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Traductions-Traducteurs - Page 34

  • Instantanés d’Australie

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    Regarder le soleil d’Anne Provoost



    Éditeur de l’Histoire de la Littérature néerlandaise (1999), Fayard propose dans son catalogue de littérature étrangère plusieurs romans d’Erwin Mortier (Marcel, Ma deuxième peau, Temps de pose) et son récit Les Dix doigts des jours. Un autre auteur flamand vient de faire son entrée aux côtés de Nabokov, Kadaré, Sciascia, Soljénitsyne… Il s’agit d’Anne Provoost, surtout connue dans le monde néerlandophone pour ses essais et ses ouvrages jeunesse (Le Piège, trad. Francoise de Brebisson, Seuil, 1997). Avec Regarder le soleil (traduction de Marie Hooghe), elle signe un roman qui sollicite d’abord le regard.

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    « Née en 1964, récompensée par de nombreux prix, Anne Provoost est néanmoins une quasi-inconnue en France, à l’exception du Piège (Seuil, 1997). Regarder le soleil répare une lacune évidente, mais classe d’emblée son auteur parmi les écrivains exigeants dont la prose réclame du temps – le temps du poème et du voyage. (…) L’une des caractéristiques de Regarder le soleil est de laisser en suspens un grand nombre de ses pistes sous le vent et le soleil du cœur de l’Australie. Le roman ne dit que ce qu’il décrit. C’est sa justesse et sa pureté. En faisant de la sensualité méticuleuse d’une enfant solitaire la colonne vertébrale de son livre, Anne Provoost prend le risque d’un roman ambitieux et radical, où l’intrigue est une préoccupation secondaire. » (Nils C. Ahl, Le Monde des Livres, 27/08/2009)



    LE MOT DE L’ÉDITEUR


    Dans un ranch de l’outback australien, une fillette, Chloé, vient de perdre son père. Elle reste seule avec sa mère, Linda, qui devient progressivement aveugle. Linda continue de faire tourner la ferme, mais elle perd peu à peu le contrôle de la situation... et de sa fille, qui profite de cette liberté toute relative pour errer dans la campagne. En une série de chapitres narratifs nous est dépeinte, par le biais de l’enfant, la lente décomposition de la mère. De grandes émotions sont décrites, mais de manière voilée, ainsi que l’on doit regarder le soleil : indirectement, ou à travers un filtre. Un roman poignant, admirablement servi par une sobriété de moyens qui lui confère une étrange poésie et un charme insidieux, comme la poussière rouge du bush.


     

    POINT DE VUE

    Tout le livre – à l’exception de l’avant-dernier chapitre – est narré au présent par Chloé : celle-ci rapporte par bribes ce qu’elle voit, perçoit, entend, vit : conversations des adultes, bruits, changements du paysage, passage d’une saison à l’autre… En retenant cette optique, l’auteur essaie d’exposer avec authenticité la complexité psychologique d’une petite fille qui n’est pas encore à même d’exprimer tout ce qu’elle ressent. Les vides de la narration restituent la perception enfantine : on ignore pourquoi les parents ont quitté la Belgique, on ignore comment la chute du père s’est réellement produite, on passe brutalement d’une saison à l’autre…

    ProvoostAnnePortret.jpgÀ côté du thème du deuil, le roman s’intéresse essentiel- lement au regard, mais le regard qui est en danger – comme l’annonce le titre du livre « regarder dans le soleil » (ce que fait la mère, à travers les négatifs de photos) : tant le regard de la mère en deuil qui perd la vue que celui de la très jeune narratrice solitaire qui voit ce que sa mère ne voit plus, mais sans vraiment comprendre ce qu’elle voit. La relation mère-fille doit sans doute beaucoup aux romans d’Alice Munro : la mère se reconnaît dans sa fille mais elle tente en même temps de se retrouver elle-même en s’éloignant mentalement de son enfant. Ce qui (dés)uni mère et fille trouve sans doute sa formulation la plus marquante dans la scène où Linda prend le volant à la tombée de la nuit, contre l’avis de Chloé : peu après, elle écrase un wombat femelle : la femme qui devient aveugle écrase un marsupial lui-même plus ou moins aveugle ; son premier souci est alors de voir si elle a également écrasé le petit que la mère porte en principe dans sa poche.

