en moyen néerlandais

     

     

     

  • Femmes poètes

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    Une « suave magicienne »

    amoureuse

    de la Hollande

     

     

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    Lya Berger, Les Femmes poètes de la Hollande, Perrin, 1922

     

     Lya Berger

    lya berger,hollande,poésie,pays-bas,hadewijch,littérature,gaston rageot,louis payenAvis aux éditeurs frileux, aux Bataves qui tirent trop peu fierté de leur littérature, aux critiques mal informés et peu curieux : « Il est tems d’introduire sur la scène les femmes poètes de la Hollande ; elles y ont d’autant plus de droits qu’aucune nation de l’Europe n’a eu à se glorifier, depuis cent cinquante ans, d’un aussi grand nombre de femmes qui aient immortalisé leurs noms par la poésie, les sciences ou les arts. Il est à regretter que la langue hollandaise soit aussi peu répandue, et que la connaissance en soit restreinte dans un aussi petit espace. Jamais l’Allemagne, et encore moins la France et l’Angleterre, n’ont estimé, comme ils le méritaient, les poètes distingués de la Hollande ; la plupart d’entre eux ne sont pas même connus de nom hors de leur patrie.

     

    Anne-Marie Schurman (documentaire, NL, 2010)

     

    « À la tête des femmes célèbres de la Hollande, nous devons placer l’illustre Anne-Marie Schurman ; et près d’elle, Catherine Lescaille, poète célèbre, qui mérita le nom de dixième muse. On connaît de cette Sapho de la Hollande, sept tragédies, qui jusqu’à présent ont été un des plus beaux ornemens du théâtre ». Avançons d’autres noms : Elisabeth Hoffman, Wilhelmine de Winter, ‘‘femme de génie’’, Pétronille Moens… » (1) Si l’on en juge par les pages Wikipédia consacrées à ces dames, force est de constater qu’elles relèvent en effet de l’élite poétique de leur temps. Au cours du stupide et bourgeois XIXe siècle, les choses devaient changer. La Hollande des pasteurs-poètes n’allait guère favoriser l’éclosion de talents du sexe réputé faible. Une évolution qui ne devait pas décourager, voici une centaine d’années, une Française d’explorer les créations de ses sœurs (de Flandre et) des Pays-Bas. (2)

     

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    Lya Berger (1877-1941) à son bureau

    (© Henri Martinie / Roger-Viollet)

     

    De fait, le 12 novembre 1922, le supplément littéraire du Figaro accueillait quelques pages de Lya (Marie-Thérèse-Léone-Julia) Berger, une prépublication à vrai dire d’extraits de la « Conclusion » aux Femmes poètes de la Hollande (ouvrage récompensé par le Prix Montyon de l’Académie française). Cette demoiselle n’en était pas à son coup d’essai : en 1910, l’anthologie Les Femmes poètes de l’Allemagne avait vu le jour ; en 1925 devait paraître Les Femmes poètes de la Belgique. Le « prix Lya Berger » créé en 1922 par la Société des Gens de Lettres - organisme au sein duquel la native de Châteauroux occupa par la suite des fonctions importantes - témoigne de la reconnaissance dont jouissait alors cette féministe, patriote et chrétienne affirmée qui, vers l’âge de trente ans, semble s’être éprise d’une grande passion pour les Pays-Bas.

    Louis Payen (1913)

