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Histoire Hollande - Page 5

  • Ex-libris hollandais pour Président français

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    OTTO VERHAGEN (1885-1951)

     

     


    Poincaré1.pngNé en 1885 à Drumpt, province de Gueldre (Hol- lande), Otto Verhagen est dans la vie un excellent fonctionnaire de l’Enregistrement ; sa valeur professionnelle a été officiellement recon- nue : il est, en effet, chevalier de l’ordre d’Orange-Nassau pour services rendus à l’État. Mais ses fonctions ne l’ont pas empêché de suivre l’inspiration naturelle qui l’entraînait vers le dessin. Sans maîtres, après quelques leçons à l’école secondaire, il n’en est pas moins devenu un maître réputé dans le dessin décoratif et l’illustration. Ses œuvres, en ce genre, sont nombreuses : affiches, une quarantaine de livres illustrés, et, en particulier, des dessins d’interprétation sur Baudelaire, Verlaine, Oscar Wilde (Le Portrait de Dorian Gray), et Psyché du fameux écrivain hollandais Louis Couperus. M. Verhagen avoue lui-même l’influence d’Aubrey Beardsley, et d’un artiste hollandais Nerée tot Babberich (1880-1909), moins universellement connu mais d’un talent tout aussi Poincaré2.pngoriginal. M. Verhagen a fait plus de cent Ex-libris : c’est un spécialiste du genre ; on en jugera par ceux consacrés au Président Poincaré très décoratifs et très évocateurs : le premier où l’on voit symbolisés l’Histoire et le Droit, et le second qui fixe, comme dans un menu vitrail, une interprétation moderne du preux chevalier d’autrefois tout dévoué à sa Patrie.

     

    Henri Daragon, « Ex=Libris en hommage au Président Poincaré »,

    L’Ex-Libris, 1931, 2ème trimestre, p. 51-52

     

     

  • Sadi de Gorter en images

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     « La vie en hollande au XVIIe siècle »

     

    Sadi de Gorter, exposition, Hollande, Pays-Bas, Institut néerlandais, Septentrion

    Roger Stéphane préside à Amsterdam

    une table ronde sur André Gide

    à la Maison Descartes en 1969.

    À sa gauche, Victor E. van Vriesland,

    Sadi de Gorter, Jef Last*

     

     

    Poète d’expression française, traducteur, rebelle puis diplomate, directeur de l’Institut néerlandais, Sadi de Gorter (Amsterdam, 1912 - Paris, 1994) a joué un rôle majeur dans les relations culturelles franco-néerlandaises, laissant des milliers de chroniques sur « ses » deux pays. L’historien Yves Cazaux lui a consacré un livre et quelques articles, le professeur André Seggelen un hommage posthume (« Sadi de Gorter ou la passion des cultures », Septentrion, n° 4, 1995).

     

    catalogue, introduction Paul Zumthor

    Sadi de Gorter, exposition, Hollande, Pays-Bas, Institut néerlandais, SeptentrionLa vidéo ci-dessous montre d’abord un Kees van Dongen âgé de 90 ans, bien plus sombre et amer que quelques années plus tôt. À partir de la quatrième minute, il est question de l’exposition « La vie en hollande au XVIIe siècle » organisée par l’Institut néerlandais du 11 janvier au 20 mars 1967 au Musée des Arts Décoratifs de Paris. Le micro et la caméra se tournent alors vers Sadi de Gorter (jusqu’à 8’39).

     

     

     

     

    Quelques textes de Sadi de Gorter

     

    « Au fil des canaux, sur les pas de Camus, flâneur professionnel », Les Nouvelles Littéraires, n° 1, décembre 1985.

    « Vincent van Gogh ou le devoir d’espérance », Septentrion, n° 1, 1972.

    « Le monde insolite et fascinant de Maurits Cornelis Escher », Septentrion, n° 2, 1973.

    « Les Van Velde ou l’itinéraire des pourquoi », Septentrion, n° 1, 1982.

    « Marsman à la recherche de la France », Septentrion, n° 1, 1979.

     

    Dans l’ouvrage qu’il a consacré à l’histoire de l’Institut néerlandais, Pieter van den Blink revient à de nombreuses reprises sur le rôle joué par Sadi de Gorter au sein de cette institution : 121 rue de Lille – Nederland aan de Seine, Balans, 2007.

     

    Sadi de Gorter, exposition, Hollande, Pays-Bas, Institut néerlandais, Septentrion

     

     * la photo figure dans la chronique de Sadi de Gorter

    publiée  dans Septentrion, n° 4, 1990

     

  • La grande inondation de février 1953

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    Un témoignage français*

     

     

    Retour sur la catastrophe qui a frappé les Pays-Bas

    voici plus de soixante ans

     

     

    Tempête et inondations en Angleterre, en Belgique et en Hollande

      

    Dans la nuit du samedi 31 janvier au dimanche 1er février 1953, 175 000 à 200 000 hectares de terres hollandaises disparaissent sous les eaux. La catastrophe qui coûta la vie à 1836 personnes dans le sud-ouest du pays (on dénombra aussi des victimes en mer, en Belgique et en Angleterre), est gravée dans la mémoire collective batave. Cet évènement a donné lieu a une abondante littérature de la part des météorologues, des spécialistes des digues, des historiens ainsi que des hommes et femmes de lettres, dont un des sommets est sans doute le récent roman de Margriet de Moor, De verdronkene (La Noyée, 2005).

