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Stefan Brijs, Taxi Curaçao, trad. Daniel Cunin, éditions Héloïse d'Ormesson, 2018
L’auteur belge Stefan Brijs montre toujours une réelle empathie pour ses personnages. Cependant, il n’écrit jamais deux romans qui se ressemblent : contexte, lieux où se déroule l’action, époque, âge des protagonistes, tout est à chaque fois différent, à chaque fois dépaysement. Taxi Curaçao ne déroge pas à la règle : les 272 pages ont pour cadre Curaçao, île proche du littoral du Venezuela, la plus grande des Antilles néerlandaises. Même si elle bénéficie d’une autonomie politique, les liens qui l’unissent au Royaume des Pays-Bas demeurent étroits, sans qu’elle appartienne néanmoins à l’Union européenne.
photo : Annaleen Louwes
Grâce à sa belle-famille hollandaise, Stefan Brijs a eu l’occasion de séjourner à plusieurs reprises là-bas. Les contrastes criants entre population noire et riches blancs, mais aussi la beauté des lieux – les plages, un patrimoine architectural qui remonte au XVIIesiècle dans la capitale Willemstad… –, une profonde admiration pour de grands écrivains du cru – Boeli van Leeuwen (1922-2007), Tip Marugg (1923-2006) ou encore Frank Martinus Arion (1936-2015) –, l’ont incité à narrer une histoire qui permet, à travers trois générations, de brosser un tableau des dernières cinquante années. Pour l’occasion, il se glisse dans la peau d’un religieux catholique – seul frère noir de l’île en même temps que narrateur –, et dans celle d’hommes et de femmes de peu, le personnage central étant toutefois… une Dodge Matador, le fameux taxi qui traverse et l’île et les décennies.
« Unité de lieu, de temps et d’action – ou plus exactement de réflexion –, ce drame postcolonial est construit comme une tragédie classique. Le temps est celui d’un vol Curaçao-Pays-Bas, heures pendant lesquelles le narrateur égrène les souvenirs d’un demi-siècle. La société se désagrège. Les tares du post-colonialisme se trouvent exacerbées par le nouveau fléau de la drogue, qui met l’argent facile à la portée de tous – il suffit de se débarrasser d’anciens scrupules, d’accepter de défaire les liens familiaux. Et on le fait d’autant plus facilement qu’on a été rongé par la misère, depuis toujours. Existe-il une issue, un moyen de ‘‘sauver sa fierté’’, selon la formule d’un personnage ? Le narrateur semble y parvenir, au prix d’ascèse et de renoncement. […] Stefan Brijs signe ici un texte si subtil et si poignant qu’il est difficile de s’en détacher. » (Elena Balzamo, « Le Monde des Livres », 20/09/2018)
Curaçao, Caraïbes, 1961. Max Tromp débarque un matin dans la classe du frère Daniel à bord du taxi rutilant de son père. Du haut de ses 12 ans, c’est un gamin futé qui rêve de devenir instituteur. Mais dans cette île étranglée, il est vite rattrapé par son destin et n’a bientôt d’autre choix que de reprendre le volant de la Dodge Matador paternelle. Tandis que les années s’égrènent, Max, père à son tour, croit déjouer le sort quand son fils prend le chemin de l’école. Les Tromp parviendront-ils enfin à échapper à leur condition ?
À travers cette chronique sur trois générations, Taxi Curaçao dresse un portrait coup de poing d’un pays qui porte les stigmates de la colonisation et semble condamné à la corruption et à la pauvreté. Brijs, l’un des plus grands conteurs belges, livre un texte puissant, à la fois tendre et violent, qui ne cesse d’osciller entre amour et haine, culpabilité et rédemption.
Leeuwarden, chef-lieu de la Frise, est l’une des deux capitales
européennes de la culture 2018.
Pour l’occasion, la ville s’est refait une beauté.
Se rendre en Frise, c’est une véritable aventure, nous dit le poète Jacques Darras, parti un jour sur les traces de Descartes du côté de Franeker qui comptait, de 1585 à 1811, la plus ancienne université des Pays-Bas après celle de Leyde. Pas même une ville, à peine une bourgade – imagine-t-on par exemple Orthez, phare universitaire français ? –, Franeker illustre à merveille l’une des singularités de cette Province hollandaise : préserver un art de vivre à taille humaine. Sa capitale, Leeuwarden (Leuvarde, écrivait-on autrefois en français), n’est guère plus peuplée qu’Avignon ou Tourcoing.
Couleur eau, ciel, nénuphar jaune
On peut pressentir la particularité de cette contrée en empruntant en voiture la longue digue (plus de 32 kilomètres) qui relie la Hollande septentrionale à l’Ouest de la Frise. La mer des Wadden – qui figure dans la liste du patrimoine mondial de l’Unesco – et ses îles se profilent à l’horizon. La toponymie nous fait humer une autre culture que celle de la Hollande. Si l’on choisit de gagner ces terres septentrionales par la voie ferrée, en pleine saison de patinage de vitesse, on risque fort, à l’approche de Heerenveen, de voir les wagons envahis par des flots de gens vêtus de bleu, blanc, rouge et brandissant des drapeaux tricolores. Point de larges bandes verticales, mais quatre étroites diagonales bleues et trois blanches, celles-ci rehaussées de sortes de cœurs rouges, en réalité sept feuilles de nénuphar jaune. Les couleurs frisonnes. Sport national, le patinage de vitesse donne lieu, en plein hiver, lorsque les températures s’y prêtent – au moins 15 cm d’épaisseur de glace –, à un événement d’ampleur nationale, un « marathon » (200 kilomètres) en plein air, petit tour de Frise qui passe par onze « villes » : le Elfstedentocht ou Alvestêdetocht en frison (départ et arrivée à Leeuwarden).
Certaines de ces « villes » ne sont en fait que des petits villages, par exemple Hindeloopen, célèbre dans le monde entier pour ses intérieurs richement peints. Si Leeuwarden n’offre pas des habitations décorées de la sorte, elle regroupe quantité de demeures pleines de charme, tenant plus de la maison de poupées que du gratte-ciel – même si l’Achmeatoren, avec ses 115 mètres, constitue le plus haut building du Nord des Pays-Bas. Il suffit de s’éloigner du centre-ville et d’arpenter les proprettes ruelles aux demeures mitoyennes pour admirer l’attention que portent les Leeuwardois à leur jardinet, leur façade, leurs fenêtres, leur intérieur. Le souci du quotidien apparaît aussi sur l’eau et les chaussées : petits bateaux-mouches et transports en commun privilégient les énergies renouvelables. Peu à peu, l’écologie gagne du terrain. Dans une artère commerçante, la friterie sert la pomme de terre biologique locale agrémentée d’une sauce « à la frisonne ». Plus d’un restaurant chic concocte des mets à base de fruits et de légumes cultivés dans la région, ceci dans le respect de la nature. Principalement destiné aux enfants, le Natuurmuseum Fryslân contribue à souligner l’importance du cadre naturel de la région. Si la terre frisonne s’est façonnée contre les éléments naturels, le Frison semble aujourd’hui soucieux de préserver la nature qu’il a conquise sur la nature.