    LouisPayen-Lya.pngLouis Payen (1875-1927), aux yeux duquel Lya Berger est « un sensible poète » qui, loin de jalouser les autres femmes qui font des vers, « s’applique au contraire à les faire connaître », présente l’ouvrage Femmes poètes de la Hollande dans La Presse du 14 janvier 1923 : « Rendons grâce à Mme Lya Berger d’avoir écrit ce livre. On connaît fort peu en général chez nous les littératures étrangères et pas du tout, peut-on dire, la hollandaise. Voici que Mme Lya Berger nous éclaire et que nous n’avons plus prétexte à être ignorants. Son volume, établi avec beaucoup de soin, de méthode et d’érudition, commence par un résumé de l’histoire littéraire en Hollande, qui conclut ainsi : ‘‘De tout temps, les écrivains hollandais bien que subissant des influences étrangères qu’ils ne songent ni à nier, ni à regretter, ont toujours tendu vers le but méritoire de se conserver une littérature nationale. Ce peuple ‘d’une lenteur active’, laborieux, curieux d’idées neuves, doué à la fois d’un sens pratique et d’une sensibilité délicate, a partagé surtout ses préoccupations littéraires entre la critique et la poésie. Dans cette dernière expression de leur art, de leur âme, les écrivains hollandais ont vu longtemps un moyen de propagande religieuse, morale, sociale. Puis, ils furent enclins davantage à suivre la devise de ‘l’art pour l’art’ ; aujourd’hui, ils abandonnent pour une conception plus large de la vie considérée dans ses rapports généraux avec les besoins de l’esprit humain.’’

    Lya5.png« Mme Lya Berger nous présente ensuite toute l’harmonieuse théorie des femmes-poètes de la Hollande. Elle est fort nombreuse. Elle commence par les nonnes qui, au Moyen Âge, célébraient l'amour mystique. Ce sont Hadewyck (sic), au mysticisme ardent, Gertruide van Oosten, Zuster Bertken, toute de chrétienne humilité. Voici Anna Bijns, qui fut une violente adversaire de Luther et se servit de sa lyre comme d’une arme, puis les sœurs Visscher, qui vécurent au XVIIe siècle, érudites et bien chantantes, et toutes celles qui passèrent dans les siècles suivants et laissèrent comme Lucretia van Merken ou Wilhelmina Bilderdijk, des œuvres dignes d’attention. Mais les temps modernes sont les plus riches avec Hélène Swarth la première des poétesses de notre époque : ‘‘Rien n’est indifférent dans ses écrits, dit Mme Lya Berger, car une personnalité intéressante s’y manifeste. Toujours sincère, toujours vibrante, sachant rester très femme par un heureux mélange d’ardeur et de délicatesse, elle charme, elle émeut, elle convainc. Son talent a su, depuis vingt-cinq ans, évoluer instinctivement jusqu’aux tendances modernes, sans perdre de son originalité.’’ Autour d’elle évolue un nombreux bataillon de poétesses que Mme Lya Berger passe aimablement en revue. De nombreux extraits de leurs œuvres nous permettent de les approcher de tout près et ajoutent à l’intérêt de cet ouvrage. »

    J. Patin, © Henri Martinie / Roger-Viollet

    lya berger,hollande,poésie,pays-bas,hadewijch,littérature,gaston rageot,louis payenJacques Patin (1883-1948) – l’une des chevilles ouvrières du Figaro littéraire, journal auquel Lya Berger a elle aussi collaboré à une époque – ne tarit pas lui non plus de compliments, même si l’on perçoit sans doute, sous sa plume, une certaine bienveillance : « Il est difficile de témoigner d’une plus discrète et courageuse érudition. Car il faut du courage pour s’évader des sentiers battus, et il y a un rare mérite, lorsque des succès faciles sont à votre portée, à s’absorber dans le labeur ingrat de défricher l’illimité domaine de toute une littérature étrangère. Mais Mlle Lya Berger n’a pas mis seulement dans ce livre toute sa compétence, elle y a mis tout son cœur. Elle semble avoir voulu réparer une injustice et, en même temps, créer un lien spirituel entre deux races. À tous ces points de vue, la réussite de son œuvre n’est pas moins belle que l’intention qui présida à son élaboration. C’est là une tentative neuve, du plus haut intérêt technique et littéraire, et qui nous ouvre des sources d’inspiration inexplorées.