    CouvMoorCatastrophe.pngTraduite en plusieurs langues, mais malheureusement pas encore en français, cette œuvre nous plonge de façon saisissante en plein drame**. Nous avons retrouvé de nombreuses images, ainsi que le climat dans lequel évolue l’héroïne Lidy, dans la bouche de Claude Hoffert qui nous a rapporté, de façon tout à fait incidente, ce qu’il a vécu les 2 et 3 février 1953. Âgé de 22 ans à l’époque, ce natif de Strasbourg effectue son service militaire comme aspirant au sein d’une unité d’élite de Romainville (région parisienne) dépendant du 401ème Régiment d’Artillerie Antiaérienne. Prévenues semble-t-il dès le 1er février, en fin de journée, les autorités françaises décident d’envoyer des militaires, en particulier des soldats du service du génie. Mais quelqu’un pense aussi aux artilleurs sol-air du 401° RAA, surnommés les « pisse en l’air », qui n’ont rien à voir avec les sapeurs. Au 401°, on confie à un appelé, l’aspirant Hoffert, la tâche de former un convoi. Pourquoi ? Parce qu’un dimanche, ce sont essentiellement des appelés qui sont sur place ; d’autre part, ce dernier est sans doute l’un des rares à parler plusieurs langues : en plus d’être bilingue français-allemand, il s’exprime aussi en anglais. En très peu de temps, l’Alsacien doit former un groupe composé essentiellement de chauffeurs ; même s’il ne peut se faire la moindre idée de la situation dans laquelle il va se retrouver le lendemain, il comprend qu’il aura besoin d’hommes ayant l’esprit pratique. Aussi se rabat-il sur les jeunes chauffeurs de bus parisiens qui remplissent eux aussi leurs obligations militaires. N’ayant reçu que des instructions sommaires, il prépare un convoi comprenant 15 chauffeurs de bus pour conduire des GMC (plus 3 chauffeurs suppléants), 1 chauffeur de camion-citerne et 1 chauffeur de Dodge avec un radio à son bord, qui sont tous des appelés plus jeunes que lui. Le convoi dont il prend la tête se met en route le lundi 2 février et roule une bonne partie de la journée, « les camions chauffaient ». Claude Hoffert ne se souvient pas de la commune où le groupe dont il a la responsabilité arrive en fin de journée en Hollande. Les noms des localités hollandaises ne sont guère faciles à retenir ; qui plus est, plus d’un demi-siècle s’est écoulé. Étant en contact radio avec le P.C. hollandais, le détachement est dirigé par deux motards de la police jusqu’à un lieu, au milieu des eaux, aussi près que possible des digues. En ce lundi soir, cette vingtaine de jeunes français se retrouve brusquement au milieu de l’enfer.

    CouvMoorCatastrophePoche.pngLes images que nous montrent les actualités de l’époque ont été filmées pour la plupart un ou deux jours plus tard, une fois la tempête et le raz-de-marée calmés. Elles restituent la dévastation, le travail des sauveteurs, la détresse des survivants, mais pas la nuit, ni la pluie, ni la neige, ni le déchaînement des éléments. Elles ne nous font entendre ni le grondement de la mer, ni le vent, et ne nous font pas sentir non plus le froid. Tout ce que recrée précisément de façon magistrale le roman Une catastrophe naturelle en plus de l’angoisse terrible éprouvée par les gens qui ont été pris dans l’ouragan et emportés par les eaux, par ceux qui se sont réfugiés sur un toit. La peur, Claude Hoffert et ses hommes vont la ressentir toute la nuit : « La gouaille parisienne avait disparu », dit-il à propos de ses première et deuxième classes. Mais que fait au juste son unité en Hollande, seule, avant que d’autres troupes françaises – les soldats du génie – n’arrivent le mardi matin à Roosendaal ? Quelle peut être la mission d’un détachement d’un régiment d’artillerie antiaérienne au milieu de ce cataclysme naturel qui tourne au scénario catastrophe à cause de la rupture des digues ?

    Douze des quinze GMC convoient sur une remorque un projecteur antiaérien ainsi qu’une génératrice (les 3 autres transportent des pièces de rechange). Bien entendu, il ne s’agit pas cette fois pour les militaires de diriger le faisceau lumineux de leurs projecteurs vers le ciel pour repérer des avions. On leur demande d’éclairer au ras du sol, sur dix à quinze kilomètres, le paysage dévasté, noyé, en direction de la mer, afin que les secours puissent travailler de nuit, que militaires et volontaires hollandais puissent consolider tant bien que mal les digues. Car il semble bien qu’avec l’obscurité, plus rien n’ait été possible dans la quasi-totalité des endroits sans un tel type d’éclairage. Or, ce genre de projecteurs était apparemment très peu répandu dans les armées qui sont intervenues. Si le génie était doté de moyens d’éclairages conséquents, ils étaient sans commune mesure pour ce qui est de la puissance et de la portée à ceux du 401° RA. Ces projecteurs moins puissants, les militaires néerlandais paraissent les avoir utilisés pour orienter les hélicoptères qui voulaient se poser ou CouvParisMatch1953.pngencore pour éclairer les digues, mais sans doute après-coup, ainsi que semble le montrer la photo pleine page publiée dans le n° 205 de Paris Match : « Du village d’Halsteren (province du nord Brabant), un projecteur surveille de sa lumière bleutée des kilomètres de digues » (p. 23).