L'Académie des Arts
Lân fan taal– Pays des langues
Désignée capitale européenne de la culture 2018 – au côté de la Maltaise La Valette – Leeuwarden en a profité pour se refaire une beauté. Le quartier de la gare et nombre de bâtiments publics ont disparu un temps derrière les échafaudages. Ainsi de l’hôtel de ville surmonté du carillon hérité d’une église qui menaçait ruine. Dans cette région de Réforme, municipalité et catholicisme semblent faire bon ménage comme en témoigne également la sculpture Amor Dei, commandée par la ville et érigée au pied de l’église Saint-Boniface. Avec son clocher qui culmine à 85 mètres, cette basilique néo-gothique est le deuxième édifice les plus élevé de la ville – l’une des créations les plus remarquables de Pierre Cuypers (1827-1921), le bâtisseur du Rijksmuseum et de la Gare centrale d’Amsterdam –, qui abrite un orgue du Français Aristide Cavaillé-Coll. Adossée à ce lieu de culte, la maison paroissiale porte le nom de l’un des Frisons les plus connus – moins certes que Peter Stuyvesant –, le bienheureux Titus Brandsma (1881-1942), érudit carmélite s’étant opposé au nazisme et ayant péri à Dachau.
Les travaux entrepris en vue de l’année 2018 ont sans doute pour point culminant l’édification de l’OBE. Ce nouveau bâtiment, situé à l’ombre de l’Oldehove – la tour de Pise locale, clocher jamais terminé car il menaçait de s’effondrer – a pour vocation d’accueillir diverses manifestations et activités autour de la langue. À quelques pas de là, dans le parc Prinsentuin, un « jardin des langues » accueillera les enfants, et un pavillon des langues « mineures » comme le basque, l’estonien, le leeuwardois (le frison connaît de nombreuses variantes). Tout ceci pour dire que Leeuwarden entend bien mettre en avant, au cours de cette année 2018, la richesse que peut représenter le bilinguisme et une culture régionale bien comprise et bien transmise au sein d’une culture nationale.
En face de l’OBE se dressent trois foyers culturels. Le Tresoar (Centre de l’Histoire et de la Littérature frisonnes, qui abrite une bibliothèque et des archives), l’Historisch Centrum Leeuwarden (lieu qui abrite les archives historiques de la région et des expositions) et, entre les deux, Afûk. Ce libraire-éditeur, qui fêtera dans quelques années son centenaire, entend « relier et partager » (ferbine en diele) en défendant le patrimoine linguistique de la Province et en favorisant le multilinguisme. Outre des ouvrages scolaires, historiques et littéraires, il publie une revue culturelle De Moanne (le mot signifie « lune » ou « mois ») qui propose des articles en frison ou en néerlandais (les deux quotidiens locaux, Het Friesch Dagblad et De Leeuwarder Courant consacrent d’ailleurs eux aussi un peu de place à l’idiome local). D’autres éditeurs sont établis dans la capitale frisonne. Le généraliste Elikser a ainsi ses locaux et sa propre librairie au rez-de-chaussée d’une jolie bâtisse du centre (photo). Un peu plus loin, au bord du quai Emma, on trouve la maison Het Nieuwe kanaal. Les éditions Wijdemeer viennent de publier une Histoire de la gastronomie frisonne, des recettes datant des XVIIIeet XIXesiècles. Quant aux éditions Stanza, elles privilégient la poésie d’expression néerlandaise. Un passage par quelques librairies permet de constater que littérature jeunesse, roman et poésie en frison sont des genres vivaces. Les traductions ne manquent d’ailleurs pas non plus : Jules Vernes ou encore Albert Camus sont disponibles dans l’idiome local. Le riche catalogue (littérature et art) d’un autre éditeur, Bornmeer, établi pour sa part dans une bourgade, manifeste le dynamisme de la culture frisonne à travers maintes publications dans les deux langues officielles des Pays-Bas.
Figures de Leeuwarden
Le visiteur qui se rend au Fries Museum avant le 3 avril pourra y parcourir une exposition consacrée à l’une des personnes les plus illustres de Leeuwarden, non pas Saskia, l’épouse de Rembrandt, mais Margaretha Geertruida Zelle (1876-1917), plus connue sous le nom de Mata Hari, fusillée à Vincennes voici un siècle. De nombreux objets, documents et lettres d’époque (en particulier celles qu’elle a adressées à son mari) éclairent la vie mouvementée de la courtisane. On peut même y admirer une jarretelle qu’elle a peut-être portée. Dans la ville elle-même, les vitrines des boutiques regorgent de représentations de cette icone, d’objets divers et même d’un pouf et d’un fauteuil ayant un rapport avec elle. Sur le Kelders, en face pour ainsi dire de sa maison natale, se dresse une statue la figurant en train de danser. Au n° 15, à quelques pas du n° 33 où elle a vu le jour, vivait à l’époque le jeune juif Alexandre Cohen(Leeuwarden, 1864 – Toulon, 1961), avant qu’il ne se lance en France dans l’aventure anarchiste (il fut l’un des condamnés du Procès des Trente) et ne devienne un fougueux publiciste puis un journaliste reconnu, sympathisant de la mouvance maurassienne.
Leeuwarden a également vu naître quelques artistes ayant acquis une renommée au-delà des frontières. Ainsi, l’architecte, théoricien, peintre et dessinateur Hans Vredeman de Vries (1527-1609) a-t-il été l’un des esprits les plus influents de son temps. Nommons aussi le portraitiste Wybrand de Geest (1592-vers 1661), surnommé l’Aigle frison, et Margaretha de Heer (vers 1600-vers 1665) qui excellait dans la figuration d’animaux et dans l’art de la nature morte (photo ci-dessus). Plus près de nous, on pense au plasticien M.C. Escher (1898-1972) auquel le Fries Museum rendra d’ailleurs hommage à partir de la fin avril. D’autres initiatives mettront son œuvre en lumière dans différents lieux de la Province. Personnalité locale, le peintre autodidacte Gerrit Benner (1897-1981) a célébré le paysage frison sans jamais succomber à l’abstraction totale. Quant au sculpteur et médailleur Pier Pander (1864-1919), bien qu’il ait vu le jour à Drachten, deuxième ville de la Frise, il a malgré tout droit à son propre musée dans le Prinsentuin.
Quelques fils de Leeuwarden se sont illustrés dans les belles lettres. Sous le nom de Piet Paaltjens, François Haverschmidt (1835-1894) a laissé des proses et des poèmes qui ont marqué son temps, son principal recueil ayant d’ailleurs été transposé en français à la fin du XIXe siècle. Considéré comme l’un des poètes néerlandais majeurs du XXesiècle, J. Slauerhoff (1898-1936) est surtout un romancier et nouvelliste hors pair dont trois œuvres sont disponibles en traduction aux éditions Circé. Le roman policier populaire a eu en Havank (1904-1964) l’un de ses principaux représentants ; il a situé nombre de ses intrigues en France. Autre figure de premier plan du monde littéraire originaire de la capitale frisonne : l’auteur et éditeur Bert Bakker (1912-1969), fondateur de l’une des revues majeures de la seconde moitié du XXesiècle, Maatstaf. Si ces différents écrivains se sont distingués dans la langue néerlandaise, d’autres ont préféré rester fidèles à leur langue natale. Tel est par exemple le cas du politicien le plus célèbre de Leeuwarden, Pieter Jelles Troelstra (1860-1930).