    « Mlle Lya Berger a défriché, avec une tenace volonté, le domaine poétique néerlandais, et elle a ajouté, à la précision documentaire d’un manuel, cette vie intense dans le récit et dans l’étude qui est l’apanage des écrivains fervents et désintéressés. On ne sait ce qu’il faut le plus admirer dans cette belle étude : du labeur patient qu’elle représente, ou de la sûreté de jugement et de composition qui l’impose comme une œuvre très rare d’histoire littéraire. » (3)

    G. Cohen (1879-1958)

    lya berger,hollande,poésie,pays-bas,hadewijch,littérature,gaston rageot,louis payenUn peu plus tard, dans Le Monde Nouveau (15 juillet 1925), c’est l’historien Gustave Cohen, grand connaisseur des Pays-Bas – on se souvient de ses Écrivains français en Hollande dans la première moitié du XVIIe siècle – qui porte son attention sur l’ouvrage de Lya Berger (en même temps que sur la thèse Conrad Busken Huet et la littérature française de son ancien étudiant J. Tielrooy).

    Dans les contrées septentrionales, Les Femmes poètes de la Hollande ont donné lieu à des avis contrastés. Le critique de l’Algemeen Handelsblad (23/07/1925 – article repris dans Het Bataviaasch nieuwsblad du 29/08/1925 et dans le Sumatra Post de la veille) regrette le peu de discernement de la Française dans certains de ses choix ; J.F.M. Sterck (Boekenschouw, n° 11, 1924) n’est guère enthousiaste lui non plus, alors que le collaborateur de l’Indische courant (02/09/1925) se montre un peu plus clément. L’éminent francophile Martin J. Premsela (« Kroniek der Fransche Litteratuur. XIV. Nieuw critiekwerk », Vragen van den dag, 1er janvier 1924) félicite pour sa part Lya Berger. Fille du célèbre écrivain Albert Verwey et future grande éditrice, Mea Mees-Verwey, à laquelle la Française a consacré quatre pages dans son volume, ne manque pas de remercier sa consœur (« Een Franse dichteres over haar Nederlandse zusters », Groot-Nederland, août 1923). Dans De Beiaard, revue catholique centrée sur les arts, le dominicain B.H. Molkenboer salue à son tour le travail de cette pionnière (« Les Femmes-Poètes de la Hollande », sept. 1923). Toute entreprise de cette nature, à la fois survol historique et amorce d’anthologie, est certes à la fois louable et critiquable. Il est aisé, une fois le livre publié, d’en relever les lacunes (le fait, par exemple, que la poète française n’ait pas consulté l’étude d’Albertingk Thijm De la littérature néerlandaise à ses différentes époques parue en 1854), d’en dénoncer certains partis pris, d’avancer que plusieurs dames des époques les plus reculées (Hadewijch, Anna Bijns…) relèvent de la Flandre ou de la Belgique et non des Pays-Bas… Et que dire des susceptibilités qu’un tel travail ne manque pas de froisser…

    B.H. Molkenboer, par J. Toorop, 1914

    lya berger,hollande,poésie,pays-bas,hadewijch,littérature,gaston rageot,louis payenÀ Paris, où elle évolue au sein de la coterie littéraire et du petit monde néerlandophile - qui se retrouve par exemple au cabaret artistique Le Caméléon le 29 janvier 1924 autour de Paul Eyquem -, mais aussi en province, voire à l’étranger, Lya Berger saisira chaque occasion de parler de sa passion. L’Indépendant du Berry (10 février 1923) rapporte par exemple qu’elle a pu transmettre un peu de son savoir dans sa région natale. À l’initiative de l’Alliance Française, elle a, le dimanche 4 février 1923, tenu une conférence dans l’Indre, à Le Blanc (le 23 novembre 1922, elle en avait donné une à Paris devant un parterre de dames). Le journaliste présent, qui signe de ses initiales J. B., raconte : « Tant pis pour ceux qui, le pouvant, ne sont point venus entendre notre chère compatriote ; ils se sont privés d’une joie vraiment exquise, car l’on peut dire que la vice présidente de l’Académie du Centre a, pendant une heure, tenu sous le charme de sa voix musicale et de son érudition toute simple le nombreux auditoire que son nom seul avait groupé, au Théâtre, autour du Comité de l’Alliance Française, et au milieu duquel s’était glissé notre sympathique sénateur, Antony Ratier.