    À ces regards s’ajoute celui de la romancière, un regard qui privilégie l’inspiration picturale. Le roman se caractérise en effet par une lenteur extrême de la narration, de nombreuses descriptions (belles toiles « poétiques », brossées avec sobriété et stylistiquement soignées) des paysages sauvages aux différentes heures du jour, aux différentes saisons, avec des arrêts sur image (une tempête, un incendie qui menace les rares habitations, souvent aussi la flore et la faune locales : les animaux incarnent l’incapacité de communiquer qui est aussi celle de l’enfant) ; sur ces descriptions et les dialogues se greffe un jeu permanent, fait de suggestions, entre ce que le lecteur sait et le malaise qu’éprouve Chloé.

    Le dernier chapitre, où tout se couvre de neige autour de la ferme, est certainement le plus réussi des douze. Mais la plupart d’entre eux ont d’abord été conçus comme des nouvelles, et cela se ressent un peu. (D.C.)

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    couverture de l'édition néerlandaise, Querido, Amsterdam

     

     

    ENTRETIEN AVEC L’AUTEUR


    Pourquoi avoir situé votre roman en Australie, alors que vous vivez en Belgique ?

    La situation géographique est très importante, l’histoire a toujours des liens avec les lieux où elle se déroule. A l’époque de l’écriture de ce livre, je voyageais sans cesse. Je n’ai supporté ces perpétuels changements de lieu qu’à la condition de pouvoir, chaque fois, en rapporter des nouvelles. Si j’ai choisi de jouer sur une grande diversité de lieux, l’Australie est sans doute le pays qui m’a le plus fasciné : on se trouve plongé dans une nature, monumentale et étrange à la fois. Ce lieu évoque pour moi à la perfection le sentiment de « se perdre ». Ainsi, j’ai ramené de ce voyage deux petites histoires, comme des autres pays que j’ai visités, et ce fut le point de départ de ce roman...

    Comment ces fragments sont-ils devenus un livre ?

    Après en avoir écrit quatre ou cinq dans ces conditions, j’ai découvert que si chaque histoire était issue de lieux différents, une constante les reliait toutes : le regard qu’une enfant pose sur sa mère qui souffre. Le fil rouge était là sans que je m’en sois aperçu ! Ce fut une très étrange expérience, tout à fait nouvelle. Mais, rétrospectivement, elle me parait la conséquence inconsciente de mon besoin, à l’époque, de m’isoler. Je pense avoir écrit ici le roman le plus « introspectif » de ma carrière. (la suite : ici)


    extrait du roman lu par Danielle Losman : ici


    Anne Provoost - entretien vidéo en anglais : ici

     


    trailer du film Failing (2001) de Hans Herbots, tourné en Ardèche, adaptation du roman Vallen (Le Piège)




    pages françaises sur le site de l'auteur : ici

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  • Les Somnambules

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    Un entretien avec l'auteur

     

     

    Premier album BD du dessinateur flamand Randall Casaer (titre original Slaapkoppen, éd. Oogachtend, 2007), Les Somnalmbules a été présenté au Festival d'Angoulême 2009. A l'image de l'illustration des albums jeunesse, la BD flamande est en plein boum !

     

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    Les Somnambules, trad. Daniel Cunin, Casterman, 2009

     

     

    entretien radio avec l'auteur (2 parties)


    podcast


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    entretien Le Soir : ici

     

     

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    A la lecture de votre livre, on peut se demander ce qui relève de la construction et de l'écriture automatique...

    C’est un gros travail de construction. La première inspiration est très fluide. On tente de mettre ça en forme, en image, en histoire, en essayant de recréer ce premier sentiment. Mais je me suis bien amusé à faire la composition, à mettre des références, des éléments qu’on ne comprend pas au début mais qui s’éclairent à la fin. C’est moins efficace que de travailler de A à Z, mais beaucoup plus amusant.

    On a l'impression d'un récit qui part à la dérive, puis se démultiplie en histoires gigogne...