Rares sont à ce jour les œuvres de cette littérature traduites en français. On citera Tjerne le Frison, de Gysbert Japiks (1603-1666), considéré comme le père des lettres frisonnes (ouvrage traduit du frison et présenté par Henk Zwiers, collection « L’aube des peuples », Paris, Gallimard, 1994) et le recueil De mer et d’au-delà / Fan oer see en fierder de Tsjêbbe Hettinga (1949-2013), regardé comme le poète majeur de la Frise (trad. Kim Andringa, Paris, L’Oreille du Loup, 2008). Ce « barde » devenu aveugle a d’ailleurs passé les trente dernières années de sa vie à Leeuwarden. Son œuvre poétique vient de paraître dans une édition bilingue frison/néerlandais chez un grand éditeur amstellodamois. Preuve que la culture de ce Pays basque des Pays-Bas parvient à se maintenir et à s’épanouir sans heurts, dans un esprit pacifié avec sa grande sœur.
Grandeur d’autrefois et d’aujourd’hui
Le temps où Leeuwarden pouvait être regardée comme la capitale de la république des Sept Provinces-Unies est certes bien loin. C’était au XVIIesiècle, la ville était alors la résidence des stadhouders dont descendent les Orange-Nassau. Quelques édifices majestueux témoignent toutefois encore de cette glorieuse époque (par exemple De Waag, photo ci-dessus), de même que la présence, dans le temple des Jacobins, de ce qu’il reste des tombeaux de ces prestigieux devanciers, monuments en partie dévastés en 1795 par la fureur révolutionnaire. Les siècles passés sont d’ailleurs restitués avec goût à travers une centaine d’objets hétéroclites, au Fries Museum ; ceux présentés à l’Historisch Centrum Leeuwarden permettent de compléter ce tableau. C’est un autre voyage dans le temps que propose Het Princessehof, magnifique musée de la céramique, tout juste rénové, sis dans l’ancien palais de la princesse Marie-Louise de Hesse-Cassel (1688-1765). Une façade latérale de la brasserie qui porte le nom de cette régente – mère de Guillaume IV d’Orange-Nassau (1711-1751) – a été transformée en fresque qui représente les portraits des différents souverains d’Europe liés à ces stadhouders. Lien continu entre le passé et le présent. Entre la vieille cité préservée, mais aussi ses voisines et ses environs, et les dizaines d’événements de toutes sortes qui vont ponctuer cette année 2018 et lui conférer un nouveau lustre. Petit bémol toutefois pour une ville qui met en avant les langues : le riche programme est disponible en allemand, en anglais, en frison, en néerlandais, mais pas, semble-t-il, en français :
Voici deux ans, à travers l’exposition « Une passion royale pour l’art », les villes de Saint-Pétersbourg, Dordrecht et Luxembourg ont rendu hommage à l’un des plus grands couples de collectionneurs d’art du XIXe siècle, le roi Guillaume II (1792-1849) des Pays-Bas et son épouse, fille et sœur de tsars, Anna Pavlovna (1795-1865). Ce roi, le traducteur et poète Auguste Clavareau – présenté ailleurs sur flandres-hollande, mais absent semble-t-il de l’Histoire des traductions en langue française. XIXe siècle (Verdier, 2012) – l’a célébré lors de sa disparition. Bien que né à Luxembourg et de confession catholique, il s’est rallié à la famille royale de son pays d’adoption. Le poème ci-dessous est l’une des nombreuses œuvres de circonstance témoignant de son attachement à la Maison d’Orange-Nassau.
Une passion royale pour l’art
Guillaume II des Pays-Bas et Anna Pavlovna
catalogue de l’exposition à la la Villa Vauban (12/07/14 - 12/10/14)
sous la direction de Sander Paarlberg et Henk Slechte
Zwolle, WBOOKS, 2014.
GUILLAUME II,
AU TOMBEAU ROYAL DE DELFT
Cessez vos chants de deuil, Peuples, faites silence !
Qu’on n’entende en ces lieux que le bruit des sanglots.
Le funèbre convoi vers la tombe s’avance :
La Néerlande a perdu son père, son héros !
Guillaume-Deux n’est plus !... Cette tête si chère,
Qui n’a pu de la mort conjurer les rigueurs,
Va reposer auprès de son illustre père,
Et Delft ouvre ses murs à l’objet de nos pleurs.
Le voilà ce Monarque aimé d’un peuple brave !
Sous le linceul, il dort du suprême sommeil !
Le voilà l’héritier du grand nom de Batave,
Qui de la liberté nous rendit le soleil !
Suivons, pleins de respect, le char des funérailles ;
Que nos pleurs recueillis montent vers l’Éternel !
À ces restes sacrés, échappés des batailles,
Dans nos cœurs ulcérés dressons tous un autel.
À genoux, Néerlandais, devant l’Être des Êtres !
Prions ! au Roi des Rois offrons notre douleur ;
Prions, pour que le sol fécondé par nos ancêtres
Prospère encore en gloire, en vertus, en grandeur !
Prions, un nouveau règne en ce moment commence.
Au milieu des États qui s’écroulent partout,
La Néerlande est en paix et maintient sa puissance ;
En face des écueils la Néerlande est debout.
Dans ces jours orageux qui fut l’appui du trône ?
Qui lui donna la force et défendit ses droits ?
C’est l’amour pour le front qui portait la couronne.
L’attachement du peuple est la garde des Rois.
Son fils nous l’a promis, il suivra son exemple ;
Car le sang des Nassau fait palpiter son cœur.
Sur son trône affermi l’univers le contemple
Et sur lui la Patrie a placé son bonheur.
Entends-nous, ô grand Dieu ! daigne, dans ta sagesse,
En protégeant le Sceptre exaucer notre espoir ;
C’est à toi qu’aujourd’hui notre douleur s’adresse ;
Que nos vœux accomplis signalent ton pouvoir !
Giillaume-Deux n’est plus ; mais que son ombre amie,
Dans de rudes travaux aide et guide son fils ;
Qu’elle éclaire ses pas ; et, comme un bon génie,
Qu’elle veille des Cieux sur notre heureux pays !
Et Vous, ô noble Reine, ô veuve inconsolable,
Qui pleurez un époux arraché de vos bras,
Vous n’auriez pas subi le coup qui vous accable
Si nos cœurs avaient pu le sauver du trépas ! !...
Silence ! De nos Rois s’ouvre la tombe auguste !
Adieu, Guillaume, adieu, pour la dernière fois,
Dors près de tes Aïeux ; dors du sommeil du juste !...
Philip Mechanicus, Cadavres en sursis. Journal du camp de Westerbork,
trad. du néerlandais Daniel Cunin, Paris, Notes de Nuit, avril 2016
À l’occasion de la parution en français du témoignage le mieux documenté et certainement le plus stupéfiant sur le camp de Westerbork, nous reproduisons ci-dessous une version raccourcie du liminaire. Relevons que Cadavres en sursis contient les dernières pages sur Etty Hillesum (et ses proches) écrites par un témoin et ami de la jeune femme, qui n’étaient pas encore disponibles en langue française.