    « Lya Berger exprime, tout d’abord, le regret de voir si peu connue en France la littérature hollandaise, car ‘‘si la renommée des peintres des Pays-Bas a souvent éclipsé celle des écrivains, leurs compatriotes, ceux-ci n’en ont pas moins une réelle valeur’’.

    « Elle ne peut songer à nous résumer leur histoire ; mais, s’étant spécialisée dans l’étude de leurs Femmes poètes, elle décroche, pour nous, de la galerie, qu’elle a formée avec amour, et expose à nos yeux une grande demi-douzaine de portraits si vivants, si bien troussés, qu’on ne sait ce que l’on doit le plus admirer, de celles qui ont servi de modèles ou du talent avec lequel Lya Berger a su les présenter.

    H. Pleij, Anna Bijns van Antwerpen, 2011

    lya berger,hollande,poésie,pays-bas,hadewijch,littérature,gaston rageot,louis payen« Elle nous met d’abord en relations avec une nonne ardente et mystique du Moyen Âge, Hadewych, qui parle si familièrement et si aimablement au bon Dieu ; puis avec Anna Bijns, institutrice d’Anvers, qui ne se lasse pas d’assaillir de ses strophes fougueuses l’envahissant Luther. Elle nous présente alors deux sœurs délicieuses, Anna et Marie Tessehchade Visscher, les Muses du Siècle d’or hollandais, dont les rimes enchantèrent le règne des Nassau, la mignonne et pétulante Elisabeth Wolff, l’une des meilleures poétesses du XVIIIe siècle, l’ardente patriote Katharina Bilderdijk, qui chercha à déchaîner la furie de son peuple contre notre grand Empereur, et elle termine enfin par deux modernes Mme Hélène Swarth, dont les strophes écrites dans le français le plus pur, et si bien dites par la conférencière, subjuguent véritablement la salle, et Mme Henriette Roland-Holst van der Schalk, l’amie, quoique châtelaine opulente, de Lénine, dont le riche mais parfois nébuleux génie consacre ses élans au service de la cause… humanitaire.

    lya berger,hollande,poésie,pays-bas,hadewijch,littérature,gaston rageot,louis payen« Mais combien froide et pâle est mon énumération ; qu’est cette pauvre page, qu’on dirait arrachée à un catalogue, auprès de l’évocation puissante de ces charmantes hollandaises, qu’a si bien su faire revivre Lya Berger, en les plaçant, dans leur milieu, si différent du nôtre, se détachant sur le ciel souvent gris de la Néerlande, qu’elles éclairent d’une étincelle de leurs yeux, couleur de Zuyderzée.

    « J’espère en avoir dit assez pourtant pour vous forcer à venir entendre toujours plus nombreux, notre aimable et gracieuse compatriote, quand elle nous fait le plaisir de revenir, et, pour vous donner l’envie de lire son dernier ouvrage, dont sa conférence fut tirée : Les Femmes poètes de la Hollande, édité chez Perrin, mais que vous trouverez chez les libraires d’ici.

    « En attendant au nom de tous ceux qu’elle a charmés une fois de plus, que cette suave magicienne soit remerciée, et qu'elle daigne souvent reprendre le chemin de notre Berry. »

    Les amitiés hollandaises de la demoiselle de lettres n’empêcheront pas certains journalistes de déplorer son manque d’inspiration ; ainsi, le 3 juillet 1928, U. Huber Noodt - traducteur, ancien élève du slaviste André Mazon -, consacre, dans le NRC, une recension sans pitié à un roman qu’il juge dégoulinant de mièvrerie : Les Sources ardentes. Moins d’un an plus tard, le même quotidien prend le contre-pied de ce point de vue et se réjouit de voir l’œuvre en question récompensée par le Prix Claire Virenque (« Lya Berger », NRC, 22 mai 1929, ci-dessous).