    Claude Hoffert commence par installer 4 projecteurs sur la digue d’acheminement sur laquelle son convoi s’est engagé de manière à permettre aux pompiers de colmater au loin une digue avec des sacs blancs. En retrait, il place ses deux autres batteries de 4 projecteurs de manière à éclairer le rayon le plus large possible sur une distance de 15 km, autrement dit il les place en position « divergente » pour qu’ils éclairent à gauche et à droite, la troisième batterie élargissant l’étendue éclairée par la deuxième. Chaque projecteur est placé devant le GMC. La pluie est incessante, des vagues viennent lécher la chaussée surélevée, des bourrasques secouent hommes et matériel. L’aspirant décide alors de relier chaque remorque à son camion avec un treuil. Si le détachement dispose d’un camion-citerne pour assurer son autonomie et de pièces de rechange pour faire fonctionner projecteurs et génératrices, les hommes sont pour leur part mal équipés : ils n’ont pas de vêtements de pluie, ils n’ont rien à manger ni à boire. La logistique française sur laquelle ils comptaient n’a pas suivi. De nombreux témoignages prouvent d’ailleurs que les opérations de secours se sont déroulées dans la pagaille, tant l’ampleur de la catastrophe a surpris.

    Digue rompue © Beeldbank V en W

    Watersnoodramp_1953_dijkdoorbraak_Den_Bommel.jpgL’aspirant fait marcher les batteries en utilisant 60% de l’essence dont il dispose. Toutes les 40 minutes, il faut changer le charbon + de chaque projecteur, ce charbon qui génère la flamme sur le miroir d’acier. Pour cette opération délicate, les soldats disposent d’un équipement particulier et de lunettes spéciales. La tâche est bien entendu compliquée par les conditions météorologiques. Entre minuit et une heure du matin, celles-ci empirent. Sur leur langue de terre, les militaires risquent leur vie. Ils souffrent du froid, sont trempés jusqu’aux os. Sur sa droite, Claude Hoffert voit des digues s’écrouler. Les autorités civiles et militaires hollandaises lui donnent l’ordre de tenir, mais devant le danger qui se précise, il prend la décision de faire marche arrière : « Nein, ich gehe zurück. » Il n’a pas alors la possibilité d’établir le moindre contact radio avec Paris. Grâce au radar qui permet de repérer en principe les avions, il sait avant tout le monde à quelle distance se trouve la mer : il sait qu’elle ne cesse de se rapprocher, qu’elle n’est plus qu’à 10 km. Les soldats français voient au loin des bateaux pneumatiques projetés en l’air ainsi que les sauveteurs qui sont à leur bord ; dans ces sortes de Zodiacs, ces hommes transportent des sacs de sable. Ils voient aussi les fermes disparaître en totalité ou en partie sous les eaux, flotter des cadavres de vaches et de chevaux, ils entendent les cris de détresse. Au milieu des eaux, sur la digue d’acheminement perpendiculaire aux digues de protection, les GMC ne peuvent faire demi-tour. Aussi l’aspirant fait-il « riper » en marche arrière la première position de 500 mètres à 1 km, puis la deuxième, puis la troisième, le tout en catastrophe. Quand la première effectue son retrait, l’eau environnante éclabousse déjà les projecteurs. Pendant cette opération de repli, les projecteurs restent allumés. Le reste de la nuit se passe dans les mêmes conditions : Claude Hoffert fait reculer ses batteries de projecteurs à tour de rôle de 500 mètres en 500 mètres, tout en essayant de continuer d’éclairer en permanence les digues ou ce qu’il en reste. À un moment donné, il n’y a en effet plus aucune digue au loin. La digue d’acheminement sur laquelle les soldats se trouvent disparaît elle aussi progressivement sous l’eau.

    Jan de Hartog, De kleine ark (1953), roman

    CouvHartogArk.pngDes centaines de fois cette nuit-là retentit le « Verdami ! » alsacien ; l’aspirant et ses hommes craignent bien entendu que la violence des éléments ne vienne la rompre à un endroit qui empêcherait tout repli. Quand le jour se lève, les ¾ de cette digue sont sous les eaux. Eux-mêmes ont reculé sous la pluie et la neige jusqu’à ne plus être très éloignés de la terre ferme. Le matin, alors que les autorités hollandaises souhaitent que son unité reste, l’aspirant reçoit de Paris l’ordre de rentrer. Cette action lui vaudra les félicitations de ses supérieurs.

                                           

                                                                        Daniel Cunin

     

     

    La Petite arche, traduction française de De kleine ark

    HartogArche.png* Publié dans la revue Deshima (n° 2, 2008), ce texte est basé sur le témoignage de Claude Hoffert ; alors que nous nous entretenions de choses et d’autres, j’ai évoqué le roman De verdronkene que je venais de lire et la forte impression laissée par les descriptions de la catastrophe de février 1953 ; c’est à ce moment-là qu’il m’a dit avoir vécu de près ce drame. C’est la première fois, en plus de 50 ans, qu’il évoquait ce souvenir. Il n’a jamais cherché à se documenter sur la question. Le rapport qu’il a rédigé à son retour, début février 1953, se trouve peut-être dans les archives de l’armée.

    ** La traduction française a paru depuis : Margriet de Moor, Une catastrophe naturelle, Libella/Maren Sell, 2010.

     


     

     

     

  • Xavier Marmier et la Hollande

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    Sur les traces d’un grand voyageur

     

     

    CouvMarmier.jpg

     

     