Né le 17 avril 1889 dans une famille du prolétariat juif d’Amsterdam, l’autodidacte Philip Mechanicus a mené une brillante carrière de journaliste. Après avoir exercé son métier aux Indes néerlandaises – où son épouse Esther le rejoignit et mit au monde Rita, la première de leurs deux filles – puis à Amsterdam dans l’équipe de l’Algemeen Handelsblad durant plus de deux décennies (il en a été l’un des correspondants et rédacteurs avant d’en diriger le service « Étranger » jusqu’à l’occupation), il est licencié à la mi-juillet 1941 sous la pression des autorités nazies.
Ph. Mechanicus à Sumatra, 1919 (coll° Joods Historisch Museum)
Entre son retour en métropole à la toute fin 1919 et l’offensive nazie de mai 1940, Philip Mechanicus ne connaît à vrai dire que cet unique employeur. Sa vie sentimentale se révèle un peu moins stable. Fin 1924, son divorce d’avec Esther est un fait alors que leur deuxième fille, Julia, vient de fêter ses quatre ans. Quelques mois plus tard, le correspondant épouse Annie Jonkman. En novembre 1926, la petite Ruth voit le jour. Mais moins de trois ans après, nouveau divorce. Malgré ces ruptures, Mechanicus reste plutôt en bons termes avec ses anciennes compagnes, leur vient en aide quand il le peut, voit régulièrement ses enfants. Sa grande passion demeure toutefois son métier. Quand il ne voyage pas à l’étranger – par exemple en Union soviétique ou en Palestine –, il passe de nombreuses heures, de jour comme de nuit, à la rédaction de l’Algemeen Handelsblad. Spécialiste de politique étrangère, il suit bien entendu de près et d’un œil critique ce qui se passe dans l’Allemagne national-socialiste. La teneur de ses papiers pousse d’ailleurs ses patrons à le dissuader, dès l’invasion des Pays-Bas, d’écrire des articles politiques et de se rendre dans les locaux du journal. Ils estiment que ce serait l’exposer plus encore aux représailles de l’occupant. Dès lors, le bouillant quinquagénaire va s’installer chez la femme dont il est épris depuis déjà un certain temps, la pianiste Olga Moskowsky-Elias. Pendant quatorze mois, sa collaboration au quotidien va se résumer à des papiers « littéraires ».
Le 25 septembre 1942, Philip Mechanicus est contrôlé dans la rue, alors qu’il cherche semble-t-il à avoir des nouvelles d’Esther ; comme il ne porte pas l’étoile jaune, il est arrêté, trimbalé d’un poste de police à l’autre avant de passer quelques semaines derrière les barreaux. Le 25 octobre, il est conduit au camp d’Amersfoort (près d’Utrecht), non sans avoir tenté de s’échapper lors de son transfert. Malgré l’enfer qui règne là au quotidien, un codétenu [1] rapporte que Mechanicus ne manquait jamais de lui remonter le moral en lui lançant des : « Keep smiling. » Le 7 novembre, le journaliste se retrouve à Westerbork où il est immédiatement hospitalisé dans une salle d’une vingtaine de lits : maltraité à Amersfoort, il n’est pas semble-t-il en état de marcher ni même de vraiment tenir un crayon.
Annie Jonkman, deuxième épouse de Mechanicus
Cependant, dès qu’il recouvre des forces, l’Amstellodamois se remet à écrire. Des lettres à ses proches bien sûr, mais aussi, dans des cahiers, un Journal dont le manuscrit conservé couvre la période du 28 mai 1943 au 28 février 1944, soit exactement neuf mois. Cet Einzelgänger inconditionnel de la plume se considère comme un « un reporter accrédité aux fins de rendre compte d’un naufrage ». Il ne livre pas forcément le fond de son cœur, tente plutôt de rester le correspondant qu’il a toujours été. Les treize cahiers qui nous sont parvenus ont été édités pour la première fois en 1964 sous le titre In Dépôt, dagboek uit Westerbork (En dépôt, journal de Westerbork). Offrant une des meilleures sources sur ce camp de transit policier, ils sont nourris des réflexions et considérations d’un homme au fait de la situation politique et militaire, un homme qui, de surcroît, n’a rien perdu de sa veine humoristique. Des confrères qu’il a côtoyés en captivité n’ont pas manqué d’exprimer leur étonnement devant sa persévérance et sa capacité à écrire dans l’antichambre de l’enfer. Un tour de force, un tour d’adresse. Quand il n’écrit pas, Philip s’adonne à son autre passion, les échecs. Il joue d’autant plus souvent qu’il parvient à se soustraire, durant la plus grande partie de sa captivité, à l’obligation de travailler – prouesse qui lui vaut, de la part de certains de ses compagnons d’infortune, le surnom de « champion des tire-au-flanc ».
Malheureusement pour lui, Philip Mechanicus ne pourra pas échapper au « serpent galeux » qui quitte Westerbork pour ainsi dire chaque semaine, en général le mardi matin. Le 15 mars 1944, il est déporté à Bergen-Belsen. Grâce aux écrits laissés par deux compatriotes déportés dans le même train de voyageurs et aux souvenirs de l’auteur Abel J. Herzberg, arrivé dans le même camp de concentration peu avant eux [2], on dispose de nombre d’éléments qui permettent de se faire une idée assez précise des sept derniers mois de la vie du journaliste.
émission consacrée à Ph. Mechanicus
Le nom Bergen-Belsen était inconnu à Westerbork : pour désigner ce camp de la région d’Hanovre, on parlait de Celle. Nombre de Juifs « refoulés » des Pays-Bas ont atterri dans ce lieu, la plupart en espérant être échangés contre des Allemands de Palestine ou d’ailleurs – bien peu auront en réalité cette chance. Censés servir de « monnaie d’échange », les Juifs néerlandais purent bénéficier dans un premier temps d’un régime plus favorable que d’autres détenus. Quant au groupe de Mechanicus, qui comptait deux enfants souffrant de poliomyélite, il passa les six premières semaines isolé du reste des prisonniers. Le 20 avril, il fut transféré dans le Sternlager, autrement dit le camp « normal ». Les conditions de vie ne tardèrent pas à se dégrader, la faim à se faire sentir. On sait que Mechanicus, qui a probablement été affecté au « Kommando des chaussures », est tombé malade ; selon Abel J. Herzberg, il a continué à tenir son Journal. Le 9 octobre, avec des compatriotes et une dizaine de Français, il est transféré à Auschwitz-Birkenau. À l’arrivée du convoi le 12, il règne dans le camp de Birkenau une atmosphère particulière : quelques jours plus tôt, les Sonderkommandos ont tenté de se soulever. La répression bat son plein. Dans le désordre qui règne – la menace soviétique se précise –, le convoi ne semble pas avoir été enregistré. Deux témoins ont raconté peu après la guerre, alors que les ex-femmes et les filles de Mechanicus n’avaient aucune nouvelle de leur proche, qu’il avait été fusillé avec le groupe arrivé de Bergen-Belsen, le 15 octobre, dans un Krematorium.