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    L’attachement que Lya Berger éprouvait pour les Pays-Bas s’était traduit dès 1909 à travers le roman Sur l’aile des moulins – « sage et décent, selon un critique, tout juste assez romanesque pour piquer l’imagination des jeunes cervelles féminines » – qui a pour cadre la Hollande. Dans l’introduction à ses Femmes poètes de la Hollande, elle précise d’ailleurs : « C’est en 1909, à la suite d’un séjour en Hollande, qu’après avoir pris contact avec l’âme et la littérature néerlandaises, je conçus le projet de les étudier et d’essayer de les faire connaître à mes compatriotes ». » (p. VII) On sait qu’elle a pu séjourner assez longuement à La Haye. Plus d’une dizaine d’années avant la parution du volume Les femmes poètes de la Hollande, elle avait déjà exposé sa perception de la femme hollandaise dans un périodique français (sans doute un magazine féminin ou Le Monde Nouveau auquel elle a souvent collaboré), non sans faire une incursion dans les belles lettres bataves, une contribution saluée, le 8 juillet 1912, par le quotidien frison Leeuwarder courant.

    lya berger,hollande,poésie,pays-bas,hadewijch,littérature,gaston rageot,louis payenLes liens privilégiés qu’elle a entretenus avec plusieurs intellectuels et artistes néerlandais l’ont conduite à rendre hommage à certains, par exemple à Gerard Walch qui venait de disparaître (« Médaillons néerlandais. Gerard Walch », Le Figaro, 6 mai 1931), ou encore à Philip Zilcken. Sa dernière publication d’importance semble toutefois avoir été, à la veille de sa soixantième année, une étude ayant trait à un tout autre domaine : Le vaste champ du Célibat Féminin (Avignon, Aubanel, 1936) ; elle s’attarde au passage sur le thème des « vieilles filles » dans la littérature, en particulier celle du XVIIe siècle, et dans l’œuvre de Balzac ; comme un assez grand nombre de femmes de sa génération et de la génération suivante, la romancière ne s’est pas mariée, partageant le plus souvent sans doute le quotidien de ses parents (son père Jules-Henri Berger, militaire, décédé en novembre 1931 dans sa quatre-vingt-douzième année ; sa mère en octobre 1925).

    D. Cunin

     

     

    A. Séché, Les Muses françaises. Anthologie des femmes-poètes, 1908

    Lya6.png

    (1) M. de Haug, « Histoire abrégée du théâtre hollandais », Archives Littéraires de l’Europe ou Mélanges de littérature, d’histoire et de philosophie. Par une Société de Gens de Lettres. Suivis d’une gazette littéraire universelle, T. 6, Paris / Tubingue, Henrichs / Cotta, 1805, p. 213-216.

    (2) Quelques autres publications de Lya Berger ayant trait aux lettres néerlandaises ou aux Pays-Bas : (avec H. van Loon) « La littérature hollandaise depuis 1830 », Le Monde Nouveau, 1920, p, 2544-2553 ; dans le même périodique, en août-sept. et en oct. 1928 : « Les Œuvres hollandaises d’expression française ».

    (3) Jacques Patin, « Chez le libraire. Les Femmes poètes de la Hollande, par Lya Berger », Le Figaro. Supplément littéraire, 17 mars 1923.