    « […] j'ai voulu me créer un refuge solitaire où, à défaut de la joie, je cherchais la résignation, et cette résignation, dernier appui de l'homme qui a perdu tout ce qu'il aimait, je n'ai pu l'acquérir. J'ai suivi le conseil des philosophes, ces grands connaisseurs de l'âme humaine qui indiquent comme un remède souverain pour les maladies morales l'étude et les voyages. Je me suis jeté avec une ardeur désespérée dans les études les plus abstraites ; puis j'ai erré de lieu en lieu, j'ai été d'une zone à l'autre, des riantes contrées de l'Orient aux sombres climats du Nord ; je me suis attaché à des idées d'ambition, j'ai rêvé la gloire, la fortune, le pouvoir […] » Ces propos que Xavier Marmier (1808-1892) place dans la bouche d’un officier hollandais monté à bord de la frégate la Néerlande, personnage de la nouvelle « Un drame sur mer », revêtent indéniablement une certaine teneur autobiographique. Autodidacte issu d’une famille qui avait perdu sa modeste propriété au cours de la Révolution, Jean-Marie Xaxier Marmier a été une sorte de Rastignac qui a bénéficié de l’appui de quelques personnes qui comptaient, par exemple Alfred de Vigny et Charles Nodier, avant de se lier d’amitié avec quelques grandes figures du XIXe siècle (Sainte-Beuve, Thiers, Andersen, les frères Grimm…), d'être admis dans les cénacles du faubourg Saint-Germain, puis élu en 1870 à l’Académie française… S’il a côtoyé bien des hommes de pouvoir, ministres ou têtes couronnées, il n’a toutefois pas cherché à exercer des emplois de prestige : il s’est offert le luxe de refuser une chaire de littérature étrangère à Rennes et ne s’est présenté à la députation – essuyant à son soulagement deux échecs – qu’à reculons. Sa seule véritable grande ambition aura finalement été de faire partie des Quarante. Quant à l’argent – les multiples rééditions de ses ouvrages lui en ont rapporté pas mal, mais bien moins qu'à ses éditeurs –, il l’aura surtout employé à se constituer une magnifique bibliothèque. À la différence de l’officier hollandais de sa nouvelle, il n’a pas attendu de perdre l’être aimé pour « errer » dans des contrées lointaines.

    Marmier0.pngNé le 22 juin 1808 à Pontarlier, Marmier a connu un destin peu ordinaire, grâce en particulier à son goût des langues (il apprendra l’allemand, l’anglais, le danois – langue dans laquelle il s’entretint un jour avec Louis-Philippe –, le suédois, le norvégien, le sami, l’islandais, le néerlandais, l’espagnol, le russe, le serbo-croate ou encore l’italien) et du voyage : à 7 ans, il fuguait déjà en vue de gagner la Suisse, pays où il se rendra à plusieurs reprises une fois adulte… quand il ne se trouvait pas en Allemagne, dans les pays scandinaves, en Pologne, en Russie, en Autriche, en Hollande, en Italie, en Hongrie, dans les pays slaves ou les Balkans, en Palestine, en Syrie, en Egypte, en Algérie, en Amérique du Nord ou en Amérique du Sud ! Marmier a souvent évoqué sa condition de voyageur, entre autres dans un poème intitulé En Hollande – écrit à Arnhem en 1840 et dédié à Charles Weiss (1779-1867), conservateur de la Bibliothèque municipale de Besançon, qui fut son protecteur et l’ami de toute une vie –, des vers dans lesquels il se compare à la cigogne qu’il a remarquée en haut d’un chêne qui se dresse « dans les prés de Hollande ».

    Auteur prolifique, le Pontissalien a rapporté de la plupart de ses voyages des articles et des récits documentés sur les mœurs, le folklore, l’histoire et la littérature des contrées visitées, à une époque où ces connaissances faisaient cruellement défaut en France ; il a par ailleurs traduit de nombreuses œuvres. Autant de travaux qui ont fait de lui un comparatiste avant l’heure, un précurseur dans bien des domaines touchant aux littératures étrangères,  en particulier celles de l’Allemagne et des terres scandinaves. Malgré les reproches qu’on a pu lui adresser, il convient, comme l’a écrit Anatole France en lui rendant hommage après sa disparition, de « replacer les productions de l’esprit dans le temps de leur éclosion pour juger de leur mérite et de leur utilité ». Un des mérites de ce catholique et royaliste convaincu aura été, ainsi que le souligne sa biographe Wendy S. Mercer, de montrer, à la différence de la majorité des voyageurs de son temps, une réelle curiosité vis-à-vis de l’autre en sachant se distancier de certains réflexes trop hexagonaux.

    Quand il ne voyageait pas avec sa malle, son sac de nuit et son carton à chapeau, Marmier passait le plus clair de son temps à Paris – il a résidé près d’un demi-siècle 1, rue Saint-Thomas-d’Aquin avant d’être contraint de déménager en 1888 au 10, rue de Babylone (le roi des Belges a fait partie des prestigieux visiteurs qu’il a reçus dans sa « chambrette ») –, entre ses milliers de livres, la bibliothèque Sainte-Geneviève dont il était l'administrateur adjoint, ses « expéditions journalières de bouquinotage » sur les quais de Seine et les tables où il était reçu à dîner. Très sensible à la gente féminine, il a séduit au cours de sa longue vie bien des dames d’âge varié ; en 1843, il a épousé une jeune femme morte moins d’un an plus tard, peu après avoir mis au monde un enfant qui n’a pas survécu. Le savant a dès lors repris sa vie de célibataire, cultivant quelques amitiés féminines plus ou moins chastes, du moins quand ses pérégrinations lui en laissaient le temps. Les dernières quinze ou vingt années de sa vie, Xavier Marmier les a passées dans la capitale, ne la quittant d’ailleurs pas ni lors du siège de 1870-1871, ni pendant les deux mois de la Commune ; il a renoncé à l’époque à effectuer de longs voyages, si ce n’est par l’intermédiaire des livres comme il l’indique dans l’avertissement du volume de traductions intitulé À travers les tropiques (1889, le livre comporte quelques pages sur les anciennes colonies néerlandaises) :


    MarmierTropiques.png« Mon vieil âge ne me permettant plus de voyager comme autrefois, je me suis mis à voyager dans ma retraite, avec des livres. Par là je revois encore quelques-unes des lointaines contrées dont j'aime à garder le souvenir ; par là je pénètre dans des pays que je n'ai pas eu le bonheur de visiter.