    Oui, c’est un peu ça. Mon idée de départ était de faire un récit sans moteur. Dans un récit classique, le personnage a un but, doit trouver un équilibre. Les deux personnages du début de l’histoire n’ont pas d’intention, pas de problème, n’ont rien à faire, ne font rien. Ils ne réalisent même pas qu’ils vivent une sorte d’aventure. Mais je ne pouvais pas continuer indéfiniment, il fallait bien qu’à un moment il se passe quelque chose, alors on fait des histoires dans l’histoire. Pour montrer aussi ce que je pouvais faire, en changeant de formes de narration.

    lire la suite de cet entretien de Randall C. avec Olivier le Busy, La Libre Belgique : ici

     

     

    L'humour décalé de Randall C. plonge le lecteur dans un univers de rêves mis en abyme. Deux couples de personnages s'interrogent sur le rêve et la réalité, le langage, l'environnement surréaliste de leur imaginaire débridé où « les nuages ne chantent pas si ce n'est en silence »... On entre dans cet album comme dans une musique absurde matérialisée dans des dessins et des textes vertigineusement drôles et instables... Un auteur est né...et son premier album est un ravissement magique.  (Edmond Morrel)

     

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    voir aussi l'article de Nicolas Ancion : « C'est très bon signe quand on termine une BD et qu'on a du mal à la comparer à une autre. (...) Les somnambules est un récit hors pair, avec un pied chez Lewis Caroll et l'autre chez Henri Michaux, tendance Monsieur Plume (...) Les somnambules est un grand livre. Un magnifique album, qui inaugure un genre nouveau, qui ne serait pas le roman graphique mais le poème graphique, un développement narratif inédit qui s'intéresse moins au devenir des personnages plongés dans le réel qu'au développement quasi sans limite de leur imaginaire. Époustouflant et déroutant. Que demander de plus ? »

     

     

  • Une gloire de la Flandre

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    Le traducteur Charles Grolleau

    à propos de Guido Gezelle

     

     

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    Guido Gezelle 

     

    S’il fut « un parfait écrivain, un rare poète, un grand chrétien » (1), Charles Grolleau (1867-1940) se distingua aussi en étant éditeur de J.-K. Huysmans et, essentiellement par nécessité financière, un traducteur prolifique (Chesterton, Blake, Wilde, Omar Khayyam, Sienkiewicz…). Tant sa poésie que ses traductions recueillirent les éloges, par exemple sous la plume du jeune critique Louis Thomas dans l’Art Moderne du 28 octobre 1906 :

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    Charles Grolleau ne lisait pas le néerlandais. Toutefois, il a ramené d’un séjour en Flandre un petit ouvrage consacré au plus grand poète flamand du XIXe siècle, Guido Gezelle : Une gloire de la Flandre. Guido Gezelle. Prêtre et poète (1830-1899) a paru en 1917 dans la collection « Bellum » chez Georges Crès. L’étude de Grolleau, dédiée à dom Bruno d’Estrée o.s.b., est suivie d’un choix de poèmes empruntés aux Poèmes choisis (1858-1899), traduits du flamand par Émile Cammaerts et Charles Van den Borren, Louvain, Charles Peeters, 1908. Grolleau reprend les mots de ces passeurs : « Guido Gezelle n’est pas un poète local, un Défrécheux brugeois, un “Mistral du Nord”. Sa langue participe davantage du néerlandais littéraire que du patois flamand. Il n’a pas tenté de fixer par l’écriture une tradition orale ; il a infusé le sang jeune de locutions parlées dans le corps anémié d’une écriture conventionnelle. Il a restauré à l’aide du patois qui en avait conservé l’empreinte, la langue littéraire médiévale. […] Ce n’est pas un artiste isolé, c’est un des grands maîtres – le plus grand peut-être, à l’époque moderne – des lettres néerlandaises. »

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    Puis il ajoute lui-même : « Que ne donnerions-nous pas pour entendre ce que la nature nous dirait par la bouche d’un saint ? Elle a parlé souvent et saint Bernard et saint François d’Assise et saint François de Sales et des milliers dont nous connaissons quelques-uns et des milliers que nous ne connaîtrons jamais ont redit de ses paroles, mais souvent, chez eux, la poésie n’était que la servante d’une haute et puissante maîtresse : la sainte Théologie, et c’est la poésie toujours servante peut-être mais parlant d’elle-même et de son commerce direct avec tous les reflets de Dieu, c’est le chant spontané d’une âme sainte que nous demandons avec les cris de la soif et de la faim. Eh bien ! cette poésie-là, nous l’avons par Guido Gezelle. Jamais âme plus mélodieuse, anima plena modulatione, comme dit l’Imitation, ne nous aura parlé ainsi du Dieu qu’elle adorait, de l’œuvre des six jours gardant pour les seuls yeux de ceux qui prient la trace lumineuse des mains paternelles. Et tous ceux qui ont connu l’humble vicaire de Courtrai et tous ceux qui ne connaissent que son œuvre ont, sans toucher imprudemment au trésor que cache le mot de sainteté, prononcé le nom de “saint” en parlant de Gezelle. »