     

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    Sur l'aile des Moulins, roman hollandais de L. Berger

    Le Radical, 2 janvier 1910

     

     

    Les femmes poètes de la Hollande

    précédé d’un précis de l’histoire

    de la littérature hollandaise

    ouvrage orné de quatre portraits

    Table des matière

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    EXTRAIT

    Le Figaro

    supplément littéraire

    12 novembre 1922

     

    Nous avons déjà annoncé la très prochaine publication, à la librairie académique Perrin, d’un ouvrage de critique littéraire sur un sujet très neuf, les Femmes poètes de la Hollande, par Mlle Lya Berger, qui a déjà écrit diverses études sur la littérature féminine étrangère. De son nouveau livre, nous extrayons le passage suivant :

     

    Lorsqu’on voyage en Hollande et qu’on y visite tour à tour les villes mortes aux noms historiques dont les murailles noircies bordent le verdâtre lacis des grachten (1), les cités prospères pleines d’une agitation ordonnée et jamais vaine, les ports encombrés de bateaux recéleurs de tant de richesses, les prairies verdoyantes sur lesquelles les grands moulins tendent leurs bras laborieux dans un geste de bénédiction, on éprouve partout la même impression d’une vie tout ensemble digne et cordiale, discrète et active, qui correspond à l’expression à la fois intelligente et placide, à l’attitude réservée et bienveillante des habitants du pays.

    La littérature hollandaise rappelle, par certains côtés, cet aspect physique des êtres et des sites.

    Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 28/04/1923

    lya berger,hollande,poésie,pays-bas,hadewijch,littérature,gaston rageot,louis payenElle n’a jamais fait grand bruit dans le monde ; pourtant, elle a une histoire. Sous une apparence paisible, son existence, participant étroitement aux destinées de l’État, fut, par instants, fiévreuse et dramatique, en d’autres temps souriante et féconde comme les plaines fleuries des polders, parfois encore plongée dans la torpeur qui pèse sur les dunes grises, hérissées d’oyats (2) et de chardons bleuâtres.

    *

    **

    Je me souviens du long moment qu’un jour je passai, songeuse, à Amsterdam, devant un chantier où une équipe d’ouvriers travaillait aux fondations d’une maison bâtie sur pilotis, enfonçant, côte à côte, dans le sol vaseux, sous les coups réguliers d’une massue spéciale, actionnée mécaniquement, les longs sapins qui composaient une base artificielle sur laquelle, ensuite, reposerait l’édifice projeté.

    Le labeur, nouveau pour moi, qu’accomplissaient ces hommes, m’apparut empreint d'une beauté symbolique et représentait à mes yeux l’œuvre ingénieuse, patiente et sûre d’un peuple qui sait ce qu’il veut et ne recule point devant la peine pour atteindre son but.

    lya berger,hollande,poésie,pays-bas,hadewijch,littérature,gaston rageot,louis payenLa littérature hollandaise, éclose sur le terrain mouvant d’un pays si longtemps troublé, opprimé, et dans une atmosphère traversée par des courants si divers, est parvenue, grâce à la ténacité de ses écrivains, à composer un monument assez inégal dans ses détails, c’est possible, mais néanmoins solide et d’un ensemble harmonieux.

    Bien que, comme on l’a écrit très justement, les Hollandais n’aient point fait de littérature dans leurs tableaux (3), et sans vouloir établir une comparaison suivie entre la littérature et la peinture, on peut dire qu’une parenté se découvre entre ces deux arts lorsqu'on s’occupe de rechercher en eux les principales manifestations de la mentalité d’un peuple.

    Les consciencieux et dévotieux artistes de la Renaissance flamande, les Van Eyck, les Memling, les Quentin Metsys traduisent bien le mysticisme des Chants spirituels de leur époque.

    Certaines œuvres de Joost van den Vondel, notamment Palamède, Lucifer, Gysbrecht van Amstel, qui, au milieu de quelques obscurités, laissent jaillir des gerbes de lumière, des rayonnements de sublime beauté, font songer à l’amour de Rembrandt pour les oppositions de nuit et de clarté, pour les effets d’ombre qui prêtent à La Ronde de Nuit son caractère presque unique d’impressionnante grandeur et d’attirant mystère.