    « Dans ma paisible exploration, de côté et d'autre je glane tantôt une étude d'histoire naturelle, tantôt une leçon de morale, un récit dramatique, une scène de mœurs, un paysage.

    « Ainsi, peu à peu ont été réunies les diverses pages de ce recueil. Je les ai prises dans des ouvrages étrangers, anglais, allemands, suédois, espagnols, et les ai traduites fidèlement.

    « Après un tel travail on pourra bien m'appliquer l’épigramme de Voltaire :

     

    Au peu d'esprit que le bonhomme avait,

    L'esprit d'autrui par supplément servait ; ...

    Il compilait, compilait, compilait.

     

    Mais si par cette compilation j'ai réussi à faire, selon mon désir, un bon livre de lecture, je ne m'inquiète point de l'épigramme. »

     

    SurMarmier1.png

    Lionel Radiguet, Revue indépendante, oct. 1892 p. 86

     

    Jusqu’à sa mort, Xavier Marmier a continué de lire, d’écrire – entre autres son Journal (l’édition en 2 volumes de 1968 ne porte que sur les années postérieures à 1848 et regorge d’erreurs) –, de se rendre aux séances de l’Académie française et de publier de bons livres de lecture. Par leur contenu « calme et honnête », ses romans « qui déplaisent aux lecteurs pressés, avides de piment, de poivre rouge et de caviar romanesque » ont contribué à le rendre populaire : selon le critique A. de Pontmartin, un autre de ses amis, « les braves gens et les gens d'esprit [les] pla[çaie]nt sur leur table et dans leur bibliothèque, à gauche de Walter Scott, à droite d'Henri Conscience ». Marmier s’est éteint le 11 octobre 1892. Dans son testament, lui qui avait eu une réputation de « dîneur en ville » n’oubliera pas les bouquinistes, leur allouant une coquette somme pour qu’ils festoient en sa mémoire. Son premier biographe nous le décrit allant sur les quais : « Vêtu d'une longue redingote qui porte une rosette d'officier de la Légion d'honneur, sur la tête un chapeau à larges bords, il part en chasse, l'œil vif, le corps alerte et dispos, et entasse dans ses poches des livres et encore des livres. Il en garnit ses vêtements, redingote et pardessus ; ses bras eux-mêmes sont embarrassés de ses richesses ; la récolte est souvent plus abondante que précieuse. […] Il bouquine jusqu'à ses derniers jours. Alors que, souffrant et affaibli, il ne peut plus parcourir Paris, c'est en voiture qu'il inspecte les quais ; l'idée d'un repos absolu lui pèse, et il se fait conduire presque chaque jour au quai Conti, s'accroche aux boîtes à bouquins, et doucement, à petits pas, descend le long des quais Malaquais et Voltaire jusqu'au pont Royal, cherchant ces broutilles que les collectionneurs ne trouvent ni chez les libraires ni dans les ventes. La voiture suit, prête à reprendre immédiatement le chasseur fatigué. » (A. Estignard, Xavier Marmier, sa vie & ses oeuvres, pp. 235 et 239). 

    Marmier5.pngParmi les innombrables pages que Marmier a noircies (sa « macédoine de volumes » écrira Francisque Sarcey qui avait une dent contre lui), quelques centaines portent sur les Pays-Bas. On songe en particulier à ses Lettres sur la Hollande, éditées en volume dès 1841, peu après leur parution en livraisons dans La Revue des Deux Mondes en 1840-1841. S’il a été un poète mineur (il « n’avait ni le coup d’aile et l’essor lyrique, ni l’inspiration puissante, ni la forme impeccable » affirme un connaisseur de son œuvre), il est toutefois amusant de constater que peu avant d’entreprendre ce voyage qui l’a conduit dans au moins une quinzaine de villes bataves, il avait écrit le poème Départ où, songeant sans doute à la Suisse, il envisage une destination loin d’être plate :

     

    En avant, en avant, ô mon cheval fidèle

    La solitude est grande et la montagne est belle.

     

    Présents dans les vers dédiés à Charles Weiss évoqués plus haut, les Pays-Bas le sont aussi dans le poème intitulé À Mme la Baronne E. Pechl…

     

    Voilà que le bateau, sur le grand Belt m'entraîne ;

    Je regarde en arrière et cherche avec amour

    Votre île de Zélande et sa riante plaine

    Dont la brume déjà me voile le contour.

     

    Marmier6.pngAu détour d’une page de ses souvenirs ou réflexions, il arrive qu'on tombe sur une remarque d’ordre général concernant les Hollandais ou Java, mais c’est peut-être dans deux de ses Contes d’un voyageur (1851) qu’il a le plus tiré parti de certains de ses souvenirs bataves en y mêlant des données plus personnelles. Son conte « Un drame sur mer » met en scène un « Hollandais de naissance et Hollandais de cœur », M. de Straden, banquier vivant à Saint-Pétersbourg. Cet homme convoité par bien des jeunes filles de la bonne société de cette ville finit par épouser une femme originaire d’Haarlem, beaucoup plus jeune que lui, qui va lui donner un enfant. Mais alors que Mme de Straden s’est embarquée sur la Néerlande pour revoir une dernière fois ses parents restés en Hollande, un drame va se nouer : elle retrouve sur ce bateau l’officier hollandais qu’elle a aimé, mais que sa famille lui a interdit d’épouser. Dans « L’illusion d’un cœur » (qui est en réalité, à quelques différences près, une reprise d’un récit peu crédible intégré aux Lettres sur la Hollande !), Marmier nous conduit à Utrecht : un étudiant désargenté se lie d’amitié avec une femme d’un certain âge ; celle-ci a été frappée par la ressemblance que le jeune homme présente avec son fils unique mort vingt ans plus tôt. Il n’est pas interdit de relever dans ces deux histoires quelques parallèles avec la vie intime de l’auteur : la promiscuité qui s’instaure sur le bateau entre la femme mariée et un homme pour lequel elle éprouve un réel amour rappelle dans une certaine mesure la liaison qui, selon certains, a existé entre Marmier et une femme ayant voyagé avec lui vers le Grand Nord ; quant à la relation pleine d’affection entre l’étudiant en droit et la riche marchande de bric-à-brac âgée de soixante ans, elle est empreinte de la tendresse que le voyageur éprouvait pour sa mère et peut-être aussi envers une « vieille » maîtresse. 