    La nécrologie rédigée par L. Lefebvre nous apprend que, le 15 juin 1940, Charles Grolleau « fuyait, en automobile ; au cours de cet exode, surpris par un bombardement, son cœur fragile n’a pas pu résister : il s’est effondré mort, sans un mot, dans les bras de sa femme, l’admirable compagne de sa vie et de sa pensée […]. On l’a enterré dans un village déjà évacué, sans cercueil, sans prêtre. »

     

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    (1) Ce sont les termes employés par Lefebvre dans la nécrologie qu’il consacre à son ami près de six mois après le décès de ce dernier (La Croix, 8 décembre 1940). Il n’est pas inutile de relever que Grolleau a collaboré à la célèbre Histoire littéraire du sentiment religieux en France de H. Brémond.

     

     

     

     

    Guido Gezelle en néerlandais

    http://www.gezelle.be/

    http://users.belgacom.net/merton/indexgg.htm

    http://www.dbnl.org/auteurs/auteur.php?id=geze002

     

    deux biographies récentes sur Guido Gezelle

    C. D’haen, De wonde in ’t hert: Guido Gezelle: een dichtersbiografie, Tielt, Lannoo, 1987.

    M. Van Der Plas, Mijnheer Gezelle: biografie van een priester-dichter (1830-1899), Tielt/Baarn,  Lannoo/Anthos, 1990.

     

     

    vidéo Guido Gezelle & Paul van Ostaijen réunis


     

     

  • Anatole France à propos de Multatuli

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    La préface aux Pages choisies de Multatuli

     

     

    Anatole France

    multatuli,anatole france,alexandre cohen,mercure de franceEn 1901, la Société du Mercure de France publie un volume de textes de l’un des auteurs les plus marquants du XIXe siècle néerlandais, Multatuli (pseudonyme d’Eduard Douwes Dekker, 1820-1887), dans une traduction d’Alexandre Cohen, alors critique au Mercure de France. Dans ce même périodique, Henri de Régnier écrit à propos de cet ouvrage : « M. Anatole France qui sait écrire un livre, sait aussi écrire une préface. Il en a composé de charmantes et celle qui précède l’édition en cinq volumes des œuvres de Jean Racine (Lemerre, 1869) est admirable. De même, les quelques pages où il nous présente aujourd’hui la traduction que M. Alexandre Cohen nous offre de Multatuli sont précises, élégantes et judicieuses. Au préambule magistral de M. Anatole France, M. Cohen ajoute d’intéressants détails sur la vie et l’œuvre de l’Essayiste Hollandais. Nous voici donc doublement avertis de goûter un écrivain nouveau pour nous, d’autant mieux que tout ce que nous savons de lui commande l’estime. Nul doute en effet qu’Eduard Douwes Dekker n’ait été un honnête homme et un libre esprit. Avant d’être un auteur franc et hardi, Multatuli fut un fonctionnaire probe et juste. Résident aux îles Moluques et à Java, il dénonça les abus du pouvoir colonial et n’ayant pu obtenir satisfaction du gouvernement, il en appela à l’opinion publique dans son roman de Max Havelaar. M. Cohen nous analyse la substance de ce livre qui valut à son auteur de puissantes et longues rancunes. Dès lors, Multatuli ne cessa de poursuivre dans ses écrits les divers préjugés moraux et sociaux de son temps et de son pays. Il y employa des armes diverses, l’invective et l’ironie, la fiction et l’apologue, la maxime et l’épigramme. Une pareille attitude a droit au respect et M. Alexandre Cohen a bien fait de nous aider à connaître Multatuli en nous permettant de le lire, sinon dans son entier au moins en ses endroits principaux et les plus caractéristiques. » (« Littérature. Multatuli : Pages choisies, traduites par M. Alexandre Cohen, préface d’Anatole France », Mercure de France, août 1901, p. 493-494).

    Nous reproduisons ci-dessous la préface écrite par Anatole France (p. 5-8) en l’accompagnant de la table des matières de ce livre de 358 pages. Dans une longue notice (p. 9-57), Alexandre Cohen présente « le milieu réfractaire où se débattit le génie de l’auteur ». Les Pages Choisies ont connu au moins une réédition (1902). Il convient de ne pas les confondre avec cette autre édition : Multatuli, Pages choisies, choix, présentation et traduction du néerlandais par Lode Roelandt, avec la collaboration de Alzir Hella, préface de Henry Poulaille, notice biographique de Julius Pée, Bruxelles/Paris, Labor, 1938 (réédition, Paris, Office français du livre, 1943). 