Une partie des lettres de Weterbork envoyées par Mechanicus a été publiée, à savoir celles adressées à Annie, sa seconde épouse, et à leur fille Ruth [3]. Le journaliste Koert Broersma a eu accès à d’autres documents […] ainsi qu’aux passages non publiés du Journal. Aussi, son essai biographique[4], qui se nourrit par ailleurs du témoignage de contemporains du journaliste, fournit nombre de précisions et permet de corriger certains points.
Considéré comme « délinquant » ou « cas S » (strafgeval) puisqu’il avait enfreint l’obligation de porter l’étoile, Philip courrait le risque d’être déporté à Auschwitz dès son arrivée à Westerbork. Bénéficiant de protections au sein des services médicaux, il a passé deux mois à l’hôpital et près de sept dans les services de rééducation. Ces installations formaient un camp à l’intérieur du camp. Neuf mois après son arrivée à Westerbork, Mechanicus, qui a repris le dessus tant physiquement que moralement, a l’occasion d’arpenter plus facilement le camp proprement dit. Il occupe alors un lit de la baraque n° 85 qui abrite des centaines de personnes. À l’époque, il côtoie entre autres Etty Hillesum qui l’admirait ; à bien des reprises, tous deux s’entretiennent longuement et Philip lui lit ce qu’il consigne dans son cahier. La jeune femme et les membres de sa famille apparaissent d’ailleurs plus d’une fois dans les pages de In dépôt – certains de ces passages font écho aux lignes qu’elle a elle-même laissées. Souvent, Mechanicus documente son Journal en interviewant les gens qu’il croise, en explorant les arcanes administratifs peu ragoûtants du camp. En dépit de ses défauts – il est d’un tempérament atrabilaire, s’enfonce facilement dans la déprime –, il exploite un réel talent d’observateur et croque sans concession ou au contraire avec mansuétude bien des personnages qui s’attardent dans son voisinage.
Le manuscrit de In Dépôt se présente sous la forme de cahiers provenant de l’école du camp de Westerbork. Quand l’occasion se présentait, le journaliste faisait passer les cahiers hors du camp de manière à ce que quelqu’un les apporte chez Annie Jonkman, son ancienne épouse, qui n’était pas juive. Ceux qui nous sont parvenus – il manque les deux premiers et le(s) dernier(s) – ont été écrits dans les conditions précaires que l’on imagine, au fil de la plume, le journaliste étant le plus souvent perché en haut des lits superposés, au « troisième étage ». Pour cette traduction française, nous nous sommes reportés à l’édition présentée par Dirk Mulder, directeur du Centre commémoratif du Camp de Westerbork : In Depot. Dagboek uit Westerbork, Hooghalen/Laren, Herinneringscetrum Kamp Westerbork/Verbum, 2008. Elle reprend – à l’exception des trois derniers paragraphes – la préface de l’historien et écrivain Jacques Presser qui remonte à 1964.
D. Cunin
Ph. Mechanicus [1] Le médecin Elie Aron Cohen (1909-1993), auteur de plusieurs ouvrages en néerlandais sur son expérience concentrationnaire dont deux sont traduits en anglais : Human Behavior in the Concentration Camp et The Abyss : A Confession.
[2] Il s’agit des ouvrages suivants : Dagboek uit Bergen-Belsen. Maart 1944-April 1945 (Journal de Bergen-Belsen. Mars 1944-Avril 1945) de Renata Goldschmidt-Laqueur (1919-2011), Dagboek uit een kamp (Journal d’un camp) du futur psychiatre Louis Tas (1920-2011) et Tweestromendland (Between Two Streams) de A.J. Herzberg, oncle de Louis Tas. De ces trois livres, il existe au moins une traduction en anglais ou en allemand. À ces documents viennent s’ajouter des témoignages, recueillis oralement, de survivants qui ont côtoyé Mechanicus à l’époque.
[3]Ik woon, zoals je weet, drie hoog : brieven uit Westerbork (J’habite, comme tu le sais, au troisième : lettres de Westerbork, introduction de Ruth Mechanicus, Amsterdam, Balans, 1987).
[4]Buigen onder de storm. Levensschets van Philip Mechanicus 1889-1944 (Ployer sous la tempête. La vie de Philip Mechanicus 1889-1944, Amsterdam, Van Gennep/Herinneringscentrum Kamp Westerbork, 1993).
Images du film tourné en 1944 par le Juif allemand
Avis aux éditeurs frileux, aux Bataves qui tirent trop peu fierté de leur littérature, aux critiques mal informés et peu curieux : « Il est tems d’introduire sur la scène les femmes poètes de la Hollande ; elles y ont d’autant plus de droits qu’aucune nation de l’Europe n’a eu à se glorifier, depuis cent cinquante ans, d’un aussi grand nombre de femmes qui aient immortalisé leurs noms par la poésie, les sciences ou les arts. Il est à regretter que la langue hollandaise soit aussi peu répandue, et que la connaissance en soit restreinte dans un aussi petit espace. Jamais l’Allemagne, et encore moins la France et l’Angleterre, n’ont estimé, comme ils le méritaient, les poètes distingués de la Hollande ; la plupart d’entre eux ne sont pas même connus de nom hors de leur patrie.
« À la tête des femmes célèbres de la Hollande, nous devons placer l’illustre Anne-Marie Schurman ; et près d’elle, Catherine Lescaille, poète célèbre, qui mérita le nom de dixième muse. On connaît de cette Sapho de la Hollande, sept tragédies, qui jusqu’à présent ont été un des plus beaux ornemens du théâtre ». Avançons d’autres noms : Elisabeth Hoffman, Wilhelmine de Winter, ‘‘femme de génie’’, Pétronille Moens… » (1) Si l’on en juge par les pages Wikipédia consacrées à ces dames, force est de constater qu’elles relèvent en effet de l’élite poétique de leur temps. Au cours du stupide et bourgeois XIXe siècle, les choses devaient changer. La Hollande des pasteurs-poètes n’allait guère favoriser l’éclosion de talents du sexe réputé faible. Une évolution qui ne devait pas décourager, voici une centaine d’années, une Française d’explorer les créations de ses sœurs (de Flandre et) des Pays-Bas. (2)
De fait, le 12 novembre 1922, le supplément littéraire du Figaro accueillait quelques pages de Lya (Marie-Thérèse-Léone-Julia) Berger, une prépublication à vrai dire d’extraits de la « Conclusion » aux Femmes poètes de la Hollande (ouvrage récompensé par le Prix Montyon de l’Académie française). Cette demoiselle n’en était pas à son coup d’essai : en 1910, l’anthologie Les Femmes poètes de l’Allemagne avait vu le jour ; en 1925 devait paraître Les Femmes poètes de la Belgique. Le « prix Lya Berger » créé en 1922 par la Société des Gens de Lettres - organisme au sein duquel la native de Châteauroux occupa par la suite des fonctions importantes - témoigne de la reconnaissance dont jouissait alors cette féministe, patriote et chrétienne affirmée qui, vers l’âge de trente ans, semble s’être éprise d’une grande passion pour les Pays-Bas.