    Marmier4.png 

    Avant d’aborder prochainement la question de la littérature néerlandaise dans les écrits de Marmier, relevons certains éléments relatifs à son travail et au séjour qu’il a effectué aux Pays-Bas durant les mois de l’été 1840 (on sait qu’il était rentré à Paris en octobre) – même s’il conviendrait, pour apporter certaines précisions, de se plonger dans les documents personnels de l’auteur qui se trouvent aujourd’hui dans différentes bibliothèques, en particulier à Besançon (c’est malheureusement à propos de la Hollande que Wendy Mercer propose le moins de détails).

    Comme pour ses études portant sur l’Allemagne et les pays scandinaves, Marmier s’est documenté du mieux possible pour rédiger ses Lettres sur la Hollande. Il entend en effet se distinguer des voyageurs qui l’ont précédé et qui ont publié des récits plutôt superficiels ; ainsi vise-t-il entre autres à démonter certains préjugés et images d’Épinal : « Il y a des gens qui se figurent que le Hollandais, la pipe et le verre de genièvre, ne forment qu'un seul et même individu. » Son premier biographe ne tarit pas d’éloges à propos de son travail : « Les pages que Marmier a consacrées à la Hollande sont remarquables. Il n'éprouve que de la sympathie pour les vertus sérieuses des Hollandais, cette race d'hommes calme et réfléchie, qui ne se laisse pas séduire par les rêves de gloire et de fortune des autres peuples, et qui a toujours résisté au malheur avec un courage et une patience héroïques. Il apprécie ces villes, industrieuses et savantes, passionnées pour le commerce et les longues études, Leyde, la ville classique de la philosophie et de l'érudition ; Harlem, fière de ses tulipes ; il étudie et commente, avec un bon goût éclairé et les lumières d'une critique intelligente, la littérature ancienne et moderne de ce curieux et honnête pays. » (A. Estignard, p. 116) 

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    Malgré les efforts que l'écrivain a déployés, son texte n’est pas exempt de mots néerlandais mal orthographiés ni de considérations un peu futiles. Toutefois, c’est sans doute, avec La Néerlande et la vie hollandaise de son contemporain Alphonse Esquiros, le livre le mieux documenté de l’époque sur le royaume batave. Marmier a, à n’en pas douter, consulté les ouvrages disponibles tant en français – par exemple, de Jan van ’s Gravenweert, l’Essai sur l’Histoire de la littérature néerlandaise (1830) – et en latin qu’en anglais – les travaux du polyglotte Sir John Bowring, beaucoup moins nuancé que lui d’ailleurs – ou en allemand, puis s’est adressé à quelques-uns des meilleurs savants et lettrés du pays même, en premier lieu le poète Adrianus Bogaers (1795-1870) et l’un des romanciers les plus en vue à l’époque, Jacob van Lennep (1802-1868), lequel, dans certains de ses écrits, appelle Marmier « mon ami ». Le Franc-Comtois correspondait d’ailleurs, peut-être depuis le début des années 1830, avec Auguste Clavareau, auteur d’expression française et traducteur établi à Maastricht – vers 1833, l’un et l’autre comptaient parmi les rares collaborateurs du périodique L’Echo du Vaucluse.

    marmierjournal1.pngDes auteurs avancent que le Pontissalien a effectué un voyage en Belgique et en Hollande dès avant 1830 (Lionel Radiguet, « Xavier Marmier scandinaviste », La Revue indépendante, oct. 1892, p. 88 ; Eldon Kaye, Journal de Xavier Marmier, t. 1, Genève, Droz, 1968, p. 21) ; Wendy Mercer ne confirme ni n’infirme, il nous semble, cet élément. Pour sa part, Alexandre Estignard, nous dit que « le laborieux voyageur a appris en se promenant la langue hollandaise », autrement dit avant le séjour de plusieurs mois de 1840. Dans son Journal (T.1., p. 170), le Franc-Comtois raconte qu'il apprend seul les langues étrangères par la méthode analytique de Jacotot et qu'il parle assez aisément le hollandais. Marmier a d'ailleurs été proche, à la fin des années 1820, d'un germanisant distingué, ancien chargé d'affaires en Hollande, Adelaïde-Edouard Le Lièvre, marquis de la Grange, un ami d'Alfred de Vigny.

    Même si on a relevé aux Pays-Bas quelques lacunes, erreurs et contradictions dans les Lettres sur la Hollande – un chroniqueur du De Gids nie même, en 1842, toute qualité à ce travail si ce n’est une belle fluidité stylistique ; un autre, dans l’Arnhemsche Courant du 11 avril 1841, s’amuse à épingler avec sarcasme les invraisemblances et coquilles que contiennent certaines pages ; le célèbre critique Conrad Busken Huet se montrera lui aussi réservé –, plusieurs commentateurs salueront la présentation qu’il fait de la littérature locale. Il a le mérite de lire le néerlandais et d’être mieux informé que la plupart des autres auteurs français : « Esquiros et Marmier nous ont donné des impressions sérieuses sur notre art littéraire ; ce que nous avons rencontré chez les autres voyageurs ne sont que des témoignages un peu vagues, sans beaucoup de suite », écrit par exemple Madeline Marie Caroline Koumans dans sa thèse La Hollande et les Hollandais au XIXe siècle vus par les Français (1930, p. 122). Quinze ans plus tôt, l’érudit francophile P. Valkhoff regrettait pour sa part que Marmier ne soit plus là pour écrire en français sur les plus récentes évolutions de la littérature néerlandaise (De Nieuwe Taalgids, X, 1916, p. 20-23). 