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    PRÉFACE

     

    Eduard Douwes Dekker, Hollandais, qui occupa longtemps à Java un emploi dans l’administration coloniale, publia, sous le nom de Multatuli, lors de son retour dans son pays, un roman, Max Havelaar, dans lequel il révéla les abus de l’autorité coloniale dans les Indes néerlandaises. M. Alexandre Cohen, compatriote de Multatuli, a, comme lui vécu à Java. Il était donc particulièrement capable de nous faire connaître Multatuli et son œuvre. C’est à quoi il s’est appliqué dans le présent livre, que j’ai le plaisir de présenter aux lecteurs et qui contient une étude sur la vie de Dekker et une traduction française de morceaux choisis dans l’œuvre de cet écrivain.

    Multaluli n’est pas seulement l’auteur de Max Havelaar. Il a laissé beaucoup d’écrits sur la politique et la morale, sur les affaires et les mœurs des Hollandais. M. Alexandre Cohen, qui est un esprit très indépendant, ne prend point et ne nous donne point la pensée de Multatuli comme un corps de doctrine, et il n’impose cette pensée ni à lui ni à nous. Il m’a même averti que, soucieux avant tout de faire connaître son auteur, il a choisi non pas les endroits par lesquels il lui semblait que Multatuli lui ressemblât le plus, mais les endroits ou Multatuli ressemblait le plus à lui-même. Les traducteurs et les anthologistes ont d’ordinaire moins de désintéressement. Ils ne trouvent leur auteur tout à fait agréable que s’il leur ressemble un peu.

    Ce par quoi Multatuli a charmé M. Alexandre Cohen, c’est son entière franchise et sa parfaite sincérité. Multatuli est un écrivain très extraordinaire : il dit ce qu’il pense. Il s’en trouve fort peu de cette sorte en Hollande et ailleurs. En tous pays, de tout temps, le nombre des hommes qui pensent est petit ; le nombre de ceux qui osent dire ce qu’ils osent penser est moindre. Ils n’y sont nulle part encouragés. La franchise est la moins sociable des vertus.

    Multatuli est enclin à rechercher l’origine des idées les plus communément acceptées et ces recherches le mettent souvent sur la voie de découvertes inattendues et précieuses. C’est ainsi qu’il a cru s’apercevoir que les vertus classées avaient toutes ou presque toutes un caractère essentiellement économique. Mais c’est ce qu’il faut lui laisser dire à lui-même. Il a dans le pessimisme une jovialité charmante et rien n’est plus divertissant que son amère bonne humeur.

    Ce Hollandais qui écrivait de 1859 à 1887 a un peu la manière d’un Français du XVIIIe siècle. Il rappelle nos philosophes d’avant la Révolution, par l’audace des idées, la liberté de l’esprit, la vivacité de l’expression, et par une bienveillante ironie. Il se moque des « dominés » presque aussi gaiement qu’ils raillaient les Jésuites et les Capucins. Il a, comme eux, le goût des contes orientaux. Quelques-uns de ses apologues sont aussi aimables que ceux de l’abbé Blanchet. De même que nos philosophes faisaient volontiers des dialogues avec des Chinois ou des Brahmanes, il se plaît à des conversations morales avec des Japonais. On est tenté de dire de telle page écrite par lui que c’est du Voltaire hollandais, j’entends du Voltaire peut-être un peu rude pour nous, mais non sans saveur.

    Sans connaître leur littérature, sans lire un mot de leur langue, nous savions que les Hollandais furent excellents dans la poésie comique et dans la satire. Leurs peintres nous l’avaient bien fait voir : Terborch, Pieter de Hooch, et Van der Meer de Delft sont d’excellents moralistes. Jan Steen est un Molière en son genre.

    On peut dire que Multatuli, que M. Alexandre Cohen nous révèle, est comme eux, mais avec la plume, un peintre spirituel et franc de l’homme et de la société.