Louis Payen (1913)
Louis Payen (1875-1927), aux yeux duquel Lya Berger est « un sensible poète » qui, loin de jalouser les autres femmes qui font des vers, « s’applique au contraire à les faire connaître », présente l’ouvrage Femmes poètes de la Hollande dans La Presse du 14 janvier 1923 : « Rendons grâce à Mme Lya Berger d’avoir écrit ce livre. On connaît fort peu en général chez nous les littératures étrangères et pas du tout, peut-on dire, la hollandaise. Voici que Mme Lya Berger nous éclaire et que nous n’avons plus prétexte à être ignorants. Son volume, établi avec beaucoup de soin, de méthode et d’érudition, commence par un résumé de l’histoire littéraire en Hollande, qui conclut ainsi : ‘‘De tout temps, les écrivains hollandais bien que subissant des influences étrangères qu’ils ne songent ni à nier, ni à regretter, ont toujours tendu vers le but méritoire de se conserver une littérature nationale. Ce peuple ‘d’une lenteur active’, laborieux, curieux d’idées neuves, doué à la fois d’un sens pratique et d’une sensibilité délicate, a partagé surtout ses préoccupations littéraires entre la critique et la poésie. Dans cette dernière expression de leur art, de leur âme, les écrivains hollandais ont vu longtemps un moyen de propagande religieuse, morale, sociale. Puis, ils furent enclins davantage à suivre la devise de ‘l’art pour l’art’ ; aujourd’hui, ils abandonnent pour une conception plus large de la vie considérée dans ses rapports généraux avec les besoins de l’esprit humain.’’
« Mme Lya Berger nous présente ensuite toute l’harmonieuse théorie des femmes-poètes de la Hollande. Elle est fort nombreuse. Elle commence par les nonnes qui, au Moyen Âge, célébraient l'amour mystique. Ce sont Hadewyck (sic), au mysticisme ardent, Gertruide van Oosten, Zuster Bertken, toute de chrétienne humilité. Voici Anna Bijns, qui fut une violente adversaire de Luther et se servit de sa lyre comme d’une arme, puis les sœurs Visscher, qui vécurent au XVIIe siècle, érudites et bien chantantes, et toutes celles qui passèrent dans les siècles suivants et laissèrent comme Lucretia van Merken ou Wilhelmina Bilderdijk, des œuvres dignes d’attention. Mais les temps modernes sont les plus riches avec Hélène Swarth la première des poétesses de notre époque : ‘‘Rien n’est indifférent dans ses écrits, dit Mme Lya Berger, car une personnalité intéressante s’y manifeste. Toujours sincère, toujours vibrante, sachant rester très femme par un heureux mélange d’ardeur et de délicatesse, elle charme, elle émeut, elle convainc. Son talent a su, depuis vingt-cinq ans, évoluer instinctivement jusqu’aux tendances modernes, sans perdre de son originalité.’’ Autour d’elle évolue un nombreux bataillon de poétesses que Mme Lya Berger passe aimablement en revue. De nombreux extraits de leurs œuvres nous permettent de les approcher de tout près et ajoutent à l’intérêt de cet ouvrage. »
Jacques Patin (1883-1948) – l’une des chevilles ouvrières du Figaro littéraire, journal auquel Lya Berger a elle aussi collaboré à une époque – ne tarit pas lui non plus de compliments, même si l’on perçoit sans doute, sous sa plume, une certaine bienveillance : « Il est difficile de témoigner d’une plus discrète et courageuse érudition. Car il faut du courage pour s’évader des sentiers battus, et il y a un rare mérite, lorsque des succès faciles sont à votre portée, à s’absorber dans le labeur ingrat de défricher l’illimité domaine de toute une littérature étrangère. Mais Mlle Lya Berger n’a pas mis seulement dans ce livre toute sa compétence, elle y a mis tout son cœur. Elle semble avoir voulu réparer une injustice et, en même temps, créer un lien spirituel entre deux races. À tous ces points de vue, la réussite de son œuvre n’est pas moins belle que l’intention qui présida à son élaboration. C’est là une tentative neuve, du plus haut intérêt technique et littéraire, et qui nous ouvre des sources d’inspiration inexplorées.
« Mlle Lya Berger a défriché, avec une tenace volonté, le domaine poétique néerlandais, et elle a ajouté, à la précision documentaire d’un manuel, cette vie intense dans le récit et dans l’étude qui est l’apanage des écrivains fervents et désintéressés. On ne sait ce qu’il faut le plus admirer dans cette belle étude : du labeur patient qu’elle représente, ou de la sûreté de jugement et de composition qui l’impose comme une œuvre très rare d’histoire littéraire. » (3)
G. Cohen (1879-1958)
Un peu plus tard, dans Le Monde Nouveau (15 juillet 1925), c’est l’historien Gustave Cohen, grand connaisseur des Pays-Bas – on se souvient de ses Écrivains français en Hollande dans la première moitié du XVIIe siècle – qui porte son attention sur l’ouvrage de Lya Berger (en même temps que sur la thèse Conrad Busken Huet et la littérature française de son ancien étudiant J. Tielrooy).
Dans les contrées septentrionales, Les Femmes poètes de la Hollande ont donné lieu à des avis contrastés. Le critique de l’Algemeen Handelsblad (23/07/1925 – article repris dans Het Bataviaasch nieuwsblad du 29/08/1925 et dans le Sumatra Post de la veille) regrette le peu de discernement de la Française dans certains de ses choix ; J.F.M. Sterck (Boekenschouw, n° 11, 1924) n’est guère enthousiaste lui non plus, alors que le collaborateur de l’Indische courant (02/09/1925) se montre un peu plus clément. L’éminent francophile Martin J. Premsela (« Kroniek der Fransche Litteratuur. XIV. Nieuw critiekwerk », Vragen van den dag, 1er janvier 1924) félicite pour sa part Lya Berger. Fille du célèbre écrivain Albert Verwey et future grande éditrice, Mea Mees-Verwey, à laquelle la Française a consacré quatre pages dans son volume, ne manque pas de remercier sa consœur (« Een Franse dichteres over haar Nederlandse zusters », Groot-Nederland, août 1923). Dans De Beiaard, revue catholique centrée sur les arts, le dominicain B.H. Molkenboer salue à son tour le travail de cette pionnière (« Les Femmes-Poètes de la Hollande », sept. 1923). Toute entreprise de cette nature, à la fois survol historique et amorce d’anthologie, est certes à la fois louable et critiquable. Il est aisé, une fois le livre publié, d’en relever les lacunes (le fait, par exemple, que la poète française n’ait pas consulté l’étude d’Albertingk ThijmDe la littérature néerlandaise à ses différentes époquesparue en 1854), d’en dénoncer certains partis pris, d’avancer que plusieurs dames des époques les plus reculées (Hadewijch, Anna Bijns…) relèvent de la Flandre ou de la Belgique et non des Pays-Bas… Et que dire des susceptibilités qu’un tel travail ne manque pas de froisser…
B.H. Molkenboer, par J. Toorop, 1914
À Paris, où elle évolue au sein de la coterie littéraire et du petit monde néerlandophile - qui se retrouve par exemple au cabaret artistique Le Caméléon le 29 janvier 1924 autour de Paul Eyquem -, mais aussi en province, voire à l’étranger, Lya Berger saisira chaque occasion de parler de sa passion. L’Indépendant du Berry (10 février 1923) rapporte par exemple qu’elle a pu transmettre un peu de son savoir dans sa région natale. À l’initiative de l’Alliance Française, elle a, le dimanche 4 février 1923, tenu une conférence dans l’Indre, à Le Blanc (le 23 novembre 1922, elle en avait donné une à Paris devant un parterre de dames). Le journaliste présent, qui signe de ses initiales J. B., raconte : « Tant pis pour ceux qui, le pouvant, ne sont point venus entendre notre chère compatriote ; ils se sont privés d’une joie vraiment exquise, car l’on peut dire que la vice présidente de l’Académie du Centre a, pendant une heure, tenu sous le charme de sa voix musicale et de son érudition toute simple le nombreux auditoire que son nom seul avait groupé, au Théâtre, autour du Comité de l’Alliance Française, et au milieu duquel s’était glissé notre sympathique sénateur, Antony Ratier.