    N. Beets, La Chambre obscure, 1860

    lya berger,hollande,poésie,pays-bas,hadewijch,littérature,gaston rageot,louis payenLes fines études de Nicolas Beets se reflètent dans les scènes d’intérieur d’un Pieter de Hooch ou d'un Metsu ; les « farces » de Bredero se retrouvent dans Les Kermesses de Jan Steen et les scènes rustiques de Van Ostade.

    Et tout cela nous plaît parce que c'est plein de vérité hollandaise.

    À ce titre, les paysages de Ruysdaël, qui représentent de noires forêts courbées sous l’orage, évocatrices du Tyrol plutôt que des Pays-Bas, ont moins de couleur locale que ceux de Cuyp ou de Hobbema.

    De même, nous trouvons un grand charme dans les toiles pleines de finesse et de sentiment d’un Mesdag, d’un Maris ou d’un Mauve, parce qu’elles reproduisent toute la poésie mélancolique des mers grises, des dunes infinies et des vieux moulins.

    page de titre

    lya berger,hollande,poésie,pays-bas,hadewijch,littérature,gaston rageot,louis payenCes œuvres-là sont bien les sœurs de celles des descriptifs contemporains qui, dans leurs vers, ont chanté l’âme même de leur race.

    Puisse la futurisme aux fantaisies abracadabrantes ne pas profaner, ainsi que le pourraient faire craindre certains tableaux exhibés dans la dernière exposition artistique du Jeu de Paume, le noble et sensé génie hollandais.

    La littérature, la poésie ont paru jusqu’ici échapper à ce danger. Souhaitons, pour employer un mot très hollandais, que la belletrie néerlandaise garde toujours son goût de la simplicité et de la vérité.

    Les œuvres féminines, le plus souvent influencées par celles des hommes – ce qui ne les empêche pas de conserver leur originalité d’interprétation et d’expression – ont nettement traduit, de leur côté, les évolutions psychologiques, sociales, voire politiques des pays d’Orange.

    Considérées de ce point de vue, Hadewyck (sic), Anna Bijns, Elisabeth Wolff, Mme Bilderdijk, Mme Hélène Swarth, Mme Roland-Holst ne sont pas seulement des individualités intéressantes : elles sont un miroir de leur temps.

    biographie de H. Roland-Holst

    lya berger,hollande,poésie,pays-bas,hadewijch,littérature,gaston rageot,louis payenDe plus, en général inspirées par la passion, les poétesses néerlandaises nous prouvent que les ciels brumeux du Nord ne glacent point les cœurs comme d’aucuns seraient tentés de le croire.

    Enfin, à travers ses œuvres, la femme hollandaise nous apparaît très digne d’estime et de sympathie.

    La poésie, d’ailleurs, ne réside pas seulement dans la couleur d’un ciel ou l’harmonie d'un horizon. Elle plane aussi sur les vieux édifices qu’a consacrés l’Histoire, dans les musées où sommeille le génie, dans les chantiers qu’emplit le bourdonnement du labeur humain, au sein du foyer familial qu’égaient des chants enfantins. Elle est tour à tour le récitatif du souvenir, le chœur des rêves, l’hymne du travail, la romance de l’amour et la berceuse de l’espoir.

    En Hollande, la poésie revêt toutes ces formes, emprunte toutes ces voix.

    Au fond de son cœur, la femme hollandaise sait l’écouter chanter ; souvent elle a su, dans ses vers, traduire ce chant innombrable. C’est pourquoi il est juste et agréable de l’écouter, parfois, à son tour.

     

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    Lya Berger

     

    (1) Canaux.

    (2) Herbe des dunes.

    (3) Salomon ReinachApollo, Hachette.

     

    Lya4-LeGaulois.png

    Gaston Rageot, « Les femmes poètes de la Hollande »,

    Le Gaulois, 23/12 /1922