    Anatole France

     

     

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    Multatuli, een zelfportret: het leven van Eduard Douwes Dekker, door Multatuli verteld, (Multatuli, un autoportrait : la vie d’Eduard Douwes Dekker racontée par Multatuli), Amsterdam, Bert Bakker, 2010

     

     

    Table des matières

    Préface (5)

    Notice (9)

     

    Lettres d’amour 1861

    Légendes d’autorité (61)

    Un jugement exemplaire (86)

    Crucifiement (89)

    Amour du mensonge (103)

    L’impresario (106)

     

    Idées 1862-1874

    Panification et immoralité (111)

    Une leçon de morale (113)

    Pygmée (115)

    Décomposition (118)

    Economie politique (124)

    Humour (128)

    Morale samoyède (135)

    Pontonniers superflus (137)

    Pas dans le programme (139)

    Ornis (140)

    Salut et ressemelage (144)

    De la loyauté en politique (146)

    Das komt vom lesen (150)

    Chez les amis (150)

    Un souvenir de Napoléon (167)

    Socrate (172)

    Le quartier juif d’Amsterdam (175)

    Dom Alonzo Ramirez (183)

     

    Les spécialités 1872

    Une définition (193)

    Du parlementarisme (195)

     

    Essais millionesques 1873

    Tombé des nues (225)

    Microcosme (235)

    Vieux-Delft (245)

    Dans la salle de jeu (255)

    Amourettes fluviales (288)

     

    Divers

    Jurisprudence (297)

    Je ne sais pas ou je mourrai (299)

    Faut-il écrire ? (302)

    Taxation d’hommes (308)

    Le dialogue japonais (312)

    Une démonstration (347)

     

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    annonce de la parution des Pages choisies,

    Journal des débats politiques et littéraires, 23/04/1901, p. 3

     

     

  • Un traducteur de Louis Couperus

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    Paul Eyquem, traducteur de néerlandais

     

     

    Déclaré mort à l’âge de 7 ans par le médecin, Paul Louis Bernard Eyquem (Canterac, 4 mai 1875 - Lafarde, 1er octobre 1940) est sorti de cette mort apparente, pour réclamer une pomme, alors qu’on veillait sa dépouille. Plus tard, après avoir obtenu un diplôme de bachelier ès-lettres dans la région bordelaise, il devient militaire. Ses ambitions littéraires l’amènent a publier sous le pseudonyme H.P. Harlem (un long poème, « Le Cygne », Revue Blanche, 1er septembre 1898, p. 71-76 après une chronique un peu plus tôt dans cette même revue – vol. 16, p. 319-320 ; un autre poème intitulé « Impressions » dans L’Ermitage, 1899, vol. 18, p. 420-421 ; « À la plus pure », L’Ermitage, 1903, vol. 27, p. 282-285…) ou encore à fréquenter les « Mardis » de Mallarmé, côtoyant à l’époque Heredia, Huysmans, Henri de Régnier… Il semble que l’on ait gardé bien peu d’œuvres de sa main.

    Vers 1900, il s’établit à Utrecht pour enseigner à l’école Berlitz avant de bientôt donner des cours privés de français et des conférences, dont certaines dans le cadre de l’Alliance française, sur Verlaine, Rimbaud, Gérard de Nerval, Laforgue… ; ainsi, au début de l’année 1906 tient-il une série de 6 conférences dans sa ville d’adoption sur les thèmes suivants : L’Artiste et la Société ; Un conteur : Villiers de l’Isle Adam ; Un penseur : Le Comte de Gobineau ; Un sculpteur : Auguste Rodin ; Un peintre : Eugène Carrière ; Un poète : Émile Verhaeren. Il lui arriva aussi d’évoquer les écrivains néerlandais : « …le 25 novembre 1924, M. Paul Eyquem (…) a donné une conférence sur nos littérateurs modernes. Selon lui la langue des Hollandais était claire comme leurs tableaux et la littérature néerlandaise donnait la joie de voir clair » rapporte le journal De Telegraaf (27 novembre 1924).