« Lya Berger exprime, tout d’abord, le regret de voir si peu connue en France la littérature hollandaise, car ‘‘si la renommée des peintres des Pays-Bas a souvent éclipsé celle des écrivains, leurs compatriotes, ceux-ci n’en ont pas moins une réelle valeur’’.
« Elle ne peut songer à nous résumer leur histoire ; mais, s’étant spécialisée dans l’étude de leurs Femmes poètes, elle décroche, pour nous, de la galerie, qu’elle a formée avec amour, et expose à nos yeux une grande demi-douzaine de portraits si vivants, si bien troussés, qu’on ne sait ce que l’on doit le plus admirer, de celles qui ont servi de modèles ou du talent avec lequel Lya Berger a su les présenter.
H. Pleij, Anna Bijns van Antwerpen, 2011
« Elle nous met d’abord en relations avec une nonne ardente et mystique du Moyen Âge, Hadewych, qui parle si familièrement et si aimablement au bon Dieu ; puis avec Anna Bijns, institutrice d’Anvers, qui ne se lasse pas d’assaillir de ses strophes fougueuses l’envahissant Luther. Elle nous présente alors deux sœurs délicieuses, Anna et Marie Tessehchade Visscher, les Muses du Siècle d’or hollandais, dont les rimes enchantèrent le règne des Nassau, la mignonne et pétulante Elisabeth Wolff, l’une des meilleures poétesses du XVIIIe siècle, l’ardente patriote Katharina Bilderdijk, qui chercha à déchaîner la furie de son peuple contre notre grand Empereur, et elle termine enfin par deux modernes Mme Hélène Swarth, dont les strophes écrites dans le français le plus pur, et si bien dites par la conférencière, subjuguent véritablement la salle, et Mme Henriette Roland-Holst van der Schalk, l’amie, quoique châtelaine opulente, de Lénine, dont le riche mais parfois nébuleux génie consacre ses élans au service de la cause… humanitaire.
« Mais combien froide et pâle est mon énumération ; qu’est cette pauvre page, qu’on dirait arrachée à un catalogue, auprès de l’évocation puissante de ces charmantes hollandaises, qu’a si bien su faire revivre Lya Berger, en les plaçant, dans leur milieu, si différent du nôtre, se détachant sur le ciel souvent gris de la Néerlande, qu’elles éclairent d’une étincelle de leurs yeux, couleur de Zuyderzée.
« J’espère en avoir dit assez pourtant pour vous forcer à venir entendre toujours plus nombreux, notre aimable et gracieuse compatriote, quand elle nous fait le plaisir de revenir, et, pour vous donner l’envie de lire son dernier ouvrage, dont sa conférence fut tirée : Les Femmes poètes de la Hollande, édité chez Perrin, mais que vous trouverez chez les libraires d’ici.
« En attendant au nom de tous ceux qu’elle a charmés une fois de plus, que cette suave magicienne soit remerciée, et qu'elle daigne souvent reprendre le chemin de notre Berry. »
Les amitiés hollandaises de la demoiselle de lettres n’empêcheront pas certains journalistes de déplorer son manque d’inspiration ; ainsi, le 3 juillet 1928, U. Huber Noodt - traducteur, ancien élève du slaviste André Mazon -, consacre, dans le NRC, une recension sans pitié à un roman qu’il juge dégoulinant de mièvrerie : Les Sources ardentes. Moins d’un an plus tard, le même quotidien prend le contre-pied de ce point de vue et se réjouit de voir l’œuvre en question récompensée par le Prix Claire Virenque (« Lya Berger », NRC, 22 mai 1929, ci-dessous).
L’attachement que Lya Berger éprouvait pour les Pays-Bas s’était traduit dès 1909 à travers le roman Sur l’aile des moulins – « sage et décent, selon un critique, tout juste assez romanesque pour piquer l’imagination des jeunes cervelles féminines » – qui a pour cadre la Hollande. Dans l’introduction à ses Femmes poètes de la Hollande, elle précise d’ailleurs : « C’est en 1909, à la suite d’un séjour en Hollande, qu’après avoir pris contact avec l’âme et la littérature néerlandaises, je conçus le projet de les étudier et d’essayer de les faire connaître à mes compatriotes ». » (p. VII) On sait qu’elle a pu séjourner assez longuement à La Haye. Plus d’une dizaine d’années avant la parution du volume Les femmes poètes de la Hollande, elle avait déjà exposé sa perception de la femme hollandaise dans un périodique français (sans doute un magazine féminin ou Le Monde Nouveau auquel elle a souvent collaboré), non sans faire une incursion dans les belles lettres bataves, une contribution saluée, le 8 juillet 1912, par le quotidien frison Leeuwarder courant.
Les liens privilégiés qu’elle a entretenus avec plusieurs intellectuels et artistes néerlandais l’ont conduite à rendre hommage à certains, par exemple à Gerard Walch qui venait de disparaître (« Médaillons néerlandais. Gerard Walch », Le Figaro, 6 mai 1931), ou encore à Philip Zilcken. Sa dernière publication d’importance semble toutefois avoir été, à la veille de sa soixantième année, une étude ayant trait à un tout autre domaine : Le vaste champ du Célibat Féminin (Avignon, Aubanel, 1936) ; elle s’attarde au passage sur le thème des « vieilles filles » dans la littérature, en particulier celle du XVIIe siècle, et dans l’œuvre de Balzac ; comme un assez grand nombre de femmes de sa génération et de la génération suivante, la romancière ne s’est pas mariée, partageant le plus souvent sans doute le quotidien de ses parents (son père Jules-Henri Berger, militaire, décédé en novembre 1931 dans sa quatre-vingt-douzième année ; sa mère en octobre 1925).
D. Cunin
A. Séché, Les Muses françaises. Anthologie des femmes-poètes, 1908
(1) M. de Haug, « Histoire abrégée du théâtre hollandais », Archives Littéraires de l’Europe ou Mélanges de littérature, d’histoire et de philosophie. Par une Société de Gens de Lettres. Suivis d’une gazette littéraire universelle, T. 6, Paris / Tubingue, Henrichs / Cotta, 1805, p. 213-216.
(2) Quelques autres publications de Lya Berger ayant trait aux lettres néerlandaises ou aux Pays-Bas : (avec H. van Loon) « La littérature hollandaise depuis 1830 », Le Monde Nouveau, 1920, p, 2544-2553 ; dans le même périodique, en août-sept. et en oct. 1928 : « Les Œuvres hollandaises d’expression française ».