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    X, Arnhemsche Courant, 11 avril 1841 (début de l'article)

     

    Les livres de Xavier Marmier ont été lus en Hollande (par exemple, le Journal de La Haye du 18 juin 1841 reprend dans ses colonnes les pages que Marmier consacre à la littérature néerlandaise moderne), en particulier ses écrits sur la Scandinavie, les Lettres sur le Nord de 1840 ayant d’ailleurs été traduites (Brieven over het Noorden, Denemarken, Zweden, Noorwegen, Lapland en Spitsbergen, Deventer, A. ter Gunne). Autres traductions : Een bezoek bij Koning Willem I (Une visite chez le roi Guillaume Ier, Middelburg, J.C. & W. Altorffer, trad. J.C. Altorffer) ; De erfgenaam (Le Roman d’un héritier), Rotterdam, G.W. van Belle ; Zwitserland (Voyage en Suisse), trad. S.J.v.d. Bergh ; Uit vreemde landen: volksverhalen, Maassluis, J. van der Endt & Zoon ; un recueil publié pour la jeunesse vers 1910 reprendra certaines de ses pages (Op Hollandschen bodem: eigene, boeiende en leerrijke herinneringen, Geraarsbergen, Sint-Carolus' Werk).

    Pour sa part, il a donné un volume de Hiéronymus van Alphen en traduction française : L’Ami des petits enfants, maximes morales et religieuses (Paris-Strasbourg, Levrault, 1836) qui, selon certaines sources, aurait été son titre le plus célèbre (il a été réédité en 1845). La même année il publiait dans la Revue des Deux mondes son étude « Poésie populaire de la Hollande », des pages qu’il reproduit en grande partie dans ses Lettres sur la Hollande.

    Daniel Cunin

     

     

    profil de Marmier, 1835

    MarmierProfil.pngCe billet emprunte certains éléments à la récente biographie que Wendy S. MERCER a consacré à l’auteur français : The Life and Travels of Xavier Marmier (1808-1892). Bringing World Literature to France, Oxford, Oxford University Press (British Academy Postdoctoral Fellowship Monographs), 2007. Une partie du chapitre 9 est consacrée au voyage en Hollande (p. 161-171). Dans ces dix pages, W.S. Mercer propose un survol des Lettres sur la Hollande, dédiées au ministre de l’Intérieur Charles de Rémusat qui avait envoyé Marmier en mission aux Pays-Bas afin qu’il y complète son tableau descriptif des pays du Nord ; le reste des informations fournies par la chercheuse provient essentiellement de la correspondance de Sainte-Beuve et de celle de Michelet.

    Les sept Lettres sur la Hollande ont d’abord paru dans la Revue des Deux Mondes en 1840-1841. En plus du volume de 1841, on les retrouve insérées dans le volume En Amérique et en Europe (1860).

    Pour ce qui est du Journal (1848-1890) qui regorge de pages croustillantes et qui dévoile maintes facettes du personnage, il ne nous fournit que peu d’éléments sur la Hollande. Marmier nous rapporte essentiellement ce qui se raconte au sujet des frasques de Guillaume III : « Le roi de Hollande, à peine arrivé à Compiègne, a voulu venir incognito à Paris. Il a ici une maîtresse qui est entretenue par un M. de Lagrange et qui, malgré cet entretien, va chaque mois passer quatre jours à La Haye. Elle a dîné dernièrement avec un de mes amis, et disait en riant : Cette fois, ce n’est pas moi qui irai voir mon galant roi, c’est lui qui viendra. » (T. 1, p. 240-241) 

     

    Table des matières des Lettres sur la Hollande

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  • La Saint-Nicolas

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    UNE TRADITION QUI PERDURE

     

     

    Pour évoquer une fête toujours célébrée avec ferveur en Hollande, voici un petit texte relatant la Saint-Nicolas 1914, alors que dans une grande partie du pays, les gens avaient accueilli de nombreux réfugiés belges. Maintes pages de la littérature néerlandaise - des poèmes de M. Nijhoff, une nouvelle de Vonne van der Meer... - traitent de manière plus ou moins drôle ou attendrie, moqueuse ou burlesque, légère ou profonde cet événement singulier qui donne lieu en général à des retrouvailles familiales chaque 5 décembre au soir. C’est d’ailleurs un auteur de livres pour enfants, l’instituteur Jan Schenkman (1806 -1863), qui est sans doute, grâce à son album St. Nikolaas en zijn knecht (Saint Nicolas et son serviteur, 1850), à l’origine de l’apparition de cette fête. Les paragraphes qui suivent sont empruntés au chapitre XIII des Lettres de la Hollande neutre* d’Adrienne Lautère (1920, p. 145-149).

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    Illustration de l’édition originale de St. Nikolaas en zijn knecht (DBNL)

     

    Odeur de cire à cacheter, paquets-surprise qu’on prépare dans le plus grand mystère, petite gymnastique cérébrale qui consiste à faire des épigrammes sur les faiblesses des parents et amis, rimes qu’on cherche jour et nuit, qu’on échange, enfantillages amusants, comme ils me rendent au passé !...