    Devenu un grand connaisseur et des Pays-Bas et des langues néerlandaise et malaise, il vit tant bien que mal de traductions et de quelques autres activités. Rentré en France en 1911, il épouse à Bordeaux l’année d’après le sculpteur Jeanne-Louise Lot ; le couple s’établit ensuite à Paris. Traducteur assermenté auprès du Tribunal de la Seine, il sera rattaché de 1915 à 1940 au Bureau de l’Information du Ministère français des Affaires étrangères, emploi grâce auquel il entretenait un lien permanant avec la Belgique et la Hollande ; au sein de ce ministère, il a longtemps travaillé dans le service de Jean Giraudoux. Il a pu par ailleurs donner des cours de français à des Néerlandais séjournant à Paris, par exemple au futur journaliste J.L. Heldring, lui ouvrant les yeux sur une possible entente entre Staline et Hitler plus d’un an avant le pacte germano-soviétique. Nommé en 1926 membre exceptionnel de la Maatschappij der Nederlandse Letterkunde (Académie néerlandaise des Belles-Lettres), il retourne souvent en Hollande où il avait d’ailleurs séjourné à l’époque de la Grande Guerre comme interprète de l’armée française et représentant du service de presse du gouvernement français : ainsi, fin 1918-début 1919, il y a rencontré à quelques reprises Frederik van Eeden (1860-1932) qui le qualifie dans son journal de « journaliste français ». Dans ce pays, il entretient des liens plus ou moins amicaux avec d’autres écrivains dont Dirk Coster (1887-1956), Johan de Meester (1860-1931), Top Naeff (1878-1953), la philosophe et romancière Cary van Bruggen (1881-1932) ou encore le peintre R.N. Roland Holst (1868-1938). À Paris, il côtoie aussi certains écrivains néerlandais : dans sa correspondance, Eddy du Perron, qui a partagé un repas avec lui et quelques autres personnes, le considère, du moins selon ses premières impressions, comme un « bavasseur des plus doués » ; il reconnaît à ce barbu peu génial une certaine intelligence et un certain raffinement dès lors qu'on le compare à Benjamin Crémieux (lettre du 26 novembre 1932 à Jan Greshoff).

     

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    Les Marges, avec une traduction de P. Eyquem

     

    Vivant avec son épouse au milieu de chats, de gravures sur bois japonaises et de livres qu’il est parvenu à collectionner malgré un certain dénuement – 4, impasse Ronsin à Paris, où se trouvaient alors des maisons délabrées habitées par des artistes et où picoraient des poules –, ayant renoncé à ses ambitions de poète, il publie de temps à autres une contribution :

    « La Peinture hollandaise moderne », Le Monde Nouveau, 3, 1921 ;

    « Aux Indes néerlandaises : Le syndicalisme musulman et la IIIe internationale », p. 55-83, Revue du Monde musulman, déc. 1922 ;

    un texte dans Les Arts de la Maison. Choix des œuvres les plus expressives de la décoration contemporaine, [éd.] Christian Zervos, printemps-été 1924, Paris, Albert Morance [publication à laquelle a également contribué R.-N. Roland Holst] ;

    « Littérateurs hollandais contemporains et lettres françaises », La Haye, 1924…

    Il donne par ailleurs maintes traductions de textes néerlandais – poèmes, nouvelles, articles :

    « Histoire du Joueur de flûte et de la belle danseuse », d’Augusta de Wit, Le Monde Nouveau, 1930 ;

    La danse dans le Théâtre javanais de Th. B. van Lelyveld (Paris, Floury, 1931, préface de Sylvain Lévi) ;

    d’Ellen Forest (1880-1959), romancière totalement oubliée aujourd’hui, le roman Yuki San (Paris, Plon 1925) ;

    une thèse : R.H.W. Regout, La Doctrine de la guerre juste de saint Augustin à nos jours, d’après les théologiens et les canonistes catholiques (Paris, Pedone, 1934) ;

    J.H. Plantenga, L’Architecture religieuse dans l’ancien Duché de Brabant depuis le règne des Archiducs jusqu’au gouvernement autrichien (1598-1713) (La Haye, M. Nijhoff, 1926)…

    Il lui est même arrivé de traduire des textes français en néerlandais comme la brochure de J. Romieu, De Bolschevistische publicaties en de Fransche politiek. (Zwartboek en Geelboek), Paris, Costes, 1923.

    Paul Eyquem est mort peu après avoir regagné sa région natale dans les semaines qui ont suivi le déclanchement de la Deuxième Guerre mondiale. Dans ses mémoires – Bewegend portret (1960) –, le journaliste Henri Wiessing (1878-1961), qui l’a revu à Paris en mai 1940, nous dit qu’il était un homme fatigué par la bureaucratie française et par l’incapacité des politiques.