(3) Jacques Patin, « Chez le libraire. Les Femmes poètes de la Hollande, par Lya Berger », Le Figaro. Supplément littéraire, 17 mars 1923.
Sur l'aile des Moulins, roman hollandais de L. Berger
Le Radical, 2 janvier 1910
Les femmes poètes de la Hollande
précédé d’un précis de l’histoire
de la littérature hollandaise
ouvrage orné de quatre portraits
Table des matière
EXTRAIT
Le Figaro
supplément littéraire
12 novembre 1922
Nous avons déjà annoncé la très prochaine publication, à la librairie académique Perrin, d’un ouvrage de critique littéraire sur un sujet très neuf, les Femmes poètes de la Hollande, par Mlle Lya Berger, qui a déjà écrit diverses études sur la littérature féminine étrangère. De son nouveau livre, nous extrayons le passage suivant :
Lorsqu’on voyage en Hollande et qu’on y visite tour à tour les villes mortes aux noms historiques dont les murailles noircies bordent le verdâtre lacis des grachten(1), les cités prospères pleines d’une agitation ordonnée et jamais vaine, les ports encombrés de bateaux recéleurs de tant de richesses, les prairies verdoyantes sur lesquelles les grands moulins tendent leurs bras laborieux dans un geste de bénédiction, on éprouve partout la même impression d’une vie tout ensemble digne et cordiale, discrète et active, qui correspond à l’expression à la fois intelligente et placide, à l’attitude réservée et bienveillante des habitants du pays.
La littérature hollandaise rappelle, par certains côtés, cet aspect physique des êtres et des sites.
Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 28/04/1923
Elle n’a jamais fait grand bruit dans le monde ; pourtant, elle a une histoire. Sous une apparence paisible, son existence, participant étroitement aux destinées de l’État, fut, par instants, fiévreuse et dramatique, en d’autres temps souriante et féconde comme les plaines fleuries des polders, parfois encore plongée dans la torpeur qui pèse sur les dunes grises, hérissées d’oyats(2) et de chardons bleuâtres.
*
**
Je me souviens du long moment qu’un jour je passai, songeuse, à Amsterdam, devant un chantier où une équipe d’ouvriers travaillait aux fondations d’une maison bâtie sur pilotis, enfonçant, côte à côte, dans le sol vaseux, sous les coups réguliers d’une massue spéciale, actionnée mécaniquement, les longs sapins qui composaient une base artificielle sur laquelle, ensuite, reposerait l’édifice projeté.
Le labeur, nouveau pour moi, qu’accomplissaient ces hommes, m’apparut empreint d'une beauté symbolique et représentait à mes yeux l’œuvre ingénieuse, patiente et sûre d’un peuple qui sait ce qu’il veut et ne recule point devant la peine pour atteindre son but.
La littérature hollandaise, éclose sur le terrain mouvant d’un pays si longtemps troublé, opprimé, et dans une atmosphère traversée par des courants si divers, est parvenue, grâce à la ténacité de ses écrivains, à composer un monument assez inégal dans ses détails, c’est possible, mais néanmoins solide et d’un ensemble harmonieux.
Bien que, comme on l’a écrit très justement, les Hollandais n’aient point fait de littérature dans leurs tableaux (3), et sans vouloir établir une comparaison suivie entre la littérature et la peinture, on peut dire qu’une parenté se découvre entre ces deux arts lorsqu'on s’occupe de rechercher en eux les principales manifestations de la mentalité d’un peuple.
Les consciencieux et dévotieux artistes de la Renaissance flamande, les Van Eyck, les Memling, les Quentin Metsys traduisent bien le mysticisme des Chants spirituels de leur époque.
Certaines œuvres de Joost van den Vondel, notamment Palamède, Lucifer, Gysbrecht van Amstel, qui, au milieu de quelques obscurités, laissent jaillir des gerbes de lumière, des rayonnements de sublime beauté, font songer à l’amour de Rembrandt pour les oppositions de nuit et de clarté, pour les effets d’ombre qui prêtent à La Ronde de Nuit son caractère presque unique d’impressionnante grandeur et d’attirant mystère.
N. Beets, La Chambre obscure, 1860
Les fines études de Nicolas Beets se reflètent dans les scènes d’intérieur d’un Pieter de Hooch ou d'un Metsu ; les « farces » de Bredero se retrouvent dans Les Kermesses de Jan Steen et les scènes rustiques de Van Ostade.
Et tout cela nous plaît parce que c'est plein de vérité hollandaise.
À ce titre, les paysages de Ruysdaël, qui représentent de noires forêts courbées sous l’orage, évocatrices du Tyrol plutôt que des Pays-Bas, ont moins de couleur locale que ceux de Cuyp ou de Hobbema.
De même, nous trouvons un grand charme dans les toiles pleines de finesse et de sentiment d’un Mesdag, d’un Maris ou d’un Mauve, parce qu’elles reproduisent toute la poésie mélancolique des mers grises, des dunes infinies et des vieux moulins.
page de titre
Ces œuvres-là sont bien les sœurs de celles des descriptifs contemporains qui, dans leurs vers, ont chanté l’âme même de leur race.
Puisse la futurisme aux fantaisies abracadabrantes ne pas profaner, ainsi que le pourraient faire craindre certains tableaux exhibés dans la dernière exposition artistique du Jeu de Paume, le noble et sensé génie hollandais.
La littérature, la poésie ont paru jusqu’ici échapper à ce danger. Souhaitons, pour employer un mot très hollandais, que la belletrie néerlandaise garde toujours son goût de la simplicité et de la vérité.
Les œuvres féminines, le plus souvent influencées par celles des hommes – ce qui ne les empêche pas de conserver leur originalité d’interprétation et d’expression – ont nettement traduit, de leur côté, les évolutions psychologiques, sociales, voire politiques des pays d’Orange.
Considérées de ce point de vue, Hadewyck (sic), Anna Bijns, Elisabeth Wolff, Mme Bilderdijk, Mme Hélène Swarth, Mme Roland-Holst ne sont pas seulement des individualités intéressantes : elles sont un miroir de leur temps.
biographie de H. Roland-Holst
De plus, en général inspirées par la passion, les poétesses néerlandaises nous prouvent que les ciels brumeux du Nord ne glacent point les cœurs comme d’aucuns seraient tentés de le croire.
Enfin, à travers ses œuvres, la femme hollandaise nous apparaît très digne d’estime et de sympathie.
La poésie, d’ailleurs, ne réside pas seulement dans la couleur d’un ciel ou l’harmonie d'un horizon. Elle plane aussi sur les vieux édifices qu’a consacrés l’Histoire, dans les musées où sommeille le génie, dans les chantiers qu’emplit le bourdonnement du labeur humain, au sein du foyer familial qu’égaient des chants enfantins. Elle est tour à tour le récitatif du souvenir, le chœur des rêves, l’hymne du travail, la romance de l’amour et la berceuse de l’espoir.
En Hollande, la poésie revêt toutes ces formes, emprunte toutes ces voix.
Au fond de son cœur, la femme hollandaise sait l’écouter chanter ; souvent elle a su, dans ses vers, traduire ce chant innombrable. C’est pourquoi il est juste et agréable de l’écouter, parfois, à son tour.