    Pendant toute cette période, je l’entends agiter ses grelots à la fois joyeux et mélancoliques…

    Les Belges de la Villa Elisabeth furent conviés par Jenny à venir célébrer à la maison la fête de la Saint-Nicolas, et nous eûmes une matinée musicale et littéraire, où plusieurs de nos hôtes figurèrent au programme.

    Jo nous révéla son talent de prestidigitateur. Louise vint chanter des airs hollandais et belges, et je récitai à cette occasion le sonnet, qu’une de mes amies avait composé sur son arrivée en Hollande pendant la guerre, et qui fut bissé à cause du dernier vers :

     

    La paisible contrée

     

    Sur le pont glacial, debout, depuis une heure,

    Je scrute longuement l’horizon et la mer ;

    Ainsi voguaient jadis les Tromp et les Ruyter,

    Au sortir du combat, vers la douce demeure.

     

    Pendant longtemps, un vol de mouettes nous suivit,

    Augure de tempête après les heures calmes ;

    Je maudis en mon cœur ces blancs oiseaux, sans palme,

    Moi qui viens de là-bas, où la guerre sévit !...

     

    Voici que se dessine, au bout de ma jumelle,

    La côte, où trois moulins, paisibles sentinelles,

    Surveillent gravement des dunes et des champs ;

     

    Flessingue, petit port, rose dans le couchant,

    Et, juste au bord du ciel, sur la terre uniforme,

    Un soleil, jaune et rond, comme un fromage énorme !

     

    Finalement, pendant que tous chantaient la Brabançonne, on vit paraître dans le jardin Chris, déguisé en saint Nicolas. Revêtu d’un beau manteau écarlate, coiffé d’une mitre en carton doré, monté sur un grand cheval blanc, qu’un jeune Belge, transfiguré en nègre, conduisait par la bride ; il était magnifique et méconnaissable derrière sa longue barbe blanche qui ondulait.

    SaintNicolasCheminée.gifLa terreur que j’éprouvais, petite fille, pendant les visites annuelles du bon saint Nicolas, faillit me ressaisir. J’eus même, comme autrefois, un petit battement de cœur ! Ce qui m’impressionnait et me confondait jadis, c’étaient les habitudes du saint homme, peu conformes à son grand âge. Il se promène à cheval, sur les toits des maisons, et la cheminée est sa voie de prédilection, par où il envoie les cadeaux aux enfants. C’est aussi par la cheminée qu’il écoute pour savoir s’ils sont sages.

    On m’avait dit qu’il venait d’Espagne, ce qui me le faisait plus ou moins confondre avec le duc d’Albe, dont la réputation terrible nuisait dans mon esprit à celle de saint Nicolas.

    Une seule chose me rassurait : je trouvais toujours dans ses yeux ou sa voix une vague ressemblance avec ceux de mon père ou d’un de mes oncles.

    Et jamais je n’oublierai mon étonnement lorsque j’appris, ce que tout enfant hollandais finit par savoir, que saint Nicolas n’existe plus, qu’il a été ressuscité par les grandes personnes pour faire peur aux enfants. Et ce qui me surprenait bien plus encore, c’était que les grandes personnes pussent s’amuser à de pareils enfantillages !...

     


    Nicolas sur son cheval blanc

    et les Zwarte Pieten sur leurs Vespa blanches (Amsterdam, 1952)

     

     

    * On doit les Lettres de la Hollande neutre (1920) à une femme de lettres née à Amsterdam de père hollandais et de mère française. Adrienne Gilliane Heineken (1886-vers 1964), mariée à un Français,  a publié en français sous son nom de jeune fille, mais aussi sous ceux d’Adrienne Lautère et d’Adrienne de Lautrec, quelques romans (Le Bon exemple, 1913 ; Le Corrupteur, 1925 ; L’Enfant prodige, 1928 ; Six et quart, 1929 ; Simone Ablond, 1931 ; Madame d’Aulnoy et sa mère, 1946), des recueils de poésie (Amours de rampe, 1909 ; La Révolte, 1912 ; Amour et sagesse, 1920), des critiques et des essais (« Quatre peintres hollandais : Josef Israëls, Jacob Maris, Mesdag, Mauve », L’Art et les Artistes, XI, 1910, p. 253-262 ; « L’influence de la littérature contemporaine en Hollande », 1920 ; « L’Âme latine de M. Louis Couperus, romancier hollandais », 1923 ; « Henri Borel et le Génie de la Chine », 1923 ; Un gentilhomme français au temps des Précieuses : Monsieur de Sévigné, 1943…) ainsi qu’un peu de théâtre (La vieille grand’mère et la petite-fille, 1905 ; Le Bon vieux temps, 1950). Bloquée dans son pays natal suite à la déclaration de la guerre tandis que son mari est parti au front, elle relate, dans ses Lettres de la Hollande neutre, la première année du conflit ainsi qu’elle a pu la vivre dans les environs d’Amsterdam. Faisant partie de ces intellectuels et artistes qui ont choisi dès le début de défendre la France, Adrienne Lautère nous restitue le climat de l’époque où, dans les milieux bataves les plus cossus, partisans du Kaiser, francophiles et neutres disputaillaient. La Parisienne qu’elle est devenue par son mariage et par goût donne à lire quelques pages assez étonnantes : sur un ton acerbe, elle n’hésite pas à critiquer des proches (un beau-frère membre de la Tweede Kamer) ou des notables alors même que ces personnes étaient susceptibles de lire sa prose. Éloignée de son mari, elle évoque par ailleurs sa difficulté à vivre sans l’affection d’un homme ; la veine sensuelle de sa poésie retiendra d’ailleurs l’attention de plus d’un critique. Les Lettres de la Hollande neutre se referment sur le retour de l’auteur dans son pays natal début 1919 en compagnie de son mari.

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