     

    (source principale :  C. Serrurier, Jaarboek van de Maatschappij der Nederlandse Letterkunde te Leiden 1946-1947, p. 47-49)

     

     

    Paul Eyquem, traducteur de Louis Couperus

     

    Paul Eyquem a sans doute caressé le projet de traduire l’une des œuvres de Louis Couperus, Het snoer der ontferming – Japansche legenden (Le Collier de la Miséricorde – Légendes Japonaises). Deux textes de ce recueil ont paru en traduction française en 1923 ; la mort de l’écrivain la même année l’aura peut-être amené à renoncer à ce projet. Dans « La mort de Louis Couperus (texte) » sur ce blog, nous avons évoqué celui paru dans la revue Les Marges : le 15 juillet, veille de la mort de l’écrivain, paraissait en France une de ses nouvelles en traduction dans la revue Les Marges (tome XXVIII, n° 109, 20ème  année, p. 181-184) : Les Courtisanes, autrement dit De oirans (courtizanen), la treizième petite légende d’un recueil de proses « japonaises », Le Collier de la Miséricorde (Het snoer der ontferming), publiées en livraisons puis en volume, mais seulement après la mort de leur auteur. Le traducteur, Paul Eyquem, précisait dans une note : « La Hollande célèbre ce mois-ci le soixantième anniversaire de Couperus. Les Marges sont particulièrement heureuses de s’associer à cet hommage. Les pages traduites ci-dessus sont extraites d’un livre en cours de publication dans la revue Groot Nederland : Le Collier de la Miséricorde. »

     

    Les Nouvelles littéraires, 16/06/1923, Lettres hollandaises, avec un portrait de Couperus

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    Peu avant, dans Les Nouvelles Littéraires, Artistiques et Scientifiques du samedi 16 juin 1923, qui consacre toute sa première page à la mort de Pierre Loti, les lecteurs français pouvaient lire, à côté d’un portrait du romancier néerlandais, un premier passage du Collier de la Miséricorde : « Vivier et Cascade ». Dans une brève présentation, Paul Eyquem écrit : « La page, dont en humble hommage, nous donnons aujourd’hui la traduction, est extraite d’un ouvrage en cours de publication : Le Collier de la Miséricorde, fruit d’une récente visite au Japon. Pour la richesse du coloris, la grâce et la fermeté de l’arabesque, l’intensité de l’émotion, la profondeur du symbole, l’écrivain des Pays-Bas y rivalise, non sans succès, avec les plus grands artistes du pays du Soleil Levant. » Voici cette traduction :

     

    Vivier et Cascade

     

    Le torrent se précipitait du haut des rocs que des mains habiles avaient entassés dans le parc où ils formaient une flaque, un vivier environné de roches également amoncelées. Sous les irisations intermittentes du soleil le torrent, la cascade écumaient et clapotaient.

    Dans le vivier, à foison, nageaient des carpes d’apparat, poissons étincelant, poissons à des joyaux pareils, blancs, dorés, argentés, verts, bleus et rouges, toujours l’une suivant l’autre, toujours tour après tour, toujours et sans relâche.

    Le torrent, l’eau multiple chantait et clamait :

    « Ah ! voyez donc comme ces carpes, sans but et sans répit, toujours l’une suivant l’autre, toujours tour après tour, nagent dans notre petit vivier ! Or moi qui tombe abondamment des rochers je m’achemine, écumeuse et clapotante, vers mon but noble et lointain : la mer que je devine là-bas – Rivière après ma chute, puis large fleuve je roule vers le but que je sais : la mer éternelle ! »

    Autour du vivier et sous la cascade rêvaient, silencieux et calmes, les rochers, blocs arrondis, artistement disposés par la main des hommes. Et ils murmuraient sous leur mousse épaisse :

    « Nous ne coulons pas comme l’eau, nous ne nageons pas comme les carpes et nous ne nous connaissons aucun but dans notre immobilité. Mais des sages et des saints nous ont promis que, bien que nous semblions avoir été fixés ici pour l’éternité par des mains humaines, nous entrerons un jour, en flottant, dans le sacré Nirvâna, nous, rochers, tout comme les Bouddhas eux-mêmes.

    « La patience est toute notre sagesse et le rêve notre seule action : nous attendons, nous attendons patiemment et silencieusement. »

    Les carpes inlassablement nageaient en rond, l’eau se précipitait sans repos du haut des rocs ; deux grands papillons noirs, frémissants d’amour, voltigeaient sur les camélias pourpres.

     

    « Vijver met karpers en waterval », Groot Nederland, printemps 1923, repris dans VW 47, Het snoer der ontferming – Japansche legenden, pp. 33-34. Traduction par Paul Eyquem, Les Nouvelles Littéraires, Artistiques et Scientifiques, samedi 16 juin 